Texte intégral
Q - Hubert Védrine, vous êtes le chef de la diplomatie française et les Européens peuvent se targuer davoir réussi quelque chose dimportant à la fin de la semaine dernière puisque le Groupe de contact a mis les Serbes et les extrémistes du Kossovo au pied du mur en leur demandant de trouver un accord politique dici à trois semaines. Cest un ultimatum qui peut être sanctionné militairement sils ne répondent pas ?
R - Cest une injonction. Nous avons décidé quil fallait « prendre le taureau par le cornes ». Dans le forcing diplomatique que nous avons lancé ces derniers jours, nous avons réussi à combiner des propositions, mais en même temps les menaces, les mises en demeure et les injonctions de lOTAN, du Groupe de contact - cest-à-dire France/Allemagne/Grande-Bretagne/Italie, mais aussi Etats-Unis et Russie, cest très important -, et du Conseil de sécurité.
Q - Ils ne veulent pas entendre parler de sanctions militaires ?
R - Oui, mais les Russes acceptent toute une partie de cette approche internationale qui est de mettre en demeure les parties - qui nen finissent pas de ne pas commencer - de venir dans un délai rapproché pour négocier et pour conclure dans un autre délai rapproché. Il y a une conjonction presque complète de lensemble des pays du monde et de lensemble des institutions concernées. Cest cet assemblage qui a été réussi ces derniers jours, et cest vrai que les quatre pays dEurope du Groupe de contact ont joué un rôle tout à fait moteur dans cette affaire.
Q - De par les contacts que vous avez, les informations que vous avez, aujourdhui, à lheure quil est, est-ce que vous avez quelque assurance de la venue à Rambouillet dune part, des Serbes, et par qui seraient-ils représentés ? Et dautre part des représentants du Kossovo ?
R - Pas dassurances encore. Au Groupe de contact de Londres, nous avons donc décidé que cétait la France, et plus précisément Rambouillet qui était proposé. Au milieu de ces négociations, nous avons envoyé Robin Cook informer les Serbes et les Kossovars des conclusions du Groupe. Nous avons décidé que si la conférence se tenait, elle serait présidée par la Grande-Bretagne et la France - par Robin Cook et par moi-même -. Robin Cook est ensuite parti à Belgrade, puis il est allé en Macédoine puisque la neige la empêché daller à Pristina. Ce qui est très important à ce stade cest que cette injonction, cette convocation, cette invitation na pas été rejetée. A ce stade, aucun dentre eux na dit non. M. Rugova à dit oui tout de suite, les autres composantes du côté albanais du Kossovo nont pas tout à fait répondu et à Belgrade, le président Milosevic a demandé un temps de réflexion.
A ce stade, je considère que les chances restent réelles mais il faut que les choses puissent senclencher comme nous lavons demandé. Il ne faut pas se cacher que cest extraordinairement difficile.
Q - Si les choses senclenchent et si les belligérants viennent à Rambouillet, vous avez dit que la référence serait une autonomie substantielle pour le Kossovo. Quentendez-vous par là ? Cela signifie-t-il que le Kossovo deviendrait une République, au même titre que la République serbe ou que celle du Monténégro à lintérieur de la fédération yougoslave ?
R - Ce point na pas été tranché précisément. Depuis le début, le Groupe de contact a mis en avant un statut possible en partant de lidée simple que le statu quo est intolérable on le voit bien mais que lindépendance serait dévastatrice. Aucun gouvernement au monde ne soutient cette idée qui serait un précédent extrêmement dangereux et fâcheux pour toute la région qui est déjà si fragile. Lautonomie substantielle dans la Yougoslavie ou la Serbie, ce point na pas été tranché. Serait-ce au bout du compte une troisième république comme vous le dites ou un statut très particulier ? Il faudrait de toute façon aller au-delà de lautonomie qui avait existé au Kossovo de 1974 à 1989, mais ce sont des points qui ne sont pas finalisés. Nous navons pas mis sur la table un projet complètement bouclé ; il y a accord de principe sur cette autonomie substantielle et la négociation que lon veut voir sengager sous cette pression du monde entier doit finaliser ces points.
Q - Dans votre esprit, en aucun cas, il nest question de sacheminer progressivement vers lindépendance comme le souhaite même le leader modéré Ibrahim Rugova ?
R - Nous savons bien quil le souhaite. Cette question a été examiné méthodiquement, sereinement, elle a été vraiment examiné et nous pensons quà lintérieur dun état reconnu aux frontières internationales reconnues comme la Yougoslavie, accepter cette démarche, cest contredire tout ce qui a été fait dans la région des Balkans depuis quelques années, tout ce qui a été fait pour tenter de stabiliser les pays issus de lex-Yougoslavie. Cest un précédent extrêmement dangereux dautant que, à ce moment-là, ce ne serait pas M. Rugova qui, peut-être, dominerait mais peut-être lUCK, une composante qui veut regrouper tous les Albanais de la région qui sont à cheval sur quatre pays.
Cela a paru dangereux à tout le monde. On comprend bien létat psychologique et les mentalités dans cette province avec les mauvais traitements depuis si longtemps, plus que des mauvais traitements, des choses effrayantes à certains moments. Mais, il faut penser à lavenir des Balkans. Il faut arriver à trouver une solution qui soit viable pour la coexistence entre les Serbes et les Albanais du Kossovo. Il faut penser à lavenir de lensemble de la région. Aucun gouvernement ne soutient cette idée dindépendance, mais ce que nous proposons nous paraît très sérieux, très substantiel, allant loin et de nature à nous sortir de la tragédie où nous sommes.
Q - Si on se met dans cette perspective davenir, si Rambouillet pouvait être en quelque sorte pour le Kossovo, ce que fut Dayton pour la Bosnie, il faudrait des troupes pour la mise en oeuvre de ce statut dautonomie ?
R - Pour la garantie de laccord qui aura été obtenu.
Q - Est-ce que les Européens sont prêts ? On dit quil faudrait entre 30 et 40 000 hommes ?
R - Le chiffrage est incertain. Cela dépend des conditions de laccord et du degré dadhésion des différentes forces politiques de part et dautre. Ce que lon peut dire à ce stade, cest que les Européens sont prêts à prendre leurs responsabilités et que cela a été exprimé par la France, par la Grande-Bretagne, lAllemagne, lItalie. Par ailleurs, les Etats-Unis ont fait quelques déclarations montrant quils nécartaient pas le fait dêtre présents au sol dans le cas dun accord à garantir, mais les Européens navaient pas attendu cet engagement américain pour sexprimer en ce qui les concerne.
Il y a donc une disponibilité assez forte en cas daccord.
Q - Les Européens ont pris cette initiative diplomatique, est-ce quil ne serait pas souhaitable, à la limite, quils soient seuls à en assurer la mise en oeuvre, le cas échéant, au plan militaire ?
R - Non, je ne crois pas que ce soit souhaitable. Je pense que cest sans doute possible sil ny a pas dautre solution mais, compte tenu de ce qui a été fait en Bosnie, et du fait quil faut maintenir la cohérence de lensemble des pays concernés, y compris de la Russie qui est importante pour lavenir des Balkans, je crois que ce serait mieux si tous les pays, notamment ceux du Groupe de contact, Etats-Unis et Russie donc, participaient.
Dans quelle condition, on peut voir après. Je ne crois pas quil faille en faire une démonstration du fait que les Européens peuvent le faire seuls. On voit déjà en terme politique quils sont capables de prendre des initiatives fortes, ils le font dailleurs en ce moment. Je suis pour la cohérence du dispositif et sa cohérence par rapport à celui de Dayton. Je crois que plus il y aura de pays engagés dans cette affaire, mieux cela vaudra.
Q - Néanmoins, pour vous, cest une première dans la perspective dune défense européenne et dune diplomatie autonome ?
R - Je suis beaucoup plus prudent que cela. Nous ne sommes pas encore dans de la défense européenne, nous sommes dans un travail politico-diplomatique. Je crois que, contrairement à ce qui avait été dit parfois un peu hâtivement, il y a eu une véritable impulsion européenne, même au sein du Groupe de contact depuis le début, concernant la ligne, linitiative et les responsabilités à prendre. On lavait vu dans laffaire de la Mission de vérification qui a arrêtée à lautomne dernier la catastrophe humanitaire qui sannonçait et à propos de la force dextraction. Oui, cest vrai, mais ce genre de choses, je préfère le dire après, lorsque cela marche que de lannoncer à lavance.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)
R - Cest une injonction. Nous avons décidé quil fallait « prendre le taureau par le cornes ». Dans le forcing diplomatique que nous avons lancé ces derniers jours, nous avons réussi à combiner des propositions, mais en même temps les menaces, les mises en demeure et les injonctions de lOTAN, du Groupe de contact - cest-à-dire France/Allemagne/Grande-Bretagne/Italie, mais aussi Etats-Unis et Russie, cest très important -, et du Conseil de sécurité.
Q - Ils ne veulent pas entendre parler de sanctions militaires ?
R - Oui, mais les Russes acceptent toute une partie de cette approche internationale qui est de mettre en demeure les parties - qui nen finissent pas de ne pas commencer - de venir dans un délai rapproché pour négocier et pour conclure dans un autre délai rapproché. Il y a une conjonction presque complète de lensemble des pays du monde et de lensemble des institutions concernées. Cest cet assemblage qui a été réussi ces derniers jours, et cest vrai que les quatre pays dEurope du Groupe de contact ont joué un rôle tout à fait moteur dans cette affaire.
Q - De par les contacts que vous avez, les informations que vous avez, aujourdhui, à lheure quil est, est-ce que vous avez quelque assurance de la venue à Rambouillet dune part, des Serbes, et par qui seraient-ils représentés ? Et dautre part des représentants du Kossovo ?
R - Pas dassurances encore. Au Groupe de contact de Londres, nous avons donc décidé que cétait la France, et plus précisément Rambouillet qui était proposé. Au milieu de ces négociations, nous avons envoyé Robin Cook informer les Serbes et les Kossovars des conclusions du Groupe. Nous avons décidé que si la conférence se tenait, elle serait présidée par la Grande-Bretagne et la France - par Robin Cook et par moi-même -. Robin Cook est ensuite parti à Belgrade, puis il est allé en Macédoine puisque la neige la empêché daller à Pristina. Ce qui est très important à ce stade cest que cette injonction, cette convocation, cette invitation na pas été rejetée. A ce stade, aucun dentre eux na dit non. M. Rugova à dit oui tout de suite, les autres composantes du côté albanais du Kossovo nont pas tout à fait répondu et à Belgrade, le président Milosevic a demandé un temps de réflexion.
A ce stade, je considère que les chances restent réelles mais il faut que les choses puissent senclencher comme nous lavons demandé. Il ne faut pas se cacher que cest extraordinairement difficile.
Q - Si les choses senclenchent et si les belligérants viennent à Rambouillet, vous avez dit que la référence serait une autonomie substantielle pour le Kossovo. Quentendez-vous par là ? Cela signifie-t-il que le Kossovo deviendrait une République, au même titre que la République serbe ou que celle du Monténégro à lintérieur de la fédération yougoslave ?
R - Ce point na pas été tranché précisément. Depuis le début, le Groupe de contact a mis en avant un statut possible en partant de lidée simple que le statu quo est intolérable on le voit bien mais que lindépendance serait dévastatrice. Aucun gouvernement au monde ne soutient cette idée qui serait un précédent extrêmement dangereux et fâcheux pour toute la région qui est déjà si fragile. Lautonomie substantielle dans la Yougoslavie ou la Serbie, ce point na pas été tranché. Serait-ce au bout du compte une troisième république comme vous le dites ou un statut très particulier ? Il faudrait de toute façon aller au-delà de lautonomie qui avait existé au Kossovo de 1974 à 1989, mais ce sont des points qui ne sont pas finalisés. Nous navons pas mis sur la table un projet complètement bouclé ; il y a accord de principe sur cette autonomie substantielle et la négociation que lon veut voir sengager sous cette pression du monde entier doit finaliser ces points.
Q - Dans votre esprit, en aucun cas, il nest question de sacheminer progressivement vers lindépendance comme le souhaite même le leader modéré Ibrahim Rugova ?
R - Nous savons bien quil le souhaite. Cette question a été examiné méthodiquement, sereinement, elle a été vraiment examiné et nous pensons quà lintérieur dun état reconnu aux frontières internationales reconnues comme la Yougoslavie, accepter cette démarche, cest contredire tout ce qui a été fait dans la région des Balkans depuis quelques années, tout ce qui a été fait pour tenter de stabiliser les pays issus de lex-Yougoslavie. Cest un précédent extrêmement dangereux dautant que, à ce moment-là, ce ne serait pas M. Rugova qui, peut-être, dominerait mais peut-être lUCK, une composante qui veut regrouper tous les Albanais de la région qui sont à cheval sur quatre pays.
Cela a paru dangereux à tout le monde. On comprend bien létat psychologique et les mentalités dans cette province avec les mauvais traitements depuis si longtemps, plus que des mauvais traitements, des choses effrayantes à certains moments. Mais, il faut penser à lavenir des Balkans. Il faut arriver à trouver une solution qui soit viable pour la coexistence entre les Serbes et les Albanais du Kossovo. Il faut penser à lavenir de lensemble de la région. Aucun gouvernement ne soutient cette idée dindépendance, mais ce que nous proposons nous paraît très sérieux, très substantiel, allant loin et de nature à nous sortir de la tragédie où nous sommes.
Q - Si on se met dans cette perspective davenir, si Rambouillet pouvait être en quelque sorte pour le Kossovo, ce que fut Dayton pour la Bosnie, il faudrait des troupes pour la mise en oeuvre de ce statut dautonomie ?
R - Pour la garantie de laccord qui aura été obtenu.
Q - Est-ce que les Européens sont prêts ? On dit quil faudrait entre 30 et 40 000 hommes ?
R - Le chiffrage est incertain. Cela dépend des conditions de laccord et du degré dadhésion des différentes forces politiques de part et dautre. Ce que lon peut dire à ce stade, cest que les Européens sont prêts à prendre leurs responsabilités et que cela a été exprimé par la France, par la Grande-Bretagne, lAllemagne, lItalie. Par ailleurs, les Etats-Unis ont fait quelques déclarations montrant quils nécartaient pas le fait dêtre présents au sol dans le cas dun accord à garantir, mais les Européens navaient pas attendu cet engagement américain pour sexprimer en ce qui les concerne.
Il y a donc une disponibilité assez forte en cas daccord.
Q - Les Européens ont pris cette initiative diplomatique, est-ce quil ne serait pas souhaitable, à la limite, quils soient seuls à en assurer la mise en oeuvre, le cas échéant, au plan militaire ?
R - Non, je ne crois pas que ce soit souhaitable. Je pense que cest sans doute possible sil ny a pas dautre solution mais, compte tenu de ce qui a été fait en Bosnie, et du fait quil faut maintenir la cohérence de lensemble des pays concernés, y compris de la Russie qui est importante pour lavenir des Balkans, je crois que ce serait mieux si tous les pays, notamment ceux du Groupe de contact, Etats-Unis et Russie donc, participaient.
Dans quelle condition, on peut voir après. Je ne crois pas quil faille en faire une démonstration du fait que les Européens peuvent le faire seuls. On voit déjà en terme politique quils sont capables de prendre des initiatives fortes, ils le font dailleurs en ce moment. Je suis pour la cohérence du dispositif et sa cohérence par rapport à celui de Dayton. Je crois que plus il y aura de pays engagés dans cette affaire, mieux cela vaudra.
Q - Néanmoins, pour vous, cest une première dans la perspective dune défense européenne et dune diplomatie autonome ?
R - Je suis beaucoup plus prudent que cela. Nous ne sommes pas encore dans de la défense européenne, nous sommes dans un travail politico-diplomatique. Je crois que, contrairement à ce qui avait été dit parfois un peu hâtivement, il y a eu une véritable impulsion européenne, même au sein du Groupe de contact depuis le début, concernant la ligne, linitiative et les responsabilités à prendre. On lavait vu dans laffaire de la Mission de vérification qui a arrêtée à lautomne dernier la catastrophe humanitaire qui sannonçait et à propos de la force dextraction. Oui, cest vrai, mais ce genre de choses, je préfère le dire après, lorsque cela marche que de lannoncer à lavance.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)