Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec le Parisien le 28 décembre 2006, sur la crise en Somalie et la position de la France.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - Le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pu adopter la nuit dernière une position commune sur la question somalienne ? Pourquoi ? Quelle est la position de la France ?
R - Je suis très profondément préoccupé par la situation qui prévaut en Somalie, comme d'ailleurs par l'escalade générale de la violence dans l'ensemble de la Corne de l'Afrique. Le Darfour depuis maintenant près de quatre ans, la Somalie maintenant : avec ces deux crises, c'est un risque majeur de déstabilisation dans une zone stratégique essentielle pour l'ensemble du continent africain. Nous sommes là, en effet à la charnière du monde arabe et du monde non-arabe, c'est-à-dire dans un lieu de tension permanente. Nous avons donc tous la responsabilité collective d'agir.
Q - L'Europe peut-elle accepter un régime fondamentaliste en Somalie, qui n'est pas très éloigné de nos frontières ? Sinon, comment le combattre, autrement que par la guerre ?
R - En Somalie, comme ailleurs, notre position est constante : dans le monde d'aujourd'hui, il ne peut y avoir de solution militaire durable, quel que soit le rapport de forces initial. Il ne peut y avoir davantage de solution qui ignore la souveraineté des Etats ou des peuples, quels qu'ils soient. Soyons clair : la solution ne peut être que politique et passe par un dialogue entre toutes les parties au conflit. On le voit au Proche-Orient comme en Irak. C'est un principe que la France défend avec constance, tout particulièrement par la voix du président de la République, et qui correspond à une conviction essentielle de notre action diplomatique.
Parce que les victimes de ces violences sont d'abord la population civile, avec le retrait des ONG, les ruptures d'approvisionnement en eau et en nourriture, l'afflux de réfugiés, il est essentiel de faire cesser les combats. C'est la priorité des priorités !
Il faut ensuite reprendre le dialogue engagé entre les Somaliens eux-mêmes, qui doivent être les seuls maîtres du destin de leur pays. Nous devons donc conforter l'action engagée à la fois par la Ligue arabe, l'Union africaine, réunie depuis hier à Addis-Abeba, et l'Union européenne. Le commissaire Louis Michel, dont je tiens ici à saluer l'engagement personnel, s'est rendu il y a quelques jours sur le terrain, précisément pour promouvoir la reprise du dialogue politique. Nous sommes actuellement en relation permanente avec l'ensemble de ces partenaires, comme avec les autres pays de la sous-région. Je pense en particulier à l'Erythrée ou à Djibouti, qui sont eux aussi concernés par cette menace de déstabilisation en chaîne.
Q - Les Américains affirment que les milices islamistes somaliennes sont soutenues par Al Qaïda ? A-t-on des preuves de cette implication ?
R - Il existe sans aucun doute des formes de radicalisme ou de fondamentalisme. Mais nous devons éviter ici comme ailleurs la tentation du conflit de civilisation. Ne soyons pas pour autant naïfs : certains prônent à l'évidence un islam radical. Mais ce n'est pas en faisant le choix de la confrontation qu'on trouvera la bonne solution. C'est au contraire par le dialogue qu'on peut faire reculer les fondamentalistes. En ce domaine, il y va de notre responsabilité collective.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 décembre 2006