Interview de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, à RMC le 2 février 2001 sur les mouvements sociaux et la hausse de la délinquance notamment chez les jeunes.

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Texte intégral

Lapousterle - Votre Gouvernement a l'habitude de parler de son bilan en bien. Il y a un domaine dans lequel le bilan n'est pas bon, c'est celui de la sécurité. On va en parler tout à l'heure. Mais avant un mot sur ce qui se passe en ce moment sur l'atmosphère sociale, sur les défilés - 400 000 personnes dans les rues -, hier c'était les transports en commun, il y a un nouveau préavis de grève pour jeudi. On a l'impression qu'il y a une grogne sociale quand même ?
- "Il y a plusieurs manifestations différentes. Il y a d'abord celle contre le Medef et son attitude incroyable en ce qui concerne les retraites complémentaires. Il va falloir être très attentif à un tel sujet car rien ne serait pire que de constater que ceux qui prendraient leurs retraites à partir du mois d'avril verraient leurs retraites, par la décision du Medef, amputée de 22 %. Et puis il y a un certain nombre de manifestations qui concernent le pouvoir d'achat. Mais lorsqu'une société va mieux, lorsque des profits qui sont engrangés par des entreprises, il est normal que ce genre de comportements existe."
Mais là c'est contre le Gouvernement, ce sont des fonctionnaires qui manifestent ?
- "Que ce soit les fonctionnaires ou que ce soit dans le privé, à un moment donné, lorsque la société va mieux, on réclame pour son pouvoir d'achat."
Pourquoi vous ne leur donnez pas cet argent ?
- "Nous proposons aux fonctionnaires une augmentation sur l'année 2001 mais nous leur demandons aussi de tenir compte des augmentations qu'ils ont eu l'année dernière. Elles ont été calculées sur une base d'inflation plus importante que celle que nous avons constatée et cela leur a permis d'engranger du pouvoir d'achat."
Cela ne vous inquiète pas ces grognes sociales ?
- "C'est la vie. Je pense que rien ne serait pire pour un Gouvernement que d'avoir l'impression qu'il travaille ou qu'il négocie dans le vide. Le rapport social fait aussi partie de la politique."
Une question à l'élu de l'Ile-de-France : Paris a donc apparemment décidé de voter à gauche ?
- "On le verra le soir du deuxième tour."
Mais quand même, il s'est passé quelque chose ?
- "Oui, mais je me méfie de ces élections euphoriques. Car d'abord rien ne serait pire que de donner l'impression que tout est joué et que les électeurs de gauche aillent en week-end plutôt que d'aller voter. Paris passera à gauche, Paris aura B. Delanoë comme maire lorsqu'on aura gagné les élections. Mais d'une certaine manière, la droite parisienne mérite cette défaire. Quand on voit ce qu'ils ont fait de Paris ces dernières années, lorsque je vois - et ça c'est le maire du Pré-Saint-Gervais, de l'autre côté du périphérique qui le dit - le dédain que Paris a eu pour l'ensemble des habitants de la banlieue. A un moment donné, je crois que non seulement politiquement mais aussi moralement, il est normal que cette équipe défaillante et finie connaisse la défaite."
Vous condamnez la campagne de M. Séguin ?
- "C'est un monsieur qui est attachant, qui a du talent mais qui est quand même un peu bizarre. Il a des hauts et des bas qui peuvent être inquiétants quand on pense donner à un personnage comme lui la responsabilité d'une aussi belle et grande ville que Paris."
La délinquance : les chiffres vont être connus aujourd'hui. Ils sont en hausse, en hausse sensible. Pourquoi cet échec du Gouvernement sur ce point-là ?
- "Je crois qu'il faut d'abord commencer par là : cette délinquance est insupportable, le Gouvernement a eu l'occasion de dire que la sécurité était indispensable pour tous nos concitoyens."
Et malgré ça, cela galope.
- "Et permettez à l'élu du Pré-Saint-Gervais et de la Seine-Saint-Denis que je suis, de dire que lorsque je vois les personnes âgées de mon département inquiètent et qui n'osent plus sortir ; lorsque je vois les jeunes eux-mêmes ne plus mettre des vêtements sympas parce qu'ils ont peur d'être rackettés, je me dis qu'il faut qu'on agisse et il faut qu'on agisse encore plus fort. Sur les chiffres maintenant : il y a des carottes et des poireaux dans ces chiffres. Il y a à la fois une très forte augmentation de tout ce qui est délinquance à la carte bleue, il y a une augmentation importante de tout ce qui est lié au trafic de téléphones portables."
Il y aussi une forte augmentation sur les violences et notamment des jeunes : vols à mains armées, vols avec violence...
- "Il y a ce problème sur lequel je souhaite vraiment qu'on se mobilise tous : c'est cette délinquance, cette violence des jeunes de plus en plus jeunes"
Qui commence à 13 ou 14 ans !
- "Ces enfants sont ceux des années de crise. Ils n'ont plus de repères et nous posent globalement - et à tous - une question que nous ne réglerons pas simplement par le nombre de policiers. Vous avez vu que le Gouvernement a pris des décisions à ce sujet : non seulement nous allons remplacer les policiers qui prendront leur retraite dans les années qui viennent - ce qui n'avaient pas été prévu par le gouvernement de M. Balladur et même celui de M. Juppé. Nous allons mettre 1 000 policiers supplémentaires. Dans le cadre de ces départs en retraite, nous allons les mettre plus nombreux sur les territoires où ils en ont le plus besoin. Mais quelle que soit leur efficacité, quelle que soit leur volonté, si l'ensemble de la société ne vient pas aider la police, si nous ne réussissons pas - Justice, Education nationale, municipalités, associations, parents - à venir compléter le travail de la police, nous ne réussissons pas à améliorer la situation."
Mais vous faisiez partie de ce Conseil de sécurité intérieure, vous en êtes membre et vous avez pris des décisions. Est-ce que vous aviez l'impression, ce jour-là, que vous mettiez en place quelque chose qui pouvait renverser la tendance ? On ne peut pas dire ça quand même, on voit bien que cela ne va pas changer les choses...
- "Nous avons commencé à mettre en place un certain nombre d'outils qui doivent nous permettre d'améliorer les choses dans les années qui viennent. D'abord la police de proximité : on se rend compte que la première des choses, c'est qu'elle soit présente sur le terrain. Le deuxième point, ce sont les contrats locaux de sécurité - pour répondre à la question que vous me posiez - qui disent, justement, qu'on ne peut pas laisser la police seule. La sécurité, c'est une coproduction et il faut que l'on puisse agir ensemble. Et troisième point - et là je suis heureux parce que c'est ma proposition qui a été retenue - : nous avons créé 5 000 postes d'adultes-relais justement pour venir aider les parents à retrouver de l'autorité parentale."
Pourquoi le Premier ministre a dit à l'Assemblée l'autre jour : "Je ne voudrais pas de maires shérifs" lorsque les maires demandaient tout simplement d'être informés lorsque la police préparait des choses et de participer aux opérations de sécurité. Cela paraît normal, pourquoi deviendrait-on "shérif" pour autant ?
- "Parce que les maires qui sont membres d'un contrat local de sécurité sont associés à part entière. Ce que je ne souhaite pas, c'est que les maires aient la responsabilités de la police, y compris pour une question d'efficacité. Je vous donne un exemple précis..."
Pourquoi, elle est efficace en ce moment la police ?
- "En tous les cas, lorsque vous les voyez agir, notamment dans le cadre de la police de proximité, ils marquent des points. Moi, j'ai eu la chance d'être un des premiers des 63 sites où la police de proximité a été installée et non seulement immédiatement les habitants de la ville sur laquelle je suis élu ce sont sentis plus en sécurité, mais on a aussi vu que les résultats de cette police de proximité permettent de constater qu'elle marque des points. Mais pour aller directement à la question que vous me posez : c'est aussi pour une question d'efficacité. Je vous donne un exemple précis : je suis sur une ville qui est vraiment limitrophe de Paris. Imaginez que ceux qui commettent des délits sur Paris, ils relèvent du maire de Paris et que ceux qui commettent des délits sur le Pré-Saint- Gervais relèvent du Pré-Saint-Gervais. Est-ce que vous imaginez le phénomène de l'insécurité tenant compte des limites des différentes communes ?"
Vous avez entendu l'autre jour ce qui s'est passé à La Défense : les maires n'étaient même pas au courant !
- "Justement La Défense est encore un très bon exemple pour garder le côté national de la police. L'esplanade de la Défense correspond en termes de responsabilité à trois maires différents. Vous imaginez pour coordonner la réponse en terme de sécurité publique ?"
Mais personne ne les a vu arriver.
- "Si l'on ne les avait pas vu arriver, il n'y aurait pas eu cette action efficace de la police qui a empêché que l'on connaisse et des morts et des blessés. Aujourd'hui, on dit que la police n'était pas au courant. Elle ne savait pas exactement s'ils allaient arriver à La Défense ou à la gare St Lazare mais ils étaient là et ils ont empêché que cette bande de jeunes abrutis ne commettent des délits qui auraient pu conduire à des morts ou à des blessés graves."
On avait dit que l'insécurité était due au chômage. Le chômage baisse beaucoup et l'insécurité monte !
"Voilà encore un point sur lequel la société doit être capable de se remettre en question tout le temps. Actuellement, ce sont les enfants de la crise qui nous posent le plus de problèmes. Actuellement, dans une société qui va mieux, cette génération qui adore la société de consommation veut connaître, elle aussi, les bienfaits de la consommation. Et lorsqu'elle a l'impression que, parce que leurs parents étaient étrangers, parce qu'ils habitent une cité quelquefois dégradée, qu'ils ne peuvent pas bénéficier de cette consommation, cela peut conduire à ce genre de comportements."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 2 février 2001)