Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la politique de l'énergie, à Paris le 22 juin 2006.

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Circonstance : Troisième colloque du Conseil économique de défense, le 22 juin 2006

Texte intégral


Ce troisième colloque du Conseil économique de défense est pour moi l'occasion de saluer l'excellent travail fourni par le Conseil économique de la Défense depuis 2003.
Ces résultats sont le fruit de beaucoup de disponibilité, de créativité, de compétence. Ces qualités, chacun, membres du CED ou membres associés, vous les avez mobilisées autour d'un chef d'équipe que j'ai plaisir à saluer cet après-midi, cher Philippe Esper. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, j'ai décidé de renouveler le mandat des membres du CED.
Vos propositions portent sur des sujets essentiels : les entreprises et secteurs sensibles, la construction européenne, le suivi des dépenses de défense, la recherche en économie de la défense. J'ai un regret. Je ne pourrai pas cette année remettre de prix de recherche universitaire en économie de la défense, faute de candidatures. Cela montre qu'il y a encore en France des progrès à faire, afin que les universités et les instituts de recherche s'intéressent davantage aux sujets liés à la Défense et à l'économie de défense. Je fais appel aujourd'hui à chacun d'entre vous pour y contribuer.
Cette journée a été l'occasion de riches échanges sur trois vastes questions : les sorties de crise, l'industrie européenne de défense et les politiques de l'énergie.
J'ai souhaité aborder plus particulièrement devant vous les problématiques de ce troisième point, qui s'inscrit pleinement dans l'actualité. Les ressources énergétiques sont de plus en plus l'enjeu de tensions internationales (1) ; elles sont au coeur des problématiques de souveraineté et de compétitivité pour notre pays (2).
Les ressources énergétiques sont inégalement réparties et appelées à manquer.
Trois quarts des réserves mondiales connues de pétrole sont détenus par l'OPEP. La Russie concentre plus d'un tiers des ressources mondiales de gaz naturel. Les combustibles fossiles représentent à ce jour plus de 80% de la demande énergétique mondiale. Ce sont des sources d'énergie dont les quantités sont finies.
Or la demande mondiale d'énergie augmente. Elle continuera d'augmenter, en raison notamment de l'émergence des nouvelles nations industrielles comme la Chine, l'Inde, le Brésil, des pays qui conjuguent une forte croissance à des ressources énergétiques limitées, voire inexistantes.
De 75 millions de barils par jour en 2000, la consommation pétrolière devrait atteindre la barre des 100 millions d'ici à 2015. Au cours de la même période, la consommation de gaz naturel devrait doubler.
L'amélioration de la productivité n'empêchera pas les industries de consommer davantage d'énergie, et l'élévation du niveau de vie - dont il faut par ailleurs se féliciter - se traduira immanquablement par une demande accrue des ménages.
L'accès à ces ressources est un enjeu de plus en plus conflictuel.
Rien ne laisse augurer une accalmie des tensions liées au pétrole : je crois plutôt que la compétition pour l'accès aux gisements risque de s'intensifier. Voilà pourquoi le devenir de l'Arabie saoudite, de l'Irak, de l'Iran ou de l'Azerbaïdjan revêt une importance stratégique. La déstabilisation de ces pays, que ce soit par des groupes terroristes ou d'autres Etats, représente donc un risque majeur.
De la même manière, plus d'un tiers des réserves gazières mondiales se trouvent au Moyen-Orient, dans une zone où les incertitudes géopolitiques pèsent sur la sécurité des approvisionnements.
Ce ne sont pas seulement les sites qui sont en cause. Les voies d'approvisionnement, comme celles qui relient le Moyen Orient ou le Caucase aux pays occidentaux ou asiatiques, présentent un caractère stratégique évident. Elles deviennent parfois des cibles du terrorisme.
Les espaces maritimes ne sont pas à l'abri de cette menace, comme en témoigne l'attentat de 2003 contre le pétrolier français Limburg au Yémen.
Les matières premières minérales et minières occupent moins les stratèges que les hydrocarbures.
Elles n'en suscitent pas moins des appétits à l'origine de nombreux conflits frontaliers, de coups d'Etat ou d'incursions militaires, laissant souvent de vastes régions livrées à la loi des mercenaires.
Dans ce contexte, il est légitime que les gouvernants fassent de ces questions une priorité, d'autant plus que la maîtrise de l'énergie est également source de compétitivité et de souveraineté.
De notre indépendance en matière énergétique dépend notre capacité à demeurer un acteur majeur, européen et mondial. Alors que les échéances électorales approchent, je tiens à rappeler deux exigences.
Nous devons maintenir une politique nucléaire forte.
En matière de production d'électricité, la France est très performante. Les barrages qui produisent aujourd'hui 10% de notre électricité avec notre réseau de fleuves et cours d'eau constituent un atout majeur. C'est surtout le choix du général De Gaulle de développer la filière nucléaire qui nous confère notre quasi-indépendance. Nous sommes sur ce terrain en bien meilleure position que nos partenaires. Entre le nucléaire et l'hydraulique, la France dispose de 95 % de sa production électrique sans gaz à effet de serre.
Nous devons clairement poursuivre dans la même voie. L'installation du projet ITER dans notre pays s'inscrit dans la logique de cette politique constante depuis quarante ans.
Maintenir cette politique vaut autant pour le nucléaire militaire. Le choix de la dissuasion nucléaire est une assurance durable et crédible, qu'on ne peut raisonnablement abandonner face à la multiplication des menaces. C'est aussi un investissement qui présente un intérêt majeur pour l'excellence de la recherche française, y compris civile. Le nucléaire est crucial pour notre pays, que ce soit pour sa compétitivité économique ou sa place dans le concert des nations. Ralentir notre effort, ce serait gaspiller les fruits des investissements consentis par les générations précédentes. Ce serait surtout prendre le risque d'être dépassés.
Les entreprises françaises du secteur de l'énergie doivent être de taille à affronter la concurrence mondiale.
Nous devons nous féliciter qu'il y ait en France des acteurs majeurs comme EDF, AREVA ou TOTAL. Nous devons maintenant répondre aux défis à venir dans d'autres secteurs, à commencer par celui du gaz. Le marché mondial du gaz est particulièrement à la merci de tensions entre l'offre et la demande. Il y a peu de secteur où le coût des infrastructures soit aussi élevé.
N'oublions pas également qu'au 1er juillet 2007, nous passerons à une pleine concurrence. Ce sera au tour des particuliers de choisir leur fournisseur d'électricité et de gaz.
Les entreprises chercheront à compenser les pertes de marché dans leur pays en en gagnant hors des frontières nationales. Elles seront d'autant plus aptes à le faire qu'elles auront une taille suffisante pour être compétitives.
Or GDF est aujourd'hui une « petite » entreprise sur le marché mondial. Voici pourquoi se pose la question de son renforcement, voici pourquoi depuis plusieurs années GDF examine les meilleures hypothèses d'adossement.
En fusionnant avec SUEZ, GDF deviendrait le premier groupe européen du gaz, renforçant ainsi ses capacités de négociation avec les grands fournisseurs actuels et futurs.
Avec le regroupement entre GDF et SUEZ, la France disposera d'un nouveau champion de taille européenne.
Je le dis clairement, ce qui ne veut pas dire qu'une opération aussi lourde ne pose pas de difficultés et ne suscite pas d'interrogations.
Un ancien directeur de la CIA a récemment qualifié de guerre du XXIème siècle les relations entre l'énergie et la sécurité. C'est dire combien les travaux du CED et ce colloque sont au coeur des défis qui se présentent à nous, responsables politiques, dirigeants d'entreprises, chacun dans nos responsabilités.
Pour affronter ces défis, nous devons définir une méthode. A l'heure où certains préfèrent l'originalité, je recommande la clarté et, si possible, la simplicité.
Qu'attendent de nous nos concitoyens ? Un approvisionnement énergétique sûr, compétitif et durable. L'Europe qui est censée importer 75 % de sa consommation énergétique, en 2020, doit donc considérer ce dossier comme prioritaire. La Commission, il y a quelques mois, lui a consacré un livre vert. C'est bien et il appartient maintenant au Conseil européen d'agir.
Cette action nous concerne, nous, Français, tout particulièrement. Car le débat énergétique est rendu plus complexe par le rôle traditionnel de l'Etat et notre attachement au service public.
Le rôle de l'Etat ne peut qu'évoluer avec la fin du monopole électrique et gazier. Quant à la notion de service public, ce qui compte ce ne sont pas les mots, mais les réalités. C'est à dire la qualité du service rendu aux Français en matière de distribution énergétique, et la justesse du prix avec lequel ce service est rendu.
Dans ce débat, la part de capital détenue par l'Etat n'est pas centrale, sauf si l'on privilégie la théologie ou l'idéologie au pragmatisme, ce qui n'est pas mon cas. Ouvrir le capital d'une entreprise publique n'est pas être ultra-libéral, c'est seulement essayer d'apporter une réponse permettant à l'entreprise de mieux se développer.
Je me félicite donc que le CED, pour la deuxième année consécutive, ait autant réfléchi aux liens entre la sécurité et l'énergie. C'est une question qui touche à des enjeux autant économiques que politiques ou stratégiques. De cette question ne dépend pas seulement ce que nous voulons pour la France, mais aussi quelle influence nous voulons réserver à la France.
A nous, gouvernants et dirigeants économiques, d'utiliser les atouts dont dispose la France et d'assumer, chacun, nos responsabilités. Il en va de notre crédibilité, il en va de l'avenir de la France.Source http://www.défense.gouv.fr, le 26 juin 2006