Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à Europe 1 le 23 février 2006, sur le démantélement de l'ex-porte-avions Clemenceau.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral


JEAN-PIERRE ELKABBACH - Alors le Clemenceau revient, remorqué à 9 kms/heure via le Cap de Bonne Espérance. Le Clemenceau ou l'ex Clemenceau ?
MICHELE ALLIOT MARIE - L'ex Clemenceau puisque c'est en 1997 que ce porte avions a été retiré du service actif.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - C'était un prestigieux navire de guerre ; aujourd'hui ce n'est plus un navire de guerre, c'est quoi ? Un déchet ?
MICHELE ALLIOT MARIE - C'est l'un des problèmes juridiques qui s'est posé. S'agissant de l'Etat français, nous considérons qu'il s'agit toujours d'un navire de guerre. Pourquoi ? D'abord parce qu'il a une structure de navire de guerre, un blindage. Ensuite, cela a également une très grande importance car s'il s'agit d'un navire de guerre ou d'un matériel de guerre, il reste soumis à des contrôles et à des procédures extrêmement précis. Lorsqu'il s'agit de déchet, à ce moment-là, n'importe qui peut faire n'importe quoi. Et je vais prendre un autre exemple que celui du Clemenceau mais c'est exactement pareil. Prenons un hélicoptère de combat qui ne peut plus voler. Si l'on considère que c'est encore un appareil militaire, cela veut dire qu'il reste soumis à des contrôles et qu'il ne peut pas être vendu. Si c'est un déchet, cela veut dire que n'importe qui peut prendre au moins des pièces détachées pour les revendre par exemple à des Etats soumis à embargo, voire à des trafiquants. Et c'est cela le problème. C'est une protection contre les trafics d'armes que de pouvoir qualifier d'arme de guerre ou de matériel militaire les matériels qui ne sont plus opérationnels.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - C'est pourquoi il va à Brest en territoire militaire parce que le maire n'en veut pas. Le chemin vers la France va être long et coûteux.
MICHELE ALLIOT MARIE - Tout ceci a un coût, bien entendu. Nous y reviendrons. Mais je voudrais insister sur une chose parce qu'elle me paraît très caractéristique de la situation, ce sont les déclarations du maire de Brest. Je connais bien le maire de Brest que je rencontre à de nombreuses reprises. Très régulièrement, il me demande qu'il y ait des constructions de navires militaires à Brest, que ce soit des frégates ou que ce soit le nouveau porte-avions. Mais en revanche, lorsque ces matériels sont en fin de vie, alors, il n'en veut plus. C'est exactement le problème général que nous avons soulevé : il y a aujourd'hui des milliers de navires militaires et civils qui sont en fin de vie et qui sont en train de pourrir ou de rouiller dans des fonds de ports, dans des cimetières militaires. Ils sont parfois coulés en dehors de toutes les règles internationales et sans souci de la pollution.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Ce qu'ont fait les Américains avec un vieux porte avions prestigieux.
MICHELE ALLIOT MARIE - Tout à fait. D'ici vingt ans, ce seront des dizaines de milliers de navires qui en seront là et qui seront alors de véritables dangers pour l'environnement. Ce que nous avons cherché à faire : refuser l'attentisme et l'immobilisme ; essayer de trouver une solution avec la création d'une filière sûre, garantie sur le plan de l'environnement et de la santé des travailleurs chargés de le démanteler, et qui nous donne de véritables perspectives. Aujourd'hui, le problème demeure entier. C'est la raison pour laquelle je me réjouis que, grâce à la mission qui - à ma demande - a été ordonnée par le Premier ministre, nous puissions avoir d'ici quelques semaines ou quelques mois au maximum, un certain nombre de propositions. Ce seront des propositions qui ne seront pas simplement ?franco françaises', mais qui seront à la hauteur du problème, c'est à dire au niveau au minimum européen, voire mondial. J'ai d'ores et déjà contacté tous mes collègues européens ministres de la Défense pour que, lors de notre prochaine réunion à Innsbruck, nous puissions à la fois faire le point de nos besoins et que nous puissions ensemble, rechercher des solutions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Je comprends en vous écoutant ce matin pourquoi hier à la commission de l'Assemblée où les commissions de la Défense de Guy Tessier, celle des Affaires étrangères économiques et de l'amiante vous ont trouvé offensive parce que vous portez en vous ce problème et pourtant c'est le ministère de la Défense qui paraît être fautif dans l'histoire. Et d'ailleurs pour quelle raison alors que l'affaire concerne Matignon, Bercy, responsables des domaines, le quai d'Orsay, vous a t-on laissé en première ligne ? Ou vous êtes-vous portée vous-même en première ligne ?
MICHELE ALLIOT MARIE - En terme de communication, il est évident que s'agissant d'un navire tel que le Clemenceau, pour l'opinion publique, il apparaissait toujours comme un navire de guerre. C'est vrai aussi que lorsqu'il y a des choses un peu difficiles à faire, on ne cherche parfois que ceux qui sont en première ligne. Ce que je retiens de tout ceci, c'est qu'agir est toujours risqué, mais c'est toujours mieux que de ne rien faire. Pendant cinq ans, entre 1997 et 2002, on savait que le Clemenceau était en fin de vie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Ne renvoyez pas la responsabilité aux socialistes. Alain Richard et Lionel Jospin vous ont répondu d'une manière sévère ?
MICHELE ALLIOT MARIE - Je dirais à monsieur Richard que je suis toute prête à reprendre un certain nombre de ses propos mais nous n'en sommes pas là, parce que c'est un autre problème. Laissons ces petits débats politiciens. Le vrai problème, c'est que nous sommes face à un problème mondial pour lequel nous avons essayé de trouver une solution et que nous continuons à la chercher.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Mais aujourd'hui quand on voit revenir le Clemenceau, l'ex Clemenceau, la France paraît piégée, piteuse et penaude. Cela on ne peut pas le nier.
MICHELE ALLIOT MARIE - Non, moi je dis que si la France a parfois tort, elle doit s'excuser. Mais lorsque la France n'a pas tort, elle ne doit pas s'excuser. Et en la matière, elle n'a aucune raison de s'excuser d'avoir essayé de trouver une solution à un problème qui se pose à tout le monde et pour lequel il n'y a pas de réponse. Et là, elle a encore moins à s'excuser parce que son projet était un modèle de respect et de l'environnement et des autres. C'était aussi ce que nous avons proposé, un modèle de coopération exemplaire Nord/Sud. Avec nos collègues européens, nous allons donc essayer de trouver des solutions. Et ces solutions sont indispensables.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Pour comprendre. Dans votre système, si la filière marche, l'Europe désamiante chez elle en protégeant l'environnement et la santé publique et ensuite, on décarcasse, on enlève la carcasse et l'acier désamianté qui l'achète, et qui s'en occupe ?
MICHELE ALLIOT MARIE - C'est le modèle que nous avions retenu ; il y aura peut-être quelques améliorations mais ce modèle demeurera. Et qui achètera un tel acier ? Ceux qui en ont besoin. Il n'y a pas de marché de l'acier de ce type en Europe. En revanche, il existe en Asie, parce que ce sont des pays qui sont en train de se développer, qui ont besoin d'acier et qui n'en ont pas assez. C'est la raison pour laquelle dans le monde aujourd'hui, ce sont les seuls qui aient véritablement de tels chantiers de démantèlement et aussi des marchés leur achetant les résultats de ce démantèlement. Ce qui est aussi essentiel, c'est que nous puissions leur transférer des technologies. C'est ce qui était d'ailleurs prévu, que nous puissions également leur transférer notre savoir-faire dans le domaine de la protection des salariés qui travaillent sur ces chantiers. C'est aussi un modèle que nous mettions en place.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Si c'était aussi parfait et si c'est aussi parfait, pourquoi on a décidé le retour du Clemenceau ? Pourquoi on a cédé alors à Greenpeace, si c'est Greenpeace qui était en permanence derrière, pourquoi ?
MICHELE ALLIOT MARIE - Parce qu'il y a eu certainement une très forte pression médiatique. Ce que j'ai appris, c'est qu'il y a encore beaucoup à faire pour lutter contre le dénigrement de notre pays. Je vais vous dire Jean-Pierre Elkabbach, j'ai constaté qu'il y avait un sésame pour être écouté dans ce pays, c'est de dire du mal du pays. Ce que je constate c'est que, lorsque Greenpeace dit que la France a tort, on lui ouvre tous les journaux et toutes les antennes. Lorsque l'Association écologique Robin des Bois, qui ne peut pas être suspectée?
JEAN-PIERRE ELKABBACH - On l'a entendu au moins deux ? trois fois sur EUROPE 1
MICHELE ALLIOT MARIE - Lorsque l'Association écologique Robin des Bois dit que la France a raison, on l'entend très peu ou on ne l'entend pas. Je constate aujourd'hui que de nouvelles voix, et notamment depuis la décision du conseil d'Etat, disent que ce que nous avions fait pouvait servir d'exemple et pourra servir d'exemple. On commence à les entendre. Et je m'en réjouis, parce qu'aujourd'hui, il faut se tourner vers l'avenir et trouver de véritables solutions à ce problème. On pourra sans doute s'inspirer d'une partie de ce qui a été fait. Cela demandera à être amélioré, et c'est ce que j'ai dit hier [21/02] devant la commission de la défense nationale, devant laquelle j'avais demandé à pouvoir m'exprimer. C'est ce que je redirai à mes collègues : tous ensemble, nous devons vraiment trouver une solution à ce problème majeur pour l'avenir de nos pays.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Qui demeure, une question politique, vous vouliez peser en 2007 et jouer un rôle de premier plan, après l'affaire du CLEMENCEAU est ce que vous le pourrez encore ?
MICHELE ALLIOT MARIE - Je pense qu'il est important de dire les choses qui sont vraies ; et à l'occasion de cette affaire, je dis aussi que nous avons un problème majeur pour la France, pour l'Europe et pour le monde qui est celui du démantèlement des navires en fin de vie. C'est un vrai problème pour lequel je dis que nous devons travailler ensemble et avancer. La vraie politique, ce ne sont pas les ? chicayas ? entre partis politiques, ce n'est pas la petite politique politicienne, c'est de régler des vrais problèmes qui sont ceux de la France, qui sont ceux du monde.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Vous le dîtes même à votre majorité.
MICHELE ALLIOT MARIE - Je le dis à tout le monde, bien entendu parce que c'est cela s'exprimer.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - On aurait pu parler de la grippe aviaire, de ce qui est en train de se passer dans l'Ile Saint-Martin où un gendarme a été tué, c'est aussi une forme de racisme, on aurait pu parler du chikungunya, mais cela va tellement vite et puis en même temps vous avez beaucoup parlé du Clemenceau.
MICHELE ALLIOT MARIE - C'est vous qui m'avez interrogé dessus.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Oui parce que c'est un problème aussi très important et que c'est peut-être la première fois que vous vous expliquerez comme ça de cette manière dans les médias. Une dernière chose, là on peut terminer avec un sourire, les médailles d'or, d'argent aux Jeux Olympiques, de Turin, on les doit beaucoup à des militaires aussi.
MICHELE ALLIOT MARIE - Oui, aujourd'hui, la moitié des médailles reviennent à des militaires. Je m'en réjouis et je les en félicite très chaleureusement. Je crois que dans tout ceci, la psychologie, le mental c'est quelque chose qui compte énormément . Et je pense que les militaires sont aussi un bel exemple de cette France qui sait faire des efforts, qui sait avancer. C'est finalement une belle image de ce que sont la majorité des jeunes de notre pays et que l'on n'entend pas suffisamment.
JEAN-PIERRE ELKABBACH - Merci à bientôt. Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 février 2006