Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à France 3 le 10 février 1999, sur la conférence de Rambouillet pour la négociation d'une autonomie substantielle au Kosovo et sur une éventuelle prolongation des négociations.

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Circonstance : Ouverture de la conférence de Rambouillet sur le Kosovo le 6 février 1999

Média : France 3 - Télévision

Texte intégral

Q - Hubert Védrine nous a rejoint à linstant sur ce plateau, vous êtes ministre des Affaires étrangères, surtout coprésident de cette conférence de paix de Rambouillet, avec votre homologue britannique Robin Cook. Vous vous êtes rendu hier à Rambouillet avec Robin Cook . Pourquoi ? Les négociations piétinent ?
R - Je my suis rendu, non pas parce quelle piétinent, mais parce que nous avions dit, dès le début, lorsque nous avons ouvert la conférence samedi après-midi, que nous allions rester très présents, totalement disponibles et quotidiennement présents, soit par des visites, soit par des compte-rendus qui nous en sont faits. Nous suivons les choses heure par heure.
Q - Mais vous avez dit cet après-midi que cétait très difficile.
R - Je lai dit avant que cela commence aussi. Je lai dit dès le début. Il est clair que cette affaire du Kossovo - et tout le monde le voit depuis que cette tragédie a explosé de façon visible en mars 98 - est extrêmement difficile à surmonter parce que les positions sont - on le voit pendant votre émission - directement antagonistes et apparemment incompatibles. Mais on ne peut pas en rester à ce constat, nous devons faire tout ce quil est possible de faire pour surmonter cela. Doù cette présence à Rambouillet, cette pression. Il y a trois négociateurs, vous le savez, qui expriment lEurope, les Etats-Unis, la Russie. Ce nest pas le camp occidental, ce nest pas le monde occidental qui est là, cest le monde entier : vous avez la Russie dans le Groupe de contact et dautre part, le Conseil de sécurité, donc les pays du monde entier, sest exprimé plusieurs fois. On peut parler, pour une fois, de communauté internationale.
Q - On y viendra...
R - Terme un peu galvaudé...
Q - On y viendra avec lambassadeur de Russie qui est avec nous...
R - Ils ont tous le même objectif qui est darracher un accord. Jai dit avant que cétait difficile, je le dis encore au quatrième jour de négociations, cela ne doit pas étonner.
Q - Hubert Védrine, dans le plan de paix qui a été proposé, quest-ce qui est négociable pour les Occidentaux ? Quest-ce qui ne lest pas ?
R - Le coeur de la réponse, que nous apportons à cette tragédie quil faut dépasser, est cette idée dautonomie substantielle parce quaucun gouvernement au monde ne soutient lidée dune indépendance, compte tenu de ce quelle entraînerait comme déstabilisation et comme désordre supplémentaire dans lensemble de cette région des Balkans qui a besoin de tout sauf dune déstabilisation en plus de ce qui existe déjà. Le statu quo est évidemment intolérable. Il faut trouver quelque chose.
Lautonomie qui a existé dans le passé nest pas suffisante, cest pour cela quon parle dautonomie substantielle. Cela veut dire quon reste dans les frontières internationalement reconnues de la Yougoslavie dont lintégralité et la souveraineté sont réaffirmées mais quil faut aller le plus loin possible pour lautonomie. Les gens qui vivent au Kossovo, sont dans leur immense majorité des Albanais, mais il y a aussi dautres minorités. Cest là dessus que porte, voilà, le coeur de la solution mais cela doit saménager dans le détail.
Lautonomie, comment ça marche ? Quels sont les rapports avec le pouvoir yougoslave ? Quelle est la situation des autres minorités ? II y a quand même matière à négociation, à discussion. Et puis de toute façon ce nest pas complètement accepté par les deux parties, sinon il ny aurait pas cette pression que nous avons dorganisée, dans un lieu unique.
Q - Monsieur le Ministre, on a prévu cette autonomie substantielle, période intérimaire de trois ans, donc on essaie de calmer le jeu, de faire en sorte quil y ait un compromis mais sur le court terme. Quest-ce quon a prévu au bout de ces trois ans ? Parce quon entend dun côté les uns qui veulent lindépendance et les autres qui ne veulent surtout pas entendre parler dindépendance. Quest-ce quon va leur dire à ces gens-là ?
R - Attendez, le court terme cest maintenant...
Q - Oui, je veux dire le moyen terme de trois ans ; alors le moyen terme...
R - Le court terme cest demain, après-demain, dimanche quand nous allons évaluer au sein du groupe de...
Q - Alors le moyen terme..
R - Cela fait partie de la discussion, de la négociation. Vous pensez bien que si on arrive à un accord, ce nest pas pour dire : « il y a un accord » et après on se désintéresse du sort du Kossovo, de la Yougoslavie et des Balkans. Vous pensez bien que de toute façon nous devons durablement, soit les Européens - au sens large du terme -, soit le monde entier, accompagner la transformation de cette région de lEurope pour quelle devienne un jour une vraie région dEurope au sens moderne du terme, comme les autres. Nous sommes donc dans une politique quil faut concevoir dans le long terme. Je ne dis pas forcément présence au sol, dans le long terme. Ce nest pas une affaire que nous allons traiter pour nous en détourner demain, il faut lavoir en tête cela.
(...)
Q - Hubert Védrine jimagine que cest un discours qui doit vous rendre plutôt optimiste mais imaginons quil ny ait pas de plan de paix, quest-ce qui va se passer ? Est-ce quil y a un ultimatum ? Comment est-ce que cela se passe ?
R - Le Groupe de contact a décidé de convoquer les parties à Rambouillet - elles sont venues samedi dernier - et de donner sept jours pour une négociation au terme de laquelle nous évaluerons la situation. Nous navons pas encore décidé - nous le ferons vendredi simplement - si cette évaluation a lieu sous la forme dune nouvelle réunion du Groupe de contact à Paris dimanche, ou si nous faisons lévaluation par une journée de consultation téléphonique. A ce moment nous verrons si nous utilisons la faculté qui a été prévue dallonger la négociation de moins dune semaine, disons, six à sept jours. A ce moment-là nous verrons quel est le résultat.
Mais il est très difficile de se placer dans cette hypothèse aujourdhui parce que, sil y a accord comme nous le souhaitons de toutes nos forces, évidemment cela enclenche une dynamique tout à fait nouvelle et tout ce que vous entendez aujourdhui sera dépassé par cette situation, cette situation nouvelle.
Sil ny a pas daccord, il faut examiner pourquoi. On ne peut pas répondre par des automatismes, on nest pas des robots, il faut analyser les causes de léchec. Qui est responsable de léchec ? Comment ? Est-ce quil est encore surmontable ou pas ? De toute façon je me refuse à me placer dans cette hypothèse aujourdhui où tous les efforts ne sont concentrés que sur un objectif qui est darracher cet accord dont nous avons tous besoin.
Q - On va voir quand même Monsieur Védrine, que la population en Serbie, redoute plutôt ces bombardements et ces menaces de bombardements de lOTAN. Depuis samedi, chacun observe avec beaucoup dattention les négociations de Rambouillet. Après le conflit en Bosnie, la jeune génération voudrait absolument que tout soit fait pour éviter la guerre.
Je voudrais vous préciser quici dans la salle, on a beaucoup réagi - vous lavez entendu - après les témoignages de ces jeunes Serbes. On a également souri mais dune façon peut-être un peu dure et cynique après les propos de Draskovic notamment quand il parlait de faire entrer la Yougoslavie dans lEurope et dans lOTAN. Je voudrais vous faire remarquer aussi et là ce sont peut-être des remarques qui sadressent directement à M. Hubert Védrine : ici on sinterroge, on dit « mais comment cela, ne pas toucher les frontières de la Yougoslavie, ça a été fait plusieurs fois - quatre fois - en dix ans. Et enfin on sinterroge sur le sentiment que M. Hubert Védrine peut avoir après la comparaison entre M. Milosevic et Charles de Gaulle - comparaison je vous le rappelle de M. Draskovic.
Justement, Hubert Védrine que répondez-vous, notamment à ces jeunes qui parlent ce soir de sentiment de haine.
R - Avec tous ces reportages vous voyez bien quil faut en sortir à tout prix. Dans toute lEurope il y a eu des affrontements comme cela, pendant des siècles, apparemment insurmontables, apparemment inexpiables et dans certains cas, y compris dans le cas le plus difficile de tous qui a été la relation franco-allemande, on a trouvé à le dépasser et à construire autre chose. Cest parce que nous sommes animés sur le plan mondial - cest ce quexprime le Groupe de contact - par la volonté farouche de trouver une solution que nous sommes rassemblés, quil y a Rambouillet, quil y a ces réunions sans arrêt et que nous essayons de bâtir une solution qui permettent de répondre à tous ceux que nous avons entendus et qui sont tous bouleversants dune façon ou dune autre - pas forcément convaincants mais ils sont tous bouleversants. Nous cherchons une façon qui leur permette de dépasser ces positions dans lesquelles ils sont dune façon ou dune autre enfermés, quoi quon pense de la justesse de tel ou tel argument. Il faut arracher à tout prix une sortie. Cest pour cela que nous avons bâti la solution. Ce nest pas du tout une question de sentiment personnel, je nai pas de position spéciale. Il y a une cohésion qui est très frappante, tous les pays européens ; les Etats-Unis, la Russie, tous les autres pays qui se sont exprimés dans le monde sont daccord. Je le dis aux Serbes qui nous écoutent, aux Yougoslaves, aux Albanais du Kossovo ou aux représentants dautres minorités du Kossovo sils nous écoutent : le monde entier est daccord avec la solution qui est présentée par le Groupe de contact. Je parle de lessentiel de la solution puisquil faut encore négocier un certain nombres daspects. Ceux qui ne sont pas sur cette ligne, ceux qui ont des lignes dures, maximalistes et qui bloquent les choses ne seront pas compris ni soutenus.
Q - Vous parlez de larmée de libération du Kossovo, par exemple ?
R - Il y en a des deux côtés naturellement. Je parle de tous ceux qui refusent le principe dune solution politique. Quand nous avons ouvert la conférence à Rambouillet, aussi bien le président de la République, que Robin Cook, que moi-même, avons employé souvent le mot « courage ». Ce nest pas tellement difficile denvisager la lutte perpétuelle, denvisager la guerre, denvisager la force, denvisager la violence, tous les peuples confrontés à des situations de ce type lont fait. Cest extrêmement difficile mais cest infiniment plus courageux, à un moment donné dêtre capable de surmonter cela et de bâtir quelque chose. Cela ne peut naturellement pas se bâtir sur loubli parce quon ne peut pas oublier les souffrances de part et dautre mais il faut en sortir. Cest ce que nous cherchons et cest pour cela quil y a Rambouillet et cest pour cela que nous sommes aussi mobilisés. Je vous remercie davoir donné une occasion supplémentaire de faire comprendre le sens de cette mobilisation actuelle.
Q - Merci Monsieur Védrine dêtre venu sur ce plateau, cest la fin de cette émission. Merci à tous les protagonistes davoir accepté de sexprimer en plein processus de négociation.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 févier 1999)