Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Directeurs et Conservateurs,
Je vous ai réuni dans un format plus large que la réunion habituelle des présidents des établissements publics afin de vous parler de la politique de l'Etat au sujet de l'action internationale des musées de France, de ses principes intangibles et de l'opérateur international que le Premier Ministre m'a demandé de créer.
Je souhaite également dissiper les inquiétudes qui se sont fait jour chez certains d'entre vous au sujet du projet d'Abou Dabi, inquiétudes qui proviennent largement, à mon sens, d'un manque d'information.
J'ouvrirai tout à l'heure un tour de table pour un débat que je souhaite le plus libre et le plus complet possible, comme je l'ai fait, il y a quelques semaines, avec les chefs de département du Louvre, pour répondre à vos questions et recueillir vos avis sur l'élaboration d'une doctrine ou d'un cadre pour l'action extérieure de nos musées.
Nous devons partir d'un constat simple : la plupart d'entre vous êtes engagés dans des activités internationales. C'est une excellente chose. Ce n'est pas nouveau. Cela fait des décennies que nos musées organisent des expositions à l'étranger, participent à des chantiers de fouilles ou conseillent des pays étrangers dans la création ou la modernisation de leurs musées. Je souhaite d'ailleurs que tout à l'heure, ceux qui le souhaitent, nous fassent part de leur expérience dans ce domaine essentiel du rayonnement international de notre culture.
Le phénomène nouveau, c'est la mondialisation et la transformation spectaculaire de nos musées au cours des 10 ou 20 dernières années. Je crois, en effet, que jamais nos musées n'ont occupé une telle place dans la vie de la cité. Jamais ils n'ont tissé autant de relations avec la société civile, que ce soit par le nombre extraordinaire de visiteurs qu'ils accueillent, que ce soit par leur animation culturelle, qui s'étend désormais au-delà même de la mission de présentation et de conservation des oeuvres qui reste leur mission essentielle, ou que ce soit par l'accueil dans leurs murs de toutes sortes d'intervenants. Vous êtes parmi les premiers observateurs, dans la communauté culturelle, du phénomène de la mondialisation qui se traduit notamment par le développement du tourisme culturel, les demandes d'accueil de tournage, l'essor des expositions internationales et les propositions de coopération qui nous sont adressées dans toutes les régions du monde.
La France peut, à juste titre, être fière d'avoir été l'un des Etats les plus actifs pour définir une stratégie culturelle face à la mondialisation, c'est-à- dire pour en saisir les chances, celles du dialogue des cultures, et pour en prévenir les risques, ceux de la marchandisation. C'est ainsi que, sur instruction et avec le soutien du Président de la République, j'ai mis toute mon énergie à obtenir l'adoption et, maintenant, l'entrée en vigueur de la Convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle. Ce texte, fondamental, inscrit dans le droit international la spécificité des oeuvres de l'art et de l'esprit et se refuse à ce qu'elles puissent être considérées comme des marchandises. Ce texte reconnaît aux Etats le droit de prendre des mesures de soutien aux politiques culturelles, sans que cela puisse être considéré comme contraire au libre-échange et aux règles de l'organisation mondiale du commerce.
Cette Convention est l'expression même de notre politique culturelle. Elle est l'expression même du consensus républicain qui prévaut dans notre pays en matière de culture. Elle a été, je le rappelle, approuvée à l'unanimité par notre Parlement, Assemblée Nationale et Sénat, lors du vote autorisant sa ratification. Sa philosophie, ses principes, ses droits et obligations, doivent être mis en oeuvre pour ce qui concerne les musées. C'est le socle de la stratégie que j'entends élaborer avec vous. En d'autres termes, au lieu de laisser chacun d'entre vous rechercher seul des réponses à des problèmes qui se poseront de toute façon, ou qui se posent déjà, je souhaite qu'un cadre soit fixé à l'aune duquel nous pourrons juger de la pertinence de chaque partenariat. Je souhaite fixer un cadre qui vous permette de guider votre action. Telle est la mission que le Premier ministre m'a confiée dans son discours à la Conférence des Ambassadeurs d'août dernier quant à l'expansion des activités internationales de nos musées.
Je tiens, dans cette perspective, à rappeler un principe fondamental : les règles qui s'appliquent à notre politique des musées sur le territoire national s'appliquent aussi aux activités internationales de nos musées.
Quelles sont ces règles ?
Première règle : l'inaliénabilité des collections publiques. Comme vous le savez, l'appartenance des collections des musées de France au domaine public de l'Etat et des collectivités territoriales est un principe ancien du droit public français qui remonte à la Révolution et qu'aucun régime n'a remis en cause depuis lors. Ce principe est désormais inscrit dans la loi (article 11 de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France). C'est ce principe qui nous permet en toute sérénité de prêter des oeuvres et je suis, sur ce point, opposé aux recommandations qui ont été adressées à mon collègue de l'économie et des finances dans le rapport Lévy-Jouyet sur l'économie de l'immatériel. J'ai eu l'occasion de le dire récemment devant le Sénat en réponse à une question d'actualité.
Deuxième règle, tous les partenariats, je dis bien tous les partenariats, doivent s'inscrire dans un projet scientifique et culturel. Les musées doivent garder le contrôle du contenu et de l'intégrité de leurs programmes et de leurs expositions. Cela veut dire concrètement que les relations doivent se nouer de musée à musée ou, à tout le moins, d'institution culturelle à institution culturelle. C'est tout le contraire de la location que d'autres pays semblent vouloir accepter. La location, ce serait d'accepter de prêter des oeuvres à des particuliers ou à des entreprises pour obtenir une rémunération.
Troisième règle, les rémunérations, quand il y en a, doivent revenir intégralement aux musées prêteurs. Ceci résulte tout simplement du Code de déontologie de l'ICOM qui a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée générale de l'ICOM réunie à Buenos-Aires en novembre 1986, et révisé à Barcelone en 2001 et à Séoul en 2004.
Quatrième règle, les musées de France ont le devoir de contribuer au rayonnement culturel de la France. Le Code de déontologie de l'ICOM prévoit que les musées ont pour obligation première de protéger et de promouvoir le patrimoine naturel et culturel de l'humanité. C'est une mission généreuse, qui correspond aux valeurs universalistes de la France, à laquelle je sais que vous êtes attachés. Cette mission s'accompagne aussi d'une responsabilité civique et politique au sens le plus noble du terme. Car, comme vous le savez, depuis la création du ministère par André MALRAUX, notre décret fondateur prévoit que le ministère de la culture contribue au rayonnement culturel de la France et à l'accès du public le plus large aux grandes oeuvres de l'humanité.
Le projet du Louvre-Abou Dabi obéit strictement à ces canons.
De quoi s'agit-il ? Un pays jeune, fondé en 1971, en plein essor, situé au carrefour de civilisations dont le rapprochement est un impératif dans la violence qui caractérise notre époque ; ce pays, l'Emirat d'Abou Dabi, nous demande de concevoir entièrement pour lui un musée et de l'assister pendant 20 ans dans la direction et la conservation de cette nouvelle institution. Ce pays nous demande de concéder pendant 20 ans l'usage du nom de notre musée le plus prestigieux, le Louvre, dont nous savons qu'il est le plus grand musée du monde, et reconnaît ainsi l'excellence et le talent des musées français devant le monde entier. Et nous refuserions ? Nous refuserions la chance qui nous est offerte, à travers l'Emirat d'Abou Dabi, à travers un pays modéré qui s'oppose à l'intégrisme, de rendre hommage à l'ensemble du monde arabe et de témoigner dans les faits de notre attachement sincère au dialogue des cultures et au rapprochement de civilisations que les tensions du monde poussent aujourd'hui à s'opposer.
Je comprends parfaitement que des inquiétudes et des questions se manifestent, puisqu'il s'agit de la réputation du Louvre et puisque, par définition, le déroulement d'une négociation internationale ne permet pas de communiquer tant que l'accord n'est pas signé. Mais je voudrais quand même écarter certains faux-procès qui ne font pas honneur à notre pays.
Non, les musées de France ne seront pas forcés à prêter leurs oeuvres. Comme dans tout partenariat international, les musées prêteurs décideront librement selon l'intérêt scientifique du projet.
Non, les prêts envisagés ne sont pas une forme détournée d'aliénation. Certains ont parlé, trop vite, et sans se renseigner, de prêts à long terme. Il s'agira, comme c'est l'usage, de prêts à court terme, d'une durée maximale de deux ans, par convention de prêt dans un programme qui sera limité au total à dix ans.
Non, le public français et les touristes qui viennent en France ne seront pas privés de la contemplation de nos chefs-d'oeuvres. Les prêts à court terme qui garniront les galeries du musée concernent quelques centaines d'oeuvres. Nous savons tous que les oeuvres présentées dans nos musées nationaux ne représentent que 10 à 15% des collections. Nous savons tous que la France prête chaque année près de 30 000 oeuvres et nos grands musées nationaux prennent une part importante dans ces prêts tant à l'international que pour les musées de région. Je rappellerai ainsi que le Louvre répond favorablement à 80% des demandes qui lui sont adressées.
Oui, il y aura des expositions temporaires. Il y en aura quatre par an : une grande, sur une surface maximale de 1200 m2, une moyenne et deux expositions dossiers. Je vous laisse comparer avec le nombre d'expositions que les musées de France organisent chaque année.
Non, il n'y a pas d'interdits quant au choix des oeuvres. La demande d'art occidental émane des Emiriens eux-mêmes qui veulent former le goût de leur population et des pays de la région. Il est évident que nous devrons faire preuve de tact et que nous n'allons pas délibérément rechercher la provocation en organisant par exemple une exposition sur l'érotisme des grands maîtres. Mais le programme comme la conception du musée, seront définis par l'équipe scientifique française. Ce musée sera d'abord un laboratoire d'un grand musée français du XXIe siècle qui offrira une chance inégalée de recherche et d'expérimentation pour les conservateurs qui se chargeront du projet. Notre objectif est que ce musée puisse adhérer à l'ICOM.
Il n'est pas question que je commente les montants financiers qui sont parus dans la presse. Sachez simplement que les enjeux sont suffisamment importants pour qu'un responsable public ne puisse pas repousser cette offre sans réfléchir et sans risquer de manquer à ses devoirs vis-à-vis des musées de France. J'ai eu l'occasion de le dire publiquement devant le Sénat : j'ai obtenu confirmation par le Premier ministre que l'ensemble des contreparties financières seront reversées aux musées qui participeront à ce partenariat. Ceci viendra, comme pour le mécénat, en surcroît et non en compensation de l'effort budgétaire de l'Etat qui maintiendra son effort.
Ainsi, pour l'usage du nom du Louvre, l'ensemble des financements reviendra au Louvre et nous réfléchissons avec le Louvre et la Direction des musées de France à des projets d'intérêt général qui pourraient notamment être financés grâce à ces recettes. Je pense en particulier à la possibilité de créer un centre commun des réserves, en banlieue parisienne, pour les réserves du Louvre et des autres musées menacés par la crue centennale de la Seine, intégrant tous les espaces nécessaires à leur conservation, leur étude et leur restauration.
Pour ce qui concerne les prêts à court terme et les expositions temporaires, les contreparties seront affectées aux musées prêteurs, c'est-à-dire à tous les musées de France qui désireront prêter, avec cette seule limite déontologique à laquelle je tiens, que les recettes supplémentaires devront financer des investissements ou des acquisitions.
Ce projet, je le conçois comme un instrument d'accélération de la restauration de notre patrimoine, comme un instrument exceptionnel permettant aux musées en région d'accéder à l'international, sur la base du volontariat et en collaboration scientifique avec les grands musées parisiens sur lesquels s'exercent aujourd'hui l'essentiel des sollicitations. J'ajoute que ce projet nous donnera les moyens d'accéler l'inventaire des collections conservées dans les réserves de nos musées, vaste et capital chantier auquel je tiens autant que vous. C'est un projet collectif et solidaire. Le nom du Louvre sert à donner notre garantie de qualité muséographique et d'exigence scientifique. C'est la France qui s'engage. C'est une opération à long terme, ce n'est pas un coup !
Voilà pourquoi, pour porter le projet d'Abou Dabi et appuyer les musées qui le veulent, j'ai décidé la création d'une Agence internationale des Musées de France. Il s'agira d'une société de conseil souple et légère qui comprendra notamment une équipe scientifique. L'Agence prendra la forme d'une société par actions simplifiée dont les parts seront détenues par tous les musées qui ont le statut d'établissement public, au premier rang desquels le Louvre, bien sûr, mais également le Centre Pompidou, le musée du Quai Branly, Orsay, Versailles, Guimet ainsi que la Réunion des Musées Nationaux. Il s'agira donc d'une filiale commune des musées et non d'un établissement autonome. Cette société devra agir comme prestataire de conseil pour les musées qui demanderont ses services. Elle ne jouira d'aucun monopole ni d'aucune tutelle et n'interviendra pas dans les projets bilatéraux que vous estimez pouvoir développer vous-mêmes. Elle obéira à des règles de gestion privée, afin d'avoir la réactivité nécessaire, mais remplira une mission de service public, à l'opposé d'une société commerciale. Ses activités n'entreront donc pas dans le champ de la concurrence.
En conclusion :
1°) Je souhaite disposer d'un panorama des activités internationales des musées de France. Je demande donc aux musées placés sous la tutelle de l'Etat et aux musées territoriaux qui le souhaitent, de bien vouloir, d'ici 15 jours, faire parvenir à la Direction des Musées de France et à la Délégation au développement et aux affaires internationales, une synthèse de deux ou trois pages de leurs activités internationales. Je souhaite également que l'Inspection générale du ministère de la culture effectue en lien avec la DMF un travail sur les stratégies internationales des grands musées étrangers dans le monde afin de savoir qui fait quoi, quels sont les pays qui demandent des coopérations et quels sont les musées qui cherchent à développer leur influence.
2°) Je demande à la Direction des Musées de m'adresser d'ici 15 jours le projet de Charte déontologique de l'action internationale des musées sur la base du rapport Collinet, des travaux qu'elle mène depuis 6 mois et des interventions de ce jour.
3°) Je demande à mon directeur de cabinet de réunir d'ici 15 jours les directeurs du ministère concernés et les présidents des établissements publics muséaux pour examiner les projets de statuts de l'Agence internationale des Musées de France et procéder aux démarches nécessaires pour la constitution du capital.
Je vous remercie de votre attention et vous invite à me faire part de vos réflexions et de vos attentes.Source http://wwwculture.gouv.fr, le 19 janvier 2007