Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France 2 le 17 janvier 2006, sur la violence dans les établissements scolaires.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Nous allons revenir sur la violence à l'école, et notamment sur cette rencontre avec K. Montet-Toutain, ce professeur qui avait été agressé dans son lycée et que vous êtes allé visiter hier, chez elle. Comment s'est passé cet entretien ?
R- D'abord, c'était un entretien qui était prévu. J'ai un engagement à tenir. C'est surtout, d'abord, pour lui apporter la solidarité de toute la communauté éducative, et aussi parce que je la sentais, au téléphone, très préoccupée par la suite. Elle est très attachée à l'Education nationale. Je suis venu la rassurer, lui disant bien sûr que sa carrière n'était pas brisée pour autant et qu'elle avait à se reconstruire, à passer évidemment une période physique et aussi psychologique difficile, mais que progressivement, au fur et à mesure, qu'elle se sentirait prête à reprendre son métier. Je suis venu lui proposer plusieurs formes d'activités professionnelles, progressives et susceptibles de lui convenir, au niveau proximité de son domicile, au niveau de la discipline qu'elle enseigne... Bref, je suis venu lui dire tout simplement : "Continuez à enseigner si vous le voulez et reprenez votre travail au rythme que vous le souhaitez".
Q- Peut-on dire qu'aujourd'hui, il y a des matières plus difficiles à enseigner que d'autres ? Est-ce que par exemple, dans les arts plastiques, on peut avoir affaire à des élèves qui considèrent peut-être que c'est moins important que le français, le calcul etc. et qui se laissent un peu aller ?
R- Je dirais qu'il y a des établissements plus difficiles que d'autres, et il y a des classes plus difficiles que d'autres, parce que, hélas, quelquefois, on a tendance, à l'Education nationale, à ramasser un peu trop dans certaines classes des sujets, des élèves qui ont des difficultés.
Q- C'est ce qu'elle avait signalé d'ailleurs...
R- Elle l'avait effectivement signalé, mais c'était connu dans le collège que c'était plus difficile qu'ailleurs, encore que ce n'était pas classé un lycée sensible, mais comme un lycée normal. D'ailleurs, il y avait un taux d'encadrement de professeurs assez élevé ; on l'élève encore, puisqu'il y aura plus de soixante personnes pour, je crois, 375 élèves.
Q- Vous allez recevoir aujourd'hui même le rapport administratif des inspecteurs, après cette affaire. J'imagine évidemment, vous en connaissiez le contenu...
R- Pas du tout, je vais le recevoir tout à l'heure, je vais évidemment l'examiner et prendre des dispositions derrière, parce que quel que soit son contenu, il y a évidemment des dispositions à prendre.
Q- La question est-elle de savoir s'il y a une faute ou pas de l'Education nationale ?
R- Ce qu'il faut savoir, c'est s'il y a une faute caractérisée et grave de l'Education nationale. A ma connaissance et depuis quinze jours, on me dit qu'il n'y a pas de faute grave et caractérisée ; je vais évidemment le vérifier et, dans tous les cas de figure, on ne peut pas faire après comme on faisait avant. C'est-à-dire que vraiment, les collèges, les lycées et les établissements en général ont besoin de savoir ce qu'ils doivent faire lorsqu'on leur signale des menaces, qu'elles soient verbales, qu'elles soient même physiques. Certains gèrent cela à l'intérieur de l'établissement, d'autres, au contraire, portent plainte. Je vais faire une circulaire de façon à ce que les choses soient extrêmement claires et que ce soit plutôt une réponse collective, et pas imaginée établissement par établissement.
R- C'est-à-dire qu'il y aurait une procédure qui ferait que, dans le cas présent, K. Montet-Toutain aurait su très exactement qu'il fallait s'adresser au principal sous telle forme ? Parce qu'elle l'a fait, mais pas sous forme écrite... Y a-t-il un formalisme à mettre en place ? Un formalisme et surtout des conséquences à ce formalisme... Dans tel cas, s'il y a menace, et surtout bien avant, s'il y a menace verbale, est-ce que l'on porte plainte ou est-ce que l'on ne porte pas plainte ? Je suis partisan que lorsqu'il y a vraiment des menaces, il faut porter plainte.
Q- Mais les professeurs n'aiment pas trop cela souvent - ce qui est bien d'ailleurs !
R- Qu'ils aiment cela ou qu'ils n'aiment pas cela, je voudrais les convaincre qu'il faut le faire collectivement, parce qu'ils se protègent les uns et les autres de cette façon-là. Ils donnent des signaux extrêmement précis aux élèves et aux lycéens qu'ils ne passeront sur rien et, en même temps, ils permettent ou ils permettront mieux d'assurer leur enseignement, parce que cette réponse collective donnera du respect à l'acte d'enseigner, du respect envers l'enseignant.
Q- C'est donc la circulaire de 1998 que vous allez [revoir] ?
R- Il y a une circulaire, je vais évidemment la remettre au goût du jour et permettre qu'il n'y ait plus aucune hésitation lorsqu'il y a des violences, des menaces de violence ou des signaux de violence dans un établissement.
Q- Mais peut-on imaginer qu'il y ait des réponses qui soient aussi adaptées ? Parce que, dans certains lycées, être exclu pendant huit jours, cela peut être vécu comme un drame, mais dans d'autres lycées, cela peut être vécu comme des vacances supplémentaires. Ne nous voilons pas la face, ce n'est pas forcément une sanction épouvantable pour certains enfants, d'être exclu du lycée...
R- Bien entendu, il faut des réponses adaptées aux personnalités des élèves ou des lycéens. Mais il faut en même temps une réponse de la société. Il y a, dans une société qui se veut organisée comme la République, des repères et des règles. Et par exemple, parmi les règles, il y a tout le volet préventif qu'il faut évidemment améliorer probablement, mais il y a aussi le volet de la sanction ou de la menace de la sanction, de façon à ce que lorsque quelqu'un a des intentions qui sont mauvaises envers quelqu'un d'autre, il sache qu'il n'échappera pas à la sanction, s'il met à exécution sa mauvaise intention.
Q- Ce week-end se tenait justement à Bordeaux un colloque sur la violence à l'école, avec des conclusions qui sont assez intéressantes...
R- Qui sont très intéressantes...
Q- Elles montrent en effet qu'il ne suffit pas de penser que cette violence est issue du chômage, mais qu'elle est inhérente à la société aujourd'hui...
R- Et je vais en tirer un enseignement - c'est le cas de le dire ! - : on apprend aux enseignants, aujourd'hui, beaucoup de choses à transmettre, mais il faut aussi qu'on leur apprenne davantage, lorsqu'ils sont à l'école des enseignants, aux IUFM, à avoir de l'autorité. La pédagogie, savoir transmettre, c'est quelque chose qui s'apprend. Or aujourd'hui, dans les IUFM, cela ne s'apprend pas assez. Ce sont en général de jeunes étudiants, pleins de passion pour enseigner. Encore, faut-il leur apprendre comment transmettre et avoir l'attitude pour se faire respecter.
Q- Peuvent-ils se faire aider ? En d'autres termes, faut-il envisager, dans certains lycées, la présence de policiers, de portiques de sécurité pour éviter que n'entrent des armes blanches dans le collège ? Il y a eu encore, à Clermont-Ferrand, un élève, qui soi disant était un très bon élève, qui a menacé son professeur avec un couteau... C'est quand même un peu particulier comme méthode !
R- Je dis "oui", parce que la priorité des priorités, c'est quand même d'enseigner. S'il n'y a plus d'enseignement ou s'il y a moins d'enseignement dans un collège ou dans un lycéen naturellement, c'est la société qui se délite ou qui risque de se déliter. Qu'il y ait donc une collaboration, un partenariat entre deux grands services publics de notre société, c'est-à-dire la police - mais aussi la justice - et l'enseignement, cela ne me choque pas. Et même s'il y a des policiers qui tiennent des permanences dans les lycées ou dans les collèges...
Q- En uniforme ?
R- Pas forcément en uniforme, l'essentiel est qu'ils soient là et qu'ils soient à la disposition des enseignants qui ont quelque chose à leur dire, quelque chose à signaler, de façon à faire de la prévention. Et je pense que ce service public de la police ou de la gendarmerie a le droit de pénétrer dans un établissement scolaire. L'essentiel est qu'il y ait la sérénité suffisante pour que l'enseignement se passe dans de bonnes conditions.
Q- Mais c'est totalement à l'inverse de la "culture", entre guillemets, du corps enseignant. J. Lang dit, par exemple, qu'il est très réservé sur ces méthodes...
R- J. Lang peut être très réservé, moi, ce que je veux, c'est préserver les enseignants et préserver l'enseignement. Etablir un climat de sécurité et de sérénité dans un établissement, c'est cela l'essentiel. Et quittons cette culture angélique, où l'on croit que parce que l'on enseigne, les gens seront doux comme des agneaux, qu'ils quitteront l'agressivité qu'ils ont peut-être à l'intérieur d'eux-mêmes. La nature est suffisamment complexe, pour que l'on tienne compte de tous ces aspects, y compris du potentiel d'agressivité que l'un ou l'autre peut avoir. L'essentiel, c'est d'enseigner.(Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 janvier 2006)