Déclaration de Mme Dominique Voynet, sénatrice des Verts et candidate à l'élection présidentielle, sur la nécessité d'engager la "révolution écologique", Paris le 4 février 2007.

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A 80 jours du premier tour, je trouve qu'on continue à vivre une drôle de campagne. Il semble que les grands médias aient pris conscience de l'exaspération des Français devant une campagne dont on leur rebat les oreilles, sans rien leur dire qui réponde à leurs attentes. Le changement de cap va être brutal ! Vous voulez des vrais gens sur les plateaux de télé ? Vous voulez qu'on vous parle de vous ? On va vous en donner.
A cet instant, je suis partagée. D'un côté la satisfaction de constater que les questions de logement, après la crise écologique semblent supplanter les débats sécuritaires qui nous ont polarisés en 2002 et ont fait la fortune de la droite extrême, De l'autre l'inquiétude qui me prend devant les engouements éphémères des média, qui fait le débat public officiel au jour le jour, devant la façon dont s'organise le débat public, dont s'établissent les priorités. Aurait-on parlé d'écologie si Nicolas Hulot n'avait pas terrorisé les états-majors des principaux candidats ? Aurait-on parlé des SDF si les enfants de Don Quichotte n'avaient pas installé des tentes au canal St Martin ? Aurait-on parlé des dockers de Dunkerque s'ils n'avaient pas conduit une longue grève de la faim. Je les salue ! Mais quand même... Il faut se poser des questions sur le fonctionnement de notre démocratie. Et plus précisément deux questions.
Que deviennent ces « priorités » quand se détourne le regard, au profit d'une autre « priorité » ? Hélas, on le sait... Les micros et les lumières à peine éteints, le projet de loi sur le logement opposable a commencé à être dénaturé, discrètement, au Sénat. Et l'engouement pour l'écologie n'a conduit le gouvernement ni à muscler la loi sur l'eau, ni à inscrire au débat un projet de loi décent sur les OGM.
Qui décide de ce qui est prioritaire et de ce qui ne l'est pas ? L'échec scolaire, la misère de l'université, les épidémies du mal-vivre, ça n'intéresse personne ? Que deviennent les Invisibles, ceux qui n'ont pas de porte-voix ? Pourquoi ne parle-t-on pas du drame qui se déroule au Darfour ? Et des enfants pauvres, plus d'un million et demie dans notre pays, qui intériorisent depuis leur plus jeune âge qu'ils sont à part, qu'il ne faut pas demander ? Et des étrangers de Calais, dont l'existence est totalement niée au ministère de l'Intérieur. Vous savez bien, Sangatte, c'est réglé !
Rien ne nous protège d'un retour au premier plan, dans les dernières semaines, de quelques faits divers, propices à faire se précipiter l'électeur apeuré vers les candidats qui prônent l'ordre et la répression. Je me suis portée candidate à cette élection, parce que j'ai la volonté de faire face, avec vous, de façon responsable et énergique à la crise écologique. L'opinion est prête ? Les réformes de fond indispensables doivent être engagées sans tarder !
En votant pour Jacques Chirac, une fois dans ma vie en mai 2002, je n'avais pas pensé qu'il me rendrait hommage cinq ans plus tard en se déclarant sa flamme pour la révolution écologique ! Il faut redire que « la maison brûle » : le GIEC vient de confirmer les hypothèses pessimistes: la température globale va augmenter de 3° C; les glaciers fondent plus vite que prévu, les épisodes caniculaires que nous avons vécus en 2003 et 2006, vont se reproduire régulièrement de même que les ouragans, les tornades, les tempêtes, plus nombreux et plus violents. Des dizaines de millions d'être humains vont être contraints de quitter leur région, leur pays, chassés par la montée des océans et par la sécheresse. Ce ne sont plus les écolos qui l'annoncent mais les experts et les climatologues du monde entier. Il n'est plus permis de le contester : les activités humaines sont la cause principale de ces bouleversements ; les émissions de gaz à effet de serre sont dues au transport routier, à l'agriculture intensive, à l'industrie, au chauffage des bâtiments et des logements, à l'étalement urbain ? Les voici les chantiers, les terrains d'application de la révolution écologique.
Dans quelques années, dans des contrées éloignées, on se souviendra du Jacques Chirac qui a prononcé le beau discours de Johannesburg sur « la maison qui brûle ». Les participants à la Conférence de Paris se souviendront peut-être qu'ils s'y sont engagés à « faire le choix d'une autre croissance, une croissance écologique, le choix d'une économie mise au service du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ». Ce sont des mots. Seulement des mots ? Le Président lui même a déjà semé le doute, vendredi, en ne craignant pas d'affirmer dans une de ces formules abracadabrantesques dont il a le secret, que la réponse à la question de l'environnement ne pouvait être la poursuite de la croissance... ni l'arrêt de la croissance.. pas plus que le mode de croissance qui est le nôtre.
Que valent les mots quand ils ne sont pas suivis d'actes et de décisions ? Que valent la compassion télévisuelle, l'hypocrisie érigée en mode de gouvernance, Ils contribuent aux phénomènes qu'ils prétendent dénoncer en désarmant tous ceux qui ne savent plus comment faire, par où commencer, pour changer vraiment ce qui doit l'être, ce qui peut l'être. Un grand nombre de responsables politiques ne seront plus là dans quelques années. Ce n'est pas faire insulte à leur âge que de constater qu'ils prennent, ou plutôt ne prennent pas, les décisions qui détermineront l'ampleur des conséquences d'un réchauffement dont ils n'auront pas à subir les effets ! Jane Goodall n'a pas dit autre chose à l'Elysée hier. « Nous n'héritons pas de la terre de nos anc^tres ; nous l'empruntons à nos enfants ». Emprunter ? Mais nous n'empruntons pas, nous volons !
Arrêtez donc d'avoir la bouche pleine d'écologie en gardant la main sur l'épaule des lobbies du Btp, de la chimie ou de la bagnole. Comment croire que le président d'aujourd'hui a évolué, qu'il ne se reconnaît plus dans l'homme politique qui a quasiment inventé une politique agricole aussi ravageuse pour l'environnement que pour le monde paysan, dans le Chirac qui a construit sa carrière en avocat de la PAC et l'a soutenue jusqu'à l'an passé en usant sans vergogne de son droit de veto pour en bloquer la réfome. Comment croire qu'il a évolué alors que l'UMP vient de faire voter à tour de bras pour le syndicat des 20 % d'agriculteurs qui touchent 80 % des aides toutes dédiées à l'agriculture intensive ?
Comment croire une seconde à la conversion écologique de ceux qui ont ces dernières années consciencieusement détricoté le code de l'environnement, affaibli la loi littoral, puis la loi montagne, ceux qui ont bataillé pour limiter la liste des produits toxiques concernés par REACH, ceux qui intriguent à Bruxelles pour obtenir qu'on puisse continuer à pêcher des poissons en dépit de l'état désastreux des stocks ? Tous, Nicolas Sarkozy en tête, ont signé le pacte écologique, comme on fait une BA, pour se soulager la conscience.
Certains analystes, vous savez, ceux dont il est bien connu qu'ils ne s'intéressent qu'aux vrais problèmes, aux dossiers lourds... se demandent si les écologistes politiques servent encore à quelque chose, puisque tout le monde est écologiste aujourd'hui ! Répondons leur, répondez leur, que les 600 000 Français qui ont signé le pacte écologique l'ont fait sincèrement, à la différence de plusieurs candidats. Et qu'ils ne comprendraient pas qu'on continue demain comme hier, à dilapider l'argent public pour construire des autoroutes, des incinérateurs, des centrales nucléaires, qui nous polluent, nous empoisonnent, et contribuent au risque de prolifération. Répondons leur qu'on sait faire autrement, que c'est possible, et qu'avec leur aide et leur engagement, nous allons le faire.
Les Verts n'ont pas vocation à faire de la surenchère, ni à prophétiser des catastrophes. Passer des paroles aux actes, aider nos concitoyens, tous nos concitoyens, à accepter, mieux même, à désirer, le changement de civilisation qui est devant nous, c'est notre mission. Parce qu'ils ont été les premiers à alerter, les premiers à impulser des changements de politiques dans les grandes villes, dans les régions, les Verts ne sont pas les plus mal placés pour conduire le changement.
Cessons d'avoir peur, et de douter de nous-même. Concentrons nous sur les réponses que nous proposons aux Français, mettons en débat notre Contrat écologique, il affirme clairement nos options, notre cohérence, qu'on ne trouve dans nul autre projet de candidat.
Vous en avez débattu hier, je vous remercie de la confiance que vous m'avez massivement manifestée dans les jours qui ont précédé l'annonce du choix de Nicolas Hulot, auquel je redis ici mon estime et mon amitié. Je sais aussi qu'une poignée d'entre vous regarde encore du côté de José Bové. José aurait pu, il y a dix huit mois, se montrer disponible pour porter le drapeau de l'écologie politique dans cette campagne ; il ne l'a pas souhaité, nous nous sommes rencontrés cette semaine je lui ai dit:
Sérieusement. José, je partage ton combat, qui est celui de tous les Verts, contre les OGM. Mais je le constate : à force d'hésiter, tu n'as pas convaincu tes camarades d'estrade de 2005, puisque te voici maintenant le troisième candidat de la gauche anti-libérale. Avec un vrai déficit sur l'écologie, parent pauvre du programme des « collectifs unitaires ». Pas un mot sur le climat, pas d'engagement ferme contre les OGM, une terrible ambiguïté sur l'EPR, la promesse d'un moratoire, et d'un débat !? Fallait-il risquer l'émiettement pour si peu ?
Chers amis, le moment est venu de nous mettre vraiment en campagne ! Car personne n'engagera la révolution écologique à notre place ! Je ne manque ni d'énergie ni de courage, même si, pourquoi le cacher, il est des petites phrases dont je me serais bien passée. Je sens que la pâte commence à lever sur le terrain, que le regard change sur moi, sur vous, sur nous, depuis quelques semaines. Mais je le dis ! J'ai besoin de vous. Créer la surprise le 22 avril, gagner un groupe parlementaire, mettre la main à la pâte pour transformer la vie quotidienne des Français. C'est à notre portée: faisons le ensemble.Source http://blog.voynet2007.fr, le 12 février 2007