Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, dans "La Croix" du 22 février 2006, sur la professionnalisation des armées, le budget militaire et sur la défense européenne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Croix

Texte intégral


La Croix : Quel bilan faites-vous de la professionnalisation des armées, dix ans après que celle-ci a été annoncée par Jacques Chirac ?
Michèle Alliot-Marie : La professionnalisation nous permet d'avoir aujourd'hui l'une des meilleures armées au monde, sinon la meilleure après celle des États-Unis. C'était une décision politique forte et courageuse, c'est donc une réussite incontestable qui a été tenue selon les délais initialement demandés. Par ailleurs, nous avons maîtrisé le mieux possible les risques de la professionnalisation, notamment celui d'une rupture du lien entre l'armée professionnelle et la nation. J'ai fait en sorte que ce lien soit entretenu grâce à des initiatives nouvelles, comme les journées régulières Nation-Défense et les rencontres du 14 juillet entre l'armée et les Français. Ceux-ci, comme les sondages l'indiquent, ont parfaitement conscience du dévouement des militaires et de l'importance de la défense dans le contexte stratégique mondial actuel.
La Croix : Le dimensionnement de notre armée professionnelle est-il satisfaisant ? Certains disent qu'il n'aurait pas permis à la France d'effectuer une intervention en Irak?
Michèle Alliot-Marie : Cela est faux. La seule raison de notre refus d'intervenir en Irak a été d'ordre politique. Nous étions en mesure d'assurer une opération militaire majeure, en plus des opérations de maintien de la paix en cours. Le dimensionnement de notre armée professionnelle est satisfaisant. Il a demandé de relever plusieurs défis. En effet, outre la diminution des effectifs, nous avons été confrontés à la perte de certaines expertises qu'apportaient les appelés dans plusieurs domaines (informatique, santé, etc.). Nous avons dû engager les personnels spécialisés. Nous avons d'autre part utilisé les compétences de la réserve opérationnelle.
La Croix : L'armée française n'est-elle pas confrontée à des difficultés de recrutement ?
Michèle Alliot-Marie : Les armées françaises n'ont pas, aujourd'hui, de difficultés de recrutement. Elles enregistrent en moyenne, pour un poste, deux candidats chez les soldats du rang, plus de quatre candidats chez les sous-officiers et sept candidats chez les officiers. Ces chiffres montrent que les conditions sont remplies pour une sélection qualitative de haut niveau et que de nombreux jeunes Français sont portés par l'idéal de servir.
La Croix : N'y a-t-il pas, cependant, pour l'armée une difficulté à former des jeunes dont on dit qu'ils sont sans repères et livrés à eux-mêmes ?
Michèle Alliot-Marie : En réalité ? et je l'ai constaté en écoutant tous les jeunes volontaires qui sont accueillis dans les premiers centres « deuxième chance » ?, ce que les jeunes en difficulté souhaitent, c'est justement d'avoir des repères et un encadrement. L'armée est attractive pour les jeunes à d'autres titres. Elle donne une formation qui peut être très utile hors de l'institution militaire : plus de 90 % des jeunes quittant les armées trouvent un CDI dans l'année qui suit. De même, la promotion au mérite, qui existe dans l'institution, a de quoi séduire : aujourd'hui, 50 % des sous-officiers sont recrutés parmi les hommes du rang et plus de 50 % des officiers le sont parmi les sous-officiers. L'armée recrute, chaque année, entre 30 000 et 35 000 jeunes : parmi eux, il y a notamment des polytechniciens et des saint-cyriens, mais aussi 7 000 jeunes sans aucun diplôme qui vont bénéficier d'une formation comportementale et professionnelle.
La Croix : Que pensez-vous de l'idée de rendre obligatoire le service civil, qui commence à exister aujourd'hui sur la base du volontariat ?
Michèle Alliot-Marie : Ce dossier est complexe. En effet, un service civil obligatoire devrait s'adresser non seulement aux garçons comme du temps du service militaire, mais aussi aux filles. Ce qui reviendrait à loger, nourrir et encadrer des classes d'âge de 700 000 personnes, au lieu des 350 000 appelés de la conscription dont beaucoup étaient au demeurant exemptés. En termes de fonctionnement, l'opération coûterait cinq milliards d'euros annuels, somme à laquelle il faudrait ajouter les 4,5 milliards nécessaires à la remise en état préalable des infrastructures nécessaires pour leur accueil. Il serait, en outre, quel que soit le cadre d'accueil, très difficile de dégager un personnel nécessaire à l'encadrement de ces jeunes. Pour autant, le principe de mettre ensemble des jeunes pour qu'ils donnent quelques mois de leur vie à leur pays et pour qu'ils se sentent solidaires et responsables à l'égard de la collectivité, est louable. Voilà pourquoi j'ai introduit, dans la journée d'appel de préparation à la défense (JAPD), des cours d'initiation au secourisme. L'actuelle forme du service volontaire reste, dans la pratique, une bonne formule. La défense y prend toute sa part.
La Croix : La part que la France consacre à la défense dans son budget est-elle raisonnable ?
Michèle Alliot-Marie : Le monde d'aujourd'hui est dangereux, le budget de notre défense est adapté aux risques et à nos engagements. Le terrorisme est une réalité qui concerne aussi notre pays. La France exerce des responsabilités en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Notre influence et notre crédibilité dans le monde s'appuient sur notre capacité à faire respecter nos concitoyens, nos intérêts, nos principes et nos valeurs, y compris par les armes quand c'est nécessaire. La défense représente aussi une activité économique importante et de nombreux emplois : plus de deux millions de personnes travaillent pour elle.
La Croix : N'y a-t-il pas davantage d'éléments de la défense qui pourraient être mutualisés au niveau européen ?
Michèle Alliot-Marie : Voilà à peine trois ans et demi, la défense européenne était un beau projet. Aujourd'hui, elle est une réalité. Elle est intervenue pour la paix dans l'ancienne république yougoslave de Macédoine et en République démocratique du Congo. Elle est aujourd'hui présente en Bosnie et en Afghanistan. Au-delà de ces opérations extérieures, l'Europe se dote de moyens d'action : la force d'intervention rapide, la force de gendarmerie créée à la demande de la France, l'avion de transport de troupes A400 M, l'hélicoptère de transport NH 90, l'hélicoptère d'attaque Tigre, le missile Météor franco-britannique, les frégates multimissions franco-italiennes, le futur porte-avions franco-britannique? autant de projets qui se traduisent par des réalités. L'Agence européenne de défense et d'armement permettra de rapprocher et de conforter les industries européennes.