Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, à France ino le 13 décembre 2005, sur la création d'une journée du souvenir pour les victimes de l'esclavage et les propositions avancées lors de la réunion de la Commission nationale des conventions collectives notamment la notion de sécurité sociale professionnelle.

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Média : France Info

Texte intégral

Q- Hier, vous étiez avec D. de Villepin face aux partenaires sociaux. Mais d'abord, le chef de l'Etat s'exprime longuement ce matin dans Le Parisien. N. Sarkozy en prend pour son grade. En clair, il n'aurait pas dû parler de "racaille" ou de "voyous". Alors, est-ce que, comme le dit J. Chirac, ces mots sont à bannir dans le langage républicain ou est-ce que, avec N. Sarkozy, vous les assumez ?
R- Je crois que l'on a toujours intérêt à utiliser les mots précis de la langue française ou du code pénal. Il y a des "délinquants", il y a des "criminels", il y a des "mis en examen", qui sont par ailleurs des gens qui ne sont pas coupables. Il faut être précis, il faut faire attention. Je pense qu'il n'est pas d'usage qu'un ministre s'exprime ou commente les mots du Président. Je crois qu'il a rappelé la règle.
Q- Après l'émoi provoqué par l'article de loi sur le rôle positif de la colonisation française outre-mer, est-ce que J. Chirac a raison de proposer, ce matin dans Le Parisien, une journée du souvenir pour les victimes de l'esclavage ? Est-ce que c'est un moyen de sortir de cette crise déclenchée par cet article polémique ?
R- Je ne sais pas si c'est un moyen de sortir de la crise ; en tout cas, l'esclavagisme est un sujet mondial, éternel, universel. Il existe encore sur la planète, sous des formes de travail des enfants, que l'on peut considérer comme cela, des filières de prostitution, qui sont une forme d'esclavagisme, surtout lorsque cela concerne des enfants. Vous savez que l'on a ce sujet, notamment en France, sur des très très jeunes. Donc le sujet de la domination de l'homme par l'homme, qui fait perdre de l'humanité, reste un sujet mondial, global, universel, et qu'il y ait, pas seulement en France, une journée de réflexion et de sensibilisation sur ce point me paraît être une bonne chose.
Q- Et faut-il corriger la loi ?
R- C'est au chef de l'Etat et au chef du Gouvernement de répondre à cette
question.
[...]
Q- D. de Villepin a voulu donner un signe fort aux partenaires sociaux, hier, en se déplaçant pour les rencontrer rue de Grenelle. Les accords de Grenelle avaient été historiques. Cette fois ? soyez honnête ! -, c'était un "petit" Grenelle ?
R- Ce n'était pas un Grenelle. Avant même son discours de politique générale, le Premier ministre avait reçu séparément, les unes derrière les autres, toutes les organisations syndicales. Et on les avait reçues à nouveau au début de l'été. Puis G. Larcher et moi, sur un certain nombre de sujets de négociation, on les voit fréquemment. Le Premier ministre a souhaité venir au ministère de l'Emploi, chez moi, dans le cadre de la Commission nationale des conventions collectives, c'est-àdire là où les syndicats sont chez eux, dans leur organisation, pour leur proposer un certain nombre de propositions fondamentales, qui méritent d'être ardemment discutées et qui sont, je crois, l'essentiel des attentes de nos concitoyens.
Q- Pourquoi, hier, les syndicats sont-ils sortis aussi sceptiques ?
R- "Sceptiques", je ne sais pas. Quand F. Chérèque dit qu'il y a des avancées précises, fortes sur la pérennisation du Fonds provisoire pour les intermittents, que M. Walter estime que "oui, la lutte contre le chômage, c'est d'abord la formation", quand d'autres estiment que le contrat de transition professionnelle s'appuie sur l'actuel CRP et va plus loin... On ne peut pas, en une ou deux heures, régler tous les problèmes... On ne peut pas être que dans le commentaire du commentaire. Il faut peut-être que l'on regarde les choses. On est dans une société de mutations. Les mutations économiques vont vite. C'est une des raisons du problème du chômage dans ce pays. L'idée du Premier ministre, c'est que, en gros, de tout petit jusqu'à très âgé, on ait à la fois un parcours personnalisé, que l'on puisse changer d'entreprise ou de métier sans que cela soit un drame, avec des transitions qui soient organisées, avec une formation qualifiante, plus, pour ceux qui sont sortis du système scolaire plus jeune, plus tôt, qui n'ont pas fait d'études extrêmement longues, avoir un droit universel à la formation, inversement proportionnel à sa formation initiale. Alors, évidemment, ce sont des chantiers lourds ; évidemment, cela demande que l'on continue à travailler. Mais ce sont quand même des voies de mutation qu'ont suivi tous les grands pays modernes qui ont réussi.
Q- Quand même, dans un marché du travail qui crée l'insécurité pour beaucoup de salariés, cette idée, annoncée hier, de sécuriser le parcours professionnel, c'est très important pour les salariés aujourd'hui. Qu'est ce qui doit tellement les sécuriser, après ce que vous avez dit hier ?
R- Ce qui doit les sécuriser, c'est l'idée que vous êtes dans un secteur d'activité, dans une région, qui connaît des mutations... Malheureusement, quand il y a des mutations, c'est presque toutes les entreprises au même endroit qui ont ces mutations-là. Vous ne partez pas directement au chômage en attendant que Dieu veuille bien vous donner la chance de croiser un emploi. Si vous êtes, par exemple, sur une plate-forme de transition professionnelle, vous pouvez essayer plein de métiers autour de vous, vous voyez qu'il y a des besoins d'activité dans tel secteur, donc vous avez le droit de tirage sur une formation qualifiante immédiatement en rapport avec les postes concernés et ces mutations que l'on fera tous dorénavant... Une des raisons du chômage massif en France, c'est que l'on considérait que, voilà, on avait une formation, eh bien, on devait retrouver une activité dans ce métier, dans ce bassin, on avait le chômage en attendant la bonne fée Chance pour que cela puisse coïncider. Ce n'est pas comme cela que ça fonctionne. Il faut donc pouvoir entourer les gens, faire des bilans de compétences, avoir la formation adaptée, avoir un suivi personnalisé. C'est cela, le monde moderne.
Q- Mais quand même, hier, c'est bien ce que vous reprochent les syndicats : vous êtes venus les mains vides. Rien sur le pouvoir d'achat. Ce que disent les syndicats, c'est que vous étiez à côté de la plaque. La mémoire sociale de Grenelle, c'est d'abord des sous. Hier, il n'y a pas eu de sous ?
R- On peut avoir des rapports avec les partenaires sociaux sur une palette de sujets, considérer que la sécurisation des parcours professionnels qui sont dans toutes les revendications, de tous les syndicats de France, depuis des décennies... Je vois un article, là, qui m'a d'ailleurs amusé : les socialistes crient "au voleur d'idées". Cela fait dix ou quinze ans, le concept de sécurité sociale professionnelle aurait du même être un thème majeur de la campagne de 2002 et de 2007 ! Tout le monde accepte cette idée. C'est une révolution indispensable, pas facile à faire, pour ne pas tomber dans la démagogie ou l'irresponsabilité... C'est difficile mais on se met au travail, après la fin de la négociation de l'assurance chômage, en respectant les partenaires sociaux, car eux
seuls peuvent le mettre pratiquement en place. L'Etat paiera la différence s'il y a une différence. Mais enfin, c'est majeur. Il y a eu d'autres propositions faites par le Premier ministre : le service public de l'orientation, le fait qu'aujourd'hui, les jeunes s'engagent vers des activités en ne sachant pas si elles ont un véritable avenir à cinq ou dix ans... Il y a un rapport du Commissariat au plan qui dit que l'on va avoir une crise de recrutements massive dans un certain nombre de secteurs, que nous ne sommes pas prêts, la prévision des besoins de formation, dans notre pays, est balbutiante. C'est criminel de laisser des jeunes s'engager dans des voies qui sont, dans un certain nombre de cas, sans issue ou sans besoin. Voilà ! C'est tout cela qui est en évolution dans ce pays.
Q- Si vous étiez candidat à la présidentielle, cette sécurité sociale professionnelle serait un de vos thèmes de campagne ?
R- Le bout de la phrase, c'était : "si j'étais candidat" ; je ne le suis pas...
Q- Et si vous étiez en campagne avec l'UMP ?
R- Je préfère cette formulation. Non seulement, pour moi, c'est absolument crucial, mais on va faire des expérimentations,tranquillement, pendant un an, sur des sites particulièrement touchés. On tirera le bilan de ces expérimentations. Et je vais vous dire : je crois que quel que soit le gouvernement, dans dix-huit mois, il mettra en place la sécurisation des parcours professionnels, d'une manière ou d'une autre, quel que soit le gouvernement, parce que c'est une nécessité pour l'avenir de notre pays.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 décembre 2005)