Interview de M. François Chèréque, secrétaire général de la CFDT à Europe 1 le 30 novembre 2006, sur les candidats à l'élection présidentielle de 2007, la mondialisation et la conférence des revenus.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Q- N. Sarkozy est donc officiellement candidat à la candidature UMP pour 2007, qu'est-ce que ça vous fait ?
R- Ce n'est pas une surprise. Mais maintenant, il faut que l'UMP choisisse définitivement son candidat, comme l'a fait le Parti socialiste. Après, on pourra en parler.
Q- Dans sa déclaration à la presse quotidienne régionale, N. Sarkozy affirme qu'il s'adresse d'abord "à ceux qui ont connu des épreuves ou qui pensent que rien n'est jamais pour eux". La France, dit-il, doit devenir "le pays où tout peut devenir possible". Est-ce que pour vous, il s'agit de phrases en l'air d'un candidat ou est-ce qu'il faut le prendre au mot et dire : chiche !
R- Nous allons rencontrer les candidats, on va leur dire bien évidemment, puisque vous soulevez le problème des personnes qui sont en précarité, qui sont en difficulté - je pense à toutes ces femmes qui sont à temps partiel non choisi- on leur dire quelles solutions vous proposez et on leur proposera nos propres solutions.
Q- C'est-à-dire que vous allez les voir l'un après l'autre ?
R- Une fois que chaque parti aura choisi son candidat, on ira les rencontrer sur nos propositions. S. Royal a proposé que le mois de janvier soit un mois d'écoute, donc nous irons certainement la voir au mois de janvier.
Q- Mais comment la CFDT va distinguer entre les candidats et sur quoi les jugera-t-elle ?
R- D'abord, on n'a pas à avoir d'approche partisane. La CFDT n'appelle
pas à voter pour tel ou tel candidat. On respectera la neutralité.
Q- Et vous n'appellerez pas à voter ?
R- Ah non ! Il n'en est pas question, bien évidemment. Notre neutralité en dépend et notre autonomie vis-à-vis du politique, c'est quelque chose d'acquis, je crois, pour tous les syndicats français, c'est à noter.
Q- Oui mais comment la CFDT va s'engager dans la campagne ?
R- Nous allons les rencontrer sur nos priorités. Nos priorités sont celles des salariés, c'est le pouvoir d'achat, c'est l'emploi.
Q- Ne dites plus le "pouvoir d'achat", il paraît qu'il faut dire "la vie chère".
R- Peu importe, les gens comprennent ce que c'est. C'est-à-dire qu'ils ont un salaire et ils voient ce qu'ils peuvent acheter ou pas acheter avec leur salaire. Donc ces sujets qui sont des sujets importants - le logement, les transports, donc tous les sujets qui pèsent sur la vie quotidienne des salariés - sont bien sûr les sujets de nos préoccupations et c'est là-dessus que nous allons interroger les candidats.
Q- Mais la CFDT va-t-elle donner au fur et à mesure ses avis ou dire une fois pour toutes ce qu'elle pense et peut-être son choix le moment venu.
R- Mais tout simplement, on va faire nos propositions - on va revenir tout à l'heure sur le pouvoir d'achat ; les candidats vont nous répondre sur leurs orientations, mais nos adhérents, nos sympathisants sont assez grands pour décider d'eux-mêmes en fonction des réponses des candidats.
Q- Vous parlez des projets des uns et des autres mais l'UMP, le PS, l'UDF ont déjà à la fois leur candidat et leur projet, des candidats de poids. Chaque candidat va les améliorer mais est-ce que vous trouvez déjà les réformes et le souffle dont on dit que la France a besoin ?
R- Non, pour le moment on en n'est pas là. Pour le moment, les projets sont trop éloignés des préoccupations quotidiennes. Mais en même temps, il ne faut jamais oublier que l'on est dans une élection présidentielle et on va aussi bien évidemment amener le débat sur la place de la France dans l'Europe et le rôle de la France et de l'Europe dans le monde, face à la mondialisation.
Q- Vous n'oubliez pas la mondialisation ?
R- Mais bien évidemment, c'est un sujet central. On voit bien que ces changements du monde, cette mondialisation qui est là, pèsent sur la vie quotidienne des salariés. Donc bien évidemment, quel va être le projet des différents candidats à la présidentielle sur la France mais surtout sur l'Europe. Bien évidemment, la CFDT centrera beaucoup sa réflexion sur l'Europe.
Q- Vos dites : "on va les voir l'un après l'autre, on va les écouter par rapport à nos propres projets". Mais qu'est-ce que la CFDT fera ou apportera elle-même comme contribution, justement, à l'écoute et dans l'action de sa part ?
R- Je prends un exemple : on parle de la mondialisation, on parle du rôle des Etats. Nous à la CFDT, nous pensons que l'Etat doit être garant de la cohésion sociale dans un pays, y compris dans un pays où la mondialisation bouleverse tout. Donc, nous ferons des propositions, comme on va le faire sur la conférence des revenus, sur la démarche de cohésion sociale, la démarche de redistribution des richesses.
Q- C'est à dire plus de liberté peut-être, mais en même temps, beaucoup d'Etat.
R- Non, le problème ce n'est pas "beaucoup" ou "pas beaucoup d'Etat". On dit que l'Etat ne peut rien faire, au contraire, nous on veut faire la démonstration que malgré tout, l'Etat peut encore faire des choses. Donc ça c'est totalement de la responsabilité d'un futur président de la République. Et l'Etat peut investir par exemple, puisque le débat d'aujourd'hui c'est le pouvoir d'achat, peut investir directement ce pouvoir d'achat tout en reconnaissant qu'il ne peut pas augmenter les salaires dans le privé. Donc ça ce sont des orientations sur lesquelles on va leur demander de réagir bien évidemment.
Q- Alors, F. Bayrou, N. Sarkozy, S. Royal, est-ce que ce sont des signes de changement soit d'époque, de temps, à travers des candidats que l'on connaît mais qui sont nouveaux ?
R- Bien évidement, on sent bien qu'il y a un vrai désir de changement dans notre pays et que d'ailleurs, l'éloignement des Français vis-à-vis des urnes - ces dernières élections l'ont montré- ce changement va se manifester certainement par un changement de génération. On n'a pas à juger si ces personnes sont des personnes neuves ou pas neuves, mais il faut sentir ça, ce désir de changement qui ne doit pas être uniquement au niveau de l'âge des candidats, mais aussi au niveau de la façon de faire de la politique et sur les propositions.
Q- Depuis que l'on parle, je note que vous n'avez pas parlé d'immigration, d'intégration, ce ne sont pas des problèmes ?
R- Mais, ce sont des problèmes... Quand je vous parle de l'Europe, quand
je vous parle de la mondialisation, bien évidemment, on parle du
problème de l'immigration.
Q- Donc des flux migratoires aussi.
R- Entre autres, des flux migratoires mais aussi de la capacité des
entreprises françaises à faire face à ce problème de la mondialisation.
Q- Le 14 décembre est prévue une grande conférence sur l'emploi et les revenus. Le rapport du CERC avec J. Delors sera sans doute très utile. G. Larcher prépare cette réunion par des rencontres avec des dirigeants syndicaux. Vous avez été hier soir le premier reçu. Est-ce que ça augure bien le rendez-vous du 14 décembre ?
R- Tout d'abord, cette conférence des revenus était une demande de la CFDT depuis un an, donc c'est toujours bien de réagir au bout d'un an. On a proposé trois types de réflexion. D'une part, prendre des décisions immédiates, sur trois sujets, un : le problème des logements ; nous allons demander un moratoire sur l'augmentation des loyers, on a un vrai problème de loyer et que l'on réfléchisse si on n'a pas des niveaux maximums de loyers à définir dans certaines zones urbaines où les loyers deviennent trop excessifs. Deuxièmement : les transports ; on veut revoir le problème de la prime des transports, ce qu'a décidé le Gouvernement est ridicule par rapport à la demande. Il y aura à peine 100.000 personnes qui en bénéficieront, on veut revoir ce problème-là. Troisièmement, le problème de l'assurance maladie complémentaire. Il y a un transfert de la Sécurité sociale sur les ménages et on a un nombre important de salariés, y compris les fonctionnaires - et tout ce que je dis là concerne bien évidemment les fonctionnaires - un nombre important de salariés qui n'ont pas d'aide à la mutuelle, on veut organiser une aide à la mutuelle. Ensuite, deuxième sujet, on veut prendre en charge les problèmes des travailleurs pauvres. Le rapport du CERC de M. Delors nous dit - et on le savait - qu'il y a 2 millions de salariés qui sont des travailleurs pauvres, c'est-à-dire qui gagnent moins de 700 euros par mois.
Q- Hier, en sortant de chez G. Larcher, vous avez dit "les travailleurs pauvres, notamment des femmes".
R- Oui, 75 % de ces travailleurs pauvres sont des femmes, souvent des femmes seules avec enfant.
Q- Dans quel type d'emploi ?
R- Ce sont des emplois précaires d'une part ou des contrats à temps partiel courts, en particulier dans les services, dans le commerce, on l'a vu ce matin ; une réflexion sur les conditions de travail dans la grande distribution, travaux pénibles très mal payés. Donc il faut que l'on réfléchisse sur une utilisation meilleure, par exemple de ces 23 milliards d'allègements de charges qui sont aidés aux entreprises, qui ne créent pas d'emplois. Donc, est-ce qu'il va falloir les orienter, en particulier vers ces travailleurs-là, pour que l'on augmente leur temps de travail puisque eux peuvent travailler plus pour gagner plus.
Q- D. de Villepin qui était hier ici l'invité d'Europe 1 a dit : "Il y aura du concret" parce qu'il attache de l'importance à cette réunion, cette conférence de l'emploi et des revenus du 14 décembre.
R- On attend du concret bien évidemment et là on a des propositions concrètes, on attend des réponses concrètes.
Q- Le Medef avance lentement, en silence. Il attend la publication de Livre blanc en janvier. Le Figaro écrivait hier que "les désaccords et les incompréhensions entre le Medef et la CFDT sont en train de s'accumuler". C'est vrai ? Et pourquoi, si c'est vrai ?
R- On a ces temps derniers, deux difficultés avec le Medef : d'une part, le Medef soutient comme tous les syndicats la proposition de loi du président de la République sur le dialogue social. D'abord de la négociation avant modification de la loi et reprise dans la loi des éléments de la négociation. Sauf que le Medef, actuellement, fait l'inverse. On a eu l'exemple sur la loi de protection sociale où le Medef n'a cessé de faire du lobbying pour obtenir dans la loi, en particulier pour mettre à la retraite d'office les salariés de plus de 60 ans qui veulent continuer à travailler, pour obtenir leurs retraites d'office, alors que l'on a eu un accord sur les seniors qui prévoyait l'inverse.
Q- Quelle attente vous avez de la part du Medef vous ?
R- Simplement qu'ils choisissent. On ne peut pas avoir un discours et une attitude : le discours de dire "la négociation" et faire du lobbying auprès du Gouvernement pour obtenir auprès du Gouvernement ce qu'ils n'ont pas dans la négociation.
Q- Vous voulez dire qu'ils ne sont pas clairs, qu'il y a de l'ambiguïté ?
R- Non, ils ne sont pas clairs. Je pense qu'il y a deux discours, en tout cas, il y a un discours et des actes du Medef, et nous, nous souhaitons, au moment où on rentre dans un large travail de concertation avec le Medef sur les contrats de travail et sur l'assurance chômage, on souhaite que la Medef éclaircisse sa position : ou on va à la négociation, et c'est important, et à ce moment-là, on ne fait pas du lobbying dans notre dos vis-à-vis du Gouvernement.
Q- Quand on pense qu'entre vous et L. Parisot, on avait l'impression que ça avait bien commencé.
R- Je pense que de temps en temps, même si les relations sont bonnes, il faut savoir s'expliquer quand on a des désaccords, et c'est le problème qui existe entre nous aujourd'hui.
Q- Vous avez bien fait de venir parce qu'il y a beaucoup de sujets, on va vite. Après deux jours de débats, le Conseil Economique et Social a adopté un avis proposant d'en finir avec le vieux monopole de 1966, des cinq centrales syndicales et il souhaite que les syndicats démontrent leur représentativité sur la base d'élections ouvertes à tous les salariés. J.-C. Mailly dit non, Force Ouvrière votera contre parce que "c'est le bal des hypocrites". Vous, à la CFDT et la CGT, vous dites oui. Le Medef et la CGPME se plaignent d'un syndicalisme électoral qui va perturber les entreprises et qui est déjà politisé.
R- On entend tous les jours, dans les radios, dans les télévisions : "les syndicats ne sont pas représentatifs, les syndicats n'ont pas assez d'adhérents, pourquoi on leur donne le pouvoir de négocier ?".
Q- 8-9 % d'adhérents pour les syndicats, au maximum dans le pays.
R- Pour une question de démocratie.
Q- Au passage, pas de syndicalisme obligatoire ?
R- Non le syndicalisme obligatoire, plus personne n'y croit. Mais des incitations à faire en sorte que les syndicats soient mieux représentés. Et pour ça, nous sommes pour que chaque salarié, dans les entreprises puisse voter pour le syndicat de son choix de telle façon que l'on soit représentatif. C'est une question de démocratie, on ne va pas se cacher derrière quelques privilèges qui datent de 40 ans, qui disent définitivement "tel syndicat est représentatif". Il faut que l'on ait des élections tous les quatre ans dans les entreprises à travers les délégués du personnel...
Q- Avec des campagnes électorales à l'intérieur ?
R- Mais non, il y a des délégués du personnel, il y a des comités d'entreprise dans les entreprises.
Q- Donc on fait les deux élections en même temps ?
R- Bien évidemment, et on fait le cumul au niveau national pour savoir qui représente qui. Il est quand même important, c'est une question de démocratie, que l'on sache qui représente quoi. Sinon, dans dix ans, il n'y aura plus de syndicats dans notre pays, ce sera la catastrophe puisqu'on continuera à nous dire : vous n'êtes pas [représentatifs]. Donc faisons la preuve qu'on l'est.
Q- Faut-il attendre que le ou la vainqueur de 2007 s'en charge ?
R- Nous souhaitons que ce problème là soit abordé le plus rapidement possible. Il y a les élections dans quelques mois. Je pense que ça va être une priorité pour la démocratie sociale dans notre pays du prochain ou de la prochaine président(e) de la République.
Q- On voit bien que le social va être au coeur des affaires dans les mois qui viennent.
R- On le souhaite, il ne l'a pas été en 2002, c'est une des raisons pour lesquelles on a eu cette catastrophe. Donc parlons des préoccupations des Français. C'est, je crois, gage de réussite pour ces élections.
Q- Une dernière remarque : est-ce que vous avez des nouvelles de l'état de santé de B. Thibault. Il paraît qu'il souffre d'un terrible mal de dos.
R- Je l'ai eu au téléphone, hier. Il a une faiblesse au niveau du dos. Oui,effectivement...
Q- Une faiblesse ? Des douleurs !
R- Il a un problème de colonne vertébrale. Cela fait très mal, pour ceux qui savent ce que c'est. Donc, il est alité actuellement. Mais je pense qu'il se portera mieux dans quelques jours. Je le lui souhaite.
Q- Vous aussi, vous avez besoin de lui ?
R- Ecoutez ! Pour faire avancer des idées qu'on a en commun, parfois, mais ce qui n'empêche pas des confrontations entre nous. Je pense que c'est cela aussi la démocratie.
Q- Alors, on lui dit ensemble "bonne santé".
R- Oui, bonne santé, Bernard.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 décembre 2006