Texte intégral
Je commencerai par féliciter et remercier M. le président de la Commission des Affaires étrangères, pour avoir demandé et obtenu l'organisation de ce débat, qui est l'occasion de réfléchir ensemble sur la situation au Proche-Orient.
Le conflit israélo-palestinien est l'un des plus anciens et des plus douloureux de l'histoire contemporaine. Depuis soixante ans, sur cette terre, les périodes de répit alternent avec les escalades de violence, dont les populations sont toujours les premières victimes.
Personne n'a oublié les guerres israélo-arabes, le cortège des réfugiés palestiniens, l'occupation des Territoires en 1967, la survenue de l'Intifada et des attentats-suicide. En raison de cette situation inextricable, toute une série de questions reste en suspens : quel statut pour Jérusalem ? Quels droits pour les quatre millions de réfugiés palestiniens ? Quelles frontières pour Israël ? Quelles conditions pour la création d'un véritable Etat palestinien ?
La France et la communauté internationale sont plus que jamais résolues à agir pour un règlement juste et équitable, à travailler pour l'existence de deux Etats viables, vivant dans la paix et la sécurité. C'est là un impératif majeur, tant les implications politiques, économiques, culturelles et religieuses du conflit dépassent le cadre régional.
Si le conflit israélo-palestinien est l'un des plus anciens, c'est aussi parce que c'est l'un des plus complexes. Toutes les tentatives de solution ont reposé sur deux démarches parallèles : l'une consiste à définir les bases d'un accord acceptable par l'ensemble des parties ; l'autre vise à restaurer la confiance indispensable à la mise en oeuvre de cet accord.
Nous connaissons aujourd'hui les contours d'un accord définitif : les accords d'Oslo de 1993 et 1995, tout comme ceux de Wye Plantation en 1998 en ont fourni les bases ; les négociations menées à Camp David en l'an 2000, puis à Taba en 2001 ont permis de préciser le contenu d'un accord final ; la Feuille de route adoptée par le Quartet en 2003 détaille pour sa part les étapes de la négociation. Sur le fond, nous savons donc de quoi la paix pourrait être faite. Il n'en reste pas moins qu'aucun accord ne saurait aboutir sans la volonté politique pleinement assumée et exprimée par les deux parties.
Nous savons que la paix ne se construira ni dans la violence, ni par l'exclusion. L'esprit de responsabilité demeure la seule voie vers la paix, mais la satisfaction de cette exigence relève des seuls Israéliens et Palestiniens. L'immense majorité d'entre eux n'aspire d'ailleurs à rien d'autre qu'à vivre ensemble. Ils peuvent compter sur le soutien de la communauté internationale, dont l'implication à ce jour ne s'est jamais démentie, et en particulier sur la France et l'Union européenne qui n'ont pas ménagé leurs efforts pour favoriser les tentatives de réconciliation.
La situation actuelle présente de nouveaux défis, étant donné la victoire du Hamas aux élections législatives et la tentation unilatéraliste qui prévaut aujourd'hui en Israël, notamment depuis le désengagement de Gaza. Dans ce contexte difficile, la France et l'Union européenne ne sont pas démunies : leurs liens anciens dans la région leur confèrent aujourd'hui une capacité de proposition et d'action spécifique. Il importe d'utiliser et de mieux valoriser ces marges de manoeuvre.
Je souhaite vous exposer plus en détail la situation actuelle et les initiatives en faveur d'une sortie de crise, mais permettez-moi de rappeler au préalable les données de base qui expliquent la position spécifique de la France et de l'Union européenne. La France entretient des liens historiques et politiques étroits aussi bien avec les Israéliens qu'avec les Palestiniens, sans doute parce que notre pays est en Europe celui qui compte la plus grande communauté juive ainsi que la plus importante communauté arabo-musulmane.
Notre position est cependant claire : la résolution du conflit israélo-palestinien est la clé de la stabilité au Proche-Orient, et elle ne peut s'accomplir qu'en garantissant la sécurité d'Israël et en reconnaissant aux Palestiniens leur droit légitime à l'autodétermination.
Depuis la signature des accords d'Oslo, la France a oeuvré sans relâche en faveur de la création d'un Etat palestinien viable, vivant en paix aux côtés d'Israël. Elle avait d'ailleurs préconisé la création de cet Etat devant la Knesset dès 1982. Vingt ans plus tard, en juillet 2002, elle a été à l'origine de l'adoption par le Conseil européen de Séville d'une déclaration reconnaissant le droit des Palestiniens à édifier un Etat dans les frontières de 1967.
Notre pays est attaché à une position légaliste : nous plaidons pour que le conflit soit inscrit dans le cadre des résolutions pertinentes des Nations unies. Les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale forment en effet un corpus politique et juridique qui dessine les contours d'un règlement du conflit. Je pense à la résolution 181 de l'Assemblée générale, adoptée en 1947, qui définit le plan de partage de la Palestine, à la résolution 242 du Conseil de sécurité, adoptée le 22 novembre 1967 à la suite de la guerre des Six jours, ou à la résolution 1515 du Conseil de sécurité du 19 novembre 2003, qui approuve la Feuille de route du Quartet et demande aux parties de coopérer à sa mise en oeuvre pour parvenir à un règlement définitif du conflit.
Au-delà de la France, l'Union européenne joue un rôle considérable à l'égard du conflit, en raison de ses liens avec le Proche-Orient. Premier partenaire commercial d'Israël, loin devant les Etats-Unis, elle est aussi le premier investisseur en Israël et le premier contributeur aux actions de coopération, essentiellement dans les Territoires palestiniens, avec 280 millions d'euros pour la seule année 2004.
Sur le plan politique, son apport est tout aussi remarquable, comme en témoignent la continuité et la cohérence de ses prises de position, de la déclaration de Venise en 1980 à celle de Berlin en 1999. L'élargissement de l'Europe n'a fait que renforcer sa contribution, puisque c'est aux Européens que l'on doit, pour l'essentiel, l'institution du Quartet et la mise en oeuvre de la Feuille de route. L'Union a aussi joué un rôle majeur dans les réformes palestiniennes et le bon déroulement des dernières élections dans les Territoires. Elle réfléchit aujourd'hui à la mise en place d'un mécanisme d'aide internationale capable de porter assistance à la population palestinienne.
L'Union européenne a deux objectifs : traduire dans les faits la création d'un Etat palestinien viable et démocratique, et assurer la sécurité d'Israël. Ces objectifs la conduisent à promouvoir le développement de ses relations aussi bien avec Israël qu'avec l'Autorité palestinienne, et à fournir une aide humanitaire aux Territoires palestiniens.
Sur le plan stratégique, l'Union a développé des instruments spécifiques : le partenariat euro-méditerranéen, lancé à Barcelone en 1995, et la politique de "nouveau voisinage", lancée dans le cadre de l'élargissement, qui a permis la conclusion d'accords d'association renforcés avec Israël en 2000, comme avec les Territoires palestiniens en 1997. Quant au plan Solana, adopté le 5 novembre 2004, il prévoit des actions dans quatre domaines : la sécurité, les réformes de l'Autorité palestinienne, les élections et la reconstruction économique. L'Union a ainsi apporté son soutien à l'organisation des élections palestiniennes en 2005 et aux réformes engagées pour le renforcement de l'Etat de droit et au sein de l'administration. Elle a déployé sur le terrain, dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, des missions de soutien à la réforme de la police civile palestinienne et d'assistance au contrôle de la frontière à Rafah.
Toutes ces actions ont permis de nouvelles avancées : les accords d'Oslo, les négociations de Camp David et de Taba, où la paix semblait si proche, l'adoption de la Feuille de route, qui reste le seul plan de paix international reconnu par les deux parties et, à l'été 2005, le désengagement israélien de la bande de Gaza.
Si importantes soient-elles, ces avancées n'ont cependant pas suffi à mener le processus de paix à son terme. Le conflit est de nouveau dans l'impasse, après la victoire du Hamas aux élections législatives du 25 janvier et la formation d'un nouveau gouvernement palestinien, sans oublier la tentation de l'unilatéralisme qui prévaut en Israël depuis le désengagement de la bande de Gaza. Bref, la situation est très préoccupante. La violence est devenue quasi-quotidienne. Dans les Territoires palestiniens, le gouvernement dirigé par le Hamas campe sur son refus des principes du Quartet - renonciation à la violence et reconnaissance de l'Etat d'Israël et des accords passés entre Israël et l'OLP. Cette position regrettable nourrit des tensions inter-palestiniennes qui pourraient déboucher sur l'atomisation des Territoires et le délitement des institutions. Certes, un début de dialogue a pu s'instaurer entre les différentes parties palestiniennes, mais son issue reste incertaine. Quant au référendum proposé par le président Mahmoud Abbas, il peut aussi bien enrayer la crise que l'accélérer.
Israël souhaiterait donner sa chance à la négociation. Mais les tirs d'artillerie lourde en direction de zones habitées, avec leur cortège de victimes civiles palestiniennes, la poursuite de la colonisation, en particulier autour de Jérusalem, et l'achèvement programmé de la barrière de sécurité sur un tracé jugé illégal par la communauté internationale, continuent d'aviver les tensions sur le terrain.
Le manque de confiance entre les parties est aujourd'hui tel que l'hypothèse d'une négociation paraît problématique, du moins à court terme. L'unilatéralisme progresse dans les esprits, en Israël comme du côté palestinien. Cette position fait le lit de violences futures, au Proche-Orient comme sur le territoire européen.
Dans ce contexte difficile, la communauté internationale a le devoir d'agir. Elle doit d'abord éviter l'effondrement de l'Autorité palestinienne et l'aggravation de la situation humanitaire dans les Territoires. Le président de la République l'a clairement dit, l'aide internationale doit parvenir au peuple palestinien, pour des raisons humanitaires, mais aussi de justice. Il fallait agir pour empêcher une crise grave dans les Territoires, d'autant que la communauté internationale - et non le Hamas - en aurait été tenue pour responsable. Un mécanisme d'assistance temporaire a donc été défini par l'Union européenne, pour que les financements nécessaires parviennent aux Territoires. Il a recueilli l'agrément du Quartet, et le Conseil européen des 15 et 16 juin a donné son accord au déblocage d'un "paquet" d'une centaine de millions d'euros, montrant ainsi la détermination des Européens. Il permettra de verser aux Palestiniens trois types d'aides : des fournitures de base pour la santé et l'éducation, un approvisionnement en énergie et un "filet de protection sociale", sous la forme de paiements directs à des Palestiniens dans le besoin.
Je me réjouis que l'Union ait permis au Quartet de prendre cette décision, qui permettra en particulier de payer les fonctionnaires dans les hôpitaux. Ce mécanisme répond à des considérations à la fois stratégiques, économiques et morales. Si nous voulons relancer le processus de paix et promouvoir la création d'un Etat palestinien, les structures de l'Autorité palestinienne doivent être préservées. Nous devons aussi soutenir une population qui reste dépendante de l'assistance internationale. Enfin, il importe de ne pas exacerber les tensions et de préserver les partisans d'une ligne modérée au sein de la population palestinienne.
Tout cela n'induit cependant aucune inflexion de notre position politique vis-à-vis du Hamas et du gouvernement de l'Autorité palestinienne. Celui-ci doit adhérer aux trois principes posés par le Quartet, qui ne sont pas négociables.
La communauté internationale doit aussi favoriser une relance efficace et réaliste du processus de paix. Nous sommes aujourd'hui devant le double défi de l'absence totale de confiance entre les parties et de la tentation unilatéraliste. Les liens anciens de l'Union européenne dans la région lui confèrent cependant une capacité d'action spécifique. Pour préserver cette marge de manoeuvre, il faut maintenir une approche équilibrée et dynamique de la situation. L'Union doit redire clairement son refus du terrorisme. Elle doit également manifester son refus de tout unilatéralisme et rappeler son attachement à la négociation comme seul mode de règlement du conflit. La visite à Paris du Premier ministre Ehud Olmert, les 14 et 15 juin, a été l'occasion de rappeler ces exigences.
Il n'existe pas de solution unique à la crise actuelle, mais il y a un impératif : ramener les parties à la table de négociation. L'organisation d'une conférence internationale sur le statut final des Territoires palestiniens permettrait de relancer le dialogue. La France et l'Union européenne doivent être prêtes à promouvoir une telle initiative, qui offrirait un nouvel horizon politique aux Palestiniens et à Israël. Il faut en effet trouver une sortie à la crise actuelle, et nous entendons nous mobiliser à cette fin.
Plus que jamais, notre pays a le devoir, avec l'Union européenne, de redoubler d'efforts pour faire avancer la stabilité et la paix au Proche-Orient. Il y va de notre responsabilité. C'est la vocation de notre pays d'aider à trouver le chemin de l'avenir dans cette région du monde trop longtemps meurtrie par la violence et la haine. Il revient à la France de faire vivre l'espoir face à ce qui reste un défi majeur. A nous de faire entendre notre voix et celle de l'Europe ; à nous de tenir notre rang sur la scène internationale pour faire prévaloir les valeurs de dialogue et de respect que nous défendons sans relâche et qui sont indispensables pour mettre un terme à ce conflit.
(...)
Je voudrais vous remercier pour la qualité de vos interventions et la tenue de cette discussion. J'en retiens d'abord une très large convergence de vues sur l'essentiel des positions, qui n'est pas nouvelle et qui conforte notre action.
Vous aspirez à ce que notre pays joue un rôle toujours plus important en faveur de la paix. S'agissant des Palestiniens, la majorité d'entre vous soutiennent la ligne du gouvernement, qui consiste à maintenir la fermeté à l'égard du Hamas, afin de l'encourager à choisir la négociation. Nous sommes d'accord pour encourager l'action du président de l'Autorité palestinienne. Par ailleurs, vous partagez notre souci de venir en aide au peuple palestinien, dans la très grave situation qu'il connaît depuis plusieurs semaines. Nous sommes en train de lancer le mécanisme européen d'aide, qui permettra d'éviter les accusations de financement du mouvement Hamas, inscrit sur la liste européenne des organisations terroristes. Le défi à relever est immense. Il en va de la crédibilité de l'Union européenne : c'est pourquoi votre soutien est nécessaire.
Quant à Israël, nous reconnaissons tous la nécessité de faire primer la négociation sur les rapports de force, comme vient de le dire le président de la Commission des Affaires étrangères. Nous rejetons la perspective d'un retrait unilatéral de la Cisjordanie, qui ne résoudrait rien.
Vous avez raison de dire qu'il faudra profiter de la présidence finlandaise pour affirmer le rôle politique de l'Union car, comme l'a dit M. le Premier ministre Balladur, nous devons être beaucoup plus ambitieux en matière de politique étrangère.
Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué le caractère équitable de notre politique, abordé le rôle de l'Union européenne et rappelé les relations entre Israël et la France, rarement aussi amicales. Israël, avez-vous dit, a intérêt à une paix durable : nous devons en effet bien comprendre le droit d'Israël à vivre en sécurité. Enfin, il est évident que les pays émergents - l'Inde, le Brésil, la Chine - devront un jour, ne serait-ce que pour des raisons environnementales, avoir accès à l'industrie nucléaire, à des fins civiles et pacifiques. En conséquence, nous devons réactualiser le traité de non-prolifération nucléaire.
Soyez assurés que notre pays continuera à faire valoir le droit sur les armes et qu'il ne se résignera pas à accepter le cercle vicieux de la violence. La France entend poursuivre ses efforts en vue d'un règlement juste et durable de la question palestinienne, qui comprend l'édification d'un Etat palestinien qui vive en paix et en sécurité avec Israël. Voici notre ambition pour que la France reste la France. Nous avons besoin de votre appui pour y parvenir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2006