Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France 2 le 29 novembre 2006, sur l'enseignement de la grammaire et le temps de travail des enseignants.

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Média : France 2

Texte intégral

Bonjour G. de Robien.
Bonjour F. Laborde.
Q- Nous allons parler, eh bien justement, programmes, priorités. Après la lecture sur laquelle vous aviez beaucoup insisté, pour que l'on revienne à la méthode syllabique, vous attaquez le dossier de la grammaire avec un linguiste, monsieur Bentolila qui doit vous remettre son rapport aujourd'hui. Le but, c'est quoi ?
R- Vous savez, je n'attaque pas un dossier, je remets les choses à l'endroit, si je puis dire, parce que la grammaire est indispensable, à la fois pour savoir s'exprimer, ça c'est la liberté de parole et quand on ne connaît pas la grammaire, on confond les temps, on confond les lieux, on confond beaucoup de choses, on ne se situe pas dans l'espace et donc il faut pouvoir s'exprimer. Et pour s'exprimer, il faut connaître les règles de grammaire, indispensables, le " je ", le " u ", le " il ", le passé, le présent, le futur. Et donc, oui, je crois qu'il est grand temps de remettre un petit peu d'ordre là dedans. Les enseignants le demandent et c'est pour eux que je le fais, mais aussi je veux que les parents comprennent ce que les enfants apprennent. Donc, on va revenir à des choses simples.
Q- Oui, parce que les règles sont parfois compliquées, moi j'ai découvert avec mes enfants, qu'il avait le "groupe sujet nominal", qui était une chose que j'ignorais quand j'étais petite fille. On va donc avoir des termes un peu plus simples, on va revenir à des choses que l'on connaît : le complément d'objet direct, les choses comme ça ?
R- Le sujet, le verbe, le complément, et on va abandonner le jargon, une fois pour toutes. Évidemment, les enseignants ont déjà fait une grande partie du chemin par leur bon sens naturel, et je crois qu'il est vraiment grand temps de partir du plus simple pour aller vers le plus compliqué et ne pas commencer, par exemple "sur les nénuphars volent les libellules". Non, "les libellules volent sur les nénuphars". C'est une méthode qui est beaucoup plus simple, alors que quelquefois on dit que c'est un retour en arrière, moi je crois que c'est simplement un retour vers le bon sens.
Q- Il me semble avoir lu que certains - enfin, je ne sais pas si c'est vous, dans votre entourage - disaient : " ce n'est pas le retour du "Bled" ". Le "Bled", je ne sais pas si tous s'en souviennent, c'était un peu notre livre de grammaire. Le "Bled" est-ce une abomination ?
R- Non, pas du tout, mais chacun fait comme il veut. Le livre est choisi par l'enseignant, et là, l'enseignant a la liberté de choisir le livre qu'il veut. Simplement, le livre doit s'adapter au programme et l'enseignant avec le livre qu'il choisit, eh bien va évidemment appliquer les programmes que je vais réviser sans ce sens.
Q- On sent que ça grince, quand même, un peu des dents, après la lecture. Pourquoi est-ce que les professeurs ou les instituteurs ont du mal à accepter ça alors qu'on voit bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas quand on voit le nombre d'enfants qui, en effet, font des fautes d'orthographe, lisent mal, sont totalement dyslexiques, enfin, il n'y a pas une génération spontanée de la dyslexie...
R- Ça grince, parce qu'effectivement il y a beaucoup de professeurs qui estiment qu'on ne leur donne pas les moyens, les outils, pour enseigner dans les meilleures conditions possibles, et ils font tous les efforts possibles et imaginables. Mais si on leur donne de mauvais programmes ou des programmes trop compliqués, comme par exemple la lecture dans lequel on s'est fourvoyé pendant 20 ans ou 30 ans, alors là, ils sont malheureux. Aujourd'hui, au contraire, franchement, ce qu'on leur propose, c'est le bon sens. Ils le réclament eux-mêmes et donc c'est vrai que l'Education nationale n'est pas toujours facile à faire évoluer...
Q- A manoeuvrer... C'est un gros bateau.
R- Non, non, pas à manoeuvrer, à aider à évoluer. Eh bien je vous assure qu'elle évolue beaucoup en ce moment, beaucoup. Alors, forcément, il faut beaucoup de dialogue, il faut beaucoup de concertation, il faut beaucoup expliquer parce que c'est un lieu où il faut beaucoup de pédagogie.
Q- Ça veut dire que vous considérez que c'est passé maintenant, justement, sur la méthode syllabique et que les tensions qu'il a pu y avoir à un moment donné, c'est terminé ?
R- On s'est étonné à l'éducation nationale qu'il y ait un ministre qui réforme ou qu'il y ait un ministre qui essaie d'avoir un petit peu de bon sens. Alors, dans un premier temps, ça a surpris, mais avec toutes les explications, les allers-retours que j'ai eus avec les responsables syndicaux, sur le terrain, il n'y a pas une semaine où je ne vois une, deux ou trois écoles, établissements, lycées et collèges, et je crois que vraiment, maintenant, tous se rendent compte que l'on est en train, vraiment, de redresser l'école française et certainement en tout cas d'éviter que dans l'avenir il y ait 10 ou 15 % d'enfants qui ne sachent pas lire à l'entrée en sixième ou qu'il y ait des contresens, ou qu'il y ait des fautes d'orthographe par paquets de dix, par paragraphes, dans les copies du Bac.
Q- Quand vous entendez S. Royal dire qu'il faut peut-être que les profs reviennent aux 35 heures, quand elle met la priorité, quand elle dit : " l'éducation, c'est une priorité ", vous avez envie de lui dire quoi ?
R- Qu'elle a raison, que l'éducation est une priorité, elle a raison. Elle a été d'ailleurs ministre déléguée aux Affaires scolaires. Elle a complètement raison et là dessus on peut se rejoindre complètement. Quand elle dit qu'il faut mettre les moyens là où il y a vraiment des besoins, je suis aussi tout à fait d'accord. Simplement, quand elle dit : " il faut par exemple du soutien scolaire ", il faut qu'elle se mette au courant, parce que ça fait vraiment un an que l'on a généralisé ce que l'on appelle les PPRE, les Programmes Personnalisés de Réussite Educative, ça fait un an qu'il y a du tutorat, maintenant, dans les écoles, voilà quand même la mise en place d'études accompagnées dans tous les collèges "Ambition Réussite". Donc le soutien scolaire, il est en place, donc il faut qu'elle se renseigne. Sur le temps, sur le temps des enseignants, elle pose une vraie question, c'est : " faut-il ou pas que les enseignants passent plus de temps dans les établissements ? "
Q- Oui, parce que les syndicats disent... Mais ils voudraient bien !
R- ... le temps de travail hebdomadaire, c'est 39 ou 45 heures.
Q- Ecoutez, peu importe. Les enseignants travaillent, bon, mais ils travaillent dans quelles conditions ? Eh bien pas toujours dans l'établissement parce qu'ils n'ont pas de quoi se poser, quelquefois.
Q- La salle des profs est souvent un truc tout petit... Ils n'ont pas de bureau.
R- Mais la salle des profs c'est collectif et donc, de temps en temps, on a envie, quand même, d'avoir un endroit tranquille pour corriger ses copies, pour préparer son cours, pour recevoir des élèves, pour recevoir les parents. Et donc je compte engager une concertation avec l'assemblée des départements de France, avec l'assemblée des régions de France - vous savez qu'ils sont compétents pour les collèges et pour les lycées - pour voir dans quelles mesures, avec nous, comment on peut aménager des salles, peut-être particulières, pour trois ou quatre professeurs, un bureau pour trois ou quatre professeurs, de façon à ce qu'ils aient cette possibilité de passer plus de temps dans l'établissement... Aujourd'hui, ils ne savent pas toujours poser leur cartable et où. Donc, c'est vraiment les conditions de travail qu'il faut travailler, qu'il faut améliorer, et à ce moment là, oui, les enseignants aimeront passer plus de temps dans l'établissement. Ce qui est utile pour les enseignants eux-mêmes, ce qui est utile pour la communauté éducative, ça leur permet de se concerter davantage et ce qui est utile aussi pour les parents, parce que les rencontres entre enseignants et parents sont très importantes.
Q- Oui. Alors, vous recevez justement aujourd'hui les syndicats pour un autre sujet qui parfois est mal compris, qui s'appelle les "décharges". J'explique : certaines catégories, certaines matières, nécessitent des heures de décharges parce qu'avant les professeurs de science nettoyaient les tubes à essais, que sais-je,. Et ça, vous diminuez un peu ces décharges.
R- C'est un sujet qui est mal compris du grand public, mais c'est un sujet qui est très très bien compris des intéressés. Je vais prendre un exemple. Depuis 1950, les professeurs qui préparent au Bac, eh bien n'enseignent pas 18 heures par semaine, ils enseignent 17 heures par semaine. Or, la première partie du Bac n'existe plus. Pourquoi conserver des décharges pour un Bac qui n'existe plus ?
Q- Oui, la décharge, c'est du temps de travail en moins.
R- Oui, c'est du temps de travail en moins, mais du travail parce que l'on préparait au Bac. Or, en Première, on ne prépare plus au Bac, sauf en français, et là je demande au nom de l'équité - mais c'est une question de justice sociale, vraiment de justice sociale - eh bien que les professeurs soient comment les autres, c'est-à-dire qu'ils fassent leur temps de 18 heures par semaine, ça ne m'apparaît pas, quand même, une catastrophe.
Q- On a vu les proviseurs en colère. Vous la comprenez cette grogne des proviseurs ?
R- Oui, en colère et puis exprimer une sorte de ras-le-bol d'être inondés de circulaires, toutes plus longues les unes que les autres, très difficiles à appliquer ; ils sont confrontés au problème, quelquefois de violences à l'intérieur de l'école, quelquefois certaines agressions de certains parents, il faut le savoir, quelquefois aussi d'un manque de considération, on va dire, de l'ensemble de la collectivité et des difficultés quelquefois relationnelles avec les enseignants. Leur rôle est vraiment très compliqué. Alors, j'ai déjà essayé de revaloriser leur carrière, mais ça ne suffit pas. Á mon avis, on doit travailler avec eux pour savoir comment on peut leur simplifier la tâche et les aider, par exemple dans des tâches administratives ou leur apporter dans toute la mesure du possible, un principal adjoint ou un proviseur adjoint pour les accompagner.
Q- Vous considérez aujourd'hui, G. de Robien, que l'essentiel de vos chantiers est presque achevé ?
R- Je pense que dans trois mois, effectivement, mes 23 chantiers, enfin, les 23 chantiers que j'ai eu le plaisir d'ouvrir à l'éducation nationale, seront bouclés, mis en place, et je crois vraiment que le renouveau de l'éducation nationale est vraiment en marche.
Merci beaucoup d'être venu nous voir ce matin.
Merci à vous.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 novembre 2006