Interview de Mme Dominique Voynet, candidate des Verts à l'élection présidentielle de 2007, à France Inter le 23 janvier 2007, sur sa stratégie pour l'élection présidentielle après le retrait de Nicolas Hulot.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- N. Hulot se retire donc de la course à la présidentielle. Vous avez déclaré que c'était une bonne nouvelle pour l'écologie. En êtes-vous si certaine ?
R- J'ai d'abord dit "respect" ; "respect", pour Nicolas, qui a eu effectivement le courage de résister à la tentation, et qui a donné finalement une feuille de route qui est extrêmement claire : ne pas laisser tomber les préoccupations écologiques pendant la campagne, et passer à l'acte au soir du deuxième tour surtout. Bonne nouvelle pour l'écologie ou bonne nouvelle pour les Verts ? Bonne nouvelle pour l'écologie, bonne nouvelle pour les Verts aussi, je le dis tout à fait tranquillement. La campagne va être désormais plus simple, plus facile, parce que, me seront épargnées toutes les questions sur la stratégie, sur les petites phrases, sur les positions respectives des uns et des autres. Je vais aller à l'essentiel, et parler maintenant de mon projet.
Q- Projet important, on va y venir. Mais la manière d'y arriver aussi est essentielle. Comment faire ?
R- Une des façons d'y arriver, c'est de refuser désormais de répondre à toutes les questions sur la petite vie politicienne...
Q- Donc, vous préférez que l'on sorte du studio...
R- Non !
Q- ...et qu'on vous laisse votre micro ouvert ?
R- Non, mais...Je fais une campagne de terrain, et sur le terrain, les gens ne me posent pas réellement de questions sur ce qui se passe dans le microcosme politique, ils me posent des questions effectivement sur : comment fait-on pour réduire notre dépendance au pétrole ? Comment fait-on pour améliorer le confort de vie des gens les plus modestes et les aider à boucler leurs fins de mois ? Comment fait-on pour construire des maisons à 100.000 euros, comme le demande J.-L. Borloo sans renoncer à l'isolation de ces logements ?
Q- Et comment fait-on pour imposer ces questions dans le débat politique ?
R- On parle comme je viens de le faire !
Q- Pensez-vous que...
R- ...et on refuse de se laisser entraîner sur des terrains qui ne sont pas les bons terrains, il y en a ras-le-bol, des préoccupations du microcosme ! Moi, c'est aux préoccupations des Français que je veux répondre !
Q- Pensez-vous que vous avez la force politique pour imposer vos idées ? C'est une question simple, c'est une question noble, c'est une question, pour savoir, comment comptez-vous y arriver ?
R- J'ai en tout cas la force nécessaire pour vous dire, ce matin : allons pour
une fois sur les questions de fond. Je vous le jure, on n'est pas en
sécurité alimentaire à travers la planète ! Je ne vous parle pas, là, de
l'accumulation des pesticides dans nos assiettes, je vous parle du fait
que, depuis plusieurs années, consécutives, les réserves de céréales à
travers le monde sont en train de baisser. La Chine, est devenue le plus
gros acteur mondial sur ce marché, les pays africains n'arrivent plus à
se nourrir, et on continue à dire : on va empêcher l'arrivée des
personnes qui meurent de faim, en provenance des pays d'Afrique. On
n'est pas en sécurité énergétique...
Q- Je vais aller dans votre sens...
R- Vous ne voulez pas m'écoutez jusqu'au bout, là ?
Q- Je vais vous le dire très franchement : les glaciers fondent, le climat se dérègle, et les intentions de vote...
R- C'est génial, parce que...
Q- ...et les intentions de vote pour les Verts...
R- ...c'est génial, parce qu'il y a dix ans vous auriez dit...
Q- ...et les intentions de vote pour les Verts sont au plus bas. Expliquez-nous ce mystère de la vie politique française.
R- Alors, ce mystère de la vie politique française, c'est que, depuis trois mois, c'est la question que l'on me pose, alors que je vous dis que je n'y réponds plus à cette question ! Cela va vous agacer mais je n'y réponds plus ! Parce que si...
Q- Mais, on aimerait comprendre quand même !
R- Mais...Alors, vous ferez votre travail d'analyste politique à d'autres moments. Moi, à partir de maintenant, je ne réponds plus à cette question. Je réponds effectivement sur le fond. Parce que, sur mon blog, sur le mail, dans le courrier, les gens disent : mais vous êtes comme les autres, vous êtes des politiciens ! Vous passez votre temps à commenter des petites phrases, au lieu de nous dire ce que vous voulez ! Alors, je vous le dis ce que je veux. Je veux effectivement que l'on arrête de faire des conneries ! Le mot est fort ! Mais je pense que N. Hulot a parlé aussi de façon très forte hier. Il a dit : ça suffit ! Assez de petites mesures marginales qui ne changent rien, qui donnent bonne conscience, qui permettent à ceux qui ne veulent rien changer, qui veulent continuer à laisser toutes les décisions être prises par les lobbies qui pèsent sur la décision publique ! Exemple, très concret : on est en insécurité énergétique, le pétrole va être de plus en plus rare, de plus en plus cher, on ne le réserve pas aux usages nobles, dans la pétrochimie on a besoin de pétrole. Par contre, pour incinérer des ordures ménagères on n'a pas besoin de pétrole. Pourquoi ? Parce qu'il ne faut pas incinérer les ordures ménagères. On prétend réduire les émissions de carbone, et on brûle les déchets qui produisent du CO2, qui changent le climat, et on consomme du pétrole ! Tout cela, alors qu'on consacre déjà 10% du montant de nos courses à l'achat d'emballages qui vont être jetés.
Q- Vous allez proposer un contrat écologique, quel en sera le contenu ?
R- Alors, vendredi à Nantes, je vais présenter ce contrat écologique avec le souci, la ligne rouge va être, la ligne verte plutôt, va être de faire le lien en permanence entre les questions sociales et écologiques. Pourquoi ? Parce que, sur le terrain, je rencontre des gens qui me disent : "je suis conscient du fait que je dois changer, mais j'ai l'impression de ne pas avoir le choix" ; "j'habite trop loin des transports en commun" ; "mon employeur effectivement me demande de mettre la pression sur mon équipe et de produire le plus possible, en épuisant à la fois, les hommes et l'environnement". Qu'est-ce que je fais ? Mon travail va être de montrer que, une politique écologique, cela va permettre de réduire les gaspillages et d'admirer le confort de vie des gens. Si on isole massivement les 11 millions de logements qui sont des passoires à énergie, on va réduire la facture énergétique de la France, ce qui est bien, mais aussi des gens modestes qui occupent ces logements, ce qui est mieux. Et puis, je vais montrer en permanence, que l'écologie c'est un vrai projet pour l'emploi. Il y a certains qui disent : aujourd'hui, on va dynamiter toutes les protections et faire sauter les 35 heures. Je dis, dans l'environnement, dans la protection et la gestion des espaces naturels, dans les énergies renouvelables, dans le logement, parce qu'on a besoin effectivement de construire 100.000 logements par an, ou davantage si on veut s'en sortir et répondre aux 3 millions de personnes qui sont mal logées, dans les transports collectifs, il y a des gisements considérables. Ce ne sont pas des chiffres qui sont fournis par des officines écologiques, ce sont des chiffres de la Commission européenne, de l'OCDE, qui considèrent que le gisement, c'est plutôt 1 million d'emplois en France qu'au-dessous.
Q- Ai-je le droit de vous poser la question suivante ?
R- Peut-être, mais j'aurais peut-être le droit de ne pas répondre.
Q- Il y a eu le Pacte écologique, il y a un Contrat écologique qui va être donc présenté par les Verts. Vous vous inspirez d'une méthode qui a fait ses preuves ces dernières semaines, qui est de, tordre le bras à un certain nombre de candidats à la présidentielle, pour qu'ils s'engagent fermement sur des objectifs de développement durable ?
R- Vous l'aurez noté, N. Hulot n'a pas tordu le bras aux seuls candidats à la présidentielle, il s'est aussi adressé à la société. Il y a quand même beaucoup de gens qui sont prêts. "Le peuple de l'écologie ne doit plus être méprisé", a dit Hulot. Et c'est une bonne formule, que je fais mienne évidemment. Parce que depuis des dizaines d'années, on considère toujours que les écologistes sont ceux qui empêchent le développement économique, alors que nous voulons simplement un autre développement, qui ne soit pas fondé sur le gaspillage, sur la mise en concurrence de chacun avec tous les autres, au détriment des plus faibles. Oui, bien sûr j'ai l'intention de m'adresser à la société et à tout ce qui vit, et ce qui invente déjà les solutions de demain. Vous savez, quand on va dans le Nord-Pas-de-Calais, et qu'on voit des gens qui ont souffert durement du mal développement industriel, qui ont été exposés à l'amiante, aux métaux lourds, etc.,etc., pendant très longtemps, et qui nous disent : le redéveloppement, la diversification des activités de mon entreprise, c'est l'écologie, comme le font aujourd'hui les ouvriers papetiers de Stora Enzo à Douai, qui sont en train de dire : "mais nous, on a envie maintenant de produire des sacs papiers pour remplacer les sacs plastiques aux caisses et on fait des études de marché, et cela marche, et on peine à convaincre notre employeur et le financeur de la boîte"....
Q- Mais alors comment y arrive-t-on politiquement ? Justement...
R- On y arrive en parlant aux gens et pas uniquement politiquement. Les rapports de forces dans la société aussi...
Q- Non, mais politiquement enfin, c'est quand même l'hôpital qui se moque de la charité ! Quand je vous pose cette question-là, c'est une question noble : comment arrive-t-on à mettre en pratique ces idéaux dans un combat politique ? Je ne vois pas pourquoi vous refusez la question !
R- Je ne refuse pas, parce que je fais de la politique depuis 20 ans !
Q- En bien, voilà !
R- J'ai constaté que le travail de terrain ne suffisait pas, mais qu'il fallait bien articuler le travail de terrain et ce qui vit...et la politique. Ce qui vit dans la société, et ce qui change le rapport de forces au niveau électoral. Simplement, travailler au niveau de la société, si on n'est pas capable d'avoir un groupe parlementaire à l'Assemblée, ce sera négligé, ce sera méprisé. Donc, je veux un groupe parlementaire, mais je veux aussi me faire l'écho de ce qui bouge sur le terrain, parce que c'est cela qui donne de la crédibilité, c'est cela qui nourrit.
Q- Les Verts font-ils assez d'écologie ? Parce que l'on vous entend, sur,par exemple, les sans-papiers, sur les questions du logement, qui sont des questions fondamentales. Mais est-ce que le coeur de votre doctrine, n'est-il pas l'écologie, ou ne devrait-il pas être l'écologie ?
R- Je ne fuis pas la question, et je vous donne un exemple : les sans papiers, le logement, cela se passe à Paris. Et il y a toujours pas mal de caméras et de micros qui se tendent. Quand je vais sur le terrain visiter la réserve ornithologique du Lac de Der, avec des militants qui font des miracles avec des bouts de chandelles, il n'y a pas un journaliste de la presse nationale qui se déplace. Je ne les accuse de rien, j'en fais le constat simplement.
Q- Alors, n'esquivez pas la question : les Verts font-ils assez d'écologie ? N. Hulot, n'a-t-il pas eu le mérite de replacer ses enjeux, je dirais, strictement écologiques, à l'intérieur de la campagne par rapport à une autre définition de l'écologie que vous défendez ?
R- Je vous le dis : protection des oiseaux, transports collectifs, lutte contre l'incinération, demande qu'on réduise la part du nucléaire et qu'on en sorte enfin, parce ces techniques sont proliférantes, parce qu'on n'a pas résolu le problème des déchets, parce que c'est trop coûteux pour rapporter une réponse aux 2 milliards d'êtres humains qui n'ont pas l'électricité du tout. Est-ce que c'est faire de l'écologie ? Sauf que, à certains moments c'est audible, et à certains moments ça ne l'est pas. Donc, vous allez me poser la question suivante, qui est une question politicienne que je ne vais pas fuir : pourquoi, N. Hulot était-il plus audible que les Verts ? C'est parce que les Verts proposent effectivement des mesures de fond, qui sont radicalement bouleversifiantes pour tout un ensemble d'intérêts économiques. Vous ne pensez quand même pas que les gens qui financent les pages de pub dans les journaux, ceux qui effectivement gagnent de l'argent en dépolluant l'eau et pas en empêchant qu'elle soit polluée, vont dire "bravo !" quand vous leur dites : il faut arrêter de polluer, et il faut changer le modèle agricole.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 janvier 2007