Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France Info le 6 avril 2006, sur les négociations entre l'UMP et les syndicats pour sortir de la crise du contrat première embauche.

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Média : France Info

Texte intégral

Q- On va évidemment parler de la crise du CPE. Mais d'abord un mot peut-être de J. Lassalle, député UDF des Pyrénées Atlantiques, qui entame sa cinquième semaine de grève de la faim. Il proteste contre le déplacement d'un site industriel de sa circonscription. Est-ce qu'il n'est pas aussi, finalement, lui aussi, le symbole d'une forme de crise de la politique ?
R- Sans aucun doute oui, puis qu'avant d'entamer cette action si courageuse et terrible, dramatique en même temps, J. Lassalle a essayé d'attirer l'attention de tout le monde pendant des années, sous toutes les formes. Il a saisi les très grandes entreprises multinationales concernées, il a saisi le Gouvernement, il est monté à la tribune du Parlement une fois, deux fois, cinq fois, dix fois et chaque fois, faisant entendre un peu plus la crise et l'inquiétude. Il a fallu en arriver là pour qu'il soit entendu, pour que s'ouvrent des discussions qui ont naturellement un caractère discret, mais qui laissent entrevoir quelque lueur d'espoir.
Q- Ne croyez-vous pas qu'il devrait tout de même arrêter aujourd'hui ?
R- C'est un homme tellement d'une seule pièce, tellement granitique je dirais, qu'il va jusqu'au bout du combat qu'il a entamé. Naturellement, tous nous sommes inquiets pour sa santé. Naturellement, tous nous parlons avec lui, surtout moi qui ai avec lui des relations fraternelles depuis son enfance, depuis très longtemps.
Q- Vous êtes voisins de circonscription ?
R- Et amis. Pour lui, c'est une manière de ne pas baisser les bras. Et des responsables politiques, des élus qui ne baissent pas les bras, cela mérite un coup de chapeau, en même temps naturellement soutien et inquiétude.
Q- D. de Villepin a annoncé qu'il tirerait "toutes les conséquences" des tractations entre l'UMP et les syndicats, en ce moment, sur le CPE. Pour vous, doit-il démissionner ?
R- En tout cas, ce que sa déclaration voulait dire, c'est qu'il envisageait cette hypothèse. Je ne sais pas s'il l'a dit pour le faire ou s'il l'a dit pour ne pas le faire, pour ajouter une pression supplémentaire à ceux qui ont la charge bizarre de "négocier", entre guillemets, sur le CPE. Mais je ne souhaite pas ajouter de la crise à la crise. Ce que je vois est déjà si grave et la déstabilisation est si profonde, que je ne veux pas ajouter de la crise à cette crise.
Q- Vous parlez de "charge bizarre". La question de la démission de D. de Villepin n'est finalement pas une question d'homme, mais une question de fonctionnement des institutions, quand un parti est là pour remplacer le Gouvernement pour sortir de crise...
R- Vous avez tout dit. On a eu, dans la même semaine, un président de la République qui promulgue une loi, c'est-à-dire qui déclare "je rends la loi applicable" et, dans la même phrase, dit qu'il demande qu'on ne l'applique pas. On a eu un gouvernement qui a été dessaisi de sa charge essentielle, qui est de conduire la politique de la nation. Et on a eu le recours non pas au Parlement, mais à un parti du Parlement, avec des responsables d'un groupe partisan, l'UMP, qui sont chargés de "négocier", entre guillemets, avec les ministres, à côté d'eux sur des strapontins. Mais tout cela veut dire qu'il n'y a plus aucun repère, qu'il n'y a plus d'institutions ! "Institution" est un mot, dont la racine veut dire "se tenir debout". Il n'y a plus rien qui tient debout. Il n'y a plus aucun point de repère dans cette Vème République finissante.
Q- N. Sarkozy a déclaré hier que "notre immobilisme n'est pas la conséquence de l'organisation du pouvoir, mais la façon dont nous l'exerçons". Autrement dit, est-ce que ce sont vraiment les institutions qu'il faut changer ?
R- C'est pire ! Permettez-moi de dire que c'est pire ! Si vraiment c'était vrai, alors ce serait absolument accablant. Ce que je crois, pour ma part, c'est que cette République que l'on construit ou qui est construite autour de l'idée du passage en force - on a tous les pouvoirs et on passe en force, on ne tient aucun compte du Parlement, on ne tient aucun compte de la représentation des Français et on ne tient aucun compte des Français eux-mêmes -, cette organisation portait l'orage en elle-même, aussi certainement que si l'on avait vu de lourds nuages noirs à l'horizon. Et c'est cela qui s'accomplit sous nos yeux. Mais cela s'accomplit dans une ambiance d'effondrement, en tout cas de désordres et de chaos institutionnel tels, que tous les Français se demandent comment on va en sortir, comment on peut trouver un chemin pour sortir de ce désordre accablant, dans lequel on ne voit plus d'issue.
Q- Désormais, le chef de l'Etat a décidé de tenir compte du Gouvernement. Ne regrettez-vous pas qu'aucun député UDF n'ait été appelé, avec les UMP, pour tenter de sortir de la crise ?
R- Mais ce n'est pas UDF ou UMP qui auraient dû être appelés. Si on avait voulu avoir recours au Parlement, on aurait demandé à toutes les formations politiques présentes au Parlement si elles voulaient bien s'asseoir autour de la table et réfléchir ensemble à une sortie de crise. Mais cette idée de réserver à un seul parti - "les UMP parlent aux UMP" - le monopole de l'exercice du pouvoir, de la discussion, de la sortie de crise ou de la création de la crise, est démocratiquement fausse. Et je
suis sûr que parmi ceux qui nous écoutent, il y a aussi des gens de l'UMP, mais qu'ils n'ont jamais voulu ça. Ils n'ont jamais voulu que leur sensibilité soit ainsi bloquée dans un monopole de tous les pouvoirs dans notre pays. La France est un pays républicain, qui a besoin de retrouver les règles républicaines normales, pour avoir une stabilité pour l'avenir.
Q- Mais on sent bien que cette crise du CPE radicalise les positions entre la gauche et la droite. Allez-vous pouvoir continuer à suivre votre troisième voie, avec un pied dans la majorité et un pied à l'extérieur ?
R- Non, ce n'est pas un pied dans et un pied dehors...
Q- Un petit peu !
R- Non, en rien ! C'est le diagnostic que nous avons posé depuis des mois et des mois, selon lequel cette organisation du pouvoir, ces choix de la part du Gouvernement, et avant lui du Parti socialiste qui était, au fond, sur la même ligne de monopole du pouvoir, conduisaient inévitablement à la crise en France. Et vous vous souvenez qu'au moment de la crise des banlieues, j'ai dit que c'est un coup de foudre et qu'il y en aura d'autres, parce que l'orage n'a pas disparu. Eh bien, nous vivons cette crise du CPE depuis deux mois déjà, dont on est incapable de sortir ; crise des banlieues ; avant ça, le "non" au référendum ; avant ça, le 21 avril ; avec le même sentiment que les Français ressentent et expriment, sentiment qui est : "Nous n'avons pas notre mot à dire sur notre propre destin". Eh bien, tant qu'on ne retrouvera pas les principes d'une République saine - je pense qu'il faut changer de Constitution et passer à une nouvelle République, une VIème République et même le numéro m'importe peu... Mais il faut que nous retrouvions les principes qui permettent à un peuple d'avoir confiance dans ses dirigeants, et pas d'avoir le sentiment que ces dirigeants les ignorent absolument, dans leur volonté et leurs intentions. notre mot à dire sur notre propre destin". Eh bien, tant qu'on ne retrouvera pas les principes d'une République saine - je pense qu'il faut changer de Constitution et passer à une nouvelle République, une VIème République et même le numéro m'importe peu... Mais il faut que nous retrouvions les principes qui permettent à un peuple d'avoir confiance dans ses dirigeants, et pas d'avoir le sentiment que ces dirigeants les ignorent absolument, dans leur volonté et leurs intentions.
Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 avril 2006