Interview de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, à "France Inter" le 6 février 2007, sur la grippe aviaire, les résultats des élections aux Chambres d'agriculture, ainsi que sur l'importance de l'écologie dans la campagne électorale de 2007.

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Média : France Inter

Texte intégral

Bonjour, je m'appelle D. Bussereau, j'ai 54 ans et je suis le ministre de l'Agriculture et de la Pêche et par ailleurs je suis un élu dans le beau département de la Charente-Maritime.
Q- Bonjour Monsieur ! Grippe aviaire, on passe du stade 2 au stade 3 sur une échelle de risques qui compte 6 niveaux. Comment qualifiez-vous la situation ?
R- La situation mérite une extrême attention, parce que ce qui s'est passé récemment en Hongrie, puis ce week-end en Grande-Bretagne mérite que l'on fasse attention, que l'on renforce, ce que nous avons fait, nos précautions. Nous sommes encore, vous le voyez d'après l'Afssa, dans le risque que nous qualifions de faible et nous allons tout à l'heure nous réunir autour du Premier ministre pour voir s'il convient de passer à un autre stade. Mais pour l'instant, nous n'avons pas de nouveaux éléments d'inquiétude depuis ce week-end.
Q- Réunion à Matignon effectivement en fin de matinée, est-ce que vous pensez qu'il faut adopter de nouvelles mesures, ou les dispositifs qui existent ont déjà largement fait travailler le principe de précaution ?
R- Vous savez ce qui s'est passé l'an dernier, qui nous a amené sans arrêt à prendre des mesures nouvelles, c'est que nous étions avec des oiseaux sauvages. Rappelez-vous en France, dans la Dombes, dans l'Ain, c'était des oiseaux sauvages et un élevage. Là, nous avons un cas d'élevage en Angleterre, donc quelque chose qui est immédiatement entouré de zones de précaution, de surveillance etc. S'il y avait évidemment suspicion d'oiseaux sauvages, là, ce serait d'une autre nature et là, naturellement, il faut passer à des mesures de confinement, en tous cas dans les zones humides, mais pour l'instant nous n'avons pas d'information sur ce qui s'est passé en Grande-Bretagne.
Q- C'est assez inquiétant d'ailleurs, qu'on ne sache pas vraiment, alors que les règles avaient a priori été respectées, d'où cela a pu venir.
R- Vous savez c'est très difficile, le site de l'entreprise Matthews qui est dans le Suffolk est une ancienne base militaire, dont les 160.000 dindes étaient dans 22 bâtiments différents, cela n'a touché qu'un des 22 bâtiments, ces bâtiments sont complètement fermés, mais il y a quand même des gens qui pénètrent. Donc il y a toujours, vous savez ces fameuses mesures, on le voit à la télévision, les pédiluves, les tenues etc. Il peut y avoir une erreur dans la chaîne d'hygiène, il peut y avoir aussi un oiseau, une bête qui pénètre par un conduit, par quelque chose - ça il faut beaucoup de temps pour le savoir. Dans le cas de l'élevage français touché l'an dernier à Versailles , dans l'Ain, il nous a fallu des semaines et des semaines pour comprendre que c'était vraisemblablement quelqu'un venu de l'extérieur qui avait rapporté des excréments provenant d'un des étangs infectés. Mais c'est encore une grosse hypothèse et pas tout à fait une certitude.
Q- On a appris il y a quelques minutes, D. Bussereau, qu'un adolescent égyptien était mort de la grippe aviaire. Votre réaction ?
R- Alors, si vous voulez, ce sera donc la 166ème victime, puisque la 165ème était une jeune femme décédée au Nigeria ce week-end. Ce qu'il faut bien dire aux auditeurs de France Inter, c'est qu'il ne s'agit pas de transmission de l'homme à l'homme. Il s'agit de personnes où la transmission s'est faite par l'animal, c'est souvent parce qu'on a consommé dans de mauvaises conditions, qu'on a vécu en inhalation ou en proximité immédiate de volailles. Les grands foyers d'infection actuellement mal maîtrisés, c'est ce malheureux pays - je dis malheureux pays, parce que la ville Djakarta est sous les inondations - de l'Indonésie, et pas très loin de nous, en effet l'Egypte, où là, nous avons des difficultés à apprécier la réalité de la situation vétérinaire.
Q- Un certain nombre de pays ont interrompu leurs importations de volailles anglaises ; principe de précaution là encore ou principe d'irréalité, quels sont les risques pour le consommateur ?
R- Si vous voulez, ce sont des automatismes. C'est-à-dire que les règles internationales font que lorsqu'il y a problème dans un pays, les autres pays ou en tout cas certains autres pays arrêtent les exportations. Cela avait d'ailleurs conduit l'année dernière à des choses qui avaient paru absurdes à nos éleveurs, la Nouvelle Calédonie, terre française à statut particulier, mais terre française avait été une des premières zones à interrompre la consommation de volailles provenant de la Métropole française. Là, c'est lié à des protocoles sanitaires, c'est à la direction des pays, le commissaire européen chargé de la consommation, Monsieur Kyprianou, a d'ailleurs rappelé hier que rien pour l'instant n'amenait ce type de décision. C'est plutôt des décisions... vous savez c'est parfois aussi des enjeux : je t'enlève les importations de volailles et puis tu vas me rétablir les importations que tu m'avais enlevées. Donc c'est parfois lié aussi à d'autres grands enjeux commerciaux.
Q- La filière avicole française a réactivé sa cellule de crise, qui est aussi une cellule de communication. Est-ce que vous redoutez un mouvement chez les consommateurs, D. Bussereau ?
R- Non, alors d'abord, regardez l'expérience de l'an passé. Comme l'an passé, on a dit la vérité en temps réel avec les médias, avec les éleveurs, avec toute la profession. Il y a eu une baisse de la consommation, il y a eu une crise économique très grave dans cette filière. Mais c'est en France que la consommation de volailles a repris le plus vite, parce que c'était clair et net et que tout le monde a compris qu'on n'avait pas raconté de carambouilles. Deuxièmement, cette année, on n'a rien en
France, on a quelque chose de très circonstancié etc. Donc vraiment je suis absolument persuadé que pour l'instant personne ne va rien changer à ses habitudes de consommation. Mais naturellement la filière doit être économique pro active, c'est ce qu'elle fait en mettant en oeuvre cette cellule de communication.
Q- Mais en tout cas l'enjeu de la réunion à Matignon tout à l'heure, c'est bien d'évaluer une nouvelle fois l'état du risque, donc peut-être à la hausse encore ?
R- Cette évaluation hier a été faite par les collaborateurs des ministres ; le Premier ministre a souhaité aujourd'hui nous réunir et puis entendre lui-même les explications, les avis des uns et des autres, je crois que c'est une bonne méthode de gestion gouvernementale.
Q- Alors dans la nuit, sont également tombés - autres dossiers, D. Bussereau - les résultats des élections aux Chambres d'agriculture. La FNSEA et Jeunes Agriculteurs sont en tête ; sur les 164.191 premiers suffrages exprimés, plus de 50 %. Réaction à ce scrutin ?
R- D'abord, comme vous le dites vous-même, résultats partiels. Pour vos auditeurs, c'est 3 millions de Français qui votaient, parce qu'il n'y a pas que les exploitants, il y a les salariés, etc. On constate que le syndicalisme majoritaire, c'est-à-dire la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, augmente son avance et que le premier syndicat "opposant"entre guillemets, enfin le second syndicat n'est plus la Confédération paysanne, mais la Coordination rurale. C'est un petit message subliminal à Madame Royal, qui épouse en règle générale, en matière agricole les thèmes de la Confédération paysanne.
Q- Et donc la Confédération paysanne qui perd la Loire-Atlantique, le seul département à la soutenir entre guillemets.
R- Si vous voulez pour l'instant, sur les 95 départements, il y avait 2 départements à la Coordination rurale : le Calvados et le Lot et Garonne sont conservés ; le fief de la Confédération paysanne qui était la Loire- Atlantique tombe. Voilà, cela veut dire que les thèses de la Confédération paysanne, qui sont des gens que je respecte, avec lesquels je travaille naturellement ne passent pas très bien dans le monde agricole, je crois que c'est un message important.
Q- Figure charismatique de la Confédération paysanne, J. Bové, désormais candidat à l'élection présidentielle sous la bannière de la gauche anti libérale. Il s'est rendu célèbre, il faut le rappeler, en défendant une certaine conception de l'agriculture, de la paysannerie, comme il dit. Est-ce que, vous ne vous retrouvez quand même pas avec lui, sur un certain nombre de thèmes. Le plaidoyer pour une agriculture intelligente et durable, un ministre de l'agriculture ne peut pas être contre ?
R- Mais vous savez le problème, c'est qu'il y a longtemps que Monsieur Bové n'est plus paysan. D'abord je vais vous dire une chose, je ne l'ai jamais rencontré en deux ans et demi, je le regrette, parce que c'est un personnage qui doit certainement avoir des aspects sympathiques. La Coordination rurale elle-même - pardon, la Confédération paysanne elle-même - a indiqué qu'elle ne voterait pas pour lui, parce qu'elle voulait se situer dans une politique de neutralité. Il y a certainement des bons fondamentaux chez Monsieur Bové, mais la manière d'exprimer les choses et puis surtout l'utilisation de la violence pour faucher les OGM fait que je suis en désaccord complet avec lui. Mais naturellement je respecte le citoyen et le candidat.
Q- Tous les candidats justement ont signé le pacte écologique de N. Hulot qui comprend un volet très offensif sur l'agriculture, appelant notamment à réorienter progressivement les subventions agricoles vers une agriculture de qualité. Ce n'est donc pas le cas aujourd'hui ?
R- Oh, c'est un peu dur de dire ça, parce que les réformes de la PAC, de la politique agricole commune récente, en particulier celle qui est en cause actuellement, ont visé à fortifier toute la partie environnementale et moins la partie économique. Par exemple, aujourd'hui, quand un agriculteur français reçoit de l'aide pour son bétail ou pour ses céréales, c'est lié à des conditions - on appelle ça la conditionnalité - de bonne gestion environnementale. Donc je crois qu'on peut encore progresser, mais vous savez, si on regarde l'usage des pesticides en France, il a beaucoup baissé, il y a encore des progrès. Mais très franchement, dire parfois comme on le dit trop rapidement qu'agriculteur égale pollueur, je crois que c'est une très mauvaise vision des choses et de la réalité.
Q- C'est l'un des trois objectifs des cinq, sur les cinq que compte le pacte écologiste, D. Bussereau, donc quand on s'engage, quand un candidat s'engage là-dessus, cela veut dire que derrière, il va falloir y aller.
R- Je crois que le candidat N. Sarkozy, ceux qui le soutiennent, dont je fais partie et puis la majorité des agriculteurs de France sont tout à fait prêts à continuer à travailler vers une agriculture de plus en plus naturelle. D'ailleurs, regardez, à côté de l'agriculture bio qui se développe dans notre pays, il y a aussi un nouveau système qu'on appelle "agriculture raisonnée", qui prend de plus en plus d'importance et qui intéresse de plus en plus de jeunes agriculteurs.
Q- Vous avez regardé la télé hier soir ?
R- Oui, j'ai regardé la télé...
Q- Bel exercice de démocratie participative.
R- Vous parlez de la première chaîne ?
Q- Oui, oui. Bel exercice de démocratie participative pour N. Sarkozy.
R- C'était assez impressionnant et par moment, je me mettais, modestement à la place de N. Sarkozy en me disant que c'était un exercice pas facile. Passer en trente secondes des retraites à l'ouverture des commerces de dimanche, à des réflexions sur l'homosexualité, c'était vraiment quelque chose de difficile. Je trouve qu'il s'en est bien tiré et puis que c'est en effet un bon exercice, même si parfois ça va un peu vite. On souhaiterait pouvoir entendre plus de choses sur le fond de la part du candidat.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 février 2007