Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à La Chaîne Info le 8 février 2007, sur le réforme des programmes scolaires, les décharges horaires des enseignants, la politique de l'enseignement, la violences dans les établissements scoalires et l'élection présidentielle 2007.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


Q- Les enseignants entre autres sont en grève aujourd'hui dans la fonction publique. Ils vous reprochent notamment votre autoritarisme et vos prescriptions impératives sur la lecture, la lecture, la grammaire, le calcul... Que leur répondez-vous ?
R- Ils ne vont quand même pas me reprocher de m'occuper des enfants, de m'occuper de la réussite scolaire. Lorsque je vois qu'il y a trop d'enfants qui ne savent pas lire à l'entrée en Sixième, je fais analyser par les académiciens, par les spécialistes pourquoi on ne sait pas lire en entrant en Sixième. Lorsque je vois que les enfants font beaucoup de fautes d'orthographe, même en passant le Bac, je fais analyser par les grands spécialistes pourquoi on fait des fautes d'autographe. Et du coup je réforme la lecture, l'écriture, je réforme la grammaire. Je vois qu'on a besoin de faire des progrès en mathématique et en calcul, je remets le calcul mental dans les programmes. Et donc moi je pense à la réussite scolaire avant tout.
Q- Vous supprimez également à 50.000 enseignants une décharge horaire, qui était dans les traditions. Les syndicats vous répondent que c'est 1.500 euros net de salaire en moins.
R- Non, ce n'est pas ça du tout, je ne supprime rien du tout. Il y avait des enseignants qui avaient une heure de moins d'enseignement, c'est-à-dire qui devaient enseigner 18 heures et à qui on a dit à un moment donné, vous n'allez enseigner que 17 heures parce qu'on vous confie une charge de plus. La charge de plus n'existe plus. Je leur demande comme leurs petits camarades d'enseigner 18 heures, c'est une mesure de justice sociale, tout le monde enseigne 18 heures quand on est
professeur à l'Education nationale.
Q- "Pas de travail supplémentaire sans revenus supplémentaires", a précisé N. Sarkozy, il vous incite à mieux payer les profs ?
R- J'aimerais bien mieux payer les profs parce que ça c'est une vraie mesure qu'il faudra regarder très rapidement. Comment se situent les professeurs dans la moyenne européenne, on va dire la moyenne européenne des pays de l'Ouest de l'Europe ? Je pense qu'il faut mettre ça sur la table, tranquillement, dans une négociation globale : le temps d'enseignement, le temps du soutien scolaire, le temps de présence, le cas échéant, les conditions de travail et les rémunérations. Et c'est vrai que les professeurs gagnent plutôt moins en France que dans la moyenne des pays européens.
Q- Vous développez également la bivalence, c'est-à-dire l'enseignement d'une deuxième matière à la demande du chef d'établissement. Etes-vous sûr que l'enseignement sera de même qualité, quand on voit le niveau de recrutement au Capes dans les premières matières, le premier choix, des candidats ?
R- D'abord il s'agit d'une mesure, non pas pour les professeurs existants,
mais pour ceux qui vont sortir des futurs IUFM. Vous savez que j'ai fait
une réforme des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, les
écoles d'enseignants. Et là, les futurs enseignants auront le choix entre enseigner une matière ou enseigner deux matières. S'ils choisissent d'enseigner deux matières, évidemment cela sera avec la même connaissance des deux disciplines qu'ils enseigneront et cela sera surtout un gros avantage et pour eux et surtout pour les élèves. Parce que les élèves, au lieu d'avoir douze professeurs quand on arrive en Sixième, ils n'en auront que six. Et c'est un traumatisme beaucoup moins fort que quand ils passent de la primaire avec un professeur principal, ils arrivent en Sixième avec douze professeurs. Il y a quelque chose qui ne va pas. Avec la bivalence...
Q- Mais on sera aussi bons dans la deuxième matière que dans la première ?
R- Il y aura le même apprentissage de la matière, c'est-à-dire de la discipline si on est monovalent ou si on est bivalent. Et cela sera exactement le même apprentissage. Là-dessus, on ne reviendra pas au fameux PEGC qu'on a connu il y a vingt ans ou trente ans où il y a avait une matière principale et puis une matière qui était moins enseignée et qui était un peu la discipline secondaire.
Q- D. de Villepin a proposé hier de moduler les droits d'inscription à l'université en fonction des ressources de chaque étudiant. Est-ce que c'est une bonne voie pour développer l'université ou est-ce que c'est le début de l'université à deux vitesses ?
R- Surtout pas une université à deux vitesses ! Ce que veut D. de Villepin c'est de voir comment on peut augmenter les bourses pour qu'il y ait plus de justice sociale dans le coût de l'inscription à l'université. Donc c'est un débat à venir pour un quinquennat à venir, ce n'est pas en tout cas une commande qu'il a passée au ministre de l'Education nationale ou au ministre délégué à l'Enseignement supérieur et la Recherche.
Q- Vous avez critiqué N. Sarkozy quand il a évoqué la faillite de l'école publique. Mais n'est-ce pas un constat de faillite qu'il faut dresser quand on voit par exemple l'hémorragie des parents et des élèves vers le privé ?
R- Non, d'abord il y a une hémorragie, ce n'est pas une faillite, heureusement quand on a une petite coupure et qu'il y a un petit peu de sang qui coule, ce n'est pas la mort assurée. Simplement, c'est qu'on a besoin de faire encore des progrès à l'Education nationale, qui en fait tous les jours. Je vous rappelle quand même que cette grande et belle maison, depuis vingt-cinq ou trente ans, a démocratisé l'enseignement scolaire, tous les enfants de la République viennent à l'école, c'est quand même un progrès quantitatif formidable. Mais c'est vrai que depuis quinze ou vingt ans, les progrès qualitatifs ne sont pas toujours au rendez-vous. Et moi je souhaite évidemment et j'ai pris des mesures pour relancer l'éducation prioritaire, pour relancer les fondamentaux : lire, écrire ; compter, le calcul mental, la grammaire, etc., pour élever le niveau de élèves. J'ai mis en place les "collèges Ambition - Réussite" et maintenant les "lycées Ambition - Réussite", pour relancer l'éducation prioritaire là où il y a des retards scolaires importants. Bref, il y a une mobilisation de l'Education nationale formidable, je ne voudrais pas qu'on sous-estime les efforts que fait actuellement l'Education nationale. Et je terminerai par l'un des efforts qui a été salué hier par le président de la République, je voudrais le dire, c'est quand même l'accueil - quel défi ! En 2 ans, l'accueil de tous les enfants handicapés par l'école de la République.
Q- Néanmoins, faillite également quand deux institutrices se font agresser à Châlons-en-Champagne...
R- Non "pas faillite également".
Q- On peut dire ou on peut craindre la faillite...
R- Ne dites pas "faillite". Moi je m'oppose vraiment là-dessus. Oui, il y a des échecs, ce n'est pas parce qu'il y a des échecs que le système ne marche pas. D'abord,il y a trois jours à Châlons, c'était une agression venant de l'extérieur, je le rappelle, et ce sont des enseignants de très grande qualité qui s'y sont opposés. Chapeau quand même les enseignants ! Et donc il n'y a pas de faillite des enseignants ou du système éducatif. Il y a une société qui est violente, il y a des parents qui ne font pas leur boulot, qui élèvent mal leurs enfants, des enfants qui grandissent, qui restent à la porte de l'école, qui ont 20 ans ou 21 ans, hélas ils sont au chômage. Et, à un moment donné, ils pénètrent dans l'école et ils vont tabasser une professeur. Alors ça c'est la faillite, s'il y a une faillite, c'est de la société pas de l'école.
Q- A qui la faute quand R. Redeker est obligé de quitter l'enseignement, de se réfugier au CNRS parce qu'il a subi des menaces islamistes ?
R- La faute à l'intolérance et d'ailleurs vous avez vu les résultats, c'est qu'on a arrêté celui qui était l'auteur de cette menace.
Q- N. Sarkozy, ministre des Cultes, a-t-il eu tort de choisir hier un camp dans le procès entre Charlie Hebdo et ceux qui attaquent la publication dans l'affaire des caricatures de Mahomet ?
R- Je ne suis pas au courant, il a choisi un camp ?
Q- Il a défendu Charlie Hebdo, il a témoigné en faveur de Charlie Hebdo.
R- En France, on a un système de liberté, il faut que tout le monde s'adapte. Maintenant, ce système de liberté ne doit pas quand même entraîner des agressions, des agressivités. Franchement l'objet de la politique, la mission de la politique, c'est d'essayer de faire vivre les gens ensemble, en bonne intelligence, et de créer de la cohésion plutôt que de l'agression.
Q- Par exemple, accepteriez-vous que des enseignants montrent ces caricatures en classe pour évoquer la liberté d'expression ou est-ce que ça serait une agression, une agressivité ?
R- Je préfèrerais que les enseignants disent qu'il ne faut pas agresser. La laïcité à l'école qu'est-ce que c'est ? C'est la neutralité parfaite entre les religions et le respect des religions des autres.
Q- Vous réunissiez votre club politique, "Société en mouvement" hier soir à Paris. Alors, qui soutiendrez-vous à l'élection présidentielle : F. Bayrou, vous êtes UDF ou N. Sarkozy, vous êtes ministre du Gouvernement ?
R- Cette question-là ne m'intéresse pas aujourd'hui. Si vous m'aviez dit : que soutiendrez-vous et non pas qui soutiendrez-vous ? Ça c'est une question intéressante parce que ce que je soutiendrai à l'élection présidentielle, c'est un projet et un projet de société qui corresponde aux valeurs que je défends depuis trente ans. C'est-à-dire les valeurs de l'humanisme, les valeurs du centre, les valeurs européennes, les valeurs sociales, libérales et sociales.
Q- Vous avez bien appuyé le discours de N. Sarkozy la 14 janvier d'ailleurs sur ce thème là ? C'est un signe ?
R- J'accueille tous les discours ou les éléments de discours qui correspondent à mes valeurs et je ferai un choix, lorsque vraiment la campagne commencera, parce que là, c'est une pré campagne. Et donc à la fin du mois de mars, j'aurai vu ce que proposent à peu près les candidats. Et le meilleur projet de société, je dirais : ce projet de société me paraît le meilleur ou le cas échéant le moins mauvais ou celui qu'on peut encore améliorer en apportant notre propre valeur ajoutée grâce à "Société en mouvement". Et, à ce moment-là, je me prononcerai.
Q- Par exemple, un sous-préfet dans chaque quartier difficile, un sous-préfet issu des banlieues, comme le propose F. Bayrou, cela peut vous intéresser pour Amiens nord par exemple ?
R- Non, franchement. Ce n'est pas parce que F. Bayrou propose ça, il a fait d'autres propositions intéressantes, hier soir. Notamment, par exemple, d'obliger une sorte de dialogue social avant qu'il y ait une mesure sociale, ça c'est une démarche démocratique que je pratique dans ma ville tous les jours et dans mon ministère tous les jours. Mais par contre,le sous-préfet, honnêtement, c'est le maire qui est responsable de la politique de la ville dans sa ville. Et c'est lui qui est le mieux à même de coordonner tous les services y compris les services de l'Etat qui sont sous l'autorité du préfet. Mais les services de sa ville avec les associations et tous les acteurs de la cohésion sociale dans un quartier difficile, c'est le maire qu'il faut mettre au centre de la problématique et au centre des solutions.
Q- Les sondages en hausse pour F. Bayrou, est-ce que ça ne valide pas sa stratégie d'opposition à l'UMP ?
R- C'est tant mieux mais ça complique sa problématique parce que si le
soir du premier tour avec, on va dire entre 10 et 15 %, il a la moitié de ses électeurs qui sont à gauche et il dit qu'il faut soutenir N. Sarkozy, il aura déçu la moitié de ses électeurs.
Q- En un mot très bref : J. Bové, il faut appliquer la condamnation, l'envoyer en prison ?
R- 'est le problème de la justice, ce n'est pas le mien, moi je respecte suffisamment la séparation des pouvoirs pour ne pas avoir à me prononcer sur ce sujet.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 février 2007