Texte intégral
Q- Hier, on disait D. de Villepin inflexible, intransigeant, aujourd'hui on le trouve plus accommodant, plus flexible. Est-ce que nous ne comprenons rien à sa logique ? Est-ce qu'il ne sait pas ce qu'il veut et ne sait pas ce qu'il fait ?
R- Vous avez raison : on a du mal à suivre. Tout le week-end, on a entendu des chuchotements en disant que l'on était en train de négocier, qu'on allait négocier. Mardi, on dit à tout le monde que l'on ne bougera sur rien : ni suspension ni retrait ni dénaturation. Et puis, hier, en effet, les messages qui passent officiellement, c'est, qu'au contraire, on est prêt à négocier sur tout. Je reconnais que c'est un peu difficile à suivre. Ne nous payons pas de mots : il n'y a de sortie de crise que par une négociation et il n'y a de négociation que si tout est sur la table. Il n'y a donc de négociation que si l'on remet en cause et en jeu le contrat "première embauche" et c'est comme cela que cela finira parce qu'il n'y a pas d'autre chemin dans une démocratie. On est en train de bloquer le pays, l'Education nationale d'un côté, une grande partie du monde social et économique de l'autre. Pourquoi ? Pour quelque chose que personne ne demandait. Le patron lui-même, les entreprises elles mêmes disent que ce n'est pas ce qui leur convient. Alors, franchement, il me semble que le temps est venu, si l'on veut éviter la montée des dangers et des risques, de faire ce geste qui s'impose.
Q- Le Premier ministre propose des négociations sans a priori aux partenaires sociaux sur le CPE...
R- Oui, cela veut dire que l'on négocie tout. J'essaie de traduire en français.
Q- Encouragez-vous les leaders syndicaux, B. Thibault et F. Chérèque qui se sont d'ailleurs réconciliés à cause de D. de Villepin, à accepter, ce matin ?
R- Le bilan que vous faites au micro est un peu sévère... On a l'impression...
Q- Je suis sûr que vous allez défendre D. de Villepin !
R- Non, parce que j'étais en désaccord avec la méthode et le projet. J'ai voté contre et j'ai expliqué pourquoi à la tribune. J'espère que l'on discutera. Mais je sais très bien aussi que l'on peut discuter que s'il apparaît clairement que tout est discutable. C'est le préalable indispensable. Vous voyez bien, J.-P. Elkabbach, qu'il y a dans tout cela quelque chose qui ne va pas. Et donc, il y a deux choses à faire pour la France, pour l'avenir : c'est de trouver un projet dans lequel elle reconnaisse quelque chose s'efficace et de juste, et deuxièmement, trouver un modèle de démocratie qui marche, alors que celui-là ne marche pas.
Q- Ca, c'est dans treize mois.
R- C'est la suite.
Q- Vous en avez appelé hier au président de la République.
R- J'ai l'impression que l'on voit sa patte dans les inflexions ou les changements d'orientation qui ont été pris. Je suis absolument sûr que le président de la République, qui est d'ailleurs dans sa responsabilité en le faisant, a dit "ça suffit, on ne peut pas continuer à prendre des risques".
Q- Vous l'a-t-il dit ?
R- Non, il ne me l'a pas dit.
Q- Comment le savez-vous ?
R- Je devine.
Q- Formidable, en plus devin ! Qu'est-ce qui vous intéresse le plus ? Le retrait du contrat "première embauche" ou celui de D. de Villepin ?
R- Je pense qu'il n'y aura pas de retrait de D. de Villepin, parce que je pense que le président de la République va lui dire "vous nous avez conduit là où nous sommes, c'est à vous d'assumer la suite"
Q- On a un Premier ministre entêté, hier, F. Hollande disait "irresponsable"...
R- En tout cas, qui a cultivé mardi l'image du blocage et du durcissement, alors qu'hier, il a fait passer le message inverse. Encore une fois, j'ai du mal à suivre.
Q- Un président de la République qui pense comme lui et qui le soutient, même s'il demande des nuances. Cela veut-il dire que la France, aujourd'hui, est dirigée par un exécutif de dingues et
d'irresponsables ?
R- Ce sont des mots que je n'utilise pas et qui ne feraient pas avancer le débat. Il y a un problème depuis longtemps, c'est qu'on n'offre pas à la société française un modèle dans lequel elle puisse se reconnaître, un modèle équilibré et stable. Nous sommes la seule démocratie dans laquelle, parce qu'on refuse la discussion absolument - la discussion avec les partenaires sociaux et au Parlement -, on obtient le blocage et, au bout du compte, on est obligé de tout remettre en cause. "Ce modèle de démocratie" - je mets modèle et démocratie entre guillemets -, cette manière de faire, nuit gravement à notre pays, et donc, il faut en changer. L'enjeu, maintenant que l'on voit à quel point tout cela a échoué, c'est de trouver d'autres règles, respectées, qui nous obligent, comme dans tous les pays du monde, à prendre en compte ce que les Français pensent de leur avenir, à les convaincre et à travailler ou marcher avec eux.
Q- Encore fois, ça c'est dans treize mois, ce sera la campagne présidentielle et le projet, ce doit être le projet de F. Bayrou... Mais depuis plus de vingt ans, de nombreux Premier ministre, de nombreux gouvernements - vous-même sur la loi Falloux en 1994 - ont renoncé à des réformes sous la pression de la rue ; est-ce que le courage, aujourd'hui, c'est de retirer parce qu'il y a la pression de la rue, ou de faire, d'une certaine façon, de la pédagogie au pays pour qu'il accepte les réformes ?
R- Petite notation historique : sur la loi Falloux, c'est le Conseil constitutionnel qui a pris la décision. Et je reconnais que je n'avais pas assez discuté, que je n'avais pas fait le travail de conviction nécessaire pour que tout le pays comprenne, et notamment l'Education nationale comprenne, quelles étaient les intentions du Gouvernement de l'époque.
Q- Vous n'étiez pas seul dans ce cas, cela fait plus de vingt ans. Mais est-ce que renoncer, cela fait accélérer la modernisation de la France ? Est-ce que cela fait accepter les réformes nécessaires, dont ils reconnaissent eux-mêmes que la France a besoin ?
R- Si nous sommes dans cette situation de blocage perpétuel, renouvelée à chaque occasion, c'est parce que notre démocratie est une démocratie dans les règles ne sont pas saines. L'idée selon laquelle il y a en haut quelqu'un qui décide et qui décide sans écouter personne, et il impose son jugement à tout un pays, cette idée n'est pas une idée de XXIème siècle. Je crois d'ailleurs qu'elle ne marchait pas non plus au XXème siècle. Mais en tout cas, au temps où l'on a 20 millions de nos compatriotes qui vont tous les jours sur Internet, c'est-à-dire qu'ils sont capables de trouver tous les jours de trouver eux-mêmes l'information, et une information approfondie, on ne peut pas considérer ce peuple de citoyens comme un peuple de sujets, dont la seule vocation soit d'obéir à la lubie, aux choix personnels d'un dirigeant. Donc, le caractère pédagogique, l'explication faite aux Français et la volonté de les associer sont des conditions impératives du nouveau modèle que nous avons à construire.
Q- Mais quand on est, comme vous, un homme politique, avec une vision, et que l'on est courageux, on reconnaît que le chef actuel, D. de Villepin, a sa part de responsabilité dans la situation actuelle, mais est-il seul en cause ? N'y aurait-il pas, par exemple, une faillite en plus de celle des dirigeants, mais de l'école, des enseignants, des parents, des patrons, des politiques et de nous, les médias ?
R- Si vous prenez toute la société française et si vous dites qu'elle va mal, vous avez fait le diagnostic du mal français. C'est exactement pourquoi, selon moi, on est dans une fin de cycle, pas seulement une fin de règne, une fin de cycle. Il y a quelque chose de tellement brisé au sein de ce qui fait vivre un pays ensemble, que l'on va devoir ouvrir une page nouvelle.
Q- Que dit-on à la presse étrangère ? En ce moment, elle ironise sur notre dos, moins contre les politiques que contre le pays qui sait que les réformes sont nécessaires, mais qui les refuse, parce que nous sommes les rois du conservatisme. Que fait-on ?
R- Je ne partage absolument pas ce sentiment. Je pense qu'il y a dans notre pays un idéal qui n'a pas envie de plier. Cet idéal ne rejette absolument pas la modernité, simplement, il veut que quand on écrit "liberté, égalité, fraternité", que cela ait du sens. Et donc, chaque fois que l'on en vient à violer ces principes, ce peuple se raidit. Mais il ne se raidit pas seulement pour des questions sociales. Très souvent, en ce moment, à droite, les gens disent "la loi c'est la loi, on doit respecter la loi".
Q- Et on doit attendre le Conseil constitutionnel...
R- Mais je veux seulement rappeler qu'en 1984, quand F. Mitterrand et les socialistes ont essayé de porter atteinte à un principe que les Français tenaient pour précieux, qui est l'école privée, à ce moment-là, des millions de Français sont descendus dans la rue pour défendre leur principe et leur idéal. On ne peut pas ou l'on ne doit pas imaginer que l'on va faire plier un peuple, le faire renoncer à ses idéaux. C'est avec son idéal qu'il faut affronter la modernité, et pas en lui demandant de mettre son idéal à la poubelle pour accepter une loi, dictée d'ailleurs, qui ne lui conviendrait pas.
Q- On sait maintenant que N. Sarkozy ne souhaite pas quitter le Gouvernement...
R- ...Il ne peut pas !
Q- Lui donnerez-vous tort ?
R- Mais il ne peut pas ! Le Gouvernement, ce n'est tout de même pas une auberge espagnole dans laquelle on entre, on sort, a satiété tous les six mois. Donc je n'ai jamais cru que N. Sarkozy pouvait quitter le Gouvernement.
Q- Vous voulez dire qu'il est coincé ?
R- Vous savez bien que le choix que D. de Villepin a fait du contrat"première embauche", c'est l'inspiration, c'était pour aller plus loin ou aussi loin que N. Sarkozy dans la course à l'intérieur de l'UMP et du Gouvernement.
Q- Vous voyez bien que tout le monde pense, même s'il ne le dit pas, à 2007 ?
R- On ne pense qu'à ça !
Q- Tout le monde, c'est si loin et si près. Pour le deuxième tour, est-ce que vous vous sentez plus proche de N. Sarkozy ou de l'ami de vos amis Prodi et Blair, S. Royal ?
R- Il se trouve que le deuxième tour, c'est après le premier tour, et c'est au premier tour que ce fera le choix des Français, non pas de reprendre les deux vieux modèles, mais de choisir, je le crois, un modèle nouveau. En tout cas, c'est le voeu que je forme.
Q- C'est qui le modèle nouveau ?
R- Vous chercherez, je suis sûr que vous trouverez !
Q- Un mot était à la mode, "la rupture" ; quand on voit ce qui est en train de se passer, peut-on promettre la rupture aux Français sans mentir ?
R- Bien sûr que non ! Je pense qu'il faut une page nouvelle et une refondation d'un modèle français. Mais cette rupture-là qui consistait, au fond, à aller plus loin dans l'abandon des principes auxquels les Français sont attachés, cette rupture-là ne marchera pas.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 mars 2006
R- Vous avez raison : on a du mal à suivre. Tout le week-end, on a entendu des chuchotements en disant que l'on était en train de négocier, qu'on allait négocier. Mardi, on dit à tout le monde que l'on ne bougera sur rien : ni suspension ni retrait ni dénaturation. Et puis, hier, en effet, les messages qui passent officiellement, c'est, qu'au contraire, on est prêt à négocier sur tout. Je reconnais que c'est un peu difficile à suivre. Ne nous payons pas de mots : il n'y a de sortie de crise que par une négociation et il n'y a de négociation que si tout est sur la table. Il n'y a donc de négociation que si l'on remet en cause et en jeu le contrat "première embauche" et c'est comme cela que cela finira parce qu'il n'y a pas d'autre chemin dans une démocratie. On est en train de bloquer le pays, l'Education nationale d'un côté, une grande partie du monde social et économique de l'autre. Pourquoi ? Pour quelque chose que personne ne demandait. Le patron lui-même, les entreprises elles mêmes disent que ce n'est pas ce qui leur convient. Alors, franchement, il me semble que le temps est venu, si l'on veut éviter la montée des dangers et des risques, de faire ce geste qui s'impose.
Q- Le Premier ministre propose des négociations sans a priori aux partenaires sociaux sur le CPE...
R- Oui, cela veut dire que l'on négocie tout. J'essaie de traduire en français.
Q- Encouragez-vous les leaders syndicaux, B. Thibault et F. Chérèque qui se sont d'ailleurs réconciliés à cause de D. de Villepin, à accepter, ce matin ?
R- Le bilan que vous faites au micro est un peu sévère... On a l'impression...
Q- Je suis sûr que vous allez défendre D. de Villepin !
R- Non, parce que j'étais en désaccord avec la méthode et le projet. J'ai voté contre et j'ai expliqué pourquoi à la tribune. J'espère que l'on discutera. Mais je sais très bien aussi que l'on peut discuter que s'il apparaît clairement que tout est discutable. C'est le préalable indispensable. Vous voyez bien, J.-P. Elkabbach, qu'il y a dans tout cela quelque chose qui ne va pas. Et donc, il y a deux choses à faire pour la France, pour l'avenir : c'est de trouver un projet dans lequel elle reconnaisse quelque chose s'efficace et de juste, et deuxièmement, trouver un modèle de démocratie qui marche, alors que celui-là ne marche pas.
Q- Ca, c'est dans treize mois.
R- C'est la suite.
Q- Vous en avez appelé hier au président de la République.
R- J'ai l'impression que l'on voit sa patte dans les inflexions ou les changements d'orientation qui ont été pris. Je suis absolument sûr que le président de la République, qui est d'ailleurs dans sa responsabilité en le faisant, a dit "ça suffit, on ne peut pas continuer à prendre des risques".
Q- Vous l'a-t-il dit ?
R- Non, il ne me l'a pas dit.
Q- Comment le savez-vous ?
R- Je devine.
Q- Formidable, en plus devin ! Qu'est-ce qui vous intéresse le plus ? Le retrait du contrat "première embauche" ou celui de D. de Villepin ?
R- Je pense qu'il n'y aura pas de retrait de D. de Villepin, parce que je pense que le président de la République va lui dire "vous nous avez conduit là où nous sommes, c'est à vous d'assumer la suite"
Q- On a un Premier ministre entêté, hier, F. Hollande disait "irresponsable"...
R- En tout cas, qui a cultivé mardi l'image du blocage et du durcissement, alors qu'hier, il a fait passer le message inverse. Encore une fois, j'ai du mal à suivre.
Q- Un président de la République qui pense comme lui et qui le soutient, même s'il demande des nuances. Cela veut-il dire que la France, aujourd'hui, est dirigée par un exécutif de dingues et
d'irresponsables ?
R- Ce sont des mots que je n'utilise pas et qui ne feraient pas avancer le débat. Il y a un problème depuis longtemps, c'est qu'on n'offre pas à la société française un modèle dans lequel elle puisse se reconnaître, un modèle équilibré et stable. Nous sommes la seule démocratie dans laquelle, parce qu'on refuse la discussion absolument - la discussion avec les partenaires sociaux et au Parlement -, on obtient le blocage et, au bout du compte, on est obligé de tout remettre en cause. "Ce modèle de démocratie" - je mets modèle et démocratie entre guillemets -, cette manière de faire, nuit gravement à notre pays, et donc, il faut en changer. L'enjeu, maintenant que l'on voit à quel point tout cela a échoué, c'est de trouver d'autres règles, respectées, qui nous obligent, comme dans tous les pays du monde, à prendre en compte ce que les Français pensent de leur avenir, à les convaincre et à travailler ou marcher avec eux.
Q- Encore fois, ça c'est dans treize mois, ce sera la campagne présidentielle et le projet, ce doit être le projet de F. Bayrou... Mais depuis plus de vingt ans, de nombreux Premier ministre, de nombreux gouvernements - vous-même sur la loi Falloux en 1994 - ont renoncé à des réformes sous la pression de la rue ; est-ce que le courage, aujourd'hui, c'est de retirer parce qu'il y a la pression de la rue, ou de faire, d'une certaine façon, de la pédagogie au pays pour qu'il accepte les réformes ?
R- Petite notation historique : sur la loi Falloux, c'est le Conseil constitutionnel qui a pris la décision. Et je reconnais que je n'avais pas assez discuté, que je n'avais pas fait le travail de conviction nécessaire pour que tout le pays comprenne, et notamment l'Education nationale comprenne, quelles étaient les intentions du Gouvernement de l'époque.
Q- Vous n'étiez pas seul dans ce cas, cela fait plus de vingt ans. Mais est-ce que renoncer, cela fait accélérer la modernisation de la France ? Est-ce que cela fait accepter les réformes nécessaires, dont ils reconnaissent eux-mêmes que la France a besoin ?
R- Si nous sommes dans cette situation de blocage perpétuel, renouvelée à chaque occasion, c'est parce que notre démocratie est une démocratie dans les règles ne sont pas saines. L'idée selon laquelle il y a en haut quelqu'un qui décide et qui décide sans écouter personne, et il impose son jugement à tout un pays, cette idée n'est pas une idée de XXIème siècle. Je crois d'ailleurs qu'elle ne marchait pas non plus au XXème siècle. Mais en tout cas, au temps où l'on a 20 millions de nos compatriotes qui vont tous les jours sur Internet, c'est-à-dire qu'ils sont capables de trouver tous les jours de trouver eux-mêmes l'information, et une information approfondie, on ne peut pas considérer ce peuple de citoyens comme un peuple de sujets, dont la seule vocation soit d'obéir à la lubie, aux choix personnels d'un dirigeant. Donc, le caractère pédagogique, l'explication faite aux Français et la volonté de les associer sont des conditions impératives du nouveau modèle que nous avons à construire.
Q- Mais quand on est, comme vous, un homme politique, avec une vision, et que l'on est courageux, on reconnaît que le chef actuel, D. de Villepin, a sa part de responsabilité dans la situation actuelle, mais est-il seul en cause ? N'y aurait-il pas, par exemple, une faillite en plus de celle des dirigeants, mais de l'école, des enseignants, des parents, des patrons, des politiques et de nous, les médias ?
R- Si vous prenez toute la société française et si vous dites qu'elle va mal, vous avez fait le diagnostic du mal français. C'est exactement pourquoi, selon moi, on est dans une fin de cycle, pas seulement une fin de règne, une fin de cycle. Il y a quelque chose de tellement brisé au sein de ce qui fait vivre un pays ensemble, que l'on va devoir ouvrir une page nouvelle.
Q- Que dit-on à la presse étrangère ? En ce moment, elle ironise sur notre dos, moins contre les politiques que contre le pays qui sait que les réformes sont nécessaires, mais qui les refuse, parce que nous sommes les rois du conservatisme. Que fait-on ?
R- Je ne partage absolument pas ce sentiment. Je pense qu'il y a dans notre pays un idéal qui n'a pas envie de plier. Cet idéal ne rejette absolument pas la modernité, simplement, il veut que quand on écrit "liberté, égalité, fraternité", que cela ait du sens. Et donc, chaque fois que l'on en vient à violer ces principes, ce peuple se raidit. Mais il ne se raidit pas seulement pour des questions sociales. Très souvent, en ce moment, à droite, les gens disent "la loi c'est la loi, on doit respecter la loi".
Q- Et on doit attendre le Conseil constitutionnel...
R- Mais je veux seulement rappeler qu'en 1984, quand F. Mitterrand et les socialistes ont essayé de porter atteinte à un principe que les Français tenaient pour précieux, qui est l'école privée, à ce moment-là, des millions de Français sont descendus dans la rue pour défendre leur principe et leur idéal. On ne peut pas ou l'on ne doit pas imaginer que l'on va faire plier un peuple, le faire renoncer à ses idéaux. C'est avec son idéal qu'il faut affronter la modernité, et pas en lui demandant de mettre son idéal à la poubelle pour accepter une loi, dictée d'ailleurs, qui ne lui conviendrait pas.
Q- On sait maintenant que N. Sarkozy ne souhaite pas quitter le Gouvernement...
R- ...Il ne peut pas !
Q- Lui donnerez-vous tort ?
R- Mais il ne peut pas ! Le Gouvernement, ce n'est tout de même pas une auberge espagnole dans laquelle on entre, on sort, a satiété tous les six mois. Donc je n'ai jamais cru que N. Sarkozy pouvait quitter le Gouvernement.
Q- Vous voulez dire qu'il est coincé ?
R- Vous savez bien que le choix que D. de Villepin a fait du contrat"première embauche", c'est l'inspiration, c'était pour aller plus loin ou aussi loin que N. Sarkozy dans la course à l'intérieur de l'UMP et du Gouvernement.
Q- Vous voyez bien que tout le monde pense, même s'il ne le dit pas, à 2007 ?
R- On ne pense qu'à ça !
Q- Tout le monde, c'est si loin et si près. Pour le deuxième tour, est-ce que vous vous sentez plus proche de N. Sarkozy ou de l'ami de vos amis Prodi et Blair, S. Royal ?
R- Il se trouve que le deuxième tour, c'est après le premier tour, et c'est au premier tour que ce fera le choix des Français, non pas de reprendre les deux vieux modèles, mais de choisir, je le crois, un modèle nouveau. En tout cas, c'est le voeu que je forme.
Q- C'est qui le modèle nouveau ?
R- Vous chercherez, je suis sûr que vous trouverez !
Q- Un mot était à la mode, "la rupture" ; quand on voit ce qui est en train de se passer, peut-on promettre la rupture aux Français sans mentir ?
R- Bien sûr que non ! Je pense qu'il faut une page nouvelle et une refondation d'un modèle français. Mais cette rupture-là qui consistait, au fond, à aller plus loin dans l'abandon des principes auxquels les Français sont attachés, cette rupture-là ne marchera pas.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 mars 2006