Interview de MM. Charles Millon, président de Droite libérale chrétienne et Jean-Louis Borloo, porte-parole de l'UDF, à Europe 1 le 12 mars 2001, sur le résultat du premier tour des élections municipales, la réélection de J.L. Borloo à Valenciennes et sur la situation difficile de la droite à Lyon.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach J.-L. Borloo, vous êtes un des maires sortants le mieux réélu du premier tour avec plus de 63 %. Autrement dit, mieux vaut rester près des siens, en l'occurrence à Valenciennes, que de prendre des risques ailleurs que chez soi ?
J.-L. Borloo : "C'est une vieille règle de l'existence : on s'éloigne pour les vacances, mais pour le reste de l'année, on est mieux chez soi."
Est-ce que cette élection municipale est pour vous la victoire des sortants, de la proximité ou de la décentralisation ?
J.-L. Borloo : "C'est tout simplement que les Français, comme ce sont des municipales, s'occupent d'élire leurs équipes municipales. Ils se foutent royalement des commentaires généraux que l'on peut faire en termes politiques sur la droite ou la gauche. Quand les sortants, en gros, se sont occupés des gens - pour simplifier, ont fait vivre ensemble des gens différents, des quartiers différents, des religions différentes, il y a une forte prime. Et quand ils n'ont pas été bons, quand ils ne se sont pas occupés des gens, ils se font taper, que ce soit à gauche ou à droite. On voit des trucs très étonnants. Voyez Trautmann à Strasbourg : c'est vrai que l'état du quartier du Neuhof est un scandale donc elle se fait taper. Voyez, J. Lang - un grand personnage que je respecte beaucoup - : les quartiers de Blois, la ZUP Nord, 200 voitures brûlées l'année dernière ; il se fait taper. Il ne suffit pas d'être de gauche ou d'être de droite, il faut s'occuper vraiment des gens. Il n'y a pas de prime au sortant, il y a des équipes qui sont très fortement sanctionnées ou très fortement soutenues."
En même temps, Paris et la province sont deux choses complètement différentes.
J.-L. Borloo : "Non, je ne pense pas. Il y avait une équipe sortante - je n'ai pas à porter de jugement de valeur sur Paris - mais c'est vrai que ce maire a été mis en place par son propre camp, on a commencé à lui cracher dessus au bout de deux ans et l'essentiel de la campagne a été d'expliquer qu'il faut faire la rupture avec lui ! Normalement, il y a un truc qui ne doit pas arriver à un très bon résultat !"
Autrement dit, la logique pour J.-L. Borloo, c'est qu'il reste ?
J.-L. Borloo: "Non, je dis que les systèmes incohérents sont des systèmes coûteux. Quand un camp met quelqu'un en place, après 18 ans de connaissances, connaissant tout ce qui a été fait et qui favorise son boulot, c'est un système incohérent que de passer son temps à lui taper dessus."
Jusqu'au bout, P. Séguin rejette la fusion et propose un retrait réciproque - on l'appelle "républicain" - à Paris ou à Lyon, des listes les moins bien placées. Est-ce la meilleure stratégie pour garder Paris ?
J.-L. Borloo : "Pour garder Paris, je n'en sais fichtrement rien. Globalement, le renouvellement a été assez faible sur Paris. Ce ne sont pas les individus qui sont en cause. Où P. Séguin a tort, c'est avec la rupture, en crachant sur ses copains ; là où il a raison, c'est un nécessaire renouvellement des équipes."
La situation à Paris et en Corrèze, est-ce une défaite pour le Président de la République ?
J.-L. Borloo : "Autant on ne peut pas du tout nationaliser cette élection, autant la méthode de recrutement après la dissolution - après Delevoye, c'est M. Alliot-Marie qui sort... -, cela fait quelques erreurs de casting qui ne sont pas à son crédit. Cela dit, les présidentielles seront d'autres élections."
Et les ministres réélus ou en ballottage difficile ? Quatre battus ou futurs battus, est-ce une défaite pour le Premier ministre ?
J.-L. Borloo : "C'est un archaïsme absolu : Jospin pouvait dire qu'il avait un peu modernisé la vie politique de ce pays, avec le non-cumul des mandats. Et on voit réapparaître le truc le plus archaïque : on prend de jeunes ministres, spécialistes du Café de Flore ou de Lipp à Paris, qu'on envoie un peu comme des préfets en province, hommes ou femmes, qui arrivent de manière un peu condescendante vis-à-vis de ce brave maire de Montbéliard, de cette brave jeune femme d'Avignon... Cette espèce de mépris condescendant parisien ! Il faut que le PS fasse attention de ne pas tomber dans ce qui était en 1992 et 1993 : une espèce de suffisance de gauche caviar. C'est un peu cela ce qu'ils ont fait avec ces ministres et c'est cette méthode qui est sanctionnée."
Le fait d'avoir été réélu à Valenciennes à 63 %, cela vous donne-t-il des raisons d'être suffisant et condescendant à l'égard des autres, même de vos copains ?
J.-L. Borloo : "Non, en aucun cas. D'abord parce que nous sommes dans une histoire un peu particulière, une situation très difficile. La crise oblige à se serrer les coudes et le score est donc très lié à la situation de crise dans laquelle nous étions."
On va aller faire un tour à Lyon : C. Millon, croyez-vous, ce matin, pouvoir être le prochain maire de Lyon ?
C. Millon : "Je serai le prochain maire de Lyon parce que j'ai engagé une dynamique il y a maintenant un an, avec les Lyonnais, pour les Lyonnais. Et aujourd'hui, si rien ne s'oppose à la continuation de cette dynamique, demain, je serai maire de Lyon."
Vous êtes un peu optimiste. M. Mercier votre partenaire adversaire a proposé hier soir le retrait réciproque des listes arrivées en deuxième position et d'ailleurs, il a au passage tenu son propre engagement moral. Il n'était pas en tête, il est parti. Est-ce que vous retirez vos listes ?
C. Millon : "Deux réflexions : le retrait est la chronique d'une défaite annoncée. Deuxièmement, je n'ai pas personnellement demandé à M. Mercier de se retirer. Je lui demande de rester car dans un match on ne part pas à la mi-temps."
Lui avait promis de partir s'il n'était pas en tête. Il n'a fait que ce qu'il avait dit.
C. Millon : "Qu'il promette ou qu'il ne promette pas, c'est l'engagement vis-à-vis des électeurs qui compte. Les électeurs ont voté pour lui. On ne part pas en rase campagne."
Votre adversaire de droite refuse toute négociation ou accord qui aboutirait, comme vous le demandez, à des listes communes...
C. Millon : "Aujourd'hui, le problème n'est pas là. Le problème est que l'espoir a changé de camp, la gauche a perdu à Lyon. Aujourd'hui, la droite peut gagner Lyon. Et il n'y a qu'une seule solution pour que la droite puisse gagner Lyon : c'est la fusion des listes. Il suffit de prendre deux arrondissements - le 4ème et le 7ème - et d'en faire l'analyse pour constater qu'en dépit de tous les sondages mensongers publiés durant des semaines et des semaines, dans ces deux arrondissements, la droite peut gagner et à ce moment-là Lyon restera à droite."
Vous répétez "la fusion" ou "des listes communes." Vous savez que la droite modérée compte des réfractaires et qu'elle ne votera pas pour vous. Elle ne vous pardonne pas l'époque des régionales. Vous le savez ?
C. Millon : "La droite modérée ou la droite je ne sais comment vous la qualifiez, a été démentie par les électeurs hier soir. On annonçait en réalité une déroute de C. Millon. Et hier soir, cela a été en réalité le sacre des équipes qui m'ont entourées."
Vous ne croyez pas que faire fusionner à Lyon deux listes dont une ne veut pas fusionner, c'est faire gagner d'abord C. Collomb, c'est-à-dire la gauche ?
C. Millon : "La gauche était annoncée gagnante, Collomb devait être élu au premier tour dans le 9ème et il ne l'est pas. Deuxièmement, il fait un score qui a provoqué sa triste mine toute la soirée d'hier. Aujourd'hui, c'est clair, il y a deux listes, la liste Mercier, la liste Millon, elles sont à égalité, elles fusionnent et la dynamique continue ! On s'est préoccupé, comme vient de le dire J.-L. Borloo, des problèmes des Lyonnais, des attentes des Lyonnais, des espérances des Lyonnais. On n'est jamais allé demander nos ordres aux partis politiques à Paris. On a fait la liste des Lyonnais et il faut maintenant que la liste des Lyonnais l'emporte à Lyon."
Est-ce que les chefs nationaux des grands partis RPR, UDF et DL pourraient vous convaincre de vous retirer ?
C. Millon : "Non."
Est-ce qu'ils doivent intervenir ?
C. Millon : "Ils doivent intervenir pour faire gagner la droite à Lyon. Si véritablement ils sont inconscients au point de penser que des petites stratégies faites à Paris permettront de gagner Lyon, ils ont tort. Ils ont le devoir, je dis bien le devoir, d'écouter les Lyonnais qui à 80 % ou 100 %, à droite, veulent la fusion."
Ce n'est pas de l'obstination de votre part, pour des ambitions personnelles et locales ?
C. Millon : "C'est de l'obstination à Lyon et c'est de l'intelligence à Paris ? C'est ridicule ! Ecoutez M. Balladur !"
Chacun veut rester sur ses positions. Qui serait responsable de l'échec ?
C. Millon : "Ce sont ceux qui veulent le retrait. Le retrait, c'est la retraite des électeurs. Ils se retireront sur leur terres et nous en voudront très longtemps."
Vous vous croyez donc ce matin en passe de devenir le maire de Lyon ?
C. Millon : "Bien sûr."
Vous le trouvez pas optimiste ? Convaincant ou non ?
J.-L. Borloo : "Je ne pose le problème en ces termes. Je pense que l'histoire des régionales en Rhône-Alpes est un problème politique qui doit être traité politiquement. Il faut que C. Millon s'exprime clairement sur ce sujet-là. Je pense qu'effectivement il y a une légitimité, quand on fait 22 % à Lyon, ce n'est pas quand même tout à fait rien."
C'est presque 24 %.
C. Millon : "Ou 24 %. L'écart s'est considérablement réduit. J'attends de C. Millon un geste politique et pas une obstination individuelle."
Un geste politique ? C'est-à-dire ?
C. Millon : "J'ai eu une directive de la part de l'ancien maire de Lyon, R. Barre, qui a dit : il reste à C. Millon de reconquérir l'électorat républicain. Est-ce que d'avoir près de 25 % des voix correspond à la reconquête de l'électorat républicain ? Si on répond "oui" - ce que je pense -, je n'ai plus rien à dire. Je me suis expliqué quand il le fallait, j'ai tout dit quand il le fallait. Maintenant, je ne demande qu'une seule chose à mes amis : c'est qu'ils ne jouent pas à des femmes effarouchées et qu'ils acceptent qu'à Lyon, il y ait la liste des Lyonnais qui gagne."
On entend votre voix et votre position. Pour la droite en général, qu'est-ce qu'il faut faire ?
J.-L. Borloo : "Il faut très fortement continuer à renouveler les équipes et ne pas croire que l'avenir se fera par des structures politiques."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 13 mars 2001)