Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le démantèlement de l'ex-porte-avions Clemenceau, à lAssemblée nationale le 22 et au Sénat le 23 février 2006.

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Circonstance : Audition devant l'Assemblée nationale le 22 et devant le Sénat le 23 février 2006

Texte intégral



Je souhaite que cette audition permette, une fois l'écume médiatique retombée, de revenir sérieusement sur les problématiques de fond soulevées à l'occasion des décisions qui ont été prises concernant l'ex-Clemenceau.
Elle me permettra aussi de répondre à vos questions, comme je l'ai fait tout au long de ce dossier, dans cette formation mais également lors des questions orales sans débat, ou des questions d'actualité.
Elle me permettra enfin de rétablir devant vous la réalité des faits, qui ont trop souvent été l'objet de contrevérités orchestrées.
Sur le fond, le désamiantage et le démantèlement des navires en fin de vie, qu'ils soient civils ou militaires, est un problème aujourd'hui posé à tous les pays possédant une marine.
Il concerne et concernera dans les 20 ans à venir des dizaines de milliers de navires. Actuellement des milliers de bateaux rouillent dans les ports, dans les cimetières marins, ou sont coulés sans souci de l'environnement. 700 d'entre eux sont démantelés chaque année, principalement en Asie, dans des conditions souvent incertaines.
Notre idée était, face à cette situation insatisfaisante, de créer une filière propre et sûre pour ces opérations, à partir d'un exemple : le Clemenceau.
Faute de solution européenne aujourd'hui existante, il s'agissait d'élaborer un véritable partenariat avec une grande Nation décidée à moderniser et à qualifier son industrie, l'Inde, dans le respect des réglementations et des bonnes pratiques internationales.
Passons maintenant à la chronologie.
Le porte-avions Clemenceau a cessé son activité opérationnelle en 1997. Il a été placé en réserve spéciale le 2 mars 1998.
De 1997 à 2002, il est resté dans le port de Toulon. Durant ces cinq années, aucune décision n'a été prise quant à son avenir, son désamiantage ou son démantèlement. Rien n'a été entrepris non plus pour en retirer les matières dangereuses.
Il a uniquement servi à fournir des pièces détachées pour le Foch, avant que celui-ci ne soit vendu au Brésil en 2000.
En juillet 2000, la commission de condamnation du Clemenceau a conclu que la seule destination possible pour ce bâtiment était le démantèlement.
Rien n'a été entrepris, ni envisagé pendant vingt mois.
En mai 2002, arrivant au Ministère de la Défense, j'ai décidé de ne pas laisser perdurer cette situation d'attentisme qui consistait à laisser mourir des bateaux dans les ports français et de suivre l'avis de la commission.
Le Clemenceau a donc été remis par le Ministère de la Défense à la Direction nationale des interventions domaniales du Ministère de l'Economie et des Finances, le 16 décembre 2002 pour qu'il en soit le dépositaire conformément à la loi.
Le 14 avril 2003, cette direction des interventions domaniales a lancé un appel d'offre européen en vue du désamiantage et du démantèlement du navire.
Une société espagnole (Gijonesa de Desguaces) a été retenue, parmi trois candidats.
En octobre 2003, l'ex-Clemenceau est parti à destination de l'Espagne.
Constatant que la coque se dirige en fait vers la Turquie, le Ministère de la Défense en accord avec les Domaines, procède à l'interception du convoi le 18 octobre 2003 et le reconduit à Toulon.
L'Etat décide alors de rompre avec la société espagnole et de contracter avec SDI, arrivé deuxième à l'appel d'offre. Ce nouveau contrat, signé le 20 octobre 2003, prévoit un désamiantage préalable en Grèce et un démantèlement dans un chantier en Inde.
Un refus du gouvernement grec clôt définitivement l'hypothèse d'une solution européenne, faute de chantier compétent, prêt à mener cette opération lourde.
Ceci conduit la direction des Domaines à établir, le 23 juin 2004, un avenant qui modifie le contrat passé avec SDI. Il prévoit dorénavant un démantèlement en Inde.
Ce contrat pose des conditions de sécurité et de qualité des travaux qu'aucun chantier n'avait jusqu'à présent réunies :
L'Etat français restait responsable et propriétaire de la coque jusqu'à son démantèlement ;
tout le désamiantage réalisable techniquement en France, sans mettre en péril la navigabilité de la coque, devait y être opéré ;
le chantier choisi en Inde devait présenter des certifications internationales en matière de protection des travailleurs et de l'environnement ;
un transfert de compétences était assuré vers le chantier en Inde. L'encadrement du chantier devait être effectué par des ingénieurs indiens formés en France à cet effet, sous le contrôle d'ingénieurs français spécialisés ;
une expertise indépendante devait contrôler régulièrement le chantier et le respect des normes européennes et internationales ;
En outre, et au-delà du contrat, nous avions proposé d'assurer un contrôle médical des 30 à 60 travailleurs indiens intervenant sur le désamiantage, qui devait être effectué avant, pendant et après le chantier.
Enfin, la France s'est engagée à rapatrier les déchets issus du désamiantage final.
Aucun armateur, public ou privé, n'a jamais offert tant de garanties pour un de ses navires à démanteler.
La société de démantèlement indienne à Alang, proposée par SDI comme partenaire, offrait pour son chantier des garanties sans précédents en termes de certifications internationales (ISO 9001 pour la qualité du management ; ISO 14001 pour le respect de l'environnement ; et OHSAS 18001, pour les conditions de sécurité et de santé des travailleurs).
Je tiens ici à rappeler que, comme cela a été dit depuis notamment par le Président de l'Institut français de la Mer, les images diffusées dans la presse ne sont pas celles de ce chantier, et qu'elles ne correspondent en rien à la réalité.
Plus fondamentalement, le projet et les certifications du chantier permettaient d'envisager la création d'une filière propre de démantèlement des navires.
Notre projet reposait sur un véritable partenariat avec l'Inde. Il était un modèle de coopération Nord / Sud, basé sur le respect mutuel.
Conscients de l'impossibilité de réaliser le démantèlement en Europe comme des capacités indiennes, nous avions décidé d'aider l'Inde à créer une filière dans le respect des réglementations et des meilleures pratiques internationales.
Ce partenariat exemplaire reposait notamment sur la formation des travailleurs indiens en France, et sur un transfert de technologie, de savoir-faire et d'équipements.
Il est faux et injurieux d'imaginer que nous aurions pu choisir une voie mettant en danger la sécurité des travailleurs indiens.
Ce partenariat donnait de vraies perspectives à la fois pour le traitement des navires en fin de vie, et pour le développement économique de l'Etat du Gujarat où se situait le chantier.
En novembre 2004, le désamiantage préalable prévu dans l'avenant du 23 juin 2004 signé par SDI et les Domaines, est débuté à Toulon par la société Technopure.
Cette société devait retirer toute l'amiante friable et directement accessible, sans porter atteinte à la navigabilité de la coque.
Ce travail est contrôlé par des experts indépendants. Ceux-ci ayant constaté que Technopure n'avait pas réalisé l'ensemble du chantier, « oubliant » deux zones, le contrat avec cette société a été rompu par SDI.
J'ai d'ailleurs été amenée à déposer plainte contre cette société, pour des irrégularités constatées relatives au tonnage d'amiante effectivement enfoui, et la disparition d'équipements de bord composés de matériaux non ferreux (rapport du Contrôle Général des Armées du 10 février 2006).
La fin du désamiantage a été confiée à la société Prestocid, à la faveur d'un nouvel avenant au contrat passé avec SDI.
Des experts indépendants ont alors certifié que les travaux prévus en France avaient été menés à bien (Institut de soudure et ISODIAG).
En septembre 2005, l'ex-Clemenceau était donc techniquement prêt à partir en Inde.
Juridiquement, un débat est intervenu sur la qualification du navire à la suite de recours introduits par des associations.
L'Etat français estimait que l'ex-Clemenceau devait être considéré comme un matériel de guerre et non comme un déchet.
Cette qualification juridique ne se perd en effet pas par le retrait du service, et ce pour deux raisons.
D'une part parce les caractéristiques techniques du bateau demeurent : blindage, armement, architecture navale spécifique.
D'autre part parce que l'application de la législation restrictive sur les matériels de guerre permet d'éviter d'éventuels détournements de matériels anciens par des trafiquants.
Par exemple, un hélicoptère militaire retiré du service, même s'il n'est plus en état de voler, contient toujours des pièces militaires pouvant intéresser d'autres Etats aux armements moins modernes.
En traitant le cas particulier du Clemenceau et des navires militaires, il faudra veiller à ne pas fragiliser une réglementation destinée à prévenir tous les trafics d'armes ou de pièces détachées militaires.
Deux décisions rendues par les juridictions civiles (Tribunal de Grande Instance-- de Paris en juillet 2005 ; Cour d'Appel de Paris en octobre 2005) donnent raison à l'Etat français sur la qualification juridique de matériel de guerre.
Dès lors, la procédure d'exportation du bâtiment se déroule conformément à la réglementation, avec son examen en Commission Interministérielle pour l'Etude des Exportations de Matériel de Guerre (CIEEMG).
Le 29 novembre 2005, l'autorisation d'exportation est signée par le SGDN. L'autorisation de passage en douanes intervient le 16 décembre.
Les conditions techniques et juridiques de départ du bâtiment sont alors toutes réunies.
Nous avons néanmoins fait le choix d'attendre que les nouvelles procédures judiciaires introduites par les associations fassent l'objet de jugements.
-Le 30 décembre 2005, le tribunal administratif de Paris rejette le recours en référé des associations, permettant ainsi le départ de l'ex-Clemenceau.
Le 31 décembre 2005, l'ex-Clemenceau appareille à destination de son chantier de démantèlement.
Il est ici temps de tordre le cou à une idée reçue qui voudrait que nous n'ayons pas attendu la décision du Conseil d'Etat avant de laisser l'ex-Clemenceau quitter Toulon.
Ce n'est qu'une semaine après le départ de l'ex-Clemenceau, le 6 janvier, que Greenpeace et Ban Abestos se sont pourvus en cassation devant le Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat n'a lui-même admis la recevabilité de ce pourvoi que le 6 février.
C'est aussi le 6 janvier que le comité d'experts auprès de la Cour suprême indienne s'est saisi du dossier pour examen.
Il est légitime que, devant les affirmations de Greenpeace, les autorités indiennes comme égyptiennes aient demandé la communication de notre dossier à des fins d'examen.
Il n'en demeure pas moins qu'après étude des documents que nous avons transmis, l'Egypte a accepté le passage du convoi par le Canal de Suez.
De même, par 7 voix contre 3, la majorité des membres du comité d'experts auprès de la Cour suprême indienne a rendu un avis qui nous était favorable (6 février 2006).
Le 13 février, la Cour suprême indienne a demandé à la marine indienne de créer un comité apte à juger de l'état d'un navire de guerre.
En France, le 15 février, le Conseil d'Etat statuant en cassation sur un référé, a considéré qu'il pouvait exister des doutes sur la qualification juridique de l'ex-Clemenceau, et a demandé de suspendre son transfert vers l'Inde.
En effet, pour cette juridiction, il est possible d'être à la fois un matériel de guerre et un déchet, au sens juridique des mots.
Le Président de la République a alors annoncé le retour de l'ex-Clemenceau en France.
Depuis hier, l'ex-Clemenceau fait route vers la métropole.
Le contrat a été rompu avec SDI par entente commune, ce qui nous permet de passer un contrat d'affrètement avec le remorqueur (ITC).
Aujourd'hui, le problème du démantèlement des navires en fin de vie, le Clemenceau mais aussi les autres navires civils et militaires en France et à l'étranger, demeure entier.
Je souhaite vous faire part de mon analyse.
Nous avons trouvé une solution pour les avions civils et militaires avec la création d'un centre à Châteaudun que j'ai annoncée en 2004, et le projet d'un second à Tarbes (EADS). Nous devons faire de même dans le domaine maritime avec la création d'une filière propre pour le démantèlement des navires civils et militaires.
Il faut stabiliser la situation juridique en France et en Europe. Il faut, au niveau européen et même mondial, établir une ou des filières techniques incontestables.
Je demeure persuadée que le schéma envisagé pour le Clemenceau est un schéma d'avenir, même s'il subit des aménagements.
Il ne s'agit pas pour la France, comme certains ont tenté de le faire croire, de se débarrasser de ses déchets en les envoyant dans un pays incapable de les traiter.
L'Etat a montré qu'il entendait assumer hier et demain toutes ses responsabilités :
Celles d'armateur, en réfléchissant à une solution pour les navires civils et militaires en fin de vie. Cela a été salué par le Président de l'Institut français de la Mer dans une chronique au Monde il y a deux jours.
Celles de pays respectueux de l'environnement, en cherchant à créer une filière propre et sûre qui débutait pour la première fois par un désamiantage préalable.
Celles de pays attentif à la sécurité des personnes, en prenant toutes les mesures possibles pour la formation des travailleurs indiens, et pour leur protection par la cession de tenues et d'équipements adaptés au travail de l'amiante et par leur suivi médical.
Celles de pays soucieux du développement économique et de la réduction de la fracture Nord/Sud, en assurant un véritable partenariat avec l'Inde et un transfert de technologie vers le chantier retenu.
Nos réflexions doivent intégrer aussi les impératifs financiers.
On ne saurait taire la question des coûts. Il est de la responsabilité des gouvernants que de trouver la solution la plus propre possible, au prix le plus acceptable pour les contribuables.
Notre choix de ne pas faire passer les finances avant l'environnement ne nous autorise pas pour autant à être insouciants des questions financières.
L'économie générale du contrat passé par les Domaines avec SDI, n'engendrait aucune dépense pour l'Etat, l'industriel acquérant la coque pour 100.000 Euros et faisant sienne la totalité des dépenses de désamiantage, de transport et de démantèlement, en France et en Inde.
Aujourd'hui, la création d'une filière de démantèlement propre, sûre, économiquement supportable, demeure un impératif, pas seulement pour la France mais pour tous les pays disposant d'une marine.
A la suite de ma proposition de réformer les procédures applicables à l'exportation de ce type de produit, le Premier ministre a décidé de créer un groupe d'enquête interministériel composé notamment de membres du Contrôle Général des armées, de l'Inspection générale des Finances, et du Conseil Général des Mines.
Par ailleurs, comme cela a été annoncé, dès le retour du navire en France, l'Etat fera appel à un bureau d'expertise pour établir un nouveau diagnostic complet des matériaux potentiellement dangereux se trouvant encore à bord.
Enfin, une mission interministérielle sera créée autour des ministères de la Défense, des Transports, du Travail, de l'Economie et des Finances, de l'Industrie, de l'Ecologie et du développement durable, ainsi que des Affaires Etrangères et des Affaires Européennes.
Cette mission devra proposer des solutions à ce problème, non résolu à l'échelle mondiale, du sort à réserver aux navires civils et militaires en fin de vie.
Cette mission établira une coordination étroite avec nos partenaires européens.
J'ai proposé à mes homologues européens concernés par ce sujet, de nous réunir pour essayer de définir ensemble un modèle européen.
Je tiendrai naturellement informée la représentation nationale des avancées de ces travaux.
J'entends parfois dire qu'il faudrait aujourd'hui s'excuser.
Or, la France ne doit s'excuser que lorsqu'elle a commis une faute. Et ce n'est pas le cas ici.
Elle a voulu attirer l'attention sur un problème majeur, elle a voulu montrer un chemin.
Faut-il toujours se résigner à l'inaction plutôt que prendre le risque d'une solution innovante ?
Je note que depuis la décision du Conseil d'Etat, une plus grande place est laissée à ceux qui affirment que la France avait fournis des efforts inédits en matière de respect de l'environnement.
Je regrette qu'on ne leur ait pas permis de s'exprimer plus fort et plus tôt.
Quand des associations écologistes, comme Robin des Bois, se félicitent de ce que leur pays soit le seul au monde à se donner les moyens d'un démantèlement respectueux de l'environnement, personne ne les entend, personne ne les écoute.
Quand Greenpeace, sous prétexte de solder ses comptes avec la Défense, vient dénigrer les choix de la France dans une campagne médiatique internationale, on l'écoute, on lui ouvre toutes les tribunes, toutes les colonnes.
Comme si reconnaître nos efforts, comme si être fiers de nos actions, était tabou, suspect, impensable, impossible.
La pensée unique de l'auto-dénigrement nous a conduits à cette situation schizophrénique.
Cela me renforce dans ma volonté de lutter contre ce dénigrement systématique de nos actions et de la France. Source http://www.defense.gouv.fr, le 1 mars 2006