Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur la onzième édition de la Semaine de la langue française, Paris le 23 mars 2006.

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Circonstance : Remise du Prix Raymond Devos à Pierre Palmade à Paris le 23 mars 2006

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
chers Amis,

Nous sommes fort nombreux ce soir, et je m'en réjouis, pour fêter notre langue, puisque nous célébrons aujourd'hui la Semaine de la langue française, qui s'est ouverte vendredi dernier au Salon du livre ; nous nous réunissons aussi pour célébrer le talent de Pierre Palmade, que le prix Raymond-Devos de la langue française vient de distinguer ; et ces deux célébrations conjuguées font de cette soirée une occasion particulièrement festive, dont je voudrais souligner un instant la portée.
Avec cette onzième édition, la Semaine de la langue française s'inscrit en effet dans le paysage à présent familier de nos célébrations, mais elle a lieu cette année dans un contexte particulier, puisqu'elle a été invitée en 2006 à donner le coup d'envoi de Francophonies !, le festival francophone en France, voulu par le président de la République et officiellement inauguré par le président Abdou Diouf au Salon du livre, jeudi soir dernier. Selon ses propres termes, ce festival "réaffirmera avec force l'actualité et la vitalité du projet francophone". Ainsi, de mars à octobre, avec Francophonies !, notre pays recevra près de 2 000 artistes et créateurs, mais aussi intellectuels et scientifiques, venus des cinq continents pour participer à quelque 400 manifestations. Quelle meilleure illustration concrète du combat mené par la France et la Francophonie pour le respect de la diversité culturelle ?
A l'orée de cette année francophone, qui sera si riche en manifestations dans l'éventail complet des arts et des cultures, il était naturel de célébrer d'abord notre langue : car elle est le lien fondateur, elle est le ciment de cette myriade de pays, de peuples, de terres, de couleurs et de climats qu'est la francophonie ; elle est ce "français en partage" qui en définit ou en légitime l'existence elle-même. C'est également pourquoi, en 2006, la Semaine de la langue française a choisi de mettre en valeur les solidarités francophones.
C'est bien par la langue française, en effet, que ces solidarités s'établissent. Par notre langue ; c'est-à-dire par une référence commune, culturelle autant que linguistique, partagée par tous et portée par chacun. L'État et les pouvoirs publics doivent certes veiller à son usage : ils s'y emploient en garantissant un droit au français, et le cas échéant en créant les conditions d?exercice de ce droit là où il pourrait paraître menacé. C'est tout le sens de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qu'à titre exceptionnel, j'ai demandé aux Archives de France de bien vouloir nous prêter ce soir, et que vous avez pu découvrir dans la salle d'à côté : aujourd'hui comme en 1536, il s'agit de permettre à l'usager, au citoyen - comme hier au justiciable - de recourir à « sa » langue, et non à une langue d'emprunt.
Mais qui ne voit en même temps qu'une langue, c'est un destin commun ? Que chacun doit avoir le souci de notre langue, et contribuer à la faire vivre ? Car notre langue, c'est notre bien à tous, et nous avons tous notre rôle à jouer - notre mot à dire - pour que le français continue, lui, de jouer son rôle. Oui, le message porté par la Semaine, c'est que la langue, avant d'être l'affaire de l'Etat, est d'abord la responsabilité du citoyen.
En donnant à notre amour de la langue un tour festif, la Semaine de la langue française propose chaque année au public une guirlande de dix mots, dont il s'empare pour jouer, pour créer ou pour s'instruire? Le propos de la Semaine de la langue française n'est pas d'offrir au public un événement tout préparé, mais à l'inverse de l'inviter à faire siens les dix mots, à se les approprier comme francophone, comme citoyen, comme acteur de la langue française. D'efficaces relais d?opinion nous y ont aidé cette année encore, et je voudrais remercier ici chaleureusement nos partenaires, France 2, Le Figaro, Europe 1, la RATP, les dictionnaires Larousse de nous avoir accompagné dans cette aventure. Grâce à leur appui et au soutien de TV5, les amoureux de notre langue - non seulement en France mais partout dans le monde - ont par centaines multiplié les initiatives, les manifestations, les concours, les célébrations autour de la langue française. Les mini-messages (c'est le terme officiel, je n'aurais garde d'en employer un autre !) diffusés sur ces écrans autour de moi témoignent ainsi de notre attachement à notre langue et de sa modernité, sa vitalité, son inventivité ?
Ces dix mots qui signent la Semaine de 2006, je voudrais à mon tour m'en saisir : je les vois en effet illustrer un triple thème, définir trois caractères intrinsèques de la francophonie elle-même. Je vois dans ces dix mots l'exaltation du multiple, de la relation et du mouvement.
La relation, pour commencer par elle, trois mots de la Semaine l'évoquent : TRESSER, ESCALE et HÔTE. Ils renvoient tous à l'image du lien, des réseaux, des parentés qui nouent d'une communauté à l'autre amitiés et solidarités. C'est l'image d'une Francophonie qui aide aux contacts, aux rapprochements, aux échanges, aux intérêts communs. Ce qu'illustre bien la force de l'ambiguïté du mot HÔTE, à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu ; mais ce double sens révèle la vérité supérieure d'une commune égalité, d'une égale dignité dans l'accueil, et la contradiction apparente du mot se résout en une communauté de valeurs et de paroles. La francophonie est une merveilleuse productrice de liens, une source inépuisable d'échanges.
Cependant, et par un mouvement renversé, la Francophonie ne se veut pas seulement une communauté de valeurs. Très profondément, et sans doute plus et mieux que d'autres communautés internationales, la Francophonie veut promouvoir la diversité, la variété, le multiple, sans perdre pour autant sa référence à notre langue. C'est le beau mot d'accents, au pluriel, qui exprime le mieux cette variété des manières de parler, d'exprimer un point de vue, une différence, une origine ?
Je convoquerai encore pour appuyer mon propos deux autres mots de la Semaine : d'abord le KALÉIDOSCOPE, éclatement des formes et des couleurs, infinie variété des figures, mais obtenus avec les mêmes éléments, à chaque fois combinés autrement ; variation autour des unités, image d'une langue que se réapproprient tous les horizons et toutes les expressions. Et puis les MASQUES, ce « mystère de l'être humain », comme l'a dit l?acteur et griot Sotigui Kouyaté, qui dissimule et dévoile en même temps, et pour en revenir à la langue, permet de tout dire sans rien laisser paraître?ce qui pourrait constituer une définition du théâtre.
Dans ces deux pôles opposés, l'unité d'une forme d'expression commune, d'une part, et de l'autre l'éclatement de ses expressions et de ses emplois, dans cette tension gît selon moi la vérité de la francophonie : une contrainte incessante entre les racines et l'appel du large, entre d?anciennes cultures et des créations qui, si exotiques qu'elles paraissent à nos yeux, demeurent liées à nous par une langue commune, aux références croisées. On trouve là une dialectique, un mouvement qui font la vraie force de la Francophonie.
Dans la guirlande de la Semaine 2006, trois mots illustrent ce mouvement, cette dynamique : SOIF, FLAMBLOYANT, OUTRE-CIEL ? Ce sont encore là des mots dont les éclats multiples renvoient tour à tour aux beautés et aux défis de notre monde. Ainsi le mot SOIF. Dans un sens positif, soif de connaître et d'échanger, désir de l'autre et image même de l'élan de l'un vers l'autre. Mais bien entendu aussi, les problèmes de la soif, de la désertification et de l'accès aux ressources d'eau, qui commandent aujourd'hui le développement de bien des peuples du monde, dont certains sont dans la Francophonie, et par voie de conséquence nous ramènent à la nécessité d'une solidarité, économique, médicale et scientifique autant que culturelle et linguistique.
Ce mouvement qui anime la Francophonie, je veux pourtant en retenir qu'il est porteur d'espoir et de succès, en choisissant maintenant dans nos dix mots FLAMBOYANT et OUTRE-CIEL. J'aime FLAMBOYANT, ce mot qui resplendit autant comme adjectif, quand il qualifie l'éclat, la vivacité, que comme substantif, quand il désigne l'arbre splendide et majestueux, l'arbre aux fleurs rouges des latitudes tropicales. Et dans cet OUTRE-CIEL, mot forgé par Léopold Sédar Senghor et qu'il nous a légué, je vois un motif d'espoir pour la francophonie, un mot qui exprime une tension positive vers l'avenir, un horizon, au-delà du ciel, de diversité et de créativité autour de la solidarité d'une langue, notre langue, le français.
Des dix mots de la Semaine, il en reste encore un, qui introduit un sourire dans notre sélection, et que je retenais pour ce moment? Et ce mot, c'est BADINAGE ? Un bien joli mot, qui me fournit une transition toute naturelle pour en venir, chers Amis, cher Pierre Palmade, au prix Raymond-Devos de la langue française qui vous est remis ce soir.
Je voudrais avant tout saluer, en notre nom à tous, Raymond Devos, hélas alité en ce moment et qui ne peut donc assister à la remise du prix, créé à son initiative et qui porte son nom ? Il aura fallu la maladie pour arrêter dans sa course cet athlète de la langue, des spectacles et de l'humour. Nous formons tous des voeux pour qu'il se rétablisse au mieux et au plus vite.
Mais Raymond Devos lui-même nous inviterait, j'en suis sûr, à revenir aujourd'hui à des propos plus légers, plus en accord avec l'esprit de fête qui est ce soir le nôtre.
Le BADINAGE, donc, c'est peut-être la quintessence de l'esprit français, cette manière légère, frivole même parfois, d'exprimer les sujets, d'en bannir le grave et le sérieux. Un mot qui vous définit assez bien, vous qui vous inscrivez, cher Pierre Palmade, dans la longue lignée de cet esprit français, celui qui fait de notre langue « la langue de Molière », et c'est tout dire !
Comme tant d'autres de votre génération, vous avez suivi, vous, le natif de Bordeaux, une tradition bien française du spectacle comique : celle qui consiste à « monter à Paris » pour se produire dans les petites salles, s'y faire repérer par les arbitres des élégances comiques, accéder au Petit Théâtre de Bouvard ou à la Classe, puis, gravissant les échelons, atteindre les sommets. Et dans votre cas, avec quelle éclatante aisance et rapidité !
Cette plume vive et rythmée qui vous est propre, elle explique le succès de vos propres spectacles, mais aussi ceux de tous les autres pour qui vous écrivez : pour Guy Bedos, pour Jean-Marie Bigard, Muriel Robin, Mimie Mathy ou Dominique Lavanant. A trente-huit ans, vous avez su devenir une figure incontournable de la scène parisienne.
Car il y a un « style Palmade », celui qui vous campe un personnage en trois répliques, qui joue des rythmes et des non-dits, qui excelle dans le dialogue rapide et décalé. Mais, derrière une langue incisive et familière, drôle et percutante, le "style Palmade" révèle une subtilité, une angoisse, qui donnent à vos créations toute leur dimension et leur profondeur.
Par quoi nous revenons à l'essence du comique et à l'esprit français? Car c'est d'abord cet esprit français, où la légèreté s'allie à la profondeur, que veut récompenser le prix Raymond-Devos de la langue française. Et aussi cette tradition qui réunit dans la même personne le bateleur et l'auteur, celui qui se risque à l'écriture comme à la scène, tradition dont vous êtes l'un des meilleurs représentants.
Sans révéler de secret d'État, cher Pierre Palmade, je crois que c'est aujourd'hui même votre anniversaire ! Eh bien, la coïncidence est heureuse ! En vous souhaitant bon anniversaire, je veux encourager l'homme encore jeune que vous êtes à poursuivre une longue carrière pleine de nouveaux et de nombreux succès. Mais je veux également rendre hommage au chemin que vous avez parcouru, pour notre plus grand plaisir, en vous remettant officiellement, cher Pierre Palmade, pour 2006, le prix Raymond-Devos de la langue française.

Source http://www.culture.gouv.fr, le 24 mars 2006