Interviews de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, à RMC et "Métro" le 28 septembre 2006, sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics.

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Texte intégral

RMC Info
8h30
le 28 septembre 2006
[8h35-8h45 : Première partie de l'interview]
Q- Quelle est la question que vous voulez poser aux auditeurs de RMC ?
R- Oui, concernant l'interdiction de fumer dans les lieux publics, c'est avant ou après les élections ?
Q- Alors, avant ou après les élections ? Qu'en pensez-vous ? Faut-il interdire avant ou après les élections ? Vous avez choisi, vous, vous voulez interdire...
R- Ah oui !
Q- On y reviendra tout à l'heure, sur la date. Pour vous, c'est janvier ?
R- Le plus tôt possible, le début de l'année me semble être une bonne date. Je pense que les esprits sont prêts.
Q- Je rappelle le calendrier : la mission parlementaire remettra son rapport au Gouvernement le 3 octobre prochain, la semaine prochaine, et à la mi-octobre, le Gouvernement prendra sa décision quant à l'interdiction du tabac. L'interdiction, c'est acquis, on est d'accord ?
R- Dans tous les esprits, même les professionnels - les professionnels du secteur de la restauration, même les débitants de tabac -, chacun a compris que c'était inéluctable. Mais ce qui est bien c'est de rappeler aussi pourquoi. C'est parce qu'il y a deux chiffres qui s'imposent à tous : 66.000 et 5.000. 66.000 personnes meurent du tabac chaque année, 66.000 ! Et 5.000 meurent du tabac alors que ces personnes ne fument pas, c'est le tabagisme passif. Et moi, ce qui m'intéresse c'est qu'on puisse provoquer un déclic, un vrai changement des comportements comme on a su le faire avec la sécurité routière parce que, Jean-Jacques, disons tout, les 5.000 personnes qui meurent du tabagisme passif, ça n'est pas seulement parce qu'elles fréquentent des lieux publics, c'est aussi parce qu'à domicile, à leur domicile, elles vivent à côté, par exemple, d'un gros fumeur. Or, ce qui m'intéresse c'est qu'on fasse prendre conscience que le tabac est dangereux pour les fumeurs et les non-fumeurs, et que derrière ça, chacun fasse davantage attention. Donc, je veux éviter la cohabitation forcée fumeurs/non-fumeurs dans les lieux publics, je veux aussi que l'on protège les salariés et puis, il y a autre chose qui n'a jamais été appliqué dans aucun autre pays européen : c'est qu'on profite de cela pour aider les fumeurs qui le souhaitent à s'arrêter de fumer. Il y a un autre pilier - il ne s'agit pas d'interdire pour interdire- il s'agit aussi d'interdire en éduquant, en sensibilisant et en ayant ce mouvement de fond.
Q- On va revenir sur les interdictions mais puisque vous parlez d'éduquer les fumeurs, d'aider les fumeurs à arrêter et les aider à quitter la cigarette, X. Bertrand, est-ce que les patchs seront remboursés par la Sécurité sociale ?
R- C'est ce sur quoi je travaille.
Q- Oui ou non ?
R- Le problème, si je vous dis "oui" ou "non" maintenant, cela voudrait dire qu'on a répondu à plusieurs questions. Je voudrais vous dire quelles sont les questions qui se posent : 1, combien ça coûte ? Combien ça coûte, on sait que c'est plusieurs dizaines de millions d'euros. Moi, je suis prêt à faire cet effort mais je veux savoir si par exemple les complémentaires, qui déjà participent au paiement de certains patchs, sont prêtes à nous accompagner, certaines entreprises le font, et est-ce qu'on peut aussi diminuer le prix qui est aujourd'hui pratiqué ? C'est aujourd'hui ce que je suis en train de voir avec ces différents interlocuteurs. Deuxième sujet, c'est utile ou pas ? Certains me disent que non. Je suis en train de vérifier, de demander des recommandations scientifiques et il semblerait qu'effectivement c'est utile. Il y a un dernier point, le plus important, et après, donnez-moi vous aussi votre avis : aujourd'hui, le fumeur il s'achète par exemple son paquet de cigarettes tous les jours, il dépense de l'argent tous les jours ; s'il achète son patch, c'est le même prix pour lui. Est-ce que c'est donc à lui de le payer ou est-ce que c'est à la Sécu de le payer ?
Q- Qu'en pensez-vous ?
R- C'est à vous que j'ai posé la question.
Q- Moi, je pense que c'est aux deux.
R- Moi, je pense qu'il peut aussi faire un effort mais je pense aussi que la Sécurité Sociale peut faire cet effort parce que c'est notre intérêt à tous.
Q- Mais bien sûr, c'est aux deux parce qu'il cotise aussi.
R- Mais tout le monde n'a pas forcément la même réponse que vous et moi. Mais je suis dans cette direction et je suis bien déterminé à ce que, pour le début de l'année et aussi en même temps, on puisse aider beaucoup mieux les fumeurs à s'arrêter de fumer avec aussi des consultations. Vous savez, en tabacologie...
Q- Donc, on demanderait aux fumeurs de participer, finalement, à son sevrage, et on demanderait à l'Etat, par l'intermédiaire de la Sécurité Sociale et des cotisations de tous les citoyens, de participer aussi financièrement à ce sevrage.
R- Tout à fait. En plus, il faut savoir qu'il y a des recettes qui sont liées à la vente du tabac et c'est tout à fait normal que ce soit pour la Sécurité Sociale, pour financer la prévention. On finance aussi le soin. Je crois que c'est important que l'on sache faire cet effort.
Q- Moins de fumeurs, moins de recettes pour l'Etat, évidemment.
R- Alors, attendez ! En la matière...
Q- ...Et pour le ministre du Budget aussi.
R- Je préfère qu'on diminue les recettes de l'Etat liées au tabac et qu'on puisse
effectivement améliorer la quantité de vie et la qualité de vie.
Q- Décret ou pas ?
R- Ce n'est pas le plus important, franchement.
Q- Non, mais cela va plus vite.
R- Le décret ça va plus vite, il nous amène les mêmes garanties, la même sécurité juridique parce qu'il sera examiné par le Conseil d'Etat. Décret veut dire aussi concertation avec tous les acteurs de ce secteur, avec aussi les parlementaires. Moi, ce qui m'intéresse c'est que sur un dossier comme celui-ci, on puisse aller vite si on est bien d'accord, et tout le monde aujourd'hui est d'accord. Alors qu'effectivement, une loi il faut un examen par l'Assemblée, par le Sénat, il faut que ce soit voté dans les mêmes termes. Bien souvent, en plus, on nous dit qu'il ne faut jamais l'urgence sur un texte législatif. Je ne sais pas si on aurait 130.000 amendements sur un texte comme celui-ci, mais on peut avoir exactement les mêmes garanties de concertation avec un décret. Maintenant, j'attends de savoir exactement ce que dira la mission parlementaire mardi prochain. Et pour les Français, loi ou décret, ce n'est pas le plus important, ce qui est important c'est quand est-ce que ça change ?
Q- L'interdiction partout, dans les entreprises, les administrations publiques, bien. Les bars tabacs, les casinos, les restaurants, les boîtes de nuit : dérogation ou pas ?
R- Dans tous les pays européens où on a mis en place l'interdiction de fumer dans les lieux publics, il y a eu des adaptations pour ces secteurs-là.
Q- Cela veut dire quoi une adaptation ?
R- Adaptation, cela peut vouloir dire deux choses : un délai pour appliquer cette interdiction...
Q- ... Vous êtes favorable à ça, un délai pour appliquer l'interdiction ?
R- Moi, écoutez, je pense que c'est somme toute assez logique si on veut qu'il y ait une acceptation de la mesure parce que ça ne sert à rien de dire du jour au lendemain "on va interdire du fumer" si on sait pertinemment que ça ne sera pas accepté et donc que ça ne sera pas pratiqué. J'ai bien retenu les leçons de ce qui s'est passé avec la loi Evin. La loi Evin en soi est une bonne loi. Le décret qui a été pris un an et demi après n'a pas tenu compte de l'aspect concret des choses. Le décret n'a pas été dans le détail. Si bien qu'on a une loi qui est généreuse, qui est générale, et un décret qui est à côtéde la plaque en 92. Voilà pourquoi je ne veux pas que nous refassions cette erreur, et que le temps qui a été passé aujourd'hui pour rencontrer tout le monde, voir l'application - je suis allé moi-même dans des restaurants, dans des bars tabacs, de voir aussi ce qui était possible... Tout le monde est prêt à évoluer. Il faudrait un certain temps, un certain nombre de mois pour que la mesure s'applique, et puis j'ai regardé aussi ce qui se passe à l'étranger, et vous avez notamment dans des pays comme l'Italie, ils ont donné la possibilité de mettre en place des pièces "Fumeurs" fermées, sans aucun service, c'est-à-dire que l'exploitant a la possibilité de mettre ça en place. En Italie, très peu d'établissements l'ont choisi, mais ça marche.
Q- 2 % ont choisi. Donc, ça serait le choix pris par la France aussi ?
R- Moi, je préfère le modèle français, ce que l'on va mettre en place plutôt que tel ou tel autre modèle. Mais en Italie, ça a l'air de marcher et là j'ai demandé aussi clairement, parce que c'est aussi à eux en ce moment de donner leurs conclusions, aux parlementaires de se prononcer là-dessus.
Q- Donc, si j'ai bien compris, interdiction formelle, dérogation pendant un ou deux ans...
R- Adaptation, parce que... Je vais vous dire pourquoi, je ne joue pas sur les mots, pourquoi on ne peut pas dire "dérogation" ? Parce que vous devez protéger tous les salariés. Depuis juin 2005, la Cour de cassation dit clairement qu'un salarié où qu'il travaille doit être protégé. Or, vous ne pouvez pas oublier les salariés qui sont dans les casinos, vous ne pouvez pas oublier les salariés qui travaillent dans les bars tabacs, voilà pourquoi la loi doit s'applique pour tous mais que si on peut adapter le système en protégeant les salariés, eh bien dans ces conditions-là, ça se regarde.
Q- Bon. Donc, adaptation pendant un an ou deux ans.
R- C'est beaucoup deux ans.
Q- Deux ans, c'est beaucoup ?
R- Oui, c'est beaucoup parce que, attendez, comment vous faites pour les salariés pendant ces deux années dans ces lieux-là si vous ne faites rien ?
Q- Donc, adaptation, donc vous allez demander aux cafés tabac, aux restaurants, aux hôtels, aux boîtes de nuit de s'adapter et de mettre en place...
R- ...Dans les restaurants, une chose est certaine, dans les restaurants, si vous avez une pièce, s'ils décident par exemple comme en Italie de mettre une pièce "Fumeurs" fermée sans service...
Q- ... Eh bien, on n'ira pas au restaurant.
R- Ah si, vous allez au restaurant et je connais même d'ailleurs beaucoup de personnes qui, effectivement, sont prêtes à retourner au restaurant, notamment avec des enfants, mais c'est que cette pièce "Fumeurs" pour les restaurants...
Q- Pas de service.
R- Pas de service...
Q- ...Donc, pas de restauration.
R- ...donc ce qui veut dire que dès le début de l'année, on peut y passer, c'est pas le problème. Je voudrais vous donner une anecdote : je vais la semaine dernière dans un restaurant et le patron du restaurant me dit, "Est-ce que vous allez enfin interdire le tabac dans les restaurants ?". Je dis "Pourquoi me posez-vous cette question ?". Il dit : "L'autre jour, je passais une radio des poumons et le médecin me dit : mais vous fumez, vous. Je dis, non, j'ai arrêté depuis trente ans". Il dit alors : "Vous devez être dans la restauration, certainement". Ce qui montre que ce tabagisme passif, il frappe beaucoup plus qu'on ne le croit et ce patron de restaurant me disait : "de moi-même, parce que les autres ne seront pas non-fumeurs, je ne sais moi rendre mon établissement non-fumeurs, voilà pourquoi j'attends avec impatience que ça change".
Q- J'imagine aussi une boîte de nuit avec un grand espace non-fumeurs et un petit espace à côté où on pourra fumer. Ca pourra exister ça ?
R- C'est ce qui se fait en Italie. Et ça, ça protège les salariés, ça permet de mettre à part fumeurs et non-fumeurs, vous respectez les principes que j'ai énoncés tout à l'heure : plus de cohabitation forcée fumeurs/non-fumeurs, protection des salariés. C'est pour ça que l'exemple italien est vraiment intéressant même si très peu d'établissements ont mis en place ces pièces "Fumeurs" fermées. Une chose est certaine, il ne s'agit pas d'encourager ces pièces "Fumeurs" fermées, mais il s'agit de savoir si oui ou non on veut donner la possibilité aux exploitants de les mettre en place.
Q- Je suis allé comme vous en Italie, j'ai vu : alors, il y a le nom d'un responsable dans chaque établissement, si jamais par hasard on trouve un fumeur dans cet établissement, dans la zone interdite à la fumée, le responsable est poursuivi. Les amendes seront importantes ? Vous avez fixé le montant des amendes, non ?
R- Non, parce qu'on attend aussi de savoir l'avis de la mission parlementaire... On est dans la dernière ligne droite, je ne joue pas sur les jours ou pas, mais je vais vous dire une chose : je ne suis pas certain qu'il y aura besoin d'énormément de contrôles et d'amendes très importantes parce que ce qui est en train de se passer aujourd'hui, c'est un mouvement de fond. Il y a une pression, c'est vrai, de l'opinion, des non-fumeurs mais aussi des fumeurs qui ont compris eux aussi qu'il y a ces problèmes pas seulement de convivialité mais aussi de santé publique. Et je pense qu'à partir du moment où la décision sera prise, à partir du moment où elle va commencer à s'appliquer, et pour moi, c'est dès le début de l'année, on n'aura pas besoin de ces contrôles et de ces sanctions parce que l'opinion y est déjà prête et c'est une mesure très attendue.
Q- Est-ce que vous allez aider financièrement les propriétaires de bars tabac, de discothèques, de restaurants qui vont faire des aménagements ? Est-ce qu'ils seront aidés ?
R- Ce qu'il faut déjà savoir c'est que s'il y a des aménagements, ils sont entièrement déductibles, ça constitue une charge et c'est déduit du revenu.
Q- Oui, c'est vrai.
R- Ça ne pose strictement aucun problème. Par ailleurs, ce qui est vrai, c'est qu'il y a un contrat d'avenir qui a été signé entre l'Etat et notamment les buralistes, et que, bien évidemment, dans ce contrat d'avenir, il y a un certain nombre de choses très concrètes, très précises qui n'est pas lié seulement à cette interdiction...
Q- ... Et vous ne ferez rien de plus ?
R- Attendez, là c'est le Ministère des PME, c'est R. Dutreil qui gère ça. Et on attend aussi un rapport de R. Mallié, qui est en ce moment en train de faire un peu un tour de France pour voir justement les problèmes qui se posent aux buralistes.
Q. Mallié est député des Bouches-du-Rhône.
R- ...Et ce qu'il est en train de regarder c'est comment on peut et on va accélérer la diversification de l'activité des buralistes. C'est aussi une forte demande des buralistes.
Q- Non mais ça, d'accord, mais...
R- ... mais c'est important pour eux.
Q- Oui, c'est vrai, c'est important pour eux, mais vous n'allez pas les aider
à aménager leur établissement ?
R- Ça, ce n'est pas arrêté encore au moment où je vous parle pour une simple et
bonne raison...
Q- ... vous êtes favorable à des aides supplémentaires ou pas ?
R- Pour moi, le plus important de tout, c'est la santé publique, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut oublier la santé aussi économique d'un certain nombre d'établissements. Par contre, Jean-Jacques, ce qu'il faut bien prendre en compte, c'est que dans tous les pays qui ont mis en place une interdiction de fumer dans les lieux publics, il a pu y avoir, c'est la vérité, une légère baisse d'activités au départ et ensuite ça a remonté.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 octobre 2006METRO, 28 septembre 2006
Q - L'interdiction de fumer dans les lieux publics est-elle acquise ?
R - La question n'est plus de savoir si l'on va interdire de fumer dans les lieux publics, mais de savoir quand et comment.
Q - Quand va-t-elle prendre effet ?
R - Il faut qu'elle commence à être appliquée dès le 1 er janvier 2007. Nous sommes dans la dernière ligne droite et le gouvernement prendra sa décision à la mi-octobre.
Q - Le gouvernement va-t-il se risquer à voter cette loi juste avant les élections ?
R - Avec 66 000 décès par an et 5 000 directement imputables au tabagisme passif, les considérations électoralistes n'ont pas leur place.
Q - Est-ce que tous les lieux publics sont concernés (y compris les bars-tabac, discothèques et casinos) ?
R - L'interdiction de fumer concerne absolument tous les lieux publics. Mais la question des adaptations s'est posée dans l'ensemble des pays européens qui ont pris des mesures sur l'interdiction de fumer. Je préconise une certaine progressivité de l'application dans les lieux de "convivialité". Une progressivité dans le temps, comme dans d'autres pays où les délais d'application vont de neuf à vingt-deux mois. Il existe aussi d'autres solutions, comme la création de "pièces fumeurs" closes et ventilées, où le service n'est pas autorisé, afin de protéger les employés. La commission d'enquête parlementaire rendra ses conclusions à ce sujet mardi.
Q - Vous préconisez aussi la prise en charge des substituts nicotiniques par l'Assurance maladie...
R - Je ne veux pas simplement interdire. Je souhaite aider les fumeurs à arrêter et il me semble que les substituts nicotiniques, si leur efficacité est prouvée, doivent être pris en charge. Il faut aussi renforcer le dispositif de consultations en tabacologie et la prévention : la collectivité a tout intérêt à ce que les fumeurs s'arrêtent.
Q - La hausse des prix du tabac a été gelée jusqu'en 2007. Est-ce qu'une reprise de la hausse des taxes est, parallèlement, à l'étude ?
R - Il y a eu une importante baisse du nombre de fumeurs après la hausse de 2002. Mais, sur 2006, les ventes de cigarettes sont reparties à la hausse. Pour enrayer ce phénomène, il vaut mieux interdire totalement de fumer dans les lieux publics.
Propos Recueillis PAR A.Z.
Source http://www.sante.gouv.fr, le 3 octobre 2006