Texte intégral
Thomas Hugues : A la place du président de la République actuel ou futur, vous feriez quoi ? Avec Marc FAUVELLE, on pose la question aux candidats, à leur soutien et à de grands leaders de la société civile. Justement, ce soir, c'est le président de la CFE-CGC, le syndicat des cadres, Bernard VAN CRAEYNEST, qui est notre invité. Le congrès de votre syndicat s'est ouvert aujourd'hui. Est-ce qu'on peut dire que les cadres français vont un petit peu mieux, que leur moral s'est amélioré ?
Bernard van Craeynest : Ça dépend si on regarde globalement ou suivant les secteurs d'activité. Ce que nous observons, c'est que, ils sont sensibles à l'évolution des tendances générales, quand on explique que, il y a moins de chômage, que la croissance repart un peu, ils ont une vision plutôt optimiste, mais je dirais sur l'ensemble de la société. Quand on les interroge sur leur perception de leur milieu de travail, de leur carrière, de leurs perspectives d'évolution, ils restent, selon notre dernier baromètre, qui en est à sa dix-septième vague, plutôt sceptiques, inquiets, quant à leurs perspectives de carrière, la visibilité qu'ils peuvent avoir sur leurs missions, sur la stratégie de leur entreprise, sur leurs rémunérations, et on peut dire que ce n'est pas encore le grand enthousiasme.
TH : On a beaucoup parlé d'une crise d'identité des cadres, comment elle se traduit ?
BVC : C'est tout simplement parce que depuis un certain nombre d'années, les stratégies d'entreprise sont très "court-termistes", changent fréquemment, au gré des changements d'actionnaires, des changements d'équipes dirigeantes, et les encadrants, les ingénieurs, les techniciens, qui avaient l'habitude de s'engager avec une volonté de travailler sur le long terme sont de plus en plus désorientés, parce que, on leur fait changer d'optique et de tactique tous les trois, six mois, on leur fait faire beaucoup de paperasses, de tableaux, de "reportings", et il est bien évident que ça les désoriente, et ils se demandent un petit peu à quoi ils servent véritablement.
TH : Il y a trois millions de cadres en France, c'est ça ?
BVC : 3.500.000 aujourd'hui.
TH : Et ils se sentent de plus en plus éloignés de leurs patrons ou moins dans la classe dirigeante, si j'ose dire ?
BVC : Alors, là encore, le spectre est très large, entre les cadres de grande distribution, les ingénieurs des sociétés de hautes technologies ou les financiers, informaticiens, on a un spectre très large, à la fois en responsabilités, en autonomie et en rémunérations, on peut aller dans une fourchette de 1 à 15. Mais, globalement, effectivement, ils sont plutôt éloignés dans les grandes entreprises, parce que dans les petites, évidemment, on est par définition assez proche les uns des autres. Mais dans les grandes entreprises, ils voient bien que, à l'occasion de quelques très mauvais exemples, que nous avons vécus ces dernières années, du côté de CARREFOUR, de VINCI, d'EADS, AIRBUS, ça n'est pas la généralité, mais malheureusement, ça a une valeur d'exemple qui a fait énormément de mal. Ils ont le sentiment que ces dirigeants disent : "faites ce que je dis, mais pas ce que je fais, serrez-vous la ceinture, vous n'aurez pas plus de 2 ou 3 % d'augmentation cette année, bon, pour moi, c'est 15, 20 %, une retraite supplémentaire, des stocks options". Et c'est ça qui crée le fossé.
TH : Alors, ça, c'est pour le constat. Maintenant, des propositions.
Marc Fauvelle : Oui, pour répondre à ce malaise, vous proposez notamment un salaire minimum pour les cadres. Qu'est-ce que c'est ? Pour qui ? Et combien ça coûte ?
BVC : Ca fait des années qu'on focalise sur le SMIC, qu'on tire plutôt vers le bas, qu'on s'intéresse, soit à la tête, la classe dirigeante, soit aux jambes, celles et ceux qui sont autour du SMIC, mais on ne s'intéresse pas à la colonne vertébrale, or, on sait tous que lorsque la moelle épinière est atteinte, c'est le corps entier qui est paralysé. Et celles et ceux que nous représentons, qui créent, qui gèrent, qui innovent, qui animent, qui coordonnent, qui sont les locomotives de l'entreprise et de l'économie, eh bien, on veut qu'ils' soient enfin reconnus. Et nous demandons ...
TH : Alors ça serait combien ? Ça serait combien, un SMIC ...
BVC : Ça serait le plafond de la Sécurité sociale ...
TH : C'est-à-dire ?
BVC : C'est-à-dire 2.589 euros par mois.
MF : C'est-à-dire à peu près deux fois le SMIC, entre guillemets, ordinaire pour les cadres ?
BVC : Oui, quand vous êtes Bac+5, quand vous avez des responsabilités, quand vous apportez, vous créez de la richesse, vous faites progresser votre entreprise, il est quand même anormal que vous soyez payé au SMIC ou à 1,5 % le SMIC, il y a quand même un engagement, une technicité, des compétences qui sont mis en oeuvre, qui méritent d'être reconnus, car, c'est le problème de ce pays, si on n'envoie pas un signal fort à ces classes moyennes, pour les motiver, pour qu'ils s'impliquent dans leur travail, eh bien, petit à petit, il y aura effectivement moins de motivation, moins de performances économiques, et on va continuer à tirer notre pays vers le bas, et les "déclinologues" auront raison.
TH : Quand vous entendez, là, les candidats déclarés, les principaux et les autres, vous avez l'impression qu'ils oublient les cadres, ils oublient les classes moyennes ? Ou au contraire, c'est l'un des enjeux de la campagne ?
BVC : Ça fait partie, à mon sens, de l'un des enjeux de la campagne, mais on entend parler de tellement d'enjeux de la campagne entre l'environnement, les problèmes de logement, qui intéressent aussi nos catégories, parce qu'on a un problème de logements intermédiaires en France, mais, on voit bien que tout cela est pour l'instant assez épars, on ne distingue pas le thème central de la campagne. A notre sens, nous avons besoin de remettre du carburant dans le moteur de l'économie, et en particulier, ceux qui la créent et l'animent.
TH : Est-ce que ça peut passer par la remise en cause des 35h ? Nicolas SARKOZY propose l'exonération des charges sur les heures supplémentaires, vous êtes d'accord avec cette idée ?
BVC : Nous, nous proposons une exonération de charges sur tous les salaires, une franchise de cotisations pour, par exemple, les 300 premiers euros de tous les salaires, parce que, il y en a assez de créer des mesures spécifiques, il y a un empilement de mesures spécifiques, il y a des niches, c'est comme sur le plan fiscal, au gré des lois de finances, on crée des niches fiscales, mais il n'y a pas de vue d'ensemble. Dans ce pays, nous souhaiterions que plutôt que d'avoir l'intégralité du fardeau qui repose sur un petit nombre, eh bien, nous souhaiterions voir que tout le monde paie un petit peu.
TH : Il nous reste une minute trente, Marc FAUVELLE, peut-être la représentativité syndicale ?
MF : Oui, il y a un avant-projet de loi qui est en préparation du côté du gouvernement pour peut-être mettre fin à la loi de 66, c'est-à-dire les cinq grandes centrales qui négocient entre elles, est-ce que vous y êtes favorable ou pas ?
BVC : Si j'ai bien compris l'annonce du Premier ministre hier, cet avant-projet de loi doit faire l'objet d'une concertation, ce qui serait la moindre des choses à l'heure où on parle du dialogue social.
MF : Ça veut dire que c'est un enterrement, c'est ça, avant la présidentielle en tout cas ?
BVC : A mon avis, ça ne sera pas traité par l'actuel gouvernement.
MF : Et vous, est-ce que vous y êtes favorable ?
BVC : Ce à quoi nous sommes favorables, c'est à nous attaquer au fond du problème, parce que dans ce pays, on a une multiplication du nombre de syndicats, mais toujours un taux de syndicalisation en baisse ...
TH : C'est quoi, c'est 8 %, c'est ça ?
BVC : 8 %. Et on pourra faire ...
TH : Pareil pour les cadres ?
BVC : Ils sont un tout petit peu plus syndiqués, mais de l'ordre de 9 à 10, ça ne va pas chercher beaucoup plus loin ...
MF : Il faut rendre l'adhésion obligatoire, comme le propose par exemple Ségolène ROYAL ?
BVC : Nous, ce que nous proposons, c'est de réserver les accords qui apportent un plus dans l'entreprise, il ne s'agit pas de remettre en cause la loi, les accords interprofessionnels ou les conventions collectives, mais les accords produits de la négociation en entreprise, qui apportent un plus aux salariés, comme un accord salarial, un accord d'intéressement, un accord de prévoyance collective, nous proposons que cela soit réservé aux adhérents des organisations syndicales, parce que si nous n'y prenons garde, nous sommes, nous aussi frappés par le papy-boom, et dans dix ans, un militant, ça se forme, et ça commence par être adhérent, s'il n'y a plus de militant, il n'y aura plus de dialogue social.
TH : Merci Bernard VAN CRAEYNEST.Source http://www.cfecgc.org, le 12 décembre 2006