Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur les régimes de change et sur la coopération économique régionale comme outil efficace de stabilisation monétaire, Kobé, le 13 janvier 2001.

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Circonstance : Réunion des ministres des finances Europe-Asie, à Kobé au Japon, le 13 janvier 2001

Texte intégral

REUNION DES MINISTRES DES FINANCES EUROPE-ASIE
DISCOURS INTRODUCTIF
SUR LES REGIMES DE CHANGE
DU MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES
ET DE L'INDUSTRIE,
M. LAURENT FABIUS
(Kobé, 13 janvier 2001)

Monsieur le Président,
Je souhaite me joindre à vous et dire mes remerciements au directeur général du Fonds monétaire international pour son intervention précise et stimulante sur les questions de change.
J'adhère totalement aux propos que vous avez tenu sur l'importance de la parfaite cohérence des régimes de change avec les politiques macroéconomiques. La politique de change ne doit pas être considérée de façon isolée mais en relation avec l'environnement économique et financier et comme partie intégrante du cadre global de politique économique et monétaire.
Nous pensons que les régimes de change doivent être ajustés aux caractéristiques propres des économies auxquels ils s'appliquent. Parmi ces caractéristiques, doivent être plus particulièrement prises en compte la taille, le degré d'ouverture et la structure de la balance commerciale et de l'endettement extérieur.
J'ai remarqué que nos partenaires asiatiques ont le secret de résumer des notions complexes à l'aide de mots-clefs, de "mottos". Aujourd'hui, je souhaiterais vous en proposer trois parce que je pense que ces trois " mots clefs " peuvent résumer ce qui pourrait être une approche raisonnable de ces notions complexes :
- flexibilité
- pragmatisme
- coopération
1) Flexibilité
Les économies émergentes et les économies en transition ont besoin de stabilité, bien sûr, mais aussi de flexibilité. Nous pensons que les régimes de change flexibles sont une des meilleures façons de concilier ces deux impératifs. Ces régimes offrent en effet un cadre stable qui permet de capitaliser intégralement les effets de l'ouverture au commerce international et de contrôler l'inflation. Ils procurent ainsi des marges de manuvre pour permettre d'adapter le policy-mix aux changements de l'environnement.
Il existe toute une gamme de régimes de change flexibles dans laquelle chaque pays peut librement choisir celui qui convient le mieux à sa situation spécifique et je partage l'opinion de M. Köhler sur l'idée qu'il n'est pas nécessaire de copier quiconque en la matière. Ils peuvent se doter ou non de bandes de fluctuation plus ou moins larges, ils peuvent choisir d'ancrer leur monnaie sur une devise unique ou sur un panier de devises et ainsi de suite. Lorsqu'ils sont définis de façon pertinente, et qu'ils sont parfaitement articulés au reste de la politique économique, les régimes de change flexibles peuvent concilier plusieurs avantages : à la fois limiter la volatilité des parités et ancrer les anticipations de désinflation d'une part, et procurer la flexibilité nécessaire pour réagir à des chocs externes d'autre part.
Cependant, les régimes de change flexibles ne permettent d'obtenir de tels résultats que si le choix de la parité-ancre est pertinent. Ce choix doit être fait en considération de la structure géographique des échanges mais doit également prendre en compte l'orientation des flux de capitaux et la structure de l'endettement extérieur.
2) Pragmatisme
Les Français ont la réputation de posséder à l'extrême la capacité d'édifier des théories et des systèmes abstraits. Cependant, en matière de taux de change, comme, du reste, en bien d'autres domaines économiques, notre esprit de système légendaire cède la place à une approche beaucoup plus pragmatique.
C'est ce pragmatisme qui me conduit à privilégier les solutions de change flexibles parce qu'elles concilient stabilité et flexibilité.
C'est également ce pragmatisme qui nous conduit à considérer avec prudence les voix qui s'élèvent, de façon croissante depuis quelques années, en faveur de "solutions extrêmes", ce que les Anglo-saxons appellent les "corner solutions". Selon ces théoriciens, il ne saurait y avoir d'alternative viable entre des ancrages rigides et dotés d'une garantie institutionnelle comme les caisses d'émission ou les stratégies de dollarisation d'un côté et le flottement pur des parités de l'autre.
Les ancrages rigides constituent certes un moyen appréciable de reconstruire la crédibilité et de retrouver la stabilité des prix. Mais elles ont leur propres contraintes et même parfois leurs inconvénients. Je souhaiterais en rappeler seulement trois principaux :
Les régimes de change fixes requièrent une très grande flexibilité des salaires et des prix, et ce, d'autant plus que le pays est plus parfaitement intégré aux marchés des changes.
Le choix pour ancre d'une devise unique peut faire peser une pression difficile à soutenir sur la compétitivité internationale lorsque la structure géographique de la balance commerciale est diversifiée.
Quelles que soient les modalités des dispositions institutionnelles qui régissent les caisses d'émission, la soutenabilité à long terme des stratégies d'ancrage rigides ne peut être garantie. L'adoption d'une stratégie de caisse d'émission est souvent liée à un environnement domestique et politique spécifique qui peut évoluer dans le temps. La sortie d'un currency board est donc rendue délicate, à la fois pour des raisons économiques, politiques et sociales et donne souvent lieu des accès de spéculation parfois violents.
Inversement, l'expérience du flottement pur souligne que très peu de pays peuvent se permettre de laisser fluctuer librement leur taux de change et qu'ils sont tentés le plus souvent de le manipuler d'une façon ou d'une autre, ce qui a pour résultat principal de créer de l'incertitude sur le marché des changes.
Le type de solutions que vous commencez à étudier quand vous êtes "in a corner" favorisent les comportements non-coopératifs et privilégient par conséquent des équilibres instables. Ils rendent en règle générale la coopération régionale plus difficile.
3) Coopération.
Or la coopération en matière de politique de change constitue un moyen privilégié de favoriser la stabilité. En cela, elle est au cur de notre approche des questions de change.
Le besoin de coopération régionale naît en règle générale d'une prise de conscience accrue de l'importance de l'intégration commerciale régionale.
En Europe, des liens commerciaux toujours plus étroits et la création d'un mécanisme de change en 1979 a accru le besoin d'un dialogue continu en matière de politique économique. La mise en place du marché unique en 1992 a encore rendu plus apparents les coûts d'une volatilité des parités européennes entre elles et a ainsi accéléré le rythme de l'Union monétaire dont nous, membres de la zone euro, sommes très satisfaits.
En Asie, je suppose que cette prise de conscience a été accentuée par l'expérience de la contagion régionale constatée lors de la crise de 1997/98. Je serais à cet égard heureux de bénéficier des commentaires de nos collègues asiatiques sur ce point.
La coopération régionale ne signifie pas nécessairement une intégration monétaire immédiate. Cette coopération peut prendre plusieurs formes avec des degrés variables d'engagement politique et d'intégration monétaire. L'expérience européenne prouve que les deux processus peuvent progresser d'un même pas ou à un rythme différent en tant que de besoin.
Pour la France et l'Europe, l'importance de la coopération n'est pas seulement un acquis du passé mais aussi une priorité pour l'avenir.
Dans un rapport transmis au Conseil européen de Nice, le Conseil Ecofin a établi un cadre clair et ouvert pour les pays-candidats afin de les aider à définir leurs stratégies de change dans la perspective de l'adhésion et au-delà de cette étape.
Je me bornerai à rappeler la principale conclusion du Conseil Ecofin. Avant l'adhésion à l'Union, aucune restriction formelle sur le choix d'une parité n'est introduite. Les stratégies de change doivent être considérées avant tout comme un instrument de réalisation de la convergence réelle requise par les critères de l'Union, résumé dans le critère de Copenhague. Après l'adhésion, les nouveaux Etats-membres ont vocation à rejoindre le mécanisme de change européen (ce que l'on nomme le MCE II). Cela résulte certes d'une prescription du traité mais, de façon plus importante encore du point de vue économique, je suis persuadé que le MCE devrait avoir pour les nouveaux Etats-membres des effets aussi positifs en matière d'accélération de la convergence nominale que ceux dont ont bénéficiés les Etats-membres actuels.
Pour finir, je souhaiterais souligner que nous concevons la coopération régionale non comme un substitut mais comme un complément à l'architecture internationale.
Je rejoins par conséquent le directeur général du Fonds et je pense comme lui que les structures de coopération régionales doivent être pleinement intégrées au cadre multilatéral dont le FMI est la clef de voûte.
Le Fonds, qui reste la seule institution monétaire mondiale, doit conserver son rôle clef d'assistance des Etats dans leur effort de coopération.
Son expertise confère au Fonds une place incomparable pour aider les Etats à assurer la cohérence de leur régime de change avec leur stratégie de libéralisation graduée du compte courant et les recommandations de politique économique du Fonds.
En particulier, la cohérence entre les mécanismes de coopération monétaire régionale et les concours du Fonds présente une importance particulière. Ces outils sont en effet susceptibles d'être activés en même temps par les pays qui font face à des problèmes simultanés de compte courant et de change. Pour cette raison, il est très important d'assurer la cohérence la plus poussée possible.
Sur ce point, je note avec beaucoup de satisfaction que la Déclaration de Chiang Maï du 24 novembre dernier, confirmée par le Sommet de Singapour en novembre 2000, précise que "the swap arrangement shall supplement existing international financing facilities, including those provided by the IMF "and that " the financial assistance under the bilateral swap arrangement will be disbursed when the IMF activities are activated or will be activated in the near future ".
La surveillance opérée par les institutions financières internationales, et, en particulier le FMI, n'exclut pas le renforcement de la surveillance régionale. Bien au contraire, il y a une complémentarité entre la surveillance au niveau régional et au niveau global.
Je suis persuadé que ces conceptions sont largement partagées par mes collègues de la zone euro. Mais elles le sont également au-delà de l'Europe. Je relève avec satisfaction combien je suis proche du ministre Miyazawa sur ces aspects. Cette convergence de vue est reflétée dans le document conjoint que nos services ont fait circulé.
Merci pour votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 janvier 2001)