Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Vingt ans après la crise de l'énergie, il n'est sans doute pas nécessaire de souligner l'intérêt de ce colloque. Je me propose donc de saisir avec vous l'opportunité de revenir sur vingt années de fluctuations exceptionnelles des prix de l'énergie. Elles ont eu, nous le savons, des répercussions considérables sur nos comportements économiques et sur notre politique de l'énergie. Ce retour en arrière nous conduira inévitablement à tenter de répondre à la question : avons-nous bien compris les leçons du passé et sommes-nous aujourd'hui mieux préparés pour résister à un éventuel nouveau choc énergétique ?
En 1973, la France sortait de trente années de croissance forte (près de 5 % par an) et ininterrompue, sans précédent dans notre histoire. Le chômage était insignifiant. Les Français s'étaient habitués à une progression rapide de leur niveau de vie. Les salariés bénéficiaient d'une revalorisation annuelle du pouvoir d'achat de leur rémunération, avec indexation complète sur l'évolution des prix. Certes, l'économie occidentale commençait à percevoir l'onde de choc inflationniste de la décision américaine, prise en 1971, de suspendre la libre-convertibilité du dollar en or. Mais aucun pays, excepté l'Allemagne qui connaissait au début des années 1970 une forte poussée des salaires, n'avait jugé bon de modifier sa politique économique. C'est donc dans ce contexte apparemment serein qu'a éclaté la crise : les prix du pétrole ont quadruplé. Ils passèrent de 2,5 à 10 $ le baril, entraînant une ponction de 2 1/2 % du PIB sur l'économie française, soit l'équivalent en termes actuels de 180 milliards de francs...
Au lieu de se répartir solidairement cette lourde facture imprévue, la société française a laissé jouer les mécanismes traditionnels de fixation des salaires et des prix. Il en a résulté un dérapage de l'inflation. Elle a connu une accélération de 10 % par rapport à son niveau antérieur à la crise. Les entreprises en ont particulièrement souffert : leurs bénéfices ont baissé dès le choc et ne s'étaient pas totalement rétablis lorsque le deuxième choc est intervenu. A l'inverse, dans des pays comme l'Allemagne et les Etats-Unis, la plupart des entreprises avaient retrouvé en 3 ou 4 ans un niveau de profits satisfaisant. Les salariés allemands et américains avaient en effet accepté de partager la charge de l'ajustement. Alors qu'en 1973, l'inflation était identique en France et en Allemagne, l'écart était de 8 à 9 points deux ans après. Cet écart s'est réduit très lentement par la suite, du fait des mécanismes d'indexation en vigueur en France. La dégradation des comptes des entreprises s'est traduite chez nous par une montée du chômage plus rapide qu'ailleurs. Il s'agit sans doute d'une des leçons les plus importantes du premier choc : le dilemme Salaires/Emploi est d'autant plus cruel en période de récession que les choix sont différés...
En 1979-80 eut lieu le deuxième choc pétrolier. Il a vu les prix du baril passer de 13 à 35 dollars, provoquant de nouveau une ponction de l'ordre de 2 1/2 points sur notre richesse nationale. Seulement devrais-je dire, car les politiques menées après 1973 en faveur d'une meilleure maîtrise de l'énergie et d'une plus grande indépendance énergétique nous ont permis de limiter au moins partiellement ce choc. Finalement, pour un choc de même violence, les prix n'ont accéléré en 1980 "que" de 6 %, soit un gain de 4 % par rapport au choc précédent. Cependant, la France aurait pu faire encore mieux : l'inflation n'a connu qu'une accélération de 4 % en RFA et de 2 % au Japon. En termes d'emploi, notre performance a également laissé à désirer. Elle s'est d'ailleurs aggravée en 1981 avec la mise en uvre d'une politique des revenus peu adaptée à la rigueur de la conjoncture.
Ce bref retour sur les expériences passées nous conduit inévitablement à nous demander dans quelle mesure nous saurions, aujourd'hui, en cas de nouvelle secousse sur les prix de l'énergie, réagir de façon appropriée, et en limiter ainsi les conséquences néfastes. Permettez-moi d'abord de souligner que cette question n'a pas qu'un caractère purement académique. Les prix du pétrole sont redevenus aujourd'hui comparables à ce qu'ils étaient en 1973 en monnaie constante. Il est néanmoins probable qu'ils reprennent, à moyen terme, une tendance légèrement ascendante, traduisant le fait que les hydrocarbures sont une ressource rare et indispensable à un certain nombre d'usages. Par ailleurs, le passé récent a prouvé que, même à partir d'une situation de surcapacité mondiale, la montée d'un risque géopolitique pouvait avoir des répercussions considérables sur le prix du pétrole. Toutefois, si le danger reste présent, la crise du Golfe nous a montré, précisément, que nous étions désormais mieux armés pour y faire face. La France a en effet réussi à limiter l'accélération des prix à la simple augmentation des prix des produits énergétiques. Et cela sans que celle-ci se répercute ni sur les salaires ni sur les prix des autres produits. Bien sûr, ce résultat tenait aussi à la brièveté de la hausse des prix du pétrole. Mais je crois qu'il a tout de même valeur d'enseignement. La France est aujourd'hui devenue plus résistante. J'en attribue la responsabilité à quatre orientations majeures que nous avons suivies. Elles apparaissent aujourd'hui largement irréversibles.
Tout d'abord, la modification des modes d'indexation des salaires engagée au début des années 80 s'est traduite par une meilleure prise en compte, dans les rémunérations, de la situation générale de l'économie et de l'évolution des résultats des entreprises. Cela a permis de limiter les pertes d'emploi et l'accélération de l'inflation lors d'un choc extérieur.
La seconde orientation est celle de la coordination des politiques économiques. Le "chacun pour soi" qui prévalait lors des deux premiers chocs pétroliers, a laissé place à une certaine coordination, au moins au niveau de la Communauté. A cet égard, les programmes français et allemand de convergence, établis en étroite liaison avec nos voisins d'Outre-Rhin, illustrent notre volonté de coordonner notre réponse aux déséquilibres, notamment budgétaires, provoqués par le ralentissement récent de l'activité. A terme, la réalisation de l'Union Monétaire Européenne s'inscrit dans ceste ambition de renforcer la cohésion économique de l'Europe. La théorie et l'expérience nous enseignent en effet que, face à un choc extérieur, une réponse coordonnée se révèle beaucoup plus efficace qu'une réponse isolée.
La troisième évolution majeure est, à mon sens, la baisse des charges pesant sur les entreprises. Je rappelle que le taux de l'impôt sur les sociétés a été abaissé d'un tiers et que le processus de budgétisation de certaines charges sociales a été engagé. Vous savez que le Gouvernement attend beaucoup de cette budgétisation. Elle vise à renforcer la compétitivité de notre tissu productif.
Enfin, le redressement de notre commerce extérieur constitue, je pense, une raison supplémentaire de relative sérénité. Il y a dix ans, notre pays avait été contraint, compte tenu de l'ampleur du déficit commercial, d'engager des actions visant à contenir les importations. Certaines de ces mesures avaient un caractère insupportable. Je pense notamment au dédouanement des magnétoscopes à Poitiers et à la limitation des achats de devises. Elles aliénaient la liberté individuelle des Français. Elles donnaient au monde extérieur l'image d'une nation frileuse et manquant de confiance en ses capacités compétitives. Aujourd'hui, l'excédent de notre commerce extérieur et notre capacité à attirer des investissements étrangers attestent que nous avons retrouvé notre compétitivité.
Pour autant, les politiques énergétiques ont été utiles et restent nécessaires. Notre taux d'indépendance énergétique, qui n'était que de 23 % à l'orée du premier choc, dépasse aujourd'hui 50 %. Aucun des pays de l'OCDE, si l'on excepte ceux qui sont dotés de ressources en hydrocarbures (Royaume-Uni, Norvège), ne peut se targuer de tels progrès. A l'avenir, les progrès que nous réaliserons seront sans doute plus lents, ne serait-ce que parce que la moitié des hydrocarbures utilisés aujourd'hui sont consommés dans le secteur des transports où les possibilités de substitution sont rares ou coûteuses.
Aujourd'hui, l'efficacité de notre politique énergétique ne se mesure plus seulement à l'aune de notre taux d'indépendance en la matière. La limitation des nuisances d'environnement liées à l'utilisation de l'énergie est devenue un enjeu majeur. Trois formes de nuisances sont généralement évoquées : la pollution atmosphérique, le bruit et l'effet de serre. En matière de pollution, la mise en uvre du programme nucléaire a permis à la France d'enregistrer des performances remarquables.
Les deux volets principaux de notre politique d'indépendance énergétique ont été un recours résolu à l'énergie nucléaire, et une politique d'économies d'énergie. Grâce à un programme ambitieux, la France s'est dotée d'un parc électronucléaire. Il n'a pas d'équivalent en Europe. Pour autant, les préoccupations de sécurité et d'environnement ont été prises en compte. Aujourd'hui, l'électricité d'origine nucléaire représente 35 % de notre consommation totale d'énergie. Par ailleurs, nos exportations d'électricité contribuent aussi à l'allègement de notre facture énergétique et à l'abaissement des prix au consommateur final.
Un autre volet important est celui des économies d'énergie. Si leur réalité n'est contestée par personne, la mesure de ces économies fait l'objet de débats passionnés. Plutôt que de citer des chiffres sujets à caution, je me bornerai à rappeler que la meilleure façon d'éviter des gaspillages consiste d'abord à tarifer l'énergie au juste prix. Vous savez en effet que la consommation d'énergie affiche une sensibilité forte par rapport aux prix. C'est pourquoi j'estime que notre politique énergétique doit prioritairement s'appuyer, au moins pour l'aspect "demande", sur la détermination du juste prix de l'énergie. Je ne peux que déplorer que tant de pays aient une politique énergétique irresponsable qui ne prenne pas en compte les coûts "externes", notamment l'environnement, dans la détermination du prix de l'énergie.
Le troisième et dernier volet de notre politique énergétique est celui de la diversification géographique de nos approvisionnements, afin de mieux en assurer la sécurité. Cela passe, en matière pétrolière, par une présence accrue de nos opérateurs dans les domaines de l'exploration et de la production. Elf a ainsi augmenté sa production de pétrole de 60 %, grâce notamment aux gisements africains. Elle continue de prospecter dans d'autres zones du monde, et notamment la CEI. En matière gazière, la France s'attache à ce qu'aucun de ses fournisseurs ne représente plus de 30 % de ses approvisionnements. Cela s'est traduit par la signature de nouveaux contrats à long terme en particulier avec la Norvège.
J'espère vous avoir convaincu que la France a bien tiré les leçons des vingt dernières années. J'espère vous avoir également convaincu que nous sommes aujourd'hui moins vulnérables à une éventuelle nouvelle secousse sur les marchés pétroliers. En tant que responsable de la tutelle financière des entreprises du secteur énergétique, je ne voudrais toutefois pas conclure mon allocution sans vous avoir parlé des perspectives qui s'ouvrent devant elles. Le secteur de l'énergie est, vous le savez, un secteur très concentré. Des entreprises en position de quasi-monopole sectoriel (CDF, EDF, GDF) ou en situation oligopolistique (Elf, Total) y opèrent.
Nos compagnies pétrolières se sont efforcées de diversifier leur activité vers l'amont : augmentation de la production du pétrole pour Elf et de gaz pour Total. Elles l'ont également fait vers l'aval avec le développement d'activités chimiques et pétrochimiques. Elles se sont également efforcées de diversifier leurs implantations tout en veillant à limiter les risques politiques. Malgré les difficultés qu'elles ont pu rencontrer, Elf et Total ont connu depuis le début des années 1970 une évolution de leurs bénéfices plus favorable que celle de leurs concurrentes étrangères. La rentabilité de leurs capitaux propres n'a aujourd'hui rien à envier à celle qu'affichent les majors du secteur.
EDF et GDF ont connu une amélioration spectaculaire de leurs comptes. Elle leur a permis de réduire substantiellement leur endettement. Le niveau d'endettement reste toutefois encore élevé au regard des principales compagnies étrangères. Il est très important qu'elles puissent le réduire encore durant les prochaines années. Elles pourront ainsi plus facilement faire face à l'horizon 2000 à de nouveaux programmes d'investissements. D'autant qu'ils seront certainement très lourds et devront s'inscrire dans un contexte concurrentiel accru. Ces deux entreprises ont su mener à bien leur développement. EDF a mis à profit le faible prix de revient de l'électricité d'origine nucléaire hors période de pointe. Il lui a permis de se développer en France et d'exporter de l'électricité. Pour sa part, GDF a su exploiter les potentialités de développement commercial qu'offre le gaz, notamment dans le logement, du fait d'un prix de revient attractif. Il a su aussi valoriser son savoir faire à l'étranger. Les progrès réalisés par EDF et GDF ont été répartis, de façon relativement équitable entre les salariés - sous forme d'intéressement aux résultats -, l'Etat-actionnaire dont le dividende a progressé et les consommateurs qui ont vu leur facture progresser moins vite que l'inflation.
Ce succès s'explique par le fait que la politique énergétique de la France s'inscrit dans le long terme : programme électronucléaire, économies d'énergie, diversification des approvisionnements gaziers.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques considérations qu'il me paraissait opportun de livrer à votre réflexion. Je vous souhaite une bonne journée de travail et je vous remercie de votre attention.
Je vous remercie.
Mesdames et Messieurs,
Vingt ans après la crise de l'énergie, il n'est sans doute pas nécessaire de souligner l'intérêt de ce colloque. Je me propose donc de saisir avec vous l'opportunité de revenir sur vingt années de fluctuations exceptionnelles des prix de l'énergie. Elles ont eu, nous le savons, des répercussions considérables sur nos comportements économiques et sur notre politique de l'énergie. Ce retour en arrière nous conduira inévitablement à tenter de répondre à la question : avons-nous bien compris les leçons du passé et sommes-nous aujourd'hui mieux préparés pour résister à un éventuel nouveau choc énergétique ?
En 1973, la France sortait de trente années de croissance forte (près de 5 % par an) et ininterrompue, sans précédent dans notre histoire. Le chômage était insignifiant. Les Français s'étaient habitués à une progression rapide de leur niveau de vie. Les salariés bénéficiaient d'une revalorisation annuelle du pouvoir d'achat de leur rémunération, avec indexation complète sur l'évolution des prix. Certes, l'économie occidentale commençait à percevoir l'onde de choc inflationniste de la décision américaine, prise en 1971, de suspendre la libre-convertibilité du dollar en or. Mais aucun pays, excepté l'Allemagne qui connaissait au début des années 1970 une forte poussée des salaires, n'avait jugé bon de modifier sa politique économique. C'est donc dans ce contexte apparemment serein qu'a éclaté la crise : les prix du pétrole ont quadruplé. Ils passèrent de 2,5 à 10 $ le baril, entraînant une ponction de 2 1/2 % du PIB sur l'économie française, soit l'équivalent en termes actuels de 180 milliards de francs...
Au lieu de se répartir solidairement cette lourde facture imprévue, la société française a laissé jouer les mécanismes traditionnels de fixation des salaires et des prix. Il en a résulté un dérapage de l'inflation. Elle a connu une accélération de 10 % par rapport à son niveau antérieur à la crise. Les entreprises en ont particulièrement souffert : leurs bénéfices ont baissé dès le choc et ne s'étaient pas totalement rétablis lorsque le deuxième choc est intervenu. A l'inverse, dans des pays comme l'Allemagne et les Etats-Unis, la plupart des entreprises avaient retrouvé en 3 ou 4 ans un niveau de profits satisfaisant. Les salariés allemands et américains avaient en effet accepté de partager la charge de l'ajustement. Alors qu'en 1973, l'inflation était identique en France et en Allemagne, l'écart était de 8 à 9 points deux ans après. Cet écart s'est réduit très lentement par la suite, du fait des mécanismes d'indexation en vigueur en France. La dégradation des comptes des entreprises s'est traduite chez nous par une montée du chômage plus rapide qu'ailleurs. Il s'agit sans doute d'une des leçons les plus importantes du premier choc : le dilemme Salaires/Emploi est d'autant plus cruel en période de récession que les choix sont différés...
En 1979-80 eut lieu le deuxième choc pétrolier. Il a vu les prix du baril passer de 13 à 35 dollars, provoquant de nouveau une ponction de l'ordre de 2 1/2 points sur notre richesse nationale. Seulement devrais-je dire, car les politiques menées après 1973 en faveur d'une meilleure maîtrise de l'énergie et d'une plus grande indépendance énergétique nous ont permis de limiter au moins partiellement ce choc. Finalement, pour un choc de même violence, les prix n'ont accéléré en 1980 "que" de 6 %, soit un gain de 4 % par rapport au choc précédent. Cependant, la France aurait pu faire encore mieux : l'inflation n'a connu qu'une accélération de 4 % en RFA et de 2 % au Japon. En termes d'emploi, notre performance a également laissé à désirer. Elle s'est d'ailleurs aggravée en 1981 avec la mise en uvre d'une politique des revenus peu adaptée à la rigueur de la conjoncture.
Ce bref retour sur les expériences passées nous conduit inévitablement à nous demander dans quelle mesure nous saurions, aujourd'hui, en cas de nouvelle secousse sur les prix de l'énergie, réagir de façon appropriée, et en limiter ainsi les conséquences néfastes. Permettez-moi d'abord de souligner que cette question n'a pas qu'un caractère purement académique. Les prix du pétrole sont redevenus aujourd'hui comparables à ce qu'ils étaient en 1973 en monnaie constante. Il est néanmoins probable qu'ils reprennent, à moyen terme, une tendance légèrement ascendante, traduisant le fait que les hydrocarbures sont une ressource rare et indispensable à un certain nombre d'usages. Par ailleurs, le passé récent a prouvé que, même à partir d'une situation de surcapacité mondiale, la montée d'un risque géopolitique pouvait avoir des répercussions considérables sur le prix du pétrole. Toutefois, si le danger reste présent, la crise du Golfe nous a montré, précisément, que nous étions désormais mieux armés pour y faire face. La France a en effet réussi à limiter l'accélération des prix à la simple augmentation des prix des produits énergétiques. Et cela sans que celle-ci se répercute ni sur les salaires ni sur les prix des autres produits. Bien sûr, ce résultat tenait aussi à la brièveté de la hausse des prix du pétrole. Mais je crois qu'il a tout de même valeur d'enseignement. La France est aujourd'hui devenue plus résistante. J'en attribue la responsabilité à quatre orientations majeures que nous avons suivies. Elles apparaissent aujourd'hui largement irréversibles.
Tout d'abord, la modification des modes d'indexation des salaires engagée au début des années 80 s'est traduite par une meilleure prise en compte, dans les rémunérations, de la situation générale de l'économie et de l'évolution des résultats des entreprises. Cela a permis de limiter les pertes d'emploi et l'accélération de l'inflation lors d'un choc extérieur.
La seconde orientation est celle de la coordination des politiques économiques. Le "chacun pour soi" qui prévalait lors des deux premiers chocs pétroliers, a laissé place à une certaine coordination, au moins au niveau de la Communauté. A cet égard, les programmes français et allemand de convergence, établis en étroite liaison avec nos voisins d'Outre-Rhin, illustrent notre volonté de coordonner notre réponse aux déséquilibres, notamment budgétaires, provoqués par le ralentissement récent de l'activité. A terme, la réalisation de l'Union Monétaire Européenne s'inscrit dans ceste ambition de renforcer la cohésion économique de l'Europe. La théorie et l'expérience nous enseignent en effet que, face à un choc extérieur, une réponse coordonnée se révèle beaucoup plus efficace qu'une réponse isolée.
La troisième évolution majeure est, à mon sens, la baisse des charges pesant sur les entreprises. Je rappelle que le taux de l'impôt sur les sociétés a été abaissé d'un tiers et que le processus de budgétisation de certaines charges sociales a été engagé. Vous savez que le Gouvernement attend beaucoup de cette budgétisation. Elle vise à renforcer la compétitivité de notre tissu productif.
Enfin, le redressement de notre commerce extérieur constitue, je pense, une raison supplémentaire de relative sérénité. Il y a dix ans, notre pays avait été contraint, compte tenu de l'ampleur du déficit commercial, d'engager des actions visant à contenir les importations. Certaines de ces mesures avaient un caractère insupportable. Je pense notamment au dédouanement des magnétoscopes à Poitiers et à la limitation des achats de devises. Elles aliénaient la liberté individuelle des Français. Elles donnaient au monde extérieur l'image d'une nation frileuse et manquant de confiance en ses capacités compétitives. Aujourd'hui, l'excédent de notre commerce extérieur et notre capacité à attirer des investissements étrangers attestent que nous avons retrouvé notre compétitivité.
Pour autant, les politiques énergétiques ont été utiles et restent nécessaires. Notre taux d'indépendance énergétique, qui n'était que de 23 % à l'orée du premier choc, dépasse aujourd'hui 50 %. Aucun des pays de l'OCDE, si l'on excepte ceux qui sont dotés de ressources en hydrocarbures (Royaume-Uni, Norvège), ne peut se targuer de tels progrès. A l'avenir, les progrès que nous réaliserons seront sans doute plus lents, ne serait-ce que parce que la moitié des hydrocarbures utilisés aujourd'hui sont consommés dans le secteur des transports où les possibilités de substitution sont rares ou coûteuses.
Aujourd'hui, l'efficacité de notre politique énergétique ne se mesure plus seulement à l'aune de notre taux d'indépendance en la matière. La limitation des nuisances d'environnement liées à l'utilisation de l'énergie est devenue un enjeu majeur. Trois formes de nuisances sont généralement évoquées : la pollution atmosphérique, le bruit et l'effet de serre. En matière de pollution, la mise en uvre du programme nucléaire a permis à la France d'enregistrer des performances remarquables.
Les deux volets principaux de notre politique d'indépendance énergétique ont été un recours résolu à l'énergie nucléaire, et une politique d'économies d'énergie. Grâce à un programme ambitieux, la France s'est dotée d'un parc électronucléaire. Il n'a pas d'équivalent en Europe. Pour autant, les préoccupations de sécurité et d'environnement ont été prises en compte. Aujourd'hui, l'électricité d'origine nucléaire représente 35 % de notre consommation totale d'énergie. Par ailleurs, nos exportations d'électricité contribuent aussi à l'allègement de notre facture énergétique et à l'abaissement des prix au consommateur final.
Un autre volet important est celui des économies d'énergie. Si leur réalité n'est contestée par personne, la mesure de ces économies fait l'objet de débats passionnés. Plutôt que de citer des chiffres sujets à caution, je me bornerai à rappeler que la meilleure façon d'éviter des gaspillages consiste d'abord à tarifer l'énergie au juste prix. Vous savez en effet que la consommation d'énergie affiche une sensibilité forte par rapport aux prix. C'est pourquoi j'estime que notre politique énergétique doit prioritairement s'appuyer, au moins pour l'aspect "demande", sur la détermination du juste prix de l'énergie. Je ne peux que déplorer que tant de pays aient une politique énergétique irresponsable qui ne prenne pas en compte les coûts "externes", notamment l'environnement, dans la détermination du prix de l'énergie.
Le troisième et dernier volet de notre politique énergétique est celui de la diversification géographique de nos approvisionnements, afin de mieux en assurer la sécurité. Cela passe, en matière pétrolière, par une présence accrue de nos opérateurs dans les domaines de l'exploration et de la production. Elf a ainsi augmenté sa production de pétrole de 60 %, grâce notamment aux gisements africains. Elle continue de prospecter dans d'autres zones du monde, et notamment la CEI. En matière gazière, la France s'attache à ce qu'aucun de ses fournisseurs ne représente plus de 30 % de ses approvisionnements. Cela s'est traduit par la signature de nouveaux contrats à long terme en particulier avec la Norvège.
J'espère vous avoir convaincu que la France a bien tiré les leçons des vingt dernières années. J'espère vous avoir également convaincu que nous sommes aujourd'hui moins vulnérables à une éventuelle nouvelle secousse sur les marchés pétroliers. En tant que responsable de la tutelle financière des entreprises du secteur énergétique, je ne voudrais toutefois pas conclure mon allocution sans vous avoir parlé des perspectives qui s'ouvrent devant elles. Le secteur de l'énergie est, vous le savez, un secteur très concentré. Des entreprises en position de quasi-monopole sectoriel (CDF, EDF, GDF) ou en situation oligopolistique (Elf, Total) y opèrent.
Nos compagnies pétrolières se sont efforcées de diversifier leur activité vers l'amont : augmentation de la production du pétrole pour Elf et de gaz pour Total. Elles l'ont également fait vers l'aval avec le développement d'activités chimiques et pétrochimiques. Elles se sont également efforcées de diversifier leurs implantations tout en veillant à limiter les risques politiques. Malgré les difficultés qu'elles ont pu rencontrer, Elf et Total ont connu depuis le début des années 1970 une évolution de leurs bénéfices plus favorable que celle de leurs concurrentes étrangères. La rentabilité de leurs capitaux propres n'a aujourd'hui rien à envier à celle qu'affichent les majors du secteur.
EDF et GDF ont connu une amélioration spectaculaire de leurs comptes. Elle leur a permis de réduire substantiellement leur endettement. Le niveau d'endettement reste toutefois encore élevé au regard des principales compagnies étrangères. Il est très important qu'elles puissent le réduire encore durant les prochaines années. Elles pourront ainsi plus facilement faire face à l'horizon 2000 à de nouveaux programmes d'investissements. D'autant qu'ils seront certainement très lourds et devront s'inscrire dans un contexte concurrentiel accru. Ces deux entreprises ont su mener à bien leur développement. EDF a mis à profit le faible prix de revient de l'électricité d'origine nucléaire hors période de pointe. Il lui a permis de se développer en France et d'exporter de l'électricité. Pour sa part, GDF a su exploiter les potentialités de développement commercial qu'offre le gaz, notamment dans le logement, du fait d'un prix de revient attractif. Il a su aussi valoriser son savoir faire à l'étranger. Les progrès réalisés par EDF et GDF ont été répartis, de façon relativement équitable entre les salariés - sous forme d'intéressement aux résultats -, l'Etat-actionnaire dont le dividende a progressé et les consommateurs qui ont vu leur facture progresser moins vite que l'inflation.
Ce succès s'explique par le fait que la politique énergétique de la France s'inscrit dans le long terme : programme électronucléaire, économies d'énergie, diversification des approvisionnements gaziers.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques considérations qu'il me paraissait opportun de livrer à votre réflexion. Je vous souhaite une bonne journée de travail et je vous remercie de votre attention.
Je vous remercie.