Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF, sur RTL le 20 octobre 2006, sur les critiques portées à l'encontre de son action par M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le 19 octobre 2006.

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Q- Bonjour L. Parisot. T. Breton, ministre de l'Economie, a regardé mardi soir le débat entre les prétendants socialistes. Il s'est dit "atterré" par leurs propositions sur les 35 heures ou sur les retraites. Il a raconté tout ça, hier matin, devant des jeunes entrepreneurs. Et puis, dans son raisonnement, il a poursuivi et il s'en est pris à vous, L. Parisot, avec des mots très durs que je vais répéter : "Les entreprises, on ne les entend plus. Elles ne sont plus si bien représentées. Quand on ne dit pas les choses que l'on doit dire pour ses entreprises, on perd de l'influence. On a besoin d'avoir des instances représentatives, solides, responsables et qui ne perdent pas progressivement du pouvoir comme une peau de chagrin." C'est une attaque très violente, assez rare, il faut bien le dire, de la part d'un membre du Gouvernement contre un partenaire sociale. Que répondez-vous à T. Breton, L. Parisot ?
R- Au moment où le ministre prononçait ces phrases, j'étais avec des chefs d'entreprise et le président de la Banque mondiale. Et nous travaillions ensemble sur les conditions pour les entreprises françaises de développement dans un certain nombre de pays de la planète. Nous discutions également de l'attractivité du territoire France. Au même moment également, un des plus hauts responsables du Medef, Hugues-Arnaud Mayer, était à Bruxelles avec la ministre, C. Lagarde, en train de défendre un projet qui me tient particulièrement à coeur : celui d'un small business act européen qui donnerait un accès beaucoup plus facile aux petites et moyennes entreprises françaises au marché public. Tout ça pour vous dire que nous, on bosse. Nous, on travaille. On est engagé dans un sujet de fond pour la défense des entreprises, la défense de l'économie de marché. On est tourné vers l'avenir de notre pays. Ce qui nous intéresse, c'est de réfléchir aux conditions de la croissance. Je ne rentre pas dans des querelles qui s'annoncent politiciennes et stériles.
Q- Elles ne sont pas que politiciennes, elles vous mettent en cause, L. Parisot. T. Breton dit - c'est son opinion - "les prétendants socialistes ont dit des choses très mauvaises pour l'économie, et la patronne du Medef, on ne l'entend pas". Il l'a dit pratiquement... Il juge que vous n'êtes pas à la hauteur de la situation.
R- Oui, la présidente du Medef dit depuis longtemps, et son prédécesseur également, que les 35 heures ont été une catastrophe pour les entreprises, mais une catastrophe plus générale pour notre pays. Comment peut-on penser qu'on va rester un pays prospère, alors qu'en général, en moyenne, un salarié français travaille 1.450 heures par an, le salarié anglais 1.650 heures, par exemple, et l'Américain 1.850. Qu'attend le Gouvernement, y compris Monsieur Breton ? Il peut déposer un projet de loi pour abroger ce que le gouvernement socialiste a fait en instaurant les 35 heures. Voilà une question aussi que je peux être amenée à poser. Il est encore temps. On voit bien avec la décision du Conseil d'Etat qui concerne le secteur de l'hôtellerie, de la restauration les dangers du fatras juridique dans lequel on est rentré sur la question du temps de travail, ces dernières années. Puisque le ministre est attaché à la défense des entreprises, voilà un moyen simple de défendre les entreprises françaises : abrogeons les 35 heures.
Q- Vous pensez que le Gouvernement n'a pas fait son travail dans ce domaine ?
R- Je pense qu'il est tout à fait regrettable qu'on n'ait pas d'emblée abordé ce sujet dès le début de cette législature. On voit bien que ça nous coûte cher. Ca nous coûte cher en croissance et en emploi parce que, n'oublions pas, que le travail c'est quelque chose qui se multiplie, qui se développe. Ce n'est pas quelque chose qui se divise.
Q- Ce n'est pas la première fois que T. Breton a des mots assez durs vis-à-vis de vous. Il vous avait aussi reproché de ne pas avoir assez soutenu le Gouvernement dans l'affaire du CPE. Vous avez un problème personnel avec T. Breton, L. Parisot ?
R- Ecoutez, c'est une hypothèse que vous faites. Je ne veux pas le croire. Nous travaillons au Medef avec l'ensemble du Gouvernement. Nous avons des relations tout à fait courtoises et sérieuses. C'est une hypothèse. Il y a une autre hypothèse : vous savez, c'est peut-être tout simplement un mouvement d'humeur, je ne sais pas.
Q- Vous vous êtes parlé avec T. Breton depuis sa sortie ?
R- Oui, et nous nous sommes dits surtout qu'il serait bon que nous nous rencontrions.
Q- Ah oui, vous avez des choses à vous dire...
R- Mais nous serons ensemble autour du président de la République dans le déplacement très important que le Président va faire en Chine à partir de la semaine prochaine, très important notamment pour les entreprises françaises.
Q- Vous y serez avec T. Breton, c'est ça ?
R- Absolument.
Q- Pendant la campagne présidentielle, le Medef va intervenir. Il va dire son choix... En fait pour ne pas tourner autour du pot, on a l'impression que N. Sarkozy est le candidat du Medef ; alors peut-être c'est ce que vous reproche, à mots couverts aussi, T. Breton ?
R- Le Medef ne s'engagera pas derrière un candidat d'aucune façon. Le Medef est une organisation non partisane. En revanche, nous disons déjà et nous continuerons à dire les dangers, les démagogies qui peuvent apparaître ici ou là. Pour revenir sur le débat des candidats socialistes, l'autre jour...
Q- ... que vous avez regardé ?
R- Bien sûr. J'étais tout à fait stupéfaite et je l'ai dit dès le lendemain, d'ailleurs, sur la même chaîne qui est celle qui a organisé le débat. Je suis stupéfaite de voir que ces candidats ont parlé de la croissance. Très bien. Mais comme si la croissance, c'était la météo, c'est-à-dire : un jour, elle est belle ; et puis l'autre jour, elle ne l'est pas. Mais la croissance, ça se construit, ça se fabrique. Et ça se fabrique à partir des entreprises, à partir du développement des entreprises. Ils n'en ont pas parlé des entreprises. A aucun moment, les candidats socialistes n'ont utilisé le terme de compétitivité alors que c'est ça la question majeure : comment fait-on pour être toujours plus compétitif ou au minimum parce qu'on en est là, aujourd'hui, pour ne pas perdre de la compétitivité par rapport aux autres pays. Et pour ça, il faut bien comprendre qu'il y a un fardeau, un fardeau qui pèse sur les entreprises françaises, un fardeau fiscal, un fardeau social, un fardeau règlementaire. Donc ça, c'est une vraie question que je pose à tous les candidats : comment on allège ce fardeau ?
Q- Il a eu raison finalement, T. Breton, de vous houspiller un peu, comme ça, ben voilà, vous dites ce qu'il attendait que vous disiez.
R- Ecoutez, moi je pense qu'il n'est jamais bon, en démocratie qu'un gouvernement pense qu'il puisse dicter sa conduite ou sa stratégie à une organisation syndicale, qu'elle soit une organisation d'employeurs ou une organisation de salariés.
Q- D'accord. L. Parisot, donc vous allez aller en Chine avec T. Breton. Je ne pensais pas que vous le feriez, mais voilà... C'est très bien.
R- Je crois que nous sommes tous, quand même, dans un seul objectif : défendre la France et son avenir en priorité.
Vous étiez l'invitée de RTL, ce matin. Merci.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 octobre 2006