Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, à "France Inter" le 17 mars 2006, sur les raisons qui ont conduit le gouvernement à créer le contrat première embauche (CPE) et sur les réactions de rejet qui se sont soldées par de nouvelles manifestations.

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Média : France Inter

Texte intégral

P. Weill : Les jeunes de Seine-Saint-Denis sont nos invités aujourd'hui sur France Inter. Ils nous disent leurs angoisses, leurs espoirs, leur colère, ils nous racontent leur quotidien et ils sont avec moi pour interroger, dans " Questions en direct ", J.-F. Copé, le porte-parole du Gouvernement, mais aussi ministre délégué au Budget et à la Réforme de l'Etat. Il est maire de Meaux en Seine-et- Marne. Bonjour monsieur Copé.
J.-F. Copé : Bonjour.
P. Weill : Je vous présente mes adjoints ce matin. Ils sont dans le studio, ils sont collégiens ou lycéens en Seine-Saint-Denis. Il y a Anissa, elle a 16 ans, elle est lycéenne en seconde à Clichy-sous- Bois ; il y a Halil, lycéen, lui aussi en seconde à Clichy-sous-Bois ; et Renée, elle a 13 ans, elle est collégienne à Pantin. Qui veut commencer ? Allons-y.
Halil : Bien, je vais commencer. Si vous et vos enfants, vous habitiez en cité, est-ce que vous auriez autant de chances que maintenant ?
J.-F. Copé : Non, c'est tout le problème. C'est pour ça d'ailleurs que l'une des grandes leçons qu'on a tirées des violences des banlieues du mois de novembre dernier, c'est que cela ne pouvait plus continuer comme ça. Et pour être tout à fait honnête avec vous, moi, je suis maire de Meaux qui est une ville qui a des cités sur la moitié de la ville : Beauval et Collinet, et depuis 10 ans que je suis maire, on a essayé de changer beaucoup de choses. On a cassé les tours pour mettre à la place des immeubles à taille normale. On a essayé de mettre des zones franches, ça a bien marché, c'est-à-dire des entreprises qui ne paient pas d'impôts si elles créent des emplois. Et puis, on a fait de la sécurité parce que les gens, ils ont besoin aussi de sécurité quel que soit leur âge. Et petit à petit - je ne dis pas que c'est parfait, loin s'en faut - mais on a vu que ça s'améliorait. On ne gagne pas tous les jours, il y a des jours où on gagne, des jours où on perd, mais ça s'est un peu amélioré et, d'ailleurs, au mois de novembre, à Meaux, il y a beaucoup moins de casse qu'ailleurs.
P. Weill : Halil, est-ce qu'à Clichy-sous-Bois, cela s'est amélioré depuis les émeutes ?
Halil : Cela fait 10 ans que j'habite ici. Il y a peu de choses qui se sont améliorées. Par exemple, le gymnase où je faisais du taekwondo a brûlé et il n'a toujours pas été construit, et je me demande pourquoi.
P. Weill : Oui, le Gouvernement n'est pas très généreux pour reconstruire.
J.-F. Copé : Je sais bien que c'est toujours, dans la vie, de la faute au Gouvernement. C'est un peu plus compliqué que cela. Je rappelle quand même que les équipements de cette nature dépendent des villes. Bien sûr qu'il y a des subventions et nous, on a dégagé très vite des crédits supplémentaires. Et puis il y a aussi, par rapport à cela, les décisions à prendre. Vous ne pouvez pas reconstruire en trois mois un gymnase qui a été brûlé.
P. Weill : Mais actuellement les municipalités affrontent les assureurs. Vous pourriez être un peu plus généreux.
J.-F. Copé : Je ne suis pas assureur, dites. Je veux bien faire tous les métiers, mais ce n'est pas... Je crois qu'il faut aller plus loin que ça. En vérité, ce qui compte, c'est qu'effectivement on puisse apporter à chaque fois des réponses à tout ça, mais il y en a qui prennent du temps, malheureusement, et c'est d'ailleurs bien de le rappeler. Ceux qui brûlent, ceux qui cassent, il faut qu'ils sachent que derrière, c'est souvent les utilisateurs des équipements qui les perdent.
P. Weill : Anissa, vous pouvez interroger J.-F. Copé.
Anissa : Moi, je ne comprends pas le CPE. C'est pour l'égalité des chances, mais en même temps les jeunes peuvent se faire virer n'importe quand. Alors, comment le Gouvernement peut dire que c'est pour lutter contre le chômage et la précarité ?
J.-F. Copé : Voilà une question d'actualité, je crois que c'est bien de répondre un tout petit peu dans le détail. Je voudrais dire que la précarité - et c'est vrai que quand on n'est pas soi-même en train de rechercher un travail, on ne le sait pas toujours - c'est maintenant qu'elle existe. Vous savez, aujourd'hui, 70 % des jeunes de moins de 26 ans, ils ont un CDD, c'est à dire durée déterminée. Et la moitié de ces CDD, vous savez de combien de temps ils sont ? De moins d'un mois. La précarité, c'est tous les jours. C'est aujourd'hui que le problème se pose. Et donc qu'est-ce qu'on a voulu imaginer ? Comme il n'y a rien qui marche depuis des années, on s'est dit : on va essayer autre chose et on a pensé créer ce CPE, qui a déjà été utilisé dans d'autres pays en Europe, et à chaque fois que ça a été utilisé, le chômage des jeunes a baissé de manière très forte. En Espagne ou au Danemark par exemple - c'est très intéressant de voir ça - avec ces types de contrats, le chômage a baissé. Alors, juste une chose parce qu'on pourrait en parler des heures. Il y a un truc. Vous avez dit : " Oui, on peut être viré tout de suite. " Non. Ce n'est pas vrai, ça fait partie de la désinformation ambiante. Non. Il y a un préavis comme dans n'importe quel contrat premièrement. Et deuxièmement...
P. Weill : Un préavis de combien de temps ?
J.-F. Copé : C'est variable, mais il est d'au minimum 15 jours, puis ensuite un mois au bout de six mois. Mais attendez - vous levez les yeux au ciel - il n'y a pas de préavis dans les CDI normaux au début. Il faut le savoir, il faut le dire. Donc, c'est pour cela que je crois que c'est important qu'on torde le coup parce qu'il y a plein de désinformation. C'est normal, il y a des inquiétudes, il y a du stress, mais c'est la passion du moment, et nous, notre rôle, c'est aussi d'expliquer que c'est un pied à l'étrier notamment - et c'est ça que je veux vous dire - pour des jeunes qui aujourd'hui, parce qu'ils n'ont pas de qualification, sont assurés d'être au chômage. P. Weill : Anissa, il vous a convaincue ?
Anissa : Moi, ce que je ne comprends pas, c'est que, dans ce que vous dites, ça veut dire que le CPE c'est avantageux pour les jeunes. Alors, pourquoi il y a tant de manifestations ?
J.-F. Copé : Tout simplement parce que la vie est la vie et la France est la France, et que sur tous ces sujets, dès qu'on essaie des trucs nouveaux, immédiatement, cela crée de d'idéologie. A peine on a créé cela, on a dit : c'est de la précarité. Ce n'est pas ça. La précarité, c'est aujourd'hui qu'on l'a. Et moi, comme mes collègues, on se tue à essayer de l'expliquer jour après jour, c'est normal, ça fait partie de notre mission, mais encore une fois, il y a une garantie : c'est que si jamais au bout d'un certain nombre de mois cela ne marchait pas bien, on pourrait toujours y travailler encore. C'est ça l'intérêt, c'est ce qu'on appelle l'évaluation. Mais c'est une piste qu'on n'a jamais essayée en France, d'autres pays l'on essayée, ça a marché. Et, par ailleurs, dernière chose, on a plutôt mis plus de garanties aujourd'hui qu'il y en a ailleurs.
P. Weill : Un petit complément, Anissa. Vous avez vu, monsieur Copé, ce sondage CSA publié dans Le Parisien ce matin : 68 % des Français interrogés sont favorables au retrait du CPE. Alors question précise : vous continuez l'épreuve de force ou vous le retirez, le CPE ?
J.-F. Copé : Vous voyez, le problème, ce n'est pas toujours dans une logique de tension, d'épreuve de force, ce n'est pas que l'épreuve de force. Si on le fait, ce n'est pas pour embêter les gens. Si on le fait c'est parce qu'on a vu que dans d'autres pays ça marchait.
P. Weill : Non, mais vous ne m'écoutez pas. Vous maintenez ou vous retirez ?
J.-F. Copé : Cela ne va pas se passer comme ça, le débat. Le débat, ce n'est pas "je maintiens" ou "je retire". Le débat, c'est : on veut être certain que tout le monde est bien au clair en terme d'information sur ce qu'il y a dans ce CPE avant de savoir si on est pour ou contre.
P. Weill : Mais quand on voit des centaines de milliers de personnes dans la rue, c'est qu'on est au clair.
J.-F. Copé : Vous voyez, le petit échange que nous venons d'avoir là montre que, sur un certain nombre de sujets, on a baratiné les gens. Du coup, vous avez dans la rue - et je l'ai bien vu des gens interviewés, je l'ai vu à Meaux, parmi les gens que j'ai rencontrés - beaucoup pensent, par exemple, que dans le CPE, on peut comme ça dire du jour au lendemain : " Bye-bye, vous êtes viré ". Non, ce n'est pas comme ça que ça marche. D'abord, il y a un préavis, ensuite, il y a des indemnités qui sont versées alors que ça n'existe pas dans d'autres types de contrats, et enfin, pourquoi voulez-vous qu'un employeur, il ait envie de virer quelqu'un alors qu'il a l'obligation de le former et de le faire travailler ? C'est là où il faut comprendre que, quelque part, ça peut aussi marcher. On a le droit de regarder le verre à moitié plein dans notre pays.
Anissa : Justement, il faut faire passer un dialogue plutôt que de manifester et tout, il faut vraiment que vous expliquiez aux jeunes exactement en quoi consiste le CPE, les avantages et les désavantages...
J.-F. Copé : C'est pour ça que vous n'imaginez pas la joie que j'ai de me retrouver devant vous aujourd'hui à France Inter.
P. Weill : Oui, mais il y aura de nouvelles manifestations, monsieur Copé, demain. Quel est le nombre de manifestants qui fera que vous direz : " On retire le CPE. " Un million, un million et demi ?
J.-F. Copé : Mais, monsieur Weill, est-ce que c'est vraiment comme ça que ça doit se faire. Le débat, ce n'est pas au nombre de manifestants ? C'est au temps que l'on doit consacrer surtout à bien expliquer tout ça. Ce qui compte à mes yeux, c'est que les Français puissent former leur avis en connaissance de cause. Or, il y a beaucoup d'éléments dans ce contrat qui sont innovants, qui sont positifs, qu'il faut faire connaître.
P. Weill : Mais ça fait des semaines que vous l'expliquez et ça ne passe pas.
J.-F. Copé : C'est la France et c'est normal sur ces sujets qui sont tout à fait nouveaux qu'on y consacre du temps.
P. Weill : Renée va vous poser une question.
Renée : Moi, j'ai 13 ans et je suis déjà très inquiète parce que je me demande si l'école ça va me servir. Est-ce que vous pouvez me dire aujourd'hui si, à l'avenir, j'aurai un travail ?
J.-F. Copé : Si vous allez à l'école, si vous travaillez, si vous faites tout pour y arriver, le rôle de l'école, ça va être de vous y aider. Et c'est vrai que c'est un combat de tous les jours, c'est vrai que c'est difficile, mais ça, si je peux me permettre, c'est dur pour tous les enfants, pour tous les jeunes, où qu'ils soient. La seule chose que je dis, c'est que dans les quartiers, malheureusement, il y a plus de mal qu'ailleurs. Et donc c'est pour ça aussi qu'on veut faire en sorte que l'école, elle se modernise et qu'elle ait plus de moyens dans ces quartiers.
Renée : Moi, je travaille bien à l'école, mais je connais des gens qui ont des diplômes, mais qui n'ont pas de travail.
J.-F. Copé : C'est vrai, mais parce que parfois, malheureusement, on ne les a pas bien orientés et ils ont choisi des diplômes qui ne correspondaient pas à la réalité de l'emploi.
Renée : Non. Ils ont un diplôme de ce qu'ils voulaient faire, mais quand ils vont demander du travail, on ne leur donne pas de travail.
J.-F. Copé : Simplement, ce que je veux vous dire, c'est que c'était ce qu'ils voulaient faire, mais que malheureusement, on ne les a pas suffisamment alertés sur le fait que ce qu'ils voulaient faire, il n'y avait peut-être pas suffisamment de possibilités d'emplois dans ce secteur-là. C'est pour cela que moi, je vous conseille très vite de voir des conseillers d'orientation pour commencer à regarder là où les entreprises offrent des emplois parce que c'est à partir de là que vous pourrez aussi faire vos choix et voir comment combiner ce que vous aimez faire et ce que les entreprises ou les administrations pourront vous proposer.
Renée : Et si on leur refuse le travail parce qu'ils viennent du 93 ou parce qu'ils ont... ?
J.-F. Copé : Alors là, je vais vous dire, ça s'appelle... Là, ils auront des vraies sanctions. Et ça, vous avez raison de le dire parce que c'est insupportable. Et moi, je suis pareil. À Meaux, on m'a signalé des cas comme ça, à chaque fois, je les signale. C'est insupportable de penser que des gens, sous prétexte qu'ils habitent tel quartier, qu'ils ont tel prénom ou tel nom, on leur refuse un boulot. C'est insupportable et c'est illégal.
P. Weill : Qui veut poser une question ? Anissa ?
Anissa : Je reviens au CPE. C'est juste pour dire : moi, je pense que les étudiants qui manifestent, ils n'ont pas compris certaines choses. Moi, par exemple, si j'ai un CPE et que je veux partir de chez moi, c'est un exemple, et que je veux acheter une voiture ou un appartement à crédit, je ne pourrai pas parce que la banque n'a pas de garantie que je garde mon poste. Donc, elle refusera mon crédit, je comprends, c'est tout à fait normal. Alors, comment je fais, moi ? Je reste chez moi jusqu'à ce que j'économise pour acheter une maison ?
J.-F. Copé : Non. Ça, vous avez complètement raison. Peut-être d'abord juste une chose : c'est déjà la situation aujourd'hui, ça, vous le savez. C'est-à-dire que le gros problème qu'on a, avant même qu'il y ait le CPE, c'est que comme les contrats sont pratiquement tous des CDD et pour la moitié de moins d'un mois, les jeunes ont une galère mais totale pour avoir des crédits. Donc, l'objectif, c'est ce qu'on est en train de faire en ce moment, c'est d'obtenir un certain nombre de garanties de la part des professionnels immobiliers et des professions bancaires pour que, justement, le CPE soit considéré comme une possibilité d'accès aussi à des crédits et à des logements. Cela ne va pas se faire en claquant des doigts, je suis d'accord avec vous, c'est vraiment un retard énorme qu'on a dans notre pays. Et donc on est en train de travailler très activement avec d'ailleurs des points positifs. Le Locapass, par exemple, permet d'avoir déjà des cautions pour décrocher le premier loyer, etc. Donc, on a plutôt progressé, mais je reconnais que le combat continue. Mais ça, CPE ou pas CPE, c'est un problème qui existe aujourd'hui. Et donc j'espère que le CPE va aider à le débloquer.
P. Weill : Juste un point, J.-F. Copé : D. de Villepin a dit hier qu'il est prêt à améliorer le CPE. Améliorer, alors ça veut donc dire qu'il n'est pas bon ?
J.-F. Copé : Mais non. Avec vous, tout est très mal ou tout est très bien. Non. Attendez. C'est normal que, sur un certain nombre de sujets, on réfléchisse à la manière de l'améliorer. D'ailleurs, c'est ce qu'il a évoqué dimanche dernier, et c'est par exemple l'intérêt d'évaluer au bout de six mois comment cela marche. C'est ce qu'on est en train de faire pour le CNE qui se fait pour les PME. Le CNE, on l'a lancé il y a six mois - d'ailleurs c'est un succès considérable : 360.000 CNE signés, ça vaut la peine quand même d'être évalué, d'être regardé. Et ce que je veux simplement dire, c'est que ce serait bien qu'on essaie de divorcer avec l'idéologie une fois et qu'on regarde ce qui marche et ce qui ne marche pas sans se demander ce que pouvait en penser...
P. Weill : Donc, les manifestants actuellement sont les idéologues ?
J.-F. Copé : Mais non, ce n'est pas "les manifestants". C'est de manière générale qu'on a tendance à chaque fois à mettre les nouvelles idées dans des cases d'il y a 100 ans. Est-ce que ce qu'on fait, c'est plutôt ultra libéral, ultra social ? On s'en fiche. Le tout, c'est de voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Si cela ne marche pas, on arrête, si ça marche, on continue.
Anissa : Mais vous remarquez que là, ça ne marche pas.
J.-F. Copé : Je n'en sais rien, ce n'est pas commenc?? encore. La loi vient tout juste d'être votée. Donc, mon idée, c'est de dire : dans six mois, on regarde si ça a marché.
P. Weill : Anissa, Halil, Renée, merci beaucoup. Ça vous a plu d'interviewer monsieur Copé ? Il a bien répondu à vos questions ? Monsieur Copé, merci beaucoup.
J.-F. Copé : Alors pourquoi vous avez arrêté l'interview ? C'était très intéressant.
P. Weill : Eh bien, le temps passe, il est 8h30.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 21 mars 2006