Interview de M. Charles Pasqua, président du RPF, dans "Bastille, République, Nation Le journal" du 30 janvier 2001, sur le sommet européen de Nice, les positions de J. Chirac et L. Jospin sur l'Europe et sa candidature à l'élection présidentielle de 2002.

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BRN - Quelle appréciation portez-vous sur les résultats du sommet de Nice, et sur ses suites possibles ?
CP - Une appréciation globalement négative. A vrai dire, c'est un peu le schéma de la bouteille à moitié pleine... ou à moitié vide. Car les tentatives des fédéralistes n'ont pas totalement abouti. En effet, les petits pays ont réussi à limiter les dégâts, notamment en obtenant le maintien de la présence d'un commissaire de chaque pays au sein de la commission. Et le nombre de domaines dans lesquelles le droit de veto (la règle de l'unanimité) devait être aboli est finalement plus réduit que prévu - même si certains de ces domaines basculent dans la règle dite de la majorité qualifiée. Ce qui est incroyable, c'est que la délégation française était l'une de celles qui poussait vers plus de fédéralisme. Cela avait déjà, été le cas à Amsterdam, où Jacques Chirac comme Lionel Jospin avaient plaidé pour de plus larges abandons de souveraineté. A l'inverse, la conférence qui s'est conclue à Nice, sous présidence française, aurait pu être une occasion marquante de remettre à plat les questions de fond sous-jacentes à l'intégration européenne, et qui ne sont jamais mises sur la table. Il fallait lancer le débat sur la nature et l'organisation de l'Europe, débat que les fédéralistes se gardent bien de mener, si ce n'est entre quelques intellectuels ou spécialistes. Mais ils redoutent plus que tout que ce débat ait lieu dans le peuple. Un débat où les uns et les autres pourraient exprimer les choix, les perspectives, les alternatives possibles.
BRN - Est-ce que la décision prise à Nice de tenir une nouvelle conférence en 2004 vous inquiète ?
CP - D'ici 2004, beaucoup de choses peuvent se passer ! Cela donne le temps de faire ce qu'il faut pour que les desseins des européïstes ne puissent se réaliser...
BRN - A droite du " paysage politique ", vous êtes celui qui est le plus critique sur le processus actuel d'intégration européenne. Quels sont, de votre point de vue, les dangers majeurs que celui-ci recèle ?
CP - Evidemment la perspective de la disparition de l'indépendance nationale. Et, disons-le, la transformation de la France en satellite des Etats-Unis. Car les partisans de l'actuelle construction européenne n'imaginent nullement constituer une puissance indépendante. Voulons-nous être véritablement indépendants des Américains ? La question n'est jamais réellement posée.
BRN - Est-ce à dire que si l'hypothèse d'une Europe indépendante des USA se dessinait, cela vous satisferait - indépendamment des rapports en son sein ?
CP - Une Europe indépendante n'aurait de sens que s'il s'agissait d'une confédération, c'est-à-dire d'une structure permettant les coopérations entre Etats. Il peut bien sûr y avoir des mise en commun de moyens ou de compétences, mais les abandons de souveraineté à des institutions supra-nationales sont à exclure. Pour une raison simple : il y a un peuple français, un peuple allemand, un peuple italien,... mais il n'y a pas de peuple européen : nos cultures, nos histoires sont différentes. Au lieu d'additionner les diversités de chacun, les fédéralistes n'ont qu'une idée en tête, les gommer... On essaye de créer l'" homo europeus ", comme on avait voulu instaurer l'" homo sovieticus "... Je prédis au premier le brillant avenir du second !
BRN - Lors du semestre pendant lequel la France assurait la présidence de l'UE, les deux " têtes de l'exécutif ", Jacques Chirac et Lionel Jospin, ont mis un point d'honneur à exprimer des positions communes en ce qui concerne la construction européenne. Pensez-vous que cette dernière soit le terrain d'un accord de façade, ou bien de fond, entre les forces politiques dont ils sont issus ?
CP - Lionel Jospin et Jacques Chirac ont eu d'autant moins de peine à afficher des positions communes qu'ils sont effectivement, sur le fond, sur la même ligne, sur la même politique. Cela vaut d'ailleurs pour l'Europe comme pour d'autres domaines. Le président de la République et le premier ministre ne sont pas engagés dans une compétition entre leaders, mais plus prosaïquement dans une concurrence d'hommes, au sein de laquelle, les engagements ou les convictions politiques, philosophiques, sont reléguées au profit d'une course pour des places. Cela étant, les questions que nous évoquons sont de nature à faire évoluer la structuration du paysage politique. D'ailleurs, autour de quelles autres questions pourrait se restructurer la vie politique ? Je n'en vois pas d'autres. Ainsi, lorsque j'entend parler des tentatives d'union à droite, je pense que cela est une erreur. En réalité, la seule union qui aurait une véritable signification politique serait une alliance PS-UDF-RPR, et même à la limite avec le PC actuel. Le poids des idées dominantes - et pas seulement en France - est tel qu'on est devant cet étrange paradoxe : alors que le matérialisme scientifique a disparu, le matérialisme tout court s'impose brutalement aux quatre coins de la planète.
BRN - Est-ce à dire que l'attachement à l'indépendance nationale ferait disparaître les contradictions entre ceux qui s'en réclament, selon qu'ils viennent de gauche ou de droite ?
CP - Si l'on posait comme postulat la nécessité de préserver l'indépendance nationale, on trouverait certainement des terrains d'entente entre les uns et les autres. Pour autant, cela ne ferait pas disparaître les différences ou les contradictions. Simplement, la nature de celles-ci peut évoluer, comme à d'autres moments de notre histoire.
BRN - En arrivant en seconde position le 13 juin 1999 - donc en devançant notamment la liste conduite par Nicolas Sarkozy et Alain Madelin - la liste que vous conduisiez avait créé la surprise. Les facteurs qui ont déterminé ce succès vous paraissent toujours d'actualité ? Comment expliquez-vous les difficultés à capitaliser ce succès, si l'on en juge par les vicissitudes qu'a connues le RPF depuis plus d'un an ?
CP - Les raisons du succès de la liste que je conduisais n'ont nullement disparu. Au premier rang d'entre elles se trouve l'incapacité des partis à préciser et proposer des lignes politiques identifiables. Nous, en revanche, avions définis des choix simples et clairs. Du reste, l'année dernière, lorsqu'il s'est agi de s'opposer au quinquennat, c'est un peu le même type de polarisation qui s'est produit. Lors des élections européennes, j'avais appelé au rassemblement très au delà des clivages traditionnels, en fonction d'enjeux qui seront à nouveau posés au moment de l'élection présidentielle. A l'inverse, d'autres échéances électorales - les municipales, par exemple - ne se prêtent guère à la clarification sur les questions d'avenir, et pour tout dire, n'y aident pas. En ce qui concerne le RPF, la question reste de savoir si c'était effectivement un parti qu'il fallait créer. Probablement cette forme partisane était-elle réductrice. Un parti est en effet soumis aux vicissitudes de la vie politique au quotidien. Or il faut du temps pour débattre, former des militants, et ce, d'autant plus qu'on a fait désormais disparaître le combat idéologique... Cela étant, parti, mouvement, ou association, il faut des relais sur le terrain. Et les militants. ont notamment une qualité essentielle : ils ont la foi, et ça peut soulever des montagnes !
BRN - On entend souvent que vous avez lancé votre campagne pour l'élection présidentielle, avec la perspective inavouée de rallier le probable candidat Chirac entre les deux tours. Si vous ne figuriez pas au second tour, quels seraient les critères sur lesquels vous vous détermineriez ? Plus fondamentalement, le choix des thèmes que vous comptez promouvoir d'ici avril 2002 n'est-il pas fort délicat au regard de la diversité de ceux que vous espérez peut-être rassembler ?
CP - Je serai présent au premier tour des présidentielles, et l'hypothèse que je sois présent au second est tout à fait possible. C'est évidemment celle pour laquelle je me bats. Si ce n'était pas le cas, le critère pour le choix du deuxième tour est extrêmement simple : le maintien de la souveraineté. Et l'on peut parfaitement se trouver dans le cas de figure où aucun des deux candidats ne défende ce choix. Quant à ma campagne d'ici 2002, je ne me soucie pas de plaire à tout le monde, ce n'est pas ainsi que la question se pose. Je crois à la nécessité d'une grande politique pour la France. Si l'on veut rester maître chez soi, on a des responsabilités - et c'est sur des thèmes tels que l'indépendance nationale, l'organisation de l'Etat, que les électeurs devraient se décider : il faut en tirer les conséquences, faire des propositions précises, et donc sortir des clichés. Permettez-moi de citer un exemple : nous avons organisé récemment un colloque rassemblant plusieurs centaines de scientifiques, dont plusieurs prix Nobel, afin de traiter des futurs développements en matière d'énergie nucléaire, qui ouvrent des perspectives d'exploitation plus sûre et plus efficace de cette dernière. Des chercheurs en provenance de nombre de pays étaient là, notamment des américains, des Russes (ces derniers représentent en ce domaine une communauté scientifique de 70 000 membres, on l'oublie souvent). Plusieurs participants m'ont confié que c'est la première fois qu'un homme politique consacre ainsi une journée entière à assister à des travaux de ce type. Qui, en effet, se préoccupe de ces enjeux ? Certainement pas Jacques Chirac ou Lionel Jospin, qui ne pensent qu'à se " marquer à la culotte ". Bref, ce qui manque aujourd'hui, c'est un peu de souffle d'avenir, une véritable capacité d'entraînement.
Propos recueillis par P.L.
(Source : http://www.rpfie.org. le 23 février 2001)