Conférence de presse de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la préparation de la conférence intergouvernementale, les relations France - Allemagne dans le cadre de l'Union économique et monétaire et la réforme de l'Alliance atlantique, Bonn le 12 février 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage d'Alain Juppé à Bonn (Allemagne) le 12 février 1996

Texte intégral

Je voudrais, avant de répondre à vos questions, vous dire quelques mots pour me réjouir tout d'abord de la rencontre très amicale, très sympathique et très chaleureuse que je viens d'avoir avec le Chancelier. Nous avons abordé un grand nombre de questions. Je voudrais en citer quelques-unes avant de répondre à vos questions. Tout d'abord les problèmes de défense.
J'ai pu informer le Chancelier des réflexions qui sont actuellement en cours en France sur les adaptations, les modifications, les réformes que nous nous préparons à apporter à notre politique de défense. Nous avons également constaté que, s'agissant de l'évolution de l'Alliance atlantique, de sa réforme, il y avait entre la France et l'Allemagne une excellente coopération.
Nous avons ensuite évoqué nos relations avec la Russie, puisque le Chancelier et moi-même nous nous rendrons à Moscou à quelques jours d'intervalle cette semaine. Nous avons constaté notre désir commun de porter tout notre soutien au processus de réforme qui se développe en Russie. Nous avons également insisté sur notre désir de développer le partenariat entre l'Union européenne et la Russie et de bien faire comprendre à la Russie nos intentions en ce qui concerne l'élargissement progressif de l'Alliance atlantique qu'on ne doit en aucune manière ressentir comme dirigé contre la Russie. Nous avons évoqué la situation autour de la Méditerranée, notamment en Algérie, mais aussi les relations entre la Grèce et la Turquie où nous avons exprimé le souhait que la retenue et le dialogue puissent prévaloir.
Elargissement de l'Union européenne - CIG - Lutte contre la drogue - TGV est-européen - Politiques économiques et sociales de la France et de l'Allemagne - UEM S'agissant des questions européennes, nous avons fait le point de la préparation de la CIG - c'est un sujet trop complexe pour que je l'aborde en détails -. Je voudrais simplement signaler l'échange de vues que nous avons eu sur la question de la drogue, où nos préoccupations et nos intentions se rejoignent. J'ai pu redire au chancelier quelle était la détermination de la France à aller de l'avant dans la construction du TGV est-européen. Enfin, nous avons bien sûr évoqué la situation économique de l'Allemagne et de la France, pour constater tout d'abord que nous étions confrontés à des problèmes de même nature, qu'il s'agisse du ralentissement de la croissance ou de la remontée du chômage. Face à ces difficultés, les orientations de nos deux politiques économiques et sociales sont très proches. Il s'agit d'abord de réduire nos déficits, qu'il s'agisse du budget ou qu'il s'agisse des comptes de la sécurité sociale. C'est ensuite une politique de l'emploi qui se fonde notamment sur un dialogue social aussi nourri que possible.
Notre objectif est connu, il n'a pas varié, c'est d'être prêt à entrer dans la troisième phase de l'Union économique et monétaire en 1999, et j'ai réaffirmé la détermination du gouvernement français à respecter les engagements qu'il a pris tant en termes de calendrier que de critères de convergence.
J'ai souligné que la meilleure manière de concilier ces objectifs, à savoir redressement de la situation de l'emploi, respect des dispositions du traité en ce qui concerne l'Union économique et monétaire, la meilleure manière était de poursuivre la politique de détente monétaire qui s'est manifestée aussi bien en Allemagne qu'en France depuis plusieurs mois maintenant. Voilà, j'aurais beaucoup à dire, mais j'imagine que vous avez beaucoup de questions. Je vais m'arrêter là pour vous céder la parole.
OTAN - UEM - France-République fédérative de Yougoslavie
Q - Monsieur le Premier ministre, le Chancelier fédéral a fait part d'une proposition samedi dernier à Munich : elle concerne autant l'OTAN que l'Union économique et monétaire. Seriez-vous prêt à accepter le genre de formule qui a été proposée ? Quelle est la réaction de la France face à cela ? En ce qui concerne l'ex-Yougoslavie, nous aimerions savoir à quel moment le gouvernement français envisage de reconnaître Belgrade ?
R - S'agissant de la dernière question, le problème ne se pose pas pour la France dans les mêmes termes que pour l'Allemagne. Nous n'avons pas fermé notre représentation diplomatique à Belgrade, nous allons nommer dans les prochaines semaines un ambassadeur à Belgrade.
Sur le premier point, les propositions qui ont été faites par le Chancelier méritent examen, nous sommes en train de les regarder.
Union européenne-Russie - OTAN-Russie - Conseil de l'Europe Russie - G7-Russie
Q - Sur les relations entre la Russie et les autres pays, l'entrée de la Russie au G7.
R - Je voulais dire tout à l'heure dans mon propos introductif que la France et l'Allemagne partagent le souci de faire de la Russie - qui est un grand pays avec un grand peuple - un vrai partenaire : un partenaire de l'Union européenne - c'est dans cet esprit que nous avons signé avec la Russie l'an dernier un accord de partenariat - ; un partenaire aussi d'un système de sécurité collective sur l'ensemble de notre continent. J'avais pour ma part lancé l'idée d'une sorte d'accord entre l'Alliance atlantique élargie et la Russie ; donc tout ce qui va dans le sens d'un partenariat renforcé va dans le bon sens. Il ne faut surtout pas donner le sentiment que nous cherchons à l'isoler. De ce point de vue, la France s'est réjouie de l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe et au fur et à mesure que la Russie remplira les conditions requises, nous sommes tout à fait disposés à soutenir sa candidature dans toutes les grandes instances internationales. S'agissant du G7, des formules de participation de la Russie ont été trouvées par le passé. C'est dans cet esprit d'ailleurs qu'à Moscou au mois d'avril prochain se tiendra une réunion ministérielle du G7 + 1. Il faut poursuivre dans cette voie du rapprochement de la Russie, grand pays qui compte sur la scène mondiale.
UEM - Politique monétaire
Q - Vous avez parlé de politique commune renforcée en matière monétaire. Vous savez que la Bundesbank envisageait un rapprochement. Qu'en est-il au niveau du gouvernement français ? Avez-vous des plans ou des réflexions en la matière ?
R - Nous avons des plans. Ce plan s'appelle même le traité de l'Union européenne. Quand on a des plans, pour les réussir, il vaut mieux ne pas en changer tous les quinze jours.
Nous avons signé un traité, nous l'avons ratifié, nous avons pris des engagements. Ce traité prévoit un calendrier, de critères de convergence. Commencer à se demander ce qui pourrait se passer si on ne tenait pas ce calendrier et si on ne respectait pas ces critères, est une très mauvaise solution. La meilleure façon de ne pas réussir quelque chose, c'est de commencer à se demander si on va réussir. On va réussir. Et nous sommes déterminés à réussir et la politique de la France est inspirée par cette volonté de tenir le calendrier et de tenir les critères. Alors toute autre réflexion ou fabulation sur ce qui pourrait, le cas échéant, se substituer à ce que nous avons décidé ensemble n'est pas de saison et j'espère que ce ne sera pas non plus de saison demain. Quand j'ai parlé tout à l'heure de poursuite de la politique de détente monétaire, c'était pour souligner que depuis plusieurs mois, grâce à la façon dont la France a reconquis la confiance internationale, nous avions pu obtenir une détente des taux d'intérêt spectaculaire puisque nous sommes aujourd'hui à des niveaux que la France n'avait pas connus depuis plusieurs décennies. C'est dans cette optique-là qu'il faut continuer et c'est de cette façon-là que nous arriverons à redonner sur le plan conjoncturel l'oxygène qui est nécessaire. Il n'est pas question de relâcher la discipline budgétaire ni de renoncer aux objectifs que nous nous sommes fixés. Il faut amplifier le mouvement qui s'est développé depuis plusieurs mois maintenant.
Ex-Yougoslavie - Processus de paix - IFOR - TPI pour la Bosnie -
Crimes de guerre - Reconstruction de l'ex-Yougoslavie
Q - Monsieur le Premier ministre, vous n'avez pas précisé que vous aviez évoqué avec le Chancelier fédéral la situation en ex-Yougoslavie. Vous l'avez peut-être oublié mais j'imagine que vous l'avez fait. Que pensez-vous de la situation en Bosnie, et comment, quel jugement portez-vous sur les toutes récentes évolutions, en particulier suite aux accords de Dayton ?
R - Chaque fois que nous nous rencontrons, nous parlons évidemment de la situation en ex-Yougoslavie. Qu'en dire de manière aussi concise que possible ? Nous avons soutenu le processus qui a conduit aux accords de Dayton et je rappelle d'ailleurs que le plan de paix qui a été retenu à cette occasion et signé ensuite lors de la Conférence de Paris ressemble de très très près à ce qu'on avait appelé en 1993 l'initiative Kinkel-Juppé et qui était devenue ensuite le plan de l'Union européenne. Qu'il s'agisse des aspects territoriaux ou des aspects institutionnels, on est tout à fait dans la même ligne et dans la même philosophie. On peut simplement regretter qu'il ait fallu deux ans de plus, deux ans de trop, pour parvenir à cet accord. Aujourd'hui il semble d'après les informations dont nous disposons, vous et moi, que sur le terrain, ces accords de paix se mettent en place de façon relativement satisfaisante. La France y participe, vous savez, par la présence de ses soldats au sein de l'IFOR. Nous sommes donc déterminés à continuer à contribuer à la mise en oeuvre de ces accords. J'ajouterai deux remarques, la première pour dire que nous sommes très attachés à ce que le Tribunal international puisse fonctionner et à ce que les criminels de guerre puissent être traduits devant ce tribunal pour y être jugés. Deuxième remarque pour dire que nous souhaitons bien entendu que l'Union européenne, avec les autres grands partenaires mondiaux, puissent participer à la reconstruction de l'ex-Yougoslavie et plus particulièrement de la Bosnie.
L'Europe apportera sa part et les autres doivent également apporter leur part.
UEM - Critères de convergence - Déficits publics
Q - Monsieur Juppé, quand nous vous avons posé la question de l'entrée en vigueur de l'Union économique et monétaire vous aviez dit que vous ne vouliez pas vous lancer dans des spéculations sur l'hypothèse où les critères ne pourraient pas être respectés. C'est également la politique déclarée du gouvernement fédéral allemand ; j'aimerais savoir ce qui, selon vous, se passera en 1999. Vous avez dit ce matin dans l'interview que vous avez publiée que le monde ne s'écroulerait pas pour autant, néanmoins pouvez-vous nous dire ce qui se passera au cas où cela ne se produirait pas ?
R - Non, je ne veux vous parler que du cas où ça se produira. C'est tout de même extraordinaire que l'on veuille se mettre dans un cas de figure où cela ne pourrait pas marcher, c'est une conduite d'échec. Moi, je me mets dans un cas de figure où ça marche. La France avait dit : nous réduirons nos déficits publics à 5 % du PIB en 1995. Nous avons réussi. Les chiffres dont nous disposons aujourd'hui montrent que s'agissant du budget de l'Etat et des autres éléments qui sont pris en considération pour le calcul de ce critère, nous avons réussi.
Nous avons maintenant un objectif 96 de 4 %, il est ambitieux, nous nous sommes donné les moyens d'y parvenir, et de 3 % en 1997. Donc je me place dans ce cas de figure-là et je ne veux pas commencer à envisager ce qui se passerait si ça ne marchait pas.
Il faut bien essayer de se placer du côté de l'opinion publique. A l'heure actuelle, on ne lui parle que de ce qui pourrait arriver si ça ne marchait pas. Je trouve que l'on devrait davantage parler de ce qui arrivera si ça marche. La stabilité qui se produira, les effets bénéfiques sur la croissance, les effets bénéfiques sur l'emploi, c'est cela le message que je veux délivrer aujourd'hui et non pas un message de doute ou de scepticisme. Je voudrais ajouter par ailleurs que s'agissant de la situation de l'économie française - je sais qu'on est toujours beaucoup plus pessimiste à l'intérieur d'un pays qu'à l'extérieur, chez ses voisins - je voudrais dire qu'elle comporte des éléments tout à fait positifs aujourd'hui. Le franc est stable, l'inflation est au niveau historiquement le plus bas que nous ayons jamais connu, elle est sans doute encore inférieure à ce que disent les statistiques officielles, notre commerce extérieur dégagera sur l'année 1995 ou a dégagé sur l'année 1995, un excédent également historique.
Nos entreprises sont saines. Voilà les éléments positifs. Il y a des éléments négatifs bien sûr, un moral qui n'est pas tout à fait ce qu'il devrait être, une croissance qui a fléchi et un taux de chômage qui dérape. Mais nous allons nous attaquer à tout cela pour redonner dans les mois qui viennent un nouveau rebond à notre activité économique. Donc, je voudrais que vous reteniez de cette brève rencontre, plus un message de confiance et d'optimisme qu'un message d'interrogation sur les catastrophes qui nous attendent demain.
France-Algérie - Conférence de Barcelone - Terrorisme international
Q - Monsieur le Premier ministre, la situation en Algérie est de plus en plus critique.
Qu'en est-il des retombées sur la sécurité intérieure en France ? Deuxièmement, avez-vous évoqué avec le Chancelier la possibilité de mettre au point une sorte de concept concernant l'ensemble de situation dans le bassin méditerranéen ?
R - Sur ce dernier point, notre concept existe et nous l'avons présenté à Barcelone lors de la Conférence euro-méditerranéenne, qui a été un succès du fait même de la très large participation obtenue de tous les pays méditerranéens, et qui a tracé des pistes. Notre concept, il est là, nous allons maintenant patiemment le concrétiser. En ce qui concerne la situation en Algérie, vous dites qu'elle est de plus en plus critique. Il m'est difficile de vous démentir après le tragique attentat qui s'est produit hier et que nous condamnons bien sûr sévèrement. Cela dit, depuis les élections présidentielles qui avaient incontestablement donné au pouvoir algérien une légitimité démocratique compte tenu des conditions dans lesquelles elles se sont passées, il y avait eu des progrès dans le sens de l'organisation d'un véritable dialogue démocratique en Algérie. Je souhaite donc que ce soit dans cette voie que l'on continue en Algérie. En ce qui concerne les répercussions en France, nous avons, depuis les attentats de l'été dernier, porté des coups très rudes aux réseaux terroristes islamistes qui étaient installés dans notre pays. Nous en avons démantelé plusieurs et grâce à l'action à la fois de nos forces de police et de nos autorités judiciaires, nous poursuivons cette politique car il n'est pas question de laisser la France se transformer en une sorte de base arrière du terrorisme islamiste, ou du terrorisme quel qu'il soit d'ailleurs.
UEM - Rénovation de l'OTAN
Q - Monsieur le Premier ministre, j'ai deux questions à vous poser. D'abord en ce qui concerne l'Union économique et monétaire, vous avez dit qu'il fallait absolument que l'on respecte tant les critères de convergence que le calendrier. Dois-je en conclure que, si nécessaire, la France est prête à conclure cette Union économique et monétaire uniquement avec l'Allemagne si les autres pays ne sont pas prêts ? Deuxième question à propos de l'OTAN, vous avez parlé de nouveaux membres éventuels : quels seraient les pays qui pourraient, selon vous, devenir membres et ceux qui en seraient exclus ?
R - Sur le premier point, les traités là aussi prévoient les choses de manière très précise. On sait ce qui se passera en 1999, il faut un certain nombre de pays et puis si des pays n'étaient pas au rendez-vous, d'autres échéances sont prévues dans le Traité. Donc ce n'est pas avec l'Allemagne seule que l'Union économique et monétaire est prévue dans le Traité de Maastricht. J'ajoute que plusieurs autres pays, j'en suis sûr, seront au rendez-vous de 1998/99, y compris certains qui critiquent aujourd'hui beaucoup l'Union économique et monétaire,mais qui se préparent à monter dans le train dans l'hypothèse que je crois la plus probable où les choses fonctionneraient.
En ce qui concerne l'Alliance atlantique, notre position constante - et c'est également celle de l'ensemble de nos partenaires européens -, a été de dire que les pays qui avaient vocation à entrer dans l'Union européenne - nous en avons dressé la liste, il y en a une douzaine -, ces pays avaient également vocation à entrer dans l'Alliance atlantique. Donc la liste, là aussi, est dressée et connue. J'ajouterai simplement sur cette question que tout autant que l'élargissement de l'Alliance, ce qui nous paraît important aujourd'hui c'est sa rénovation et sa modernisation. Elle ne peut plus être exactement ce qu'elle était avant 1989, elle doit évoluer, elle doit évoluer en particulier pour que les Européens y affirment davantage leur identité et leur présence et c'est dans cet esprit d'ailleurs que la France a pris les initiatives que vous connaissez au mois de décembre dernier pour être plus présents dans l'Alliance atlantique, mais dans la perspective de cette rénovation et de cette modernisation de l'Alliance.
UEM
Q - Dans votre interview à "die Welt", vous avez dit que de nombreuses personnes étaient intéressées par un échec de l'Union économique et monétaire. J'aimerais bien vous entendre dire à qui vous pensez. S'agit-il de personnes à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Europe ?
R - J'allais dire que je fais suffisamment confiance à votre sagacité journalistique pour que vous meniez l'enquête, que vous débusquiez les adversaires de l'Union économique et monétaire. Je me bornerai à dire, par exemple, que tous ceux qui gagnent de l'argent en spéculant sur les mouvements de change entre les monnaies, ont intérêt à ce que ces mouvements de spéculation continuent : cela va de soi que l'espace de stabilité monétaire les prive de ce genre d'opération. Vous savez, ma culture politique est une culture gaulliste. Je me suis engagé en politique parce que j'avais pour le général de Gaulle et ce qu'il représente une grande fascination. En matière économique, le Général de Gaulle n'avait pas une pensée extrêmement précise. Il avait quelques points de référence forts, parmi ces points de référence forts, celui selon lequel la stabilité des changes entre les monnaies est un élément de croissance et de prospérité, alors que le désordre monétaire est un élément de confusion. Bien, je suis attaché à cette vision, sur la stabilité des monnaies en Europe et aussi à l'intérieur du système monétaire international.
(Source http://www.doc.diplomatie.gouv.fr, le 7 novembre 2002)