Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur France 2 le 10 mars 2006, sur la position du gouvernement de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, à l'égard de la mobilisation contre le Contrat première embauche, l'adoption de la méthode syllabique pour l'apprentisage de la lecture et son absence au colloque de l'UDF sur l'éducation.

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Média : France 2

Texte intégral


Q- Vous étiez hier soir à Sablé-sur-Sarthe, pour cette prise d?otages dans un lycée. Vous avez rencontré les parents, les élèves, les professeurs... On a été très frappé par le fait que tout le monde a gardé son sang froid.
R- Quand je suis arrivé, j?ai été émerveillé par la façon dont les jeunes, avec deux assistants d?enseignement, qui étaient donc enfermés pendant des heures et des heures, avaient gardé leur sang froid, la maîtrise d?eux-mêmes. Ils ne s?étaient pas énervés, n?avaient pas paniqué. Et quant aux parents, ils étaient à côté, évidemment dans l?angoisse pendant des heures et des heures et ils étaient restés, franchement, avec un esprit de responsabilités remarquable. Toute la communauté éducative a joué aussi un jeu très responsable. On a évacué un lycée,dans l?après midi, bien sûr, sans bruit, avec vraiment beaucoup de calme et de discipline, et je pense que c?est une des raisons pour lesquelles cette affaire n?a pas tourné en tragédie, mais au contraire, a eu, comme vous le savez, une issue tout à fait heureuse. Et j?étais content d?apporter le message du président de la République, qui m?avait téléphoné quelques heures avant, et du Premier ministre, pour remercier l?ensemble de la communauté éducative, de son bon travail.
Q- Est-ce que l?on en sait plus sur les motivations du preneur d?otages ?
R- On fait des suppositions, bien sûr, mais il n?y a pas de conflit entre l?Education nationale et lui. Il était à l?Education nationale, c?est vrai, et c?est lui qui, de son propre chef, a démissionné au mois de novembre 2005. Donc il n?était pas au chômage, contrairement à ce que j?ai entendu ici ou là, ou il n?était pas licencié de l?Education nationale : c?est de sa propre volonté qu?il était parti au mois de novembre. Et je sais par ailleurs, mais je ne peux pas en dire plus, bien sûr, qu?il avait quelques soucis personnels depuis quelques mois.
Q- Le gros dossier vous concernant, c?est le CPE. La contestation continue de monter. Hier, il y a eu des incidents à la Sorbonne... L?UNEF, le syndicat étudiant, dit que la moitié des universités sont en grève...
R- Ça, c?est du mensonge, c?est vraiment de la désinformation, si vous me le permettez, parce que j?ai les chiffres exacts...
Q- Donc désaccord sur les chiffres...
R- Ce n?est pas un "désaccord", c?est qu?il y a la vérité ! Vous savez, les services administratifs n?ont aucun intérêt à me dire plus ou moins que la vérité, les recteurs me font remonter des informations. Hier, il y avait, c?est vrai, onze universités en grève. Je vous rappelle qu?il y en a 85 en France... Et dans une vingtaine d?autres, il y avait, ici ou là, 20 ou 30 jeunes qui discutaient, il peut y avoir une assemblée générale. Je vais vous donner un exemple : en Bourgogne, ils ont voté, il y avait dans la salle, dans l?amphi, 1.200 jeunes étudiants. Ils ont voté : il y en avait 120 qui étaient pour la grève et il y en a 1.100 qui étaient contre la grève. Et on ne dit pas assez que la majorité des jeunes dans notre pays veulent poursuivre leurs études, parce qu?ils savent que les examens c?est ce qu?il y a de plus important, justement pour avoir un travail demain.
Q- Cela dit, la contestation sur le CPE continue de monter, il y a de nouvelles journées d?actions qui sont prévues. Le Gouvernement va-t-il pouvoir maintenir son texte ?
R- "Maintenir son texte" ? Il est voté, le texte ! Donc, par conséquent, il n?y a pas de difficultés là-dessus. J?ai hâte qu?il soit d?abord appliqué pour qu?il produise vite davantage d?emplois, des emplois supplémentaires pour les jeunes. Le Premier ministre a dit qu?il se préoccupait d?enrichir le parcours d?embauche et il a confié à J.-L. Borloo et G. Larcher, le soin de rencontrer les partenaires sociaux la semaine prochaine. Donc vraiment, passons à une troisième étape, c?est-à-dire comment enrichir le parcours d?embauche. Je pense notamment à un chantier qui nous est commun aussi : c?est l?orientation des jeunes. Car il y a beaucoup de déficit d?orientation qui fait que derrière un déficit d?orientation, il y a une non-adéquation entre la formation et le futur emploi. Il faut améliorer ça.
Q- Le problème est que les syndicats ne veulent pas entendre parler d?amélioration du CPE : ils veulent son retrait pur et simple. Donc avec qui va-t-il être possible de discuter ?
R- Oui, vous savez, toutes les thèses et toutes les demandes jusqu?au-boutistes sont peu démocratiques d?abord, parce qu?il y a un texte qui est voté, c?est le Parlement qui l?a voté, par conséquent, la loi républicaine est la loi de tous ; et ensuite, on peut très bien améliorer les choses dans les décrets d?application, par cette amélioration notamment du parcours d?embauche, qu?a annoncé le Premier ministre. Et je fais confiance à J.-L. Borloo et G. Larcher, bien sûr, pour le mener à bien.
Q- A propos justement de concertation, les syndicats se sont plaints en disant que pour le CPE, il n?y a pas eu de vraie concertation. Est-ce que là, il n?y a pas eu une erreur qui a été commise ?
R- Nous avons tous hâte que le chômage des jeunes diminue. C?est insupportable pour eux, c?est insupportable pour la Nation. Là, il y a un outil qui est mis en place, rapidement, c?est vrai, mais rapidement, parce que l?exigence c?est de mettre en place rapidement des outils contre le chômage. Et nous allons, mais dans les mois qui viennent, j?en suis persuadé, voir le chômage des jeunes diminuer, voir le nombre d?emplois proposés par les entreprises augmenter. Eh bien, avec ces éléments là, je pense que tout le monde pourra reconnaître, en tout cas,le bien-fondé de cette mesure.
Q- Même à l?UMP, il y a un petit peu de flottement, certains députés, ou au moins un député dit qu?il faut retirer le texte, H. de Charette...
R- Un député, voilà... Mais je crois qu?il y a en a 320 ou 330.
Q- Il dit que d?autres le pensent. Mais son argument est que l?élection présidentielle risque d?être perdue si ce texte est maintenu. Est-ce que ce flottement n?est pas un petit peu inquiétant ?
R- Je vais vous dire : l?élection présidentielle sera gagnée par la lutte contre le chômage, par des mesures courageuses qui sont prises, à un moment donné, avec le risque d?être moins populaire ou d?être impopulaire. Cette popularité reviendra, parce que nous gagnerons la bataille contre le chômage par une nouvelle courbe d?emploi. Cette courbe a commencé depuis neuf mois, avec un petit incident au mois de janvier, mais depuis neuf mois le chômage diminue, fortement, mais régulièrement. Au mois de janvier, une petite hausse... Nous sommes persuadés que dans les mois qui viennent, la courbe du chômage va encore baisser. Et c?est, à mon avis, l?élément primordial. Rappelez-vous 2002 : l?élection présidentielle s?est faite sur la sécurité. Je pense que nous avons bien progressé en matière de lutte contre l?insécurité. Eh bien, 2007 se fera sur notre capacité à vaincre le chômage et à créer de l?emploi. Et je pense que nous sommes bien partis avec le CNE, le CPE, et déjà l?expérience des mois derniers, pour apporter la preuve que le pouvoir politique, c?est de l?action et ce n?est pas simplement des grands discours, des parlotes, mais des résultats.
Q- Vous avez lancé un nouveau chantier, celui de la lecture. Vous voulez supprimer la méthode globale pour revenir à la bonne vieille méthode syllabique. Les syndicats ne sont pas d?accord.
R- Eh bien, voilà encore de l?action. Alors, les syndicats ne sont pas d?accord : voilà des déclarations. Moi, je fais de l?action et l?action, c?est un constat : il y a 15 % de jeunes qui arrivent en 6ème et qui ne savent pas lire, alors que l?on doit savoir lire en CP ! Et quand on arrive en CE1, on doit savoir lire. Et en CE1, je vais mettre en place des tests dès la rentrée 2006, qui permettront de déceler celles et ceux qui ne savent pas lire et on leur donnera ce que l?on appelle des "programmes personnalisés de réussite éducative", des petits groupes de six ou sept élèves avec un professeur, pour, dès le premier trimestre, remonter le niveau. Mais concernant la méthode globale et semi-globale, tous les scientifiques, aujourd?hui, sont unanimes pour dire qu?il faut abandonner cela au profit d?une méthode phonème-graphème, c?est-à-dire la lettre-le son...
Q- Le B.A.BA...
R- Je ne dis pas ça comme ça : la lettre-le son, le son-la syllabe, la syllabe le mot et puis ensuite la phrase avec le sens. Voyant cela, je ne pouvais pas rester inerte. Et l?action, c?est de décider effectivement que cette méthode serait employée, de façon à être efficace, et vous allez voir que l?illettrisme va reculer dans notre pays.
Q- L?UDF organise aujourd?hui un colloque sur l?Education. Vous êtes membre de l?UDF, vous êtes ministre de l?Education et vous n?êtes pas invité. Comment expliquez-vous cela ?
R- Je vais dire que c?est leur problème. Je pense que pour le président de l?UDF, il était trop douloureux de parler de l?Education nationale, de parler de l?action du ministère de l?Education nationale aujourd?hui...
Q- Pourquoi, parce qu?il a été ministre de l?Education ?
R- C?est son problème. Il était douloureux, probablement, d?entendre ce qu?était la relance de l?éducation prioritaire, ce qu?était la réforme de la lecture, ce qu?est la réforme, par exemple, des écoles d?enseignants, que l?on appelle les IUFM, ce que c?est que le remplacement des professeurs absents de courte durée, qui se met en place et qui est efficace... Bref de voir que toute l?Education nationale est en train d?évoluer, de progresser qualitativement et quantitativement, c?était peut-être...
Q- Plus que quand il était au ministère ?
R- Je ne vais pas faire de comparaison, mais le fait qu?il ne veuille pas entendre parler de l?Education nationale aujourd?hui et de tous ces progrès, me semble un enfermement un petit peu dommageable pour le débat politique, c?est-à-dire au meilleur sens du terme pour l?échange.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 mars 2006