Texte intégral
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, Messieurs,
Cette guerre des six semaines a été un nouveau désastre pour le Proche-Orient. Jamais la paix n'a paru si éloignée. Jamais le fossé entre Israël et ses voisins n'a semblé plus profond. Jusqu'où cette région va-t-elle s'enfoncer entre tentatives de paix avortées et déploiement de forces ? Entre guerres chaudes et accalmies glaciales ?
La question va au-delà de la stabilité régionale. Elle engage la sécurité internationale dans son ensemble tant le risque de fracture entre Orient et Occident s'accroît un peu plus à chaque confrontation. Je reviendrai sur ce point essentiel qui justifie à mes yeux l'engagement fort de la communauté internationale.
Tous les faits de cette guerre ont en effet démontré l'impasse de la logique militaire. Le Liban, qui commençait à se redresser de vingt ans de guerre et qui est l'une des rares démocraties de la région, a été durement éprouvé. Des milliers de victimes civiles, la destruction de trop de villes et d'infrastructures. Un blocus maritime et aérien inacceptable et qu'il est urgent de lever.
De son côté, Israël n'a pas atteint ses objectifs : ni la sécurisation de sa frontière nord, ni la destruction du Hezbollah, ni la libération de ses soldats kidnappés. Sa supériorité technologique ne lui a été d'aucun secours pour terrasser un adversaire enraciné sur son territoire, rompu aux techniques de guérilla. Politiquement Israël est plus que jamais isolé. La disproportion de sa riposte à l'attaque lui a aliéné les sympathies de ceux qui, dans le monde, reconnaissent son droit à se défendre. Et elle a renforcé les plus virulents de ses adversaires qui nient son droit à l'existence et ont juré sa destruction.
J'admire la faculté de la démocratie israélienne à reconnaître ses erreurs, à en débattre au grand jour sans rien esquiver. Mais la question ne peut se limiter aux choix militaires de son gouvernement et de son Etat major. Elle est d'ordre stratégique. Israël veut-il rester une forteresse assiégée dans une région hostile ou devenir une nation insérée dans un ensemble régional pacifié ? Croit-il pouvoir continuer à régler unilatéralement le sort de la guerre ou de la paix ou est-il prêt à se conformer aux résolutions de l'ONU comme elle le fait pour la 1701 ?
Il faut avoir le courage de le dire sans relâche à nos amis israéliens. Défiez vous de la funeste tentation d'un " deuxième round ". Ce serait la politique du pire. Le risque de guerre sans limite de Beyrouth à Bagdad, de Jérusalem à Jéricho. Tous les efforts de l'ONU et des nations qui concourent à la paix seront vains si n'émerge pas une volonté réciproque des belligérants de négocier une solution politique.
Le dire n'est pas ignorer les lourdes responsabilités du Hezbollah. Son refus obstiné de reconnaître l'existence d'Israël, les agressions répétées contre son territoire et sa population, l'enlèvement de deux de ses soldats ont été les détonateurs de l'embrasement. Les dirigeants du Hezbollah ont pris délibérément le risque d'exposer leurs compatriotes libanais aux ripostes israéliennes. Une résistance a pour but de défendre un peuple. Pas de le conduire à la ruine. Les Libanais ont eu le sentiment d'être pris en otage, d'être jetés dans une guerre qu'ils ne voulaient pas. La solidarité qu'ils ont exprimée envers leurs compatriotes chiites, leur opposition à l'offensive israélienne ne signifient pas adhésion à la stratégie belliciste du Hezbollah. Le processus de réconciliation nationale s'est bâti sur le départ de l'armée syrienne mais aussi sur la volonté de reconstruire un Etat souverain.
Je salue à cet égard la décision du Premier ministre Fouad Siniora et de son gouvernement de déployer l'armée libanaise au sud Liban. Elle traduit sa volonté de recouvrer la pleine souveraineté de l'Etat libanais sur tout son territoire. De ne plus accepter un Etat dans l'Etat armé, équipé, financé par l'ancienne puissance occupante. Jusqu'où ira cette détermination ? Le juge de paix sera le désarmement du Hezbollah qui est prévu dans la résolution 1559 du Conseil de sécurité. Aujourd'hui ce désarmement ne peut venir que d'un accord entre les Libanais eux-mêmes, non d'une intervention étrangère. Mais il faut en retour que l'Etat libanais et le Hezbollah donnent des garanties, qu'ils établissent un calendrier contrôlé et vérifié par la communauté internationale. C'est la condition d'un retour de la confiance et du dialogue avec Israël.
C'est dans ce contexte que nous avons soutenu les efforts de notre pays pour aboutir à la cessation des hostilités. Nous avons en ce domaine une heureuse continuité diplomatique depuis vingt cinq ans. Proposer et agir sous l'auspice des instances internationales chaque fois que la paix et la concorde sont menacées. Ainsi sommes nous présents en République démocratique du Congo, en Côte d'Ivoire, en Bosnie, au Kosovo, au Cambodge, en Afghanistan, et bien sûr au Liban. Pour cette région les principes de notre action n'ont pas changé depuis la déclaration de François Mitterrand le 17 juin 1982, c'est-à-dire depuis vingt quatre ans.
- Rétablir la souveraineté, l'intégrité et l'unité du Liban.
- Respecter les résolutions du Conseil de sécurité sur le cessez-le-feu et le retrait des forces israéliennes et de toute armée étrangère du territoire libanais.
- Assurer la sauvegarde et la protection des populations.
- Reconnaître les droits légitimes du peuple palestinien.
- Respecter les frontières internationalement reconnues de chacun des pays de la région, ce qui signifie garantir le droit à la sécurité d'Israël.
Ce refus de la fatalité, cette volonté d'être un acteur impartial du Proche-Orient, valent à notre pays l'estime et le respect de toutes les parties prenantes. Oui la France a bien agi au Liban. Face à un conflit inutile et meurtrier, elle a su entraîner les belligérants et la communauté internationale dans un processus de cessation des hostilités. Face à la catastrophe humanitaire qui a touché les populations civiles, elle a été la première à offrir son concours logistique. Face à la nécessité d'une force d'interposition internationale, elle a su prendre ses responsabilités en acceptant de renforcer la FINUL et d'en assumer le commandement.
Sur ce dernier point, je considère que le chef de l'Etat a eu raison d'exiger des garanties avant de déployer nos forces sur le terrain. Les Italiens et les Espagnols ont fait la même demande. François Mitterrand avait exprimé la même exigence en 1983. " Je n'exposerai pas la vie de nos soldats qui méritent eux aussi d'être aidés au-delà de la nécessité. " Nous avons tous en mémoire l'attentat qui a coûté la vie à 55 de nos soldats à Beyrouth cette année là. Nous nous souvenons tous de l'impuissance de la FORPRONU en Bosnie ou de la MINUL au Rwanda. L'ONU doit donner à ses troupes les moyens de faire respecter leur mandat. La clarification de la chaîne de commandement, la possibilité d'ouvrir le feu en cas d'agression d'un des belligérants ou d'attaques contre la population civile, le déploiement de matériels terrestres lourds vont dans ce sens.
De même a-t-il été clairement établi que le désarmement du Hezbollah n'est pas du ressort de la FINUL mais de l'armée libanaise.
Nous avons approuvé ces décisions parce qu'elles correspondent à l'urgence de la situation et à la sécurité de nos troupes. Mais nous devons dire clairement à nos concitoyens que cette mission reste des plus périlleuses. Des violations du cessez-le-feu ont déjà été observées de part et d'autre. L'approvisionnement en armes du Hezbollah se poursuit et son traitement fait l'objet d'un grand flou. Nous sommes à une sorte de mi temps. Entre guerre et escarmouches. Un statu quo conduirait inévitablement à la reprise du conflit et exposerait nos soldats à devenir les premières cibles dans le jeu d'influence des puissances régionales. Sans avancée diplomatique, je crains que l'évaluation de la mission promise par le chef de l'Etat dans six mois n'arrive trop tôt ou trop tard.
A cette première réserve, j'en ajouterai deux autres sur la méthode. Je regrette que la France n'ait pas su coordonner ses efforts avec ses partenaires européens, je pense à l'Italie et l'Espagne, qui oeuvraient parallèlement à un cessez-le-feu. S'il était légitime, au Conseil de sécurité, de rechercher en priorité un accord avec les Etats-Unis, partenaire incontournable de toute solution, le poids de l'Europe eut été un effet de levier supplémentaire pour accélérer l'évolution de la position américaine et l'arrêt des combats. L'Europe a en tout cas prouvé qu'elle pouvait être efficace en décidant en moins de deux heures sa participation au sein de la FINUL.
De la même manière je voudrais comprendre les contradictions de notre diplomatie vis-à-vis des Etats commanditaires du Hezbollah. D'un côté le chef de l'Etat refuse tout contact avec la Syrie. De l'autre, le ministre des Affaires étrangères a été jusqu'à louer le rôle stabilisateur que pourrait jouer l'Iran au Proche-Orient. Je peux comprendre la méfiance qu'inspire le régime syrien. Mais dans l'échelle des risques le pouvoir de nuisance de l'Iran, avec son programme nucléaire et ses fatwas contre Israël, apparaît autrement plus dangereux. Et je veux condamner une nouvelle fois les propos négationnistes du président iranien et sa volonté de détruire Israël. Ils empêchent toute normalisation avec l'Iran.
De deux choses l'une. Ou bien l'on considère comme les Américains qu'existe un axe du mal et il faut mettre la Syrie et l'Iran au ban des Nations. Ou bien l'on reconnaît plus lucidement qu'une solution négociée au Liban doit impliquer toutes les parties. Alors il est impossible d'ignorer la Syrie.
Ce point n'est pas mineur. D'une part parce qu'il engage la sécurité de notre troupes déployées au Liban. D'autre part parce qu'il dessine la perspective politique que l'on veut tracer pour le Proche et le Moyen Orient. Et c'est le dernier terme de mon propos.
L'urgence est évidemment la reconstruction du Liban. La conférence de Stockholm a permis de fixer les priorités et de collecter 1 milliard de dollars. La France doit bien entendu participer à cette reconstruction. Outre les aides d'Etat traditionnelles, la coopération décentralisée doit permettre aux collectivités locales qui le souhaitent de participer au parrainage des villes et villages détruits mis en place par le gouvernement libanais. Cette contribution n'aura de sens qu'à deux conditions. Qu'elle aille bien aux populations concernées et qu'elle ne soit pas détournée à d'autres fins par le Hezbollah. C'est une occasion pour l'Etat libanais d'affirmer son autorité en organisant le bon acheminement des aides. L'autre condition est d'adosser cette reconstruction à des garanties politiques et diplomatiques entre tous les acteurs concernés, faute de quoi ce qui a été bâti peut être à nouveau détruit.
Ne nous voilons pas la face. La proposition d'une conférence internationale, pour souhaitable qu'elle soit, est à ce stade prématurée et irréaliste. Il n'existe aucun canal de discussions, aucun plan de règlement qui puisse réunir sérieusement les belligérants et leurs soutiens autour d'une table. Et de quoi parlerait-on ? Avec qui ? Limiterait-on la négociation au contentieux israélo-libanais ? Elargirait-on au problème palestinien ? Embrasserait-on le conflit avec la Syrie ? Toutes les formules de ce type ont échoué.
Je crois qu'il nous faut être plus modestes et en même temps plus ambitieux. Plus modestes parce qu'il n'existe pas de clé unique, de formule magique qui permette de démêler l'écheveau du Moyen-Orient. C'est la grande erreur et le grand échec de l'administration Bush. En faisant du Proche et du Moyen Orient le poste avancé de sa guerre contre le terrorisme, en réduisant tous les problèmes à un " western biblique " entre démocratie et islamisme (selon la juste expression de l'ancien ministre libanais George Corm), en soutenant les thèses les plus extrémistes du Likoud israélien, l'Amérique s'est coupée des populations arabes et musulmanes. Le seul résultat tangible de cette politique est d'avoir renforcé tous les adversaires d'un règlement négocié.
La France a été l'un des rares pays à pressentir cet échec. Mais faute d'avoir pu ou d'avoir su en convaincre l'Europe, faute d'avoir une perspective de rechange qui soit autre chose que le simple retour de la realpolitik, elle n'a pu qu'agir aux marges.
Notre problème d'aujourd'hui est de trouver une nouvelle force médiatrice qui soit suffisamment impartiale et reconnue pour retisser le lien entre Israël et ses voisins, pour trouver de nouveaux canaux de communication et de dialogue
Et c'est là que nous devons être plus ambitieux. Il nous faut rompre avec la vision unilatérale qu'a imposée l'administration Bush à cette région. Non par antiaméricanisme, mais parce que derrière l'apparente glaciation des rapports de force, les lignes ont bougé, la place des acteurs a changé. La Syrie est affaiblie, l'Iran émerge, l'Irak se débat dans la guerre civile, l'autorité palestinienne est moribonde, Israël retombe dans l'isolement. Cette fragmentation nous oblige à repenser nos analyses et nos méthodes. Il nous faut séparer les conflits, casser le front du refus intégriste, jouer sur les intérêts contradictoires entre les Etats et les groupes qui le composent. Une telle démarche nécessite de multiplier les canaux de dialogue et de négociations. De n'écarter aucun interlocuteur pourvu d'une légitimité. Nul n'a jamais fait la paix avec ses seuls amis.
Soyons clairs. Nous savons tous que la paix au Liban passe inévitablement par une négociation directe entre Israël et l'Etat libanais incluant toutes les forces politiques y compris le Hezbollah. C'est le seul moyen de conforter le consensus politique entre Libanais et d'amener le " parti de Dieu " à passer de la lutte armée au terrain politique. L'échange de prisonniers peut être l'amorce de cette négociation.
De la même manière pouvons nous pressentir que le refus de parler avec la Syrie la jettera dans les bras de l'Iran. Il ne s'agit pas d'oublier sa responsabilité dans les drames du Liban mais au contraire de la placer face à ses responsabilités de puissance régionale.
Quant à l'Iran, nous savons les risques que recèle la conjonction du dossier nucléaire et de ses liens avec le Hezbollah. Les sanctions internationales que prépare le Conseil de sécurité seront insuffisantes si l'Europe ne parvient pas à organiser une négociation directe entre Washington et Téhéran. Aujourd'hui les menaces de confrontation unissent les Iraniens autour de leur régime et peuvent les inciter à utiliser les menées du Hezbollah comme moyen de pression. A l'inverse une offre de négociation sérieuse donne la chance de séparer les problèmes et d'aboutir à un compromis acceptable.
Mais le noeud gordien de tous ces conflits demeure le règlement de la question palestinienne. Tant que l'abcès de fixation demeurera, aucune normalisation ne sera possible entre Israël et le monde arabe. Alors comment admettre la résignation de la communauté internationale devant la reprise des affrontements à Gaza et en Cisjordanie. Comment accepter la passivité de l'Amérique et le suivisme de l'Europe. Nous faisons l'autruche alors même qu'un timide faisceau d'espoirs existe : la conviction d'une majorité d'Israéliens du caractère inéluctable d'un Etat palestinien, le plan Sharon de retrait unilatéral des territoires occupés, le ralliement du Hamas à l'appel des prisonniers qui reconnaît implicitement l'existence d'Israël, la tentative de formation d'un gouvernement d'union nationale autour du président Abbas.
Il y a les bases fragiles d'un accord possible. A la condition là encore de sortir du manichéisme qui veut trier entre les bons et les mauvais interlocuteurs. Je pense évidemment au Hamas. Quand on demande aux Palestiniens des élections libres, on ne peut pas commencer par les sanctionner au prétexte qu'ils se sont choisis des représentants qui ne correspondent pas à ce que l'on souhaiterait. C'est une contradiction insoutenable qui contribue à brouiller notre message démocratique dans les populations arabes et à durcir le sentiment d'un deux poids, deux mesures. Il faut revenir sur le boycottage du Hamas, obtenir la libération de ses ministres et rétablir l'aide internationale aux Palestiniens. Nous serons alors mieux à même de le couper de ses alliés syriens et iraniens et d'exiger qu'il reconnaisse la légitimité et la sécurité d'Israël.
Parler, ce n'est pas pactiser avec l'islamisme radical. Ce n'est pas donner droit à ses fausses vérités ou concéder nos principes démocratiques. C'est au contraire chercher à dissocier les durs des modérés, les politiques des jusqu'aux boutistes. C'est casser l'image d'un monde arabe monolithique. C'est comprendre qu'existent en son sein des intérêts contradictoires où certaines forces peuvent trouver plus d'avantages dans la négociation que dans la fuite en avant. C'est enfin aider ceux qui au sein du monde musulman travaillent à la démocratie et au dialogue des civilisations en recherchant des solutions équitables et justes. La guerre fait le jeu des extrémistes. La négociation est l'atout des démocrates.
La voie est escarpée. Elle demande une diplomatie ferme dans ses principes mais subtile dans sa méthode. Impartiale dans ses choix mais déterminée dans sa conduite. Offensive dans ses objectifs mais patiente dans ses résultats. Elle ne garantit pas le succès. Mais elle donne sa chance à la paix.
Parce qu'elle a toujours défendu un ordre mondial équitable, parce qu'elle a tissé des liens d'amitié avec toutes les parties du Moyen-Orient, la France peut contribuer à cette nouvelle donne. Cela suppose de sortir de la diplomatie du cavalier seul et des coups d'éclat sans lendemain. Nous avons en Europe des partenaires qui ont pris conscience des impasses américaines. Qui sont prêts à s'engager dans des médiations communes comme l'ont fait l'Espagne et l'Italie dans la FINUL. Fédérons ces énergies. Coordonnons nos efforts diplomatiques. Ensemble nous pouvons faire évoluer la stratégie américaine et davantage peser sur les choix déterminants.
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, Messieurs,
Il n'y a pas de malédiction du Moyen-Orient. Il n'y a pas de fatalité au choc des civilisations. C'est la résignation qui fait le lit de l'extrémisme. C'est la passivité qui engendre la guerre. Au Liban, nous avons stoppé la course à l'abîme. Il nous faut maintenant construire la paix. Les socialistes seront de cette bataille.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 8 septembre 2006
Mesdames, Messieurs,
Cette guerre des six semaines a été un nouveau désastre pour le Proche-Orient. Jamais la paix n'a paru si éloignée. Jamais le fossé entre Israël et ses voisins n'a semblé plus profond. Jusqu'où cette région va-t-elle s'enfoncer entre tentatives de paix avortées et déploiement de forces ? Entre guerres chaudes et accalmies glaciales ?
La question va au-delà de la stabilité régionale. Elle engage la sécurité internationale dans son ensemble tant le risque de fracture entre Orient et Occident s'accroît un peu plus à chaque confrontation. Je reviendrai sur ce point essentiel qui justifie à mes yeux l'engagement fort de la communauté internationale.
Tous les faits de cette guerre ont en effet démontré l'impasse de la logique militaire. Le Liban, qui commençait à se redresser de vingt ans de guerre et qui est l'une des rares démocraties de la région, a été durement éprouvé. Des milliers de victimes civiles, la destruction de trop de villes et d'infrastructures. Un blocus maritime et aérien inacceptable et qu'il est urgent de lever.
De son côté, Israël n'a pas atteint ses objectifs : ni la sécurisation de sa frontière nord, ni la destruction du Hezbollah, ni la libération de ses soldats kidnappés. Sa supériorité technologique ne lui a été d'aucun secours pour terrasser un adversaire enraciné sur son territoire, rompu aux techniques de guérilla. Politiquement Israël est plus que jamais isolé. La disproportion de sa riposte à l'attaque lui a aliéné les sympathies de ceux qui, dans le monde, reconnaissent son droit à se défendre. Et elle a renforcé les plus virulents de ses adversaires qui nient son droit à l'existence et ont juré sa destruction.
J'admire la faculté de la démocratie israélienne à reconnaître ses erreurs, à en débattre au grand jour sans rien esquiver. Mais la question ne peut se limiter aux choix militaires de son gouvernement et de son Etat major. Elle est d'ordre stratégique. Israël veut-il rester une forteresse assiégée dans une région hostile ou devenir une nation insérée dans un ensemble régional pacifié ? Croit-il pouvoir continuer à régler unilatéralement le sort de la guerre ou de la paix ou est-il prêt à se conformer aux résolutions de l'ONU comme elle le fait pour la 1701 ?
Il faut avoir le courage de le dire sans relâche à nos amis israéliens. Défiez vous de la funeste tentation d'un " deuxième round ". Ce serait la politique du pire. Le risque de guerre sans limite de Beyrouth à Bagdad, de Jérusalem à Jéricho. Tous les efforts de l'ONU et des nations qui concourent à la paix seront vains si n'émerge pas une volonté réciproque des belligérants de négocier une solution politique.
Le dire n'est pas ignorer les lourdes responsabilités du Hezbollah. Son refus obstiné de reconnaître l'existence d'Israël, les agressions répétées contre son territoire et sa population, l'enlèvement de deux de ses soldats ont été les détonateurs de l'embrasement. Les dirigeants du Hezbollah ont pris délibérément le risque d'exposer leurs compatriotes libanais aux ripostes israéliennes. Une résistance a pour but de défendre un peuple. Pas de le conduire à la ruine. Les Libanais ont eu le sentiment d'être pris en otage, d'être jetés dans une guerre qu'ils ne voulaient pas. La solidarité qu'ils ont exprimée envers leurs compatriotes chiites, leur opposition à l'offensive israélienne ne signifient pas adhésion à la stratégie belliciste du Hezbollah. Le processus de réconciliation nationale s'est bâti sur le départ de l'armée syrienne mais aussi sur la volonté de reconstruire un Etat souverain.
Je salue à cet égard la décision du Premier ministre Fouad Siniora et de son gouvernement de déployer l'armée libanaise au sud Liban. Elle traduit sa volonté de recouvrer la pleine souveraineté de l'Etat libanais sur tout son territoire. De ne plus accepter un Etat dans l'Etat armé, équipé, financé par l'ancienne puissance occupante. Jusqu'où ira cette détermination ? Le juge de paix sera le désarmement du Hezbollah qui est prévu dans la résolution 1559 du Conseil de sécurité. Aujourd'hui ce désarmement ne peut venir que d'un accord entre les Libanais eux-mêmes, non d'une intervention étrangère. Mais il faut en retour que l'Etat libanais et le Hezbollah donnent des garanties, qu'ils établissent un calendrier contrôlé et vérifié par la communauté internationale. C'est la condition d'un retour de la confiance et du dialogue avec Israël.
C'est dans ce contexte que nous avons soutenu les efforts de notre pays pour aboutir à la cessation des hostilités. Nous avons en ce domaine une heureuse continuité diplomatique depuis vingt cinq ans. Proposer et agir sous l'auspice des instances internationales chaque fois que la paix et la concorde sont menacées. Ainsi sommes nous présents en République démocratique du Congo, en Côte d'Ivoire, en Bosnie, au Kosovo, au Cambodge, en Afghanistan, et bien sûr au Liban. Pour cette région les principes de notre action n'ont pas changé depuis la déclaration de François Mitterrand le 17 juin 1982, c'est-à-dire depuis vingt quatre ans.
- Rétablir la souveraineté, l'intégrité et l'unité du Liban.
- Respecter les résolutions du Conseil de sécurité sur le cessez-le-feu et le retrait des forces israéliennes et de toute armée étrangère du territoire libanais.
- Assurer la sauvegarde et la protection des populations.
- Reconnaître les droits légitimes du peuple palestinien.
- Respecter les frontières internationalement reconnues de chacun des pays de la région, ce qui signifie garantir le droit à la sécurité d'Israël.
Ce refus de la fatalité, cette volonté d'être un acteur impartial du Proche-Orient, valent à notre pays l'estime et le respect de toutes les parties prenantes. Oui la France a bien agi au Liban. Face à un conflit inutile et meurtrier, elle a su entraîner les belligérants et la communauté internationale dans un processus de cessation des hostilités. Face à la catastrophe humanitaire qui a touché les populations civiles, elle a été la première à offrir son concours logistique. Face à la nécessité d'une force d'interposition internationale, elle a su prendre ses responsabilités en acceptant de renforcer la FINUL et d'en assumer le commandement.
Sur ce dernier point, je considère que le chef de l'Etat a eu raison d'exiger des garanties avant de déployer nos forces sur le terrain. Les Italiens et les Espagnols ont fait la même demande. François Mitterrand avait exprimé la même exigence en 1983. " Je n'exposerai pas la vie de nos soldats qui méritent eux aussi d'être aidés au-delà de la nécessité. " Nous avons tous en mémoire l'attentat qui a coûté la vie à 55 de nos soldats à Beyrouth cette année là. Nous nous souvenons tous de l'impuissance de la FORPRONU en Bosnie ou de la MINUL au Rwanda. L'ONU doit donner à ses troupes les moyens de faire respecter leur mandat. La clarification de la chaîne de commandement, la possibilité d'ouvrir le feu en cas d'agression d'un des belligérants ou d'attaques contre la population civile, le déploiement de matériels terrestres lourds vont dans ce sens.
De même a-t-il été clairement établi que le désarmement du Hezbollah n'est pas du ressort de la FINUL mais de l'armée libanaise.
Nous avons approuvé ces décisions parce qu'elles correspondent à l'urgence de la situation et à la sécurité de nos troupes. Mais nous devons dire clairement à nos concitoyens que cette mission reste des plus périlleuses. Des violations du cessez-le-feu ont déjà été observées de part et d'autre. L'approvisionnement en armes du Hezbollah se poursuit et son traitement fait l'objet d'un grand flou. Nous sommes à une sorte de mi temps. Entre guerre et escarmouches. Un statu quo conduirait inévitablement à la reprise du conflit et exposerait nos soldats à devenir les premières cibles dans le jeu d'influence des puissances régionales. Sans avancée diplomatique, je crains que l'évaluation de la mission promise par le chef de l'Etat dans six mois n'arrive trop tôt ou trop tard.
A cette première réserve, j'en ajouterai deux autres sur la méthode. Je regrette que la France n'ait pas su coordonner ses efforts avec ses partenaires européens, je pense à l'Italie et l'Espagne, qui oeuvraient parallèlement à un cessez-le-feu. S'il était légitime, au Conseil de sécurité, de rechercher en priorité un accord avec les Etats-Unis, partenaire incontournable de toute solution, le poids de l'Europe eut été un effet de levier supplémentaire pour accélérer l'évolution de la position américaine et l'arrêt des combats. L'Europe a en tout cas prouvé qu'elle pouvait être efficace en décidant en moins de deux heures sa participation au sein de la FINUL.
De la même manière je voudrais comprendre les contradictions de notre diplomatie vis-à-vis des Etats commanditaires du Hezbollah. D'un côté le chef de l'Etat refuse tout contact avec la Syrie. De l'autre, le ministre des Affaires étrangères a été jusqu'à louer le rôle stabilisateur que pourrait jouer l'Iran au Proche-Orient. Je peux comprendre la méfiance qu'inspire le régime syrien. Mais dans l'échelle des risques le pouvoir de nuisance de l'Iran, avec son programme nucléaire et ses fatwas contre Israël, apparaît autrement plus dangereux. Et je veux condamner une nouvelle fois les propos négationnistes du président iranien et sa volonté de détruire Israël. Ils empêchent toute normalisation avec l'Iran.
De deux choses l'une. Ou bien l'on considère comme les Américains qu'existe un axe du mal et il faut mettre la Syrie et l'Iran au ban des Nations. Ou bien l'on reconnaît plus lucidement qu'une solution négociée au Liban doit impliquer toutes les parties. Alors il est impossible d'ignorer la Syrie.
Ce point n'est pas mineur. D'une part parce qu'il engage la sécurité de notre troupes déployées au Liban. D'autre part parce qu'il dessine la perspective politique que l'on veut tracer pour le Proche et le Moyen Orient. Et c'est le dernier terme de mon propos.
L'urgence est évidemment la reconstruction du Liban. La conférence de Stockholm a permis de fixer les priorités et de collecter 1 milliard de dollars. La France doit bien entendu participer à cette reconstruction. Outre les aides d'Etat traditionnelles, la coopération décentralisée doit permettre aux collectivités locales qui le souhaitent de participer au parrainage des villes et villages détruits mis en place par le gouvernement libanais. Cette contribution n'aura de sens qu'à deux conditions. Qu'elle aille bien aux populations concernées et qu'elle ne soit pas détournée à d'autres fins par le Hezbollah. C'est une occasion pour l'Etat libanais d'affirmer son autorité en organisant le bon acheminement des aides. L'autre condition est d'adosser cette reconstruction à des garanties politiques et diplomatiques entre tous les acteurs concernés, faute de quoi ce qui a été bâti peut être à nouveau détruit.
Ne nous voilons pas la face. La proposition d'une conférence internationale, pour souhaitable qu'elle soit, est à ce stade prématurée et irréaliste. Il n'existe aucun canal de discussions, aucun plan de règlement qui puisse réunir sérieusement les belligérants et leurs soutiens autour d'une table. Et de quoi parlerait-on ? Avec qui ? Limiterait-on la négociation au contentieux israélo-libanais ? Elargirait-on au problème palestinien ? Embrasserait-on le conflit avec la Syrie ? Toutes les formules de ce type ont échoué.
Je crois qu'il nous faut être plus modestes et en même temps plus ambitieux. Plus modestes parce qu'il n'existe pas de clé unique, de formule magique qui permette de démêler l'écheveau du Moyen-Orient. C'est la grande erreur et le grand échec de l'administration Bush. En faisant du Proche et du Moyen Orient le poste avancé de sa guerre contre le terrorisme, en réduisant tous les problèmes à un " western biblique " entre démocratie et islamisme (selon la juste expression de l'ancien ministre libanais George Corm), en soutenant les thèses les plus extrémistes du Likoud israélien, l'Amérique s'est coupée des populations arabes et musulmanes. Le seul résultat tangible de cette politique est d'avoir renforcé tous les adversaires d'un règlement négocié.
La France a été l'un des rares pays à pressentir cet échec. Mais faute d'avoir pu ou d'avoir su en convaincre l'Europe, faute d'avoir une perspective de rechange qui soit autre chose que le simple retour de la realpolitik, elle n'a pu qu'agir aux marges.
Notre problème d'aujourd'hui est de trouver une nouvelle force médiatrice qui soit suffisamment impartiale et reconnue pour retisser le lien entre Israël et ses voisins, pour trouver de nouveaux canaux de communication et de dialogue
Et c'est là que nous devons être plus ambitieux. Il nous faut rompre avec la vision unilatérale qu'a imposée l'administration Bush à cette région. Non par antiaméricanisme, mais parce que derrière l'apparente glaciation des rapports de force, les lignes ont bougé, la place des acteurs a changé. La Syrie est affaiblie, l'Iran émerge, l'Irak se débat dans la guerre civile, l'autorité palestinienne est moribonde, Israël retombe dans l'isolement. Cette fragmentation nous oblige à repenser nos analyses et nos méthodes. Il nous faut séparer les conflits, casser le front du refus intégriste, jouer sur les intérêts contradictoires entre les Etats et les groupes qui le composent. Une telle démarche nécessite de multiplier les canaux de dialogue et de négociations. De n'écarter aucun interlocuteur pourvu d'une légitimité. Nul n'a jamais fait la paix avec ses seuls amis.
Soyons clairs. Nous savons tous que la paix au Liban passe inévitablement par une négociation directe entre Israël et l'Etat libanais incluant toutes les forces politiques y compris le Hezbollah. C'est le seul moyen de conforter le consensus politique entre Libanais et d'amener le " parti de Dieu " à passer de la lutte armée au terrain politique. L'échange de prisonniers peut être l'amorce de cette négociation.
De la même manière pouvons nous pressentir que le refus de parler avec la Syrie la jettera dans les bras de l'Iran. Il ne s'agit pas d'oublier sa responsabilité dans les drames du Liban mais au contraire de la placer face à ses responsabilités de puissance régionale.
Quant à l'Iran, nous savons les risques que recèle la conjonction du dossier nucléaire et de ses liens avec le Hezbollah. Les sanctions internationales que prépare le Conseil de sécurité seront insuffisantes si l'Europe ne parvient pas à organiser une négociation directe entre Washington et Téhéran. Aujourd'hui les menaces de confrontation unissent les Iraniens autour de leur régime et peuvent les inciter à utiliser les menées du Hezbollah comme moyen de pression. A l'inverse une offre de négociation sérieuse donne la chance de séparer les problèmes et d'aboutir à un compromis acceptable.
Mais le noeud gordien de tous ces conflits demeure le règlement de la question palestinienne. Tant que l'abcès de fixation demeurera, aucune normalisation ne sera possible entre Israël et le monde arabe. Alors comment admettre la résignation de la communauté internationale devant la reprise des affrontements à Gaza et en Cisjordanie. Comment accepter la passivité de l'Amérique et le suivisme de l'Europe. Nous faisons l'autruche alors même qu'un timide faisceau d'espoirs existe : la conviction d'une majorité d'Israéliens du caractère inéluctable d'un Etat palestinien, le plan Sharon de retrait unilatéral des territoires occupés, le ralliement du Hamas à l'appel des prisonniers qui reconnaît implicitement l'existence d'Israël, la tentative de formation d'un gouvernement d'union nationale autour du président Abbas.
Il y a les bases fragiles d'un accord possible. A la condition là encore de sortir du manichéisme qui veut trier entre les bons et les mauvais interlocuteurs. Je pense évidemment au Hamas. Quand on demande aux Palestiniens des élections libres, on ne peut pas commencer par les sanctionner au prétexte qu'ils se sont choisis des représentants qui ne correspondent pas à ce que l'on souhaiterait. C'est une contradiction insoutenable qui contribue à brouiller notre message démocratique dans les populations arabes et à durcir le sentiment d'un deux poids, deux mesures. Il faut revenir sur le boycottage du Hamas, obtenir la libération de ses ministres et rétablir l'aide internationale aux Palestiniens. Nous serons alors mieux à même de le couper de ses alliés syriens et iraniens et d'exiger qu'il reconnaisse la légitimité et la sécurité d'Israël.
Parler, ce n'est pas pactiser avec l'islamisme radical. Ce n'est pas donner droit à ses fausses vérités ou concéder nos principes démocratiques. C'est au contraire chercher à dissocier les durs des modérés, les politiques des jusqu'aux boutistes. C'est casser l'image d'un monde arabe monolithique. C'est comprendre qu'existent en son sein des intérêts contradictoires où certaines forces peuvent trouver plus d'avantages dans la négociation que dans la fuite en avant. C'est enfin aider ceux qui au sein du monde musulman travaillent à la démocratie et au dialogue des civilisations en recherchant des solutions équitables et justes. La guerre fait le jeu des extrémistes. La négociation est l'atout des démocrates.
La voie est escarpée. Elle demande une diplomatie ferme dans ses principes mais subtile dans sa méthode. Impartiale dans ses choix mais déterminée dans sa conduite. Offensive dans ses objectifs mais patiente dans ses résultats. Elle ne garantit pas le succès. Mais elle donne sa chance à la paix.
Parce qu'elle a toujours défendu un ordre mondial équitable, parce qu'elle a tissé des liens d'amitié avec toutes les parties du Moyen-Orient, la France peut contribuer à cette nouvelle donne. Cela suppose de sortir de la diplomatie du cavalier seul et des coups d'éclat sans lendemain. Nous avons en Europe des partenaires qui ont pris conscience des impasses américaines. Qui sont prêts à s'engager dans des médiations communes comme l'ont fait l'Espagne et l'Italie dans la FINUL. Fédérons ces énergies. Coordonnons nos efforts diplomatiques. Ensemble nous pouvons faire évoluer la stratégie américaine et davantage peser sur les choix déterminants.
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, Messieurs,
Il n'y a pas de malédiction du Moyen-Orient. Il n'y a pas de fatalité au choc des civilisations. C'est la résignation qui fait le lit de l'extrémisme. C'est la passivité qui engendre la guerre. Au Liban, nous avons stoppé la course à l'abîme. Il nous faut maintenant construire la paix. Les socialistes seront de cette bataille.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 8 septembre 2006