Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France 2 le 27 février 2007, sur l'élection présidentielle de 2007, l'UDF, la candidature de François Bayrou et le centre.

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Média : France 2

Texte intégral


Q- Vous publiez ce "Manifeste pour éviter la gueule de bois", ce n'est pas à base d'aspirine, c'est à base de politique. Vous craignez qu'on revive en 2007 le scénario de 2002...
R- Ce qu'on a connu en 2002.
Q- C'est-à-dire, la présence de J.-M. Le Pen au deuxième tour.
R- Absolument. Je trouve que vraiment, aujourd'hui, personne ne prend le chemin de contenir l'extrémisme. On voit beaucoup de candidats, et certains qui critiquent tout, la France, les Français, le bilan du Gouvernement... J'allais dire, c'est de bonne guerre, mais de façon tout à fait excessive. Je crois que quand on critique, on abaisse, et quand on abaisse, il y a une sorte de révolte qui se passe, et c'est souvent l'extrémisme qui en profite. Et je crains que, dans deux mois, on se dise : "zut alors, on n'a rien compris ! On n'a pas appris la leçon de 2002 !" et qu'on s'aperçoive que Le Pen est toujours là, et qu'il arrive en deuxième position.
Q- Si l'on vous suit, on a quand même le sentiment que pour vous, le principal responsable, c'est F. Bayrou.
R- Ce n'est pas tout à fait cela.
Q- Vous écrivez par exemple, qu' "en s'égarant dans le discours populiste, il le rend crédible".
R- Mais oui, parce qu'on ne peut pas...
Q- Donc c'est lui le responsable ?
R- Il y a des moments où des postures sont excessivement critiques. A force d'accabler tout ce qui se passe en France, et de - comme hier soir encore - faire prendre en compte que le fait que l'UMP et le PS qui, forcément, ne sont pas d'accord, de dire que c'est cela qui affaiblit la France, mais non, ce qui affaiblit la France, c'est la confusion des genres ! C'est ce que propose F. Bayrou, c'est-à-dire "venez tous, on va tous gouverner en France" ; c'est-à-dire la droite, la gauche, c'est la même chose, il n'y a plus d'alternance possible. Il y a nécessité, en France, d'avoir une majorité et une opposition, et lui fait la confusion entre la majorité et l'opposition. Et du coup, si jamais cela arrivait, cela ferait comme en Italie, c'est-à-dire que cela explose, et on retourne effectivement aux errements de gouvernements qui sont instables. C'est cela qui affaiblirait la France. Je crois qu'il ne faut pas confondre la droite et la gauche, les opinions sont respectables de part et d'autre, c'est un
échange démocratique qui peut éclairer les Français. C'est cet échange démocratique-là que j'espère découvrir bientôt dans la bouche de F. Bayrou qui...
Q- Vous pensez que les choses peuvent changer ?
R- Je pense qu'à force de tout critiquer, il va finalement créer du flou autour de lui, et qu'il va être obligé, de toute façon, le soir du premier tour, il va être obligé de choisir. Comment voulez-vous qu'il reste sur cette espèce d'Aventin, de dire : "Moi, cela ne me concerne plus..."
Q- Il a dit qu'il n'excluait rien, qu'il pouvait prendre un ministre socialiste ; il a dit qu'il ne vous prendrait pas, sans doute, hier soir. Mais un ministre socialiste c'est possible.
R- D'abord, je ne demande rien, je n'ai jamais rien demandé en politique. Mais justement, la confusion des genres, c'est de dire "Moi, je peux gouverner avec des gens qui sont très différents, mais certains de ma famille politique, parce qu'on n'est pas d'accord, je ne les prendrais pas".
Q- Vous, en l'occurrence...
R- Oui. Où est la logique ? Donc, il est prêt à accepter des différences, mais pas dans sa famille politique. C'est un peu curieux quand même.
Q- Cela dit, alors quand on regarde les sondages, on s'aperçoit que celui qui monte dans les sondages ce n'est pas J.-M. Le Pen, c'est F. Bayrou. Est-ce que sa tactique n'est pas en train de réussir, contrairement à ce que vous dites ?
R- Sauf qu'en 2002, J.-M. Le Pen était exactement au même niveau dans les sondages qu'aujourd'hui. Il avait 12-13 % dans les sondages deux mois avant l'élection, aujourd'hui il a 12-13 %. Eh bien le soir des élections du premier tour, on s'est réveillés - enfin non, parce que c'était le soir -, mais on a tous eu la gueule de bois de voir qu'il faisait 17 ou 17,5. Et cela franchement, les
Français, sauf ceux qui ont voté pour lui bien sûr, n'ont pas accepté cela. Mais que les Français en tirent maintenant l'enseignement ; c'est-à-dire que les Français, maintenant, fassent la part des choses. Quand on a des responsables politiques qui devraient être des modérés, comme les centristes, qui devraient faire la part des choses, l'équilibre centriste, eh bien au lieu d'avoir un
équilibre centriste, on a un acharnement contre le pays, un acharnement contre le Gouvernement, un acharnement contre la majorité ! Je crois que ce n'est pas bien. Vous savez, le centre a existé quand il était uni, au sein de la majorité, et..
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Q- Et là, objectivement, il existe avec F. Bayrou, les sondages le montrent ?
R- Non, F. Bayrou existe, ce n'est pas la même chose. Mais le centre a existé. D'ailleurs, on a aujourd'hui 28 députés ; quand j'étais président du groupe des députés UDF, nous avions 215 députés, et nous étions au sein de la majorité.
Q- Mais il n'y pas eu regroupement d'une bonne partie de l'UDF avec l'UMP...
R- Mais pourquoi est-ce qu'une partie des députés UDF est-elle allée à l'UMP ?
C'est probablement parce que son chef n'a pas su retenir tous ses députés ausein de l'UDF. Je crois vraiment que le centre a vocation à être majoritaire en France, en étant dans la majorité, et peut-être la majorité de la majorité. Mais il faut être clair : en France, sous la Vème République, ou on est dans la majorité ou on est dans l'opposition, on ne peut pas faire le grand écart, parce que ce grand écart, à un moment donné, on se casse la figure, c'est ce qui va arriver le soir du premier tour. Que F. Bayrou fasse ce qu'il veut, il est candidat aux élections présidentielles, c'est son droit, il a le droit de dire tout, n'importe quoi, et des choses sensées...
Q- Pour vous, il dit surtout n'importe quoi ?
R- Non, il dit des choses sensées. Par exemple, dans son projet, il y a des choses que j'approuve vraiment, mais vraiment. Mais en même temps, il n'a pas le droit de leurrer les Français, en leur faisant croire jusqu'au soir du premier tour qu'on peut gouverner avec M. Emmanuelli, avec M. Fabius, avec M. Bayrou, ou alors cela veut dire que M. Bayrou n'est plus européen, et en même temps de croire qu'on peut gouverner avec la droite et la gauche réunies. Cela, c'est l'explosion politique en France.
Q- Ne pensez-vous pas que les amis de F. Bayrou vont dire : "Robien roule pour N. Sarkozy" ?
R- Non, je ne roule pas pour N. Sarkozy, mais vraiment pas pour N. Sarkozy !
Peut-être que j'aurais un choix à faire fin mars, et j'aurai à choisir entre...
Q- Vous aurez un choix à faire fin mars de toute façon, vous allez voter pour l'un des deux ?
R- Le vote, c'est fin avril. Mais j'aurai un choix que je rendrai public fin mars, entre F. Bayrou et N. Sarkozy.
Q- Forcément entre les deux ?
R- Forcément entre les deux, parce que je suis unitaire au sein de la majorité. Et si je fais un choix pour l'un ou pour l'autre, je ne peux pas voter pour les deux au premier tour, c'est parce que je crois à l'unité de la majorité faisant gagner la France, parce que c'est la France qui est en jeu. Deuxièmement, je crois à l'UDF, au sein de la majorité, parce que c'est comme cela que l'UDF est la plus forte, et c'est comme cela que la majorité est la plus forte, et c'est comme cela que l'on pourra avoir un programme, on va dire "libéral social". F. Bayrou dirait "social économiste". Tout cela me va très, très bien, à condition qu'on soit réunis, et à condition qu'on soit unitaires. Au premier tour, on marque ses différences, mais pas trop, sinon on fait monter le Front national. Et au deuxième tour, on se rassemble, c'est cela que je souhaite.
Q- A propos de N. Sarkozy, vous en parlez beaucoup dans le livre, et vous dites notamment : "Je n'ai pas, ou pas encore, choisi sa route".
R- Oui.
Q- Cela veut dire que vous allez choisir sa route ?
R- Mais je pourrais dire de Bayrou "je n'ai pas, ou pas encore choisir sa route". Je suis comme un Français sur deux, aujourd'hui, qui cherche. Quand même, les citoyens ont le droit de s'informer ! Et la campagne, qui n'est même pas commencée, elle doit servir à quelque chose, à éclairer les Français. Et je voudrais être éclairé par les projets des uns et des autres, par les attitudes des uns et des autres, par la révélation que, les émissions, comme vous, à la radio, à la télévision, etc., peuvent apporter de plus pour nous éclairer. Donc, je suis un citoyen curieux et avide de vérité.
Q- A propos de N. Sarkozy, vous dites : "C'est la droite droitière".
Qu'entendez-vous par là ?
R- C'est la droite qui s'assume.
Q- C'est une critique ou pas ?
R- Non pas du tout. La droite n'osait même dire qu'elle était de droite, et je trouve très bien qu'il y ait un candidat qui dise : "moi, je suis à droite, et je vais vous le démontrer". Et par exemple, les valeurs de droite : le mérite, le travail, etc., il décline cela très, très bien.
Q- Mais vous ne le trouvez pas assez humain ?
R- Non, je n'ai pas dit que lui n'était pas assez humain, je dit qu'il ne développe pas assez un projet humaniste à côté de ces valeurs que sont le travail et le mérite. Parce que tout le monde, dans la vie, n'a pas des capacités à travailler, tout le monde dans la vie n'a pas forcément des occasions de montrer son mérite. Et quelquefois, les mérites sont cachés. Et donc, il est aussi utile de penser à l'autre France, celle qui peut être abandonnée, l'autre France qui a besoin qu'on lui tende la main. Et donc, je souhaite que les candidats fassent à la fois l'éloge du mérite, mais en même temps, sachent tendre la main.
Q- Merci. On vous retrouve fin mars, et alors vous nous direz pour qui vous allez voter ?
R- Si vous m'invitez, très volontiers.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 février 2007