Texte intégral
Q- D. de Villepin vous a-t-il, vous aussi, réinvitée à Matignon ?
R- Non, pas pour l'instant.
Q- S'il vous invitait, comme vendredi, est-ce que vous iriez, vous ?
R- Bien sûr. Nous sommes toujours prêts, au Medef, à discuter des solutions qui pourraient nous permettre de sortir de cette crise.
Q- Pour lui dire ou pour lui recommander quoi, si vous y alliez ?
R- Le Mouvement des entreprises de France estime qu'il est temps aujourd'hui de discuter dans notre pays de toutes les flexibilités et de toutes les précarités. Et nous avons proposé d'ouvrir un large débat, qui pourrait éventuellement conduire à des négociations, dans lequel on ferait un état des lieux de ce qui se passe et on essaierait ensemble de dégager des pistes dans ce débat-là. Il s'agit d'abord de dépasser la simple question du CPE. Le CPE est un enjeu parmi beaucoup d'autres.
Q- Oui, ça, c'est pour beaucoup plus tard, dans quelques semaines. La CGT, la CFDT, F. O. refusent pour l'instant de répondre à la nouvelle invitation du Premier ministre. On est en plein monologue de sourds. Ce matin, est-ce qu'au nom du Medef vous appelez, pour sortir de la crise et pour l'apaisement social, à une solution ? Et c'est une solution sociale ou une solution politique ?
R- Nous souhaitons que les fils de la discussion et du dialogue se renouent. Pour cela, il y a des questions de forme, il y a des questions de fond pour qu'il y ait un dialogue. On dialogue, on le sait, c'est une discussion à deux. Alors, les questions de forme, je crois qu'il faut faire attention à ce qu'il n'y ait pas, d'un côté, des ultimatums, et faire attention, de l'autre, à éviter aussi les humiliations. Au bout de deux mois et demi de crise, on remarque qu'il y a eu des maladresses certainement de part et d'autre. Puis quant à la question de fond, il s'agit peut-être de reposer toute la dimension du problème. Quel est l'objectif ? L'objectif, c'est de faire baisser le chômage en France. L'objectif aussi, c'est d'essayer de comprendre ce qui se passe, pourquoi nous avons un sur chômage des jeunes en France.
Q- Ça, c'est la question générale, mais là, aujourd'hui, c'est une journée grave. A Douai, N. Sarkozy a suggéré par exemple de négocier et, pour cela, de suspendre le CPE. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette suggestion que d'autres font aussi ?
R- C'est au Premier ministre et à la représentation nationale de se prononcer sur cette question. Aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui réfléchissent, des experts dans les relations sociales qui émettentdifférents scénarios, différentes hypothèses. L'un d'entre eux estime qu'il serait bon qu'il y ait des réunions bilatérales peut-être, par exemple, avec le ministre des Affaires sociales, J.-L. Borloo. Bilatérales, ça veut dire avec chaque syndicat de salariés, avec les syndicats d'étudiants aussi.
Q- Et s'ils refusent d'y aller, même chez monsieur Borloo ?
R- Peut-être qu'aujourd'hui, il était difficile pour les syndicats d'accepter la proposition du Premier ministre, même si je le regrette, mais je ne suis pas sûre qu'ils refuseront longtemps de renouer les fils du dialogue. Je pense qu'il serait bon de faire ainsi un système de réunions bilatérales et, ensuite, au Gouvernement de faire la synthèses des propositions.
Q- Donc d'attendre ? Par exemple, le 15 mars, vous disiez vous mêmes : " Il n'est pas raisonnable de demander le retrait ou la suspension du CPE ", vous vous en souvenez ? Est-ce que la phrase est toujours valable ce matin ?
R- Ecoutez, il n'était pas raisonnable de le demander sous forme d'ultimatum par les organisations syndicales...
Q- Donc, si on le demande gentiment, c'est mieux.
R- Il n'est pas raisonnable de le demander sous forme d'ultimatum face à une situation, à une loi qui a été votée par la représentation nationale. Ça, c'est une chose, je ne reviens pas là-dessus. Maintenant, il va se passer d'autres choses. D'abord, nous attendons tous la décision du Conseil constitutionnel pour la fin de la semaine. Ça, c'est un moment important. Et, en attendant, il n'est pas interdit, encore une fois, de renouer les fils du dialogue petit à petit, je dirais point par point s'il le faut.
Q- L. Parisot, le courage politique et j'ai envie de dire moral aujourd'hui, est-ce que c'est de maintenir et de corriger ou, sous la pression, de renoncer ?
R- On demande souvent ce qui différencie le management ou la conduite d'affaires publiques selon qu'elles sont menées par des hommes ou des femmes. Moi, je vous dirai une chose que je ressens particulièrement en ce moment, c'est que peut-être une femme n'est pas jusqu'au-boutiste. Je pense qu'il faut faire attention. En ce moment, nous sommes arrivés à un point de tension, de crise extrêmement aiguë qui est dangereux pour l'ensemble de notre pays. C'est dangereux pour notre économie, c'est terriblement dangereux pour notre image. Je ne sais pas comment vous dire à quel point nous recevons, nous, au Medef, des appels ou des visites de représentants de différents pays de l'Union européenne ou même au-delà qui nous font part de leur inquiétude pour notre pays,mais qui, du coup aussi, voient notre pays comme un pays qui n'entre pas dans la modernité. Donc, notre réputation est en jeu. Eh bien, quand nous sommes dans des moments aussi inquiétants, je crois...
Q- Le courage est de faire quoi ?
R- Je crois que le courage est d'avoir une attitude modérée, méthodique et de reprendre encore une fois les différents sujets doucement, pas à pas, et de rediscuter.
Q- Quelle que soit la méthode, est-ce que le Medef ce matin s'engage, par exemple, à utiliser le CPE s'il existe, c'est-à-dire à embaucher vite ?
R- Le Medef a toujours dit qu'il considérait le CPE comme un outil de plus. D'abord, je vous rappelle que, nous, nous souhaitions avant tout l'extension du contrat "nouvelles embauches". Pourquoi ? Ça, c'est très important. Parce que nous pensons que notre pays, dans son intérêt économique général, doit faire un effort de flexibilité, mais cet effort, il doit être équitablement réparti. Je ne suis pas sûre qu'il soit juste que cet effort de flexibilité repose exclusivement sur une catégorie de la population, à savoir les moins de 26 ans.
Q- Attendez. Je repose la question. Est-ce que vous encouragez les chefs d'entreprise à signer, s'il existe, le CPE ?
R- A chaque fois que le CPE pourrait permettre à un chef d'entreprise de créer un emploi qu'il n'aurait peut-être pas créé, pourquoi pas ? Utilisons le CPE.
Q- Alors, est-ce les chefs d'entreprise peuvent réduire la période d'essai de deux ans à moins ? Puisque monsieur Mariton, qui est proche de D. de Villepin, disait : " On peut aménager deux points, etc. " Que feraient les chefs d'entreprise ?
R- Vous savez que, de toute façon, au moment du recrutement d'une personne, un chef d'entreprise peut toujours réduire la période d'essai, et il est fort probable que des chefs d'entreprise qui, notamment dans les petites entreprises en ce moment, recrutent par CNE, réduisent la période d'essai, et que ceux qui seraient amenés plus tard à recruter par CPE seraient également amenés à réduire la période d'essai.
Q- Et le deuxième point, peuvent-ils motiver le licenciement d'un jeune, disons par un entretien, un formulaire, par des garanties, par une marque de respect ?
R- Les chefs d'entreprise ont très envie de bien se faire comprendre des nouvelles générations, et ils ont surtout le désir que ceux qui aujourd'hui se posent la question de leur avenir professionnel comprennent que l'entreprise est un lieu qu'ils peuvent aimer. Et donc, la marque de respect, c'est quelque chose qui est tout à fait naturel dans le management des chefs d'entreprise. Nous ne sommes pas du tout réticents à ce qu'on puisse définir des modalités, des types, je dirais de motifs de licenciement. Mais la question qui se pose, c'est ce qui se passe après. Pourquoi est-ce qu'on demande une simplification ? Pourquoi un allègement ? Pourquoi cet assouplissement, pour reprendre le vocabulaire qui est souvent utilisé ? Parce que, aujourd'hui, dans notre pays, le licenciement est un traumatisme. C'est un traumatisme pour tout le monde : pour celui qui est licencié, mais aussi pour l'employeur parce que ça se finit presque toujours mal, par une procédure très longue, très coûteuse.
Q- Alors, L. Parisot ?
R- Donc, ce qu'il faut définir, pas simplement dans le cas du CPE, mais d'une manière générale pour tous les contrats de travail, c'est une simplification des motifs. Moi, je suis tout à fait d'accord pour qu'on exprime les motifs, mais qu'il y ait...
Q- Par écrit ?
R- Bien sûr. Mais qu'il y ait moins d'aléas ensuite, notamment judiciaires, qui fait que, pendant un an, deux ans, le chef d'entreprise et la personne qui est amenée à quitter l'entreprise sont dans l'incertitude.
Q- Il y a quelques temps, vous dénonciez l'Etat illisible. Aujourd'hui, est-ce que ce n'est pas le Medef, pardon de vous le dire, qui est illisible ? Est-ce qu'il n'est pas assis entre deux chaises ?
R- Je ne crois pas. Nous sommes totalement lisibles dans notre demande de flexibilité. Nous considérons qu'il est dans l'intérêt de tous dans notre pays que le marché du travail en France soit plus fluide. Ça permettrait d'investir, donc d'embaucher, et ça permettrait très clairement de réduire significativement le chômage. Mais nous disons aussi, encore une fois, que cet effort de réforme, qui est un véritable changement, une révolution culturelle pour les Français, il doit être progressif, il doit être expliqué, l'effort de pédagogie doit être là, et nous disons aussi - et j'ai toujours été, pardonnez-moi, mais très lisible sur le sujet - que ça doit se faire dans le respect du dialogue social.
Q- Est-ce que c'est le cas ?
R- Eh bien, on a bien vu, jusqu'à aujourd'hui, qu'il n'y a peut-être pas eu assez de travail en commun avec les partenaires sociaux dans la préparation de ce contrat du CPE.
Q- Vous parlez de réforme et de la nécessité de souplesse, etc. Pour que les Français acceptent les réformes, qu'ils se libèrent de leur conservatisme, qu'ils épousent le siècle, le XXIème, est-ce qu'il faut, comme le disait le général de Gaulle, remuer, comme on le fait en ce moment, la chienlit ?
R- Je crois que les Français sont beaucoup plus capables d'accepter la réforme que ce qu'on dit, et y compris ce qui se passe aujourd'hui ne me met pas du tout d'inquiétude sur, au contraire, l'adaptabilité et même l'envie qu'ont les Français d'avancer. Vous savez, toutes les entreprises françaises, des très petites aux très grandes, ont fait les efforts de réforme, même les entreprises publiques ont fait des gigantesques efforts de réforme ces dernières années pour être dans le coup, pour être compétitives, pour être modernes. Donc, il y a un certain nombre de choses sur lesquels il faut encore faire des efforts. Il faut se dire que notre modèle social, si on veut en garder ses traits spécifiquement français, il doit en même temps s'adapter à la mondialisation, mais moi je crois que c'est tout à fait possible.
Q- Il y a un livre qu'on peut recommander qui est de la sociologue D. Meda : " Faut-il brûler le modèle social français ? " Elle donne l'exemple de l'Europe du Nord, allier la compétitivité à la solidarité, la flexibilité, la formation continue, la prévention des risques, le développement de la recherche, la réforme de l'université, plus autonome, et de l'école. Quand on pense que près de 60.000 jeunes interrompent leurs études après la troisième ou le CAP, que près de 160.000 sortent du système scolaire sans qualification, on peut se dire que, dans la manifestation d'aujourd'hui, il y en a certains qui défilent contre eux-mêmes.
R- Je crois que vous venez de dire des choses tout à fait importantes. Nous avons dévalorisé en France, depuis près de 20 ans, le travail manuel alors qu'aujourd'hui il y a des besoins gigantesques dans certains secteurs de l'économique, comme la construction, l'hôtellerie, qui seraient prêts à embaucher. Mais nous n'avons pas su orienter ces jeunes qui sortent prématurément du système scolaire vers ce type de formations. Le gouvernement, en encourageant l'apprentissage, va tout à fait dans la bonne voie. Il faut amplifier ce mouvement, c'est la meilleure façon de réduire le sur chômage des jeunes.
Q- En quittant ce studio, vous allez rejoindre, avec d'autres chefs d'entreprise et à la tête du Medef, le roi Juan Carlos ; il y a des entretiens sur le plan économique. J'ai envie de dire qui pourra nous libérer de nos peurs et nous aider à regarder l'Europe et la mondialisation sans claquer des dents ? Vous croyez que c'est J. Chirac ? D. de Villepin ? N. Sarkozy ? La gauche ?
R- Eh bien, ça ne sera certainement pas une personne que je vais vous donner comme réponse. Je crois que les débats actuels nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe et peut-être de surmonter nos dernières inquiétudes.
Q- Alors, que cette journée soit bonne, L. Parisot. Quelle inspire vite les vraies et les bonnes décisions, n'est-ce pas ?
R- Eh bien, je ne peux qu'espérer également la même chose.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 mars 2006
R- Non, pas pour l'instant.
Q- S'il vous invitait, comme vendredi, est-ce que vous iriez, vous ?
R- Bien sûr. Nous sommes toujours prêts, au Medef, à discuter des solutions qui pourraient nous permettre de sortir de cette crise.
Q- Pour lui dire ou pour lui recommander quoi, si vous y alliez ?
R- Le Mouvement des entreprises de France estime qu'il est temps aujourd'hui de discuter dans notre pays de toutes les flexibilités et de toutes les précarités. Et nous avons proposé d'ouvrir un large débat, qui pourrait éventuellement conduire à des négociations, dans lequel on ferait un état des lieux de ce qui se passe et on essaierait ensemble de dégager des pistes dans ce débat-là. Il s'agit d'abord de dépasser la simple question du CPE. Le CPE est un enjeu parmi beaucoup d'autres.
Q- Oui, ça, c'est pour beaucoup plus tard, dans quelques semaines. La CGT, la CFDT, F. O. refusent pour l'instant de répondre à la nouvelle invitation du Premier ministre. On est en plein monologue de sourds. Ce matin, est-ce qu'au nom du Medef vous appelez, pour sortir de la crise et pour l'apaisement social, à une solution ? Et c'est une solution sociale ou une solution politique ?
R- Nous souhaitons que les fils de la discussion et du dialogue se renouent. Pour cela, il y a des questions de forme, il y a des questions de fond pour qu'il y ait un dialogue. On dialogue, on le sait, c'est une discussion à deux. Alors, les questions de forme, je crois qu'il faut faire attention à ce qu'il n'y ait pas, d'un côté, des ultimatums, et faire attention, de l'autre, à éviter aussi les humiliations. Au bout de deux mois et demi de crise, on remarque qu'il y a eu des maladresses certainement de part et d'autre. Puis quant à la question de fond, il s'agit peut-être de reposer toute la dimension du problème. Quel est l'objectif ? L'objectif, c'est de faire baisser le chômage en France. L'objectif aussi, c'est d'essayer de comprendre ce qui se passe, pourquoi nous avons un sur chômage des jeunes en France.
Q- Ça, c'est la question générale, mais là, aujourd'hui, c'est une journée grave. A Douai, N. Sarkozy a suggéré par exemple de négocier et, pour cela, de suspendre le CPE. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette suggestion que d'autres font aussi ?
R- C'est au Premier ministre et à la représentation nationale de se prononcer sur cette question. Aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui réfléchissent, des experts dans les relations sociales qui émettentdifférents scénarios, différentes hypothèses. L'un d'entre eux estime qu'il serait bon qu'il y ait des réunions bilatérales peut-être, par exemple, avec le ministre des Affaires sociales, J.-L. Borloo. Bilatérales, ça veut dire avec chaque syndicat de salariés, avec les syndicats d'étudiants aussi.
Q- Et s'ils refusent d'y aller, même chez monsieur Borloo ?
R- Peut-être qu'aujourd'hui, il était difficile pour les syndicats d'accepter la proposition du Premier ministre, même si je le regrette, mais je ne suis pas sûre qu'ils refuseront longtemps de renouer les fils du dialogue. Je pense qu'il serait bon de faire ainsi un système de réunions bilatérales et, ensuite, au Gouvernement de faire la synthèses des propositions.
Q- Donc d'attendre ? Par exemple, le 15 mars, vous disiez vous mêmes : " Il n'est pas raisonnable de demander le retrait ou la suspension du CPE ", vous vous en souvenez ? Est-ce que la phrase est toujours valable ce matin ?
R- Ecoutez, il n'était pas raisonnable de le demander sous forme d'ultimatum par les organisations syndicales...
Q- Donc, si on le demande gentiment, c'est mieux.
R- Il n'est pas raisonnable de le demander sous forme d'ultimatum face à une situation, à une loi qui a été votée par la représentation nationale. Ça, c'est une chose, je ne reviens pas là-dessus. Maintenant, il va se passer d'autres choses. D'abord, nous attendons tous la décision du Conseil constitutionnel pour la fin de la semaine. Ça, c'est un moment important. Et, en attendant, il n'est pas interdit, encore une fois, de renouer les fils du dialogue petit à petit, je dirais point par point s'il le faut.
Q- L. Parisot, le courage politique et j'ai envie de dire moral aujourd'hui, est-ce que c'est de maintenir et de corriger ou, sous la pression, de renoncer ?
R- On demande souvent ce qui différencie le management ou la conduite d'affaires publiques selon qu'elles sont menées par des hommes ou des femmes. Moi, je vous dirai une chose que je ressens particulièrement en ce moment, c'est que peut-être une femme n'est pas jusqu'au-boutiste. Je pense qu'il faut faire attention. En ce moment, nous sommes arrivés à un point de tension, de crise extrêmement aiguë qui est dangereux pour l'ensemble de notre pays. C'est dangereux pour notre économie, c'est terriblement dangereux pour notre image. Je ne sais pas comment vous dire à quel point nous recevons, nous, au Medef, des appels ou des visites de représentants de différents pays de l'Union européenne ou même au-delà qui nous font part de leur inquiétude pour notre pays,mais qui, du coup aussi, voient notre pays comme un pays qui n'entre pas dans la modernité. Donc, notre réputation est en jeu. Eh bien, quand nous sommes dans des moments aussi inquiétants, je crois...
Q- Le courage est de faire quoi ?
R- Je crois que le courage est d'avoir une attitude modérée, méthodique et de reprendre encore une fois les différents sujets doucement, pas à pas, et de rediscuter.
Q- Quelle que soit la méthode, est-ce que le Medef ce matin s'engage, par exemple, à utiliser le CPE s'il existe, c'est-à-dire à embaucher vite ?
R- Le Medef a toujours dit qu'il considérait le CPE comme un outil de plus. D'abord, je vous rappelle que, nous, nous souhaitions avant tout l'extension du contrat "nouvelles embauches". Pourquoi ? Ça, c'est très important. Parce que nous pensons que notre pays, dans son intérêt économique général, doit faire un effort de flexibilité, mais cet effort, il doit être équitablement réparti. Je ne suis pas sûre qu'il soit juste que cet effort de flexibilité repose exclusivement sur une catégorie de la population, à savoir les moins de 26 ans.
Q- Attendez. Je repose la question. Est-ce que vous encouragez les chefs d'entreprise à signer, s'il existe, le CPE ?
R- A chaque fois que le CPE pourrait permettre à un chef d'entreprise de créer un emploi qu'il n'aurait peut-être pas créé, pourquoi pas ? Utilisons le CPE.
Q- Alors, est-ce les chefs d'entreprise peuvent réduire la période d'essai de deux ans à moins ? Puisque monsieur Mariton, qui est proche de D. de Villepin, disait : " On peut aménager deux points, etc. " Que feraient les chefs d'entreprise ?
R- Vous savez que, de toute façon, au moment du recrutement d'une personne, un chef d'entreprise peut toujours réduire la période d'essai, et il est fort probable que des chefs d'entreprise qui, notamment dans les petites entreprises en ce moment, recrutent par CNE, réduisent la période d'essai, et que ceux qui seraient amenés plus tard à recruter par CPE seraient également amenés à réduire la période d'essai.
Q- Et le deuxième point, peuvent-ils motiver le licenciement d'un jeune, disons par un entretien, un formulaire, par des garanties, par une marque de respect ?
R- Les chefs d'entreprise ont très envie de bien se faire comprendre des nouvelles générations, et ils ont surtout le désir que ceux qui aujourd'hui se posent la question de leur avenir professionnel comprennent que l'entreprise est un lieu qu'ils peuvent aimer. Et donc, la marque de respect, c'est quelque chose qui est tout à fait naturel dans le management des chefs d'entreprise. Nous ne sommes pas du tout réticents à ce qu'on puisse définir des modalités, des types, je dirais de motifs de licenciement. Mais la question qui se pose, c'est ce qui se passe après. Pourquoi est-ce qu'on demande une simplification ? Pourquoi un allègement ? Pourquoi cet assouplissement, pour reprendre le vocabulaire qui est souvent utilisé ? Parce que, aujourd'hui, dans notre pays, le licenciement est un traumatisme. C'est un traumatisme pour tout le monde : pour celui qui est licencié, mais aussi pour l'employeur parce que ça se finit presque toujours mal, par une procédure très longue, très coûteuse.
Q- Alors, L. Parisot ?
R- Donc, ce qu'il faut définir, pas simplement dans le cas du CPE, mais d'une manière générale pour tous les contrats de travail, c'est une simplification des motifs. Moi, je suis tout à fait d'accord pour qu'on exprime les motifs, mais qu'il y ait...
Q- Par écrit ?
R- Bien sûr. Mais qu'il y ait moins d'aléas ensuite, notamment judiciaires, qui fait que, pendant un an, deux ans, le chef d'entreprise et la personne qui est amenée à quitter l'entreprise sont dans l'incertitude.
Q- Il y a quelques temps, vous dénonciez l'Etat illisible. Aujourd'hui, est-ce que ce n'est pas le Medef, pardon de vous le dire, qui est illisible ? Est-ce qu'il n'est pas assis entre deux chaises ?
R- Je ne crois pas. Nous sommes totalement lisibles dans notre demande de flexibilité. Nous considérons qu'il est dans l'intérêt de tous dans notre pays que le marché du travail en France soit plus fluide. Ça permettrait d'investir, donc d'embaucher, et ça permettrait très clairement de réduire significativement le chômage. Mais nous disons aussi, encore une fois, que cet effort de réforme, qui est un véritable changement, une révolution culturelle pour les Français, il doit être progressif, il doit être expliqué, l'effort de pédagogie doit être là, et nous disons aussi - et j'ai toujours été, pardonnez-moi, mais très lisible sur le sujet - que ça doit se faire dans le respect du dialogue social.
Q- Est-ce que c'est le cas ?
R- Eh bien, on a bien vu, jusqu'à aujourd'hui, qu'il n'y a peut-être pas eu assez de travail en commun avec les partenaires sociaux dans la préparation de ce contrat du CPE.
Q- Vous parlez de réforme et de la nécessité de souplesse, etc. Pour que les Français acceptent les réformes, qu'ils se libèrent de leur conservatisme, qu'ils épousent le siècle, le XXIème, est-ce qu'il faut, comme le disait le général de Gaulle, remuer, comme on le fait en ce moment, la chienlit ?
R- Je crois que les Français sont beaucoup plus capables d'accepter la réforme que ce qu'on dit, et y compris ce qui se passe aujourd'hui ne me met pas du tout d'inquiétude sur, au contraire, l'adaptabilité et même l'envie qu'ont les Français d'avancer. Vous savez, toutes les entreprises françaises, des très petites aux très grandes, ont fait les efforts de réforme, même les entreprises publiques ont fait des gigantesques efforts de réforme ces dernières années pour être dans le coup, pour être compétitives, pour être modernes. Donc, il y a un certain nombre de choses sur lesquels il faut encore faire des efforts. Il faut se dire que notre modèle social, si on veut en garder ses traits spécifiquement français, il doit en même temps s'adapter à la mondialisation, mais moi je crois que c'est tout à fait possible.
Q- Il y a un livre qu'on peut recommander qui est de la sociologue D. Meda : " Faut-il brûler le modèle social français ? " Elle donne l'exemple de l'Europe du Nord, allier la compétitivité à la solidarité, la flexibilité, la formation continue, la prévention des risques, le développement de la recherche, la réforme de l'université, plus autonome, et de l'école. Quand on pense que près de 60.000 jeunes interrompent leurs études après la troisième ou le CAP, que près de 160.000 sortent du système scolaire sans qualification, on peut se dire que, dans la manifestation d'aujourd'hui, il y en a certains qui défilent contre eux-mêmes.
R- Je crois que vous venez de dire des choses tout à fait importantes. Nous avons dévalorisé en France, depuis près de 20 ans, le travail manuel alors qu'aujourd'hui il y a des besoins gigantesques dans certains secteurs de l'économique, comme la construction, l'hôtellerie, qui seraient prêts à embaucher. Mais nous n'avons pas su orienter ces jeunes qui sortent prématurément du système scolaire vers ce type de formations. Le gouvernement, en encourageant l'apprentissage, va tout à fait dans la bonne voie. Il faut amplifier ce mouvement, c'est la meilleure façon de réduire le sur chômage des jeunes.
Q- En quittant ce studio, vous allez rejoindre, avec d'autres chefs d'entreprise et à la tête du Medef, le roi Juan Carlos ; il y a des entretiens sur le plan économique. J'ai envie de dire qui pourra nous libérer de nos peurs et nous aider à regarder l'Europe et la mondialisation sans claquer des dents ? Vous croyez que c'est J. Chirac ? D. de Villepin ? N. Sarkozy ? La gauche ?
R- Eh bien, ça ne sera certainement pas une personne que je vais vous donner comme réponse. Je crois que les débats actuels nous permettent de mieux comprendre ce qui se passe et peut-être de surmonter nos dernières inquiétudes.
Q- Alors, que cette journée soit bonne, L. Parisot. Quelle inspire vite les vraies et les bonnes décisions, n'est-ce pas ?
R- Eh bien, je ne peux qu'espérer également la même chose.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 mars 2006