Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur l'engagement international et les solutions préconisées pour lutter contre la faim et les grandes pandémies en Afrique et assurer l'avenir du continent africain, Paris le 14 décembre 2005.

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Circonstance : Colloque de l'Institut euro-méditerranéen intitulé "Faim et pandémies en Afrique : comment en finir avec ces tragédies ?" à Paris le 14 décembre 2005

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,

Je voudrais d'abord remercier Hervé de Charette et l'Institut euro-méditérranéen qu'il préside d'avoir organisé cette réunion sur un thème qui est pour moi un enjeu majeur en ce début du XXIe siècle : l'avenir du continent africain, et notre capacité, ensemble, à mettre un terme aux handicaps majeurs qui freinent aujourd'hui son développement, menacent sa stabilité, et font dès lors peser un risque sur la croissance et la sécurité du monde occidental, et en particulier sur celles du continent européen.
De plus en plus, la communauté internationale prend conscience de cette réalité. Le XXIIIe Sommet Afrique-France, qui s'est tenu il y a quelques jours à Bamako, s'est inscrit dans un agenda international largement consacré, cette année, au continent africain. En témoignent le Sommet du G8 en juin, le Sommet du Millénaire à New York en septembre, les réunions de l'OMC à Hong Kong.
Ensuite, pour évoquer ces sujets majeurs, je me félicite de voir ici réunis des représentants des gouvernements de l'ensemble du continent africain : Afrique du Sud, Ethiopie, Cameroun, Congo, Niger, aux côtés des grandes ONG ou des grands instituts de recherche, aux côtés aussi du secteur privé dont le rôle, dans ces domaines, est tout à fait essentiel. En effet, ce n'est qu'ensemble, en confrontant nos analyses et en coordonnant nos efforts, dans le cadre d'un véritable partenariat Nord/Sud, mais aussi public/privé, que nous apporterons une réponse à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes, ensemble, et collectivement, confrontés.
Je laisse à Brigitte Girardin, qui conclura ces deux journées de débats, le soin de vous exposer en détail les réponses que la France entend apporter en matière de lutte contre la faim et contre les grandes pandémies qui continuent de ravager le potentiel pourtant considérable de ce grand continent.
Je voudrais seulement, en quelques mots, vous dire sur quelles convictions, et quel engagement, cette politique se fonde.
Elle se fonde d'abord sur une logique d'intérêt mutuel. Nous ne luttons pas contre la faim et la maladie en Afrique par charité. Nous le faisons parce que, dans un monde aujourd'hui totalement globalisé, c'est une question d'intérêt collectif. Il faut résolument sortir de la logique de compassion, pour agir désormais dans une logique d'intérêt.
- Elle se fonde ensuite sur la conviction que l'aide seule n'amènera jamais le développement autonome et durable du continent africain. Nous devons en priorité conforter les facteurs qui sont à la base de toute croissance économique. De la même façon, nous devons aussi renforcer l'insertion du continent africain dans les grands circuits économiques et commerciaux mondiaux. Il est illusoire de penser que l'Afrique restera cantonnée dans une posture qui attend tout de l'aide publique et se tiendra sans mot dire à l'écart des grands échanges internationaux.
- Or, nous le savons tous, le capital humain est le premier des facteurs de croissance. Santé et développement sont indissociables. Bien sûr, l'amélioration des politiques de santé publique, le renforcement des structures d'accueil et de soins, sont essentiellement une conséquence du développement et de la croissance économique d'un pays. Mais ils en sont aussi, je dirais surtout, un facteur essentiel. L'insuffisance du niveau sanitaire handicape lourdement le potentiel de développement, l'éducation, l'emploi, la création de richesses, la qualité de l'administration publique. Au-delà, elle aggrave aussi considérablement les effets des catastrophes naturelles et accroît le risque d'insuffisance alimentaire. Ainsi en Afrique australe, le VIH/sida qui touche durement les personnes les plus productives, accélère parallèlement la baisse de la production agricole et le manque de ressources vivrières.
C'est pourquoi nous devons, en priorité, répondre à ce défi sanitaire.
Naturellement, un long chemin reste à accomplir pour en finir avec la faim et les pandémies qui continuent de sévir et de tuer, en particulier en Afrique. C'est pourquoi nous devons accélérer le pas.
La pandémie de VIH/sida relève toujours de l'urgence sanitaire mondiale. La tuberculose, dont nous savons que l'incidence croit avec le Sida, continue de tuer des millions de personnes.
Le vaccin contre le paludisme, tant de fois annoncé, n'est toujours pas disponible. La rougeole, contre laquelle il existe depuis longtemps un vaccin efficace, cause la mort de près de 500.000 enfants par an en Afrique sub-saharienne.
Quant à la mortalité maternelle, elle reste scandaleusement élevée dans de nombreux pays africains.

Aujourd'hui, il existe des motifs d'espoir. D'abord, parce que l'année 2005 a marqué un engagement accru de la communauté internationale sur les questions de développement et de lutte contre la pauvreté :

  • le sommet de New York en septembre dernier, qui a souligné le chemin à emprunter pour atteindre les Objectifs du Millénaire, en a été le point d'orgue.
  • d'autres rendez-vous importants l'ont précédé, comme le forum de Paris sur l'efficacité de l'aide, ou la conférence du 9 mars à Londres sur la lutte contre le VIH/sida. L'engagement pris à Gleneagles en faveur de l'accès universel au traitement contre le VIH/sida, la conférence de reconstitution du Fonds mondial en septembre dernier, sont autant d'échéances majeures.

Cinq années après le Sommet du millénaire, ces rencontres internationales sont le signe qu'une approche différente voit le jour. Dans le monde globalisé qui est le nôtre, nous le savons, nous n'avons aucune chance de contenir les pandémies sans l'adoption d'une vision stratégique et d'un plan d'action partagés.
La lutte contre la faim, contre la maladie, contre la pauvreté, passe bien par plus de concertation et davantage de solidarité. Je suis convaincu que cette solidarité internationale en matière de santé s'affirme aujourd'hui parce qu'elle se fonde enfin sur la prise de conscience d'un intérêt mutuel. Travaillons ensemble, partenaires du Nord et du Sud, acteurs de la société civile et du secteur privé, à construire efficacement sur cet élan.
Nous avons commencé à créer de nouveaux instruments pour combattre les maladies les plus meurtrières pour l'adulte et l'enfant. Je pense en particulier au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, mais aussi à l'Alliance globale sur les vaccins et la vaccination. Nous avons eu raison de le faire, et nous en attendons, naturellement, des résultats concrets et rapides. N'oublions pas non plus les "maladies orphelines" du continent africain qui frappent si lourdement les enfants en particulier. Des progrès importants ont aussi été enregistrés grâce à la politique des médicaments essentiels génériques, promue notamment par l'Organisation mondiale de la santé. L'Onusida a joué un rôle qui mérite d'être souligné pour abaisser le prix des premiers anti-rétroviraux disponibles.
Sans doute devons-nous aussi poursuivre nos discussions pour que ces nouveaux partenariats soient bien articulés avec l'ensemble des initiatives destinées à renforcer les systèmes de soins. Mais nous ne devons jamais perdre de vue l'objectif à atteindre : donner au paysan du Sahel, au citadin des grandes métropoles d'Afrique, les moyens de voir sa vie changer, parce qu'il aura enfin accès à des services de santé de qualité, parce qu'il ne sera plus confronté à l'impossibilité d'acquérir les médicaments indispensables à sa survie, ou à celle de ses enfants, en cas de maladie grave, parce qu'il ne sera plus inexorablement poussé à l'exode vers les capitales ou vers le Nord.
Nous n'avons fait que la moitié du chemin. Il faut aller plus loin, et surtout plus vite, inventer de nouveaux mécanismes, faire en sorte que les nouvelles thérapeutiques disponibles, dès lors qu'elles sont efficaces, soient accessibles à tous ceux qui en ont besoin.
L'un des défis importants, c'est l'accès universel aux traitements, qui ne pourra se faire sans une augmentation de la production de médicaments dans les pays du Sud, et en particulier, sans l'accès aux traitements du VIH/sida dit "de deuxième ligne". La France et l'Union européenne entendent porter loin cette question et faire des propositions dans ce domaine, notamment pour soutenir les capacités de production et l'accès aux génériques dans les pays du Sud.
La France, pour sa part, veut être concrète dans ses engagements. L'engagement ancien, personnel, résolu du président de la République à mener en tête des pays du G8 la bataille pour le développement en général et pour le continent africain en particulier, porte ses fruits.
Notre aide publique au développement rapportée au revenu national brut ne cesse d'augmenter, de telle sorte que l'objectif de 0,5 % en 2007 fixé par le président de la République sera atteint conformément au calendrier. Cet engagement pour un accroissement de l'aide publique concerne aussi, je le souligne, l'ensemble de nos partenaires de l'Union européenne.
La France s'est aussi engagée pour combattre les trois principales pandémies que sont le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme, en particulier avec le Fonds mondial. Nous avons décidé en 2003 de tripler notre contribution au Fonds mondial pour la porter à 150 millions d'euros. De premiers résultats sont là, puisque près de 220.000 personnes ont été mises sous traitement anti-rétroviraux, 600.000 personnes sous anti-tuberculeux, et près de 3 millions de moustiquaires traités ont été distribuées.
Le Fonds mondial est bien notre principale chance de parvenir à un changement d'échelle dans les moyens affectés à la lutte contre le VIH/sida. C'est fort de cette conviction que nous nous sommes engagés, en juin dernier, à doubler de nouveau notre contribution au Fonds mondial, qui atteindra donc 525 millions de dollars pour les années 2006 et 2007.
Mais nous le savons, ces seules mesures ne suffiront pas, tant les besoins en financement sont grands, et les ressources encore trop limitées.
La seule lutte contre le VIH/sida à l'échelle mondiale demande de réunir 18 milliards de dollars pour les années 2006 et 2007, et 22 milliards de dollars au-delà de 2008. Si une part des ressources doit venir des pays affectés, l'essentiel de l'effort devra être fourni par l'aide extérieure, et les ressources budgétaires de l'aide publique au développement n'y suffiront pas.
De nouvelles initiatives sont nécessaires. Certaines, importantes, commencent déjà à voir le jour.
Je pense, naturellement, à la Facilité financière internationale appliquée à la vaccination, initiée par le Royaume-Uni avec l'appui de la France, et maintenant soutenue par plusieurs autres pays. Lancée en septembre dernier, elle est un exemple de ce que nous pouvons faire, de manière concrète, pour contribuer à sauver des millions de vies.
Je pense aussi à la mise en place d'une contribution de solidarité internationale, au service de laquelle la France s'est fortement engagée. Nous défendons et nous appliquerons, en particulier, notre projet de prélèvement pilote sur les billets d'avion, pour augmenter la quantité, mais également améliorer la qualité de l'aide. Nous plaidons pour que les fonds issus de ce prélèvement de solidarité soient affectés aux grands défis sanitaires, et notamment à l'achat de médicaments contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme.
Grâce à ces prélèvements, un fonds d'achat de médicaments placé auprès du Fonds mondial pourrait être créé. C'est pour aller de l'avant et bâtir sur cette idée que la France a proposé d'accueillir une conférence internationale sur ce thème, en février prochain, à Paris. Cette initiative s'inscrit pleinement dans le cadre du nouvel élan de solidarité internationale que j'évoquais tout à l'heure, et nous comptons sur la participation de nombreux pays.
Je terminerai en vous souhaitant bon courage et plein succès dans la conduite de vos travaux.
Vos réflexions contribuent à renforcer les solidarités et à nourrir le débat, et j'aurai le plus grand intérêt à en prendre connaissance et à en tirer le meilleur profit pour définir la politique que la France entend continuer à mener en ce sens.
Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 décembre 2005