Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la recherche en mathématiques, Paris le 12 septembre 2006.

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Circonstance : Reception en l'honneur du professeur Wendelin Werner à Paris le 12 septembre 2006

Texte intégral


Messieurs les Secrétaires perpétuels de l'Académie des Sciences,
Madame la Directrice de l'École Normale supérieure,
Madame la Présidente du C.N.R.S.,
Madame la Présidente de l'université Paris XI,
Monsieur le Professeur Werner,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Nous sommes réunis ici au ministère de l'Éducation nationale, avec les conseillers du Premier ministre pour l'Éducation et la Recherche, avec les recteurs d'académie et les inspecteurs généraux de mathématiques, pour célébrer une éclatante réussite, celle de Wendelin Werner, professeur à l'université de Paris XI et à l'École normale supérieure.
Cher Monsieur le Professeur, nous avons tous ressenti une très grande joie et une très grande fierté lorsque nous avons appris que la médaille Fields vous avait été décernée.
Fierté, car si votre talent, lui, vous appartient tout entier, votre formation a été assurée par l'Éducation nationale et notre système d'enseignement supérieur.
Alors, vous comprendrez que notre maison se sente un petit peu associée à votre gloire !
A travers vous, nous célébrons aussi les mathématiques.
Les mathématiques portent au plus haut degré la capacité d'abstraction de la pensée : pensée pure, créatrice de mondes que le commun des mortels ne peut, bien souvent, contempler que de très loin.
Voilà pourquoi les mathématiques suscitent en nous la fascination pour les choses inaccessibles - même si, sans le savoir, nous en utilisons les applications à chaque instant.
Jean-Pierre Serre, qui n'a malheureusement pas pu se joindre à nous aujourd'hui, n'a-t-il pas dit : « La physique, ce sont les règles que Dieu a créées, les mathématiques : les règles
qu'il a dû appliquer » ?
Monsieur le Professeur Werner, vous faites partie de cette infime minorité de l'humanité qui évolue dans l'univers des relations abstraites avec, semble-t-il, une aisance déconcertante.
Alors, je ne m'aventurerais pas très loin sur le chemin des concepts mathématiques. Je vais limiter mes ambitions à retracer le chemin de votre vie terrestre, si j'ose dire
Wendelin Werner, vous êtes né Allemand, mais c'est en France que vous avez effectué toute votre scolarité.
Je n'évoquerai pas vos exploits intellectuels de maternelle ou de primaire qui vous conduisent au lycée franco-allemand de Bucq où vous suivez vos études secondaires.
Un parcours émaillé d'ailleurs d'une expérience un peu inattendue pour un futur mathématicien, puisqu'à 14 ans, vous apparaissez dans un film de Jacques Rouffio, aux côtés de Michel Piccoli et Romy Schneider !
Je laisse au probabiliste que vous êtes le soin d'estimer la probabilité de trouver une future médaille Fields sur un plateau de cinéma !
Après le baccalauréat, vous intégrez la classe préparatoire scientifique du prestigieux lycée Hoche de Versailles (où j'étais d'ailleurs le lundi de la rentrée).
Dans le cadre stimulant de la classe préparatoire, votre vocation scientifique s'affirme nettement.
A l'issue de ces deux années de classes préparatoires, vous intégrez l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm - école dont Mme Monique Canto-Sperber pourrait nous dire qu'elle a formé tous les médaillés Fields français !
Rue d'Ulm, vous apprenez des choses fondamentales : par exemple que l'ernest n'est pas une personne, mais un poisson rouge ; et qu'inversement le caïman n'est pas un animal, mais un professeur !
A l'École normale, vous travaillez notamment sous la direction de Jean-François Le Gall, professeur à l'École Normale et à Paris VI, qui dirige votre thèse. En 1993, vous avez à peine 25 ans et vous devenez docteur de l'université Paris VI.
Dès lors, vous poursuivez vos recherches au sein du C.N.R.S., dont je salue également parmi nous le directeur général, M. Arnold Migus. Vous êtes rattaché au laboratoire de probabilités de l'université Paris VI puis, après un séjour de deux ans à Cambridge, au département de mathématiques de l'École normale, jusqu'en 1997.
En 1997, vous n'avez pas trente ans, vous êtes élu professeur à l'université Paris XI, que préside Mme Anita Bersellini.
C'est au sein du laboratoire de mathématiques de cette université que vos recherches vont désormais se développer, jusqu'à leur tout récent couronnement.
Là aussi, vous êtes dans un haut lieu de l'excellence, puisque ce laboratoire est actuellement l'un des tout meilleurs laboratoires de recherche en mathématiques du monde.
En effet, sur les quatre dernières attributions de la médaille Fields, trois des lauréats sont des mathématiciens issus de ce laboratoire :
- Jean-Christophe Yoccoz qui l'avait reçue en 1994 en même temps que Pierre-Louis Lions ;
- Laurent Lafforgue en 2002 ;
- et vous-même aujourd'hui.
La médaille Fields ne doit pas éclipser tous les prix qui vous ont été attribués : le prix Fermat en 2000, le Loeve Prize en 2005, et le Polya Prize en 2006, entre autres.
J'arrive maintenant à un moment particulièrement risqué en ce genre de circonstances : à savoir l'énoncé des sujets pour lesquels votre travail a été récompensé.
Je vous laisse volontiers le soin de nous expliquer ce qu'est la « géométrie du mouvement brownien de dimension 2 ». Je me bornerai pour ma part à délimiter le champ très général de vos travaux, qui se situent au carrefour des probabilités et de l'analyse complexe.
Plus simplement, vos travaux touchent aux questions suivantes : Quelle est la probabilité que deux chemins aléatoires restent disjoints ? Comment comprendre des phénomènes critiques de certaines transitions de phase, comme la transition du liquide au gaz ?
Bien entendu, je ne peux donner ici qu'une vague idée de leur complexité et de leur richesse.
En tout cas, leur excellence a été couronnée par l'un des prix les plus prestigieux qui soit.
On compare souvent la médaille Fields à une sorte de prix Nobel des mathématiques. Comme nous avons la chance d'avoir parmi nous un prix Nobel de physique, en la présence de Georges Charpak, je crois pouvoir dire que nous couvrons tout le spectre de l'excellence scientifique.
Je voudrais terminer en mentionnant votre activité de professeur.
Car vous êtes un professeur enthousiaste et dynamique. Vous vous investissez beaucoup auprès de vos étudiants, et ils vous le rendent bien, puisque vos cours de probabilités sont très prisés par les étudiants. Mme la Présidente de l'université Paris XI pourrait sans doute en témoigner.
Outre vos qualités exceptionnelles de chercheur, vous assurez avec brio une tâche essentielle : la transmission des savoirs.
Tâche essentielle, car l'excellence scientifique se nourrit évidemment de la recherche mais son terreau, c'est bien l'enseignement.
Bref, pour qu'un pays puisse avoir des médailles Fields, des prix Nobel, il faut qu'à tous les niveaux l'excellence de l'enseignement soit cultivée.
Evidemment à l'université, et dans les grandes écoles. Mais pas seulement.
C'est dès le secondaire, et je dirais même dès le primaire, que se mettent en placent les conditions qui permettront à tous les élèves de progresser, et à quelques-uns d'atteindre le stade suprême de l'excellence.
Nous sommes tous des fils et des filles de l'école primaire !
Les mathématiciens qui nous écoutent seront heureux d'apprendre que j'ai demandé que soit renforcé dans le primaire l'enseignement du calcul, et que les programmes soient rénovés en ce sens. Dans les dernières années, les ambitions ont sans doute un peu trop été revues à la baisse. Dans le cadre du socle commun, nous allons leur redonner le niveau qu'elles n'auraient jamais dû quitter.
Cher Wendelin Werner, je reviens à vous avant de vous laisser la parole, si vous le souhaitez.
Aujourd'hui, je voudrais encore vous redire, devant les vôtres, votre épouse et vos enfants, vos parents et vos frères, combien nous sommes heureux et fiers de la distinction que vous avez reçue. Vous nous montrez de façon éclatante que le savoir se dépasse lui-même quand il est porté par l'invention, la création, voire par l'audace !
Deux éminents mathématiciens l'ont dit mieux que moi :
Laurent Schwartz, qui disait que « trouver quelque chose en mathématiques », c'était « vaincre une inhibition » ; et Cantor, qui estimait que « l'essence des mathématiques » était « la liberté ».
Eh bien, Monsieur le Professeur, nous tous ici réunis, nous saluons avec admiration votre intelligence, votre science et votre exemplaire liberté.
Encore bravo !Source http://www.education.gouv.fr, le 13 septembre 2006