Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégue au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du gouvernement, à "RTL" le 27 février 2007, sur le déroulement de la campagne électorale pour l'élection présidentielle, et notamment sur le programme de François Bayrou.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Alors, Monsieur Copé, ma question de base est toute simple. Est-ce que vous avez regardé F. Bayrou sur TF1 hier soir ?
R- Oui, bien sûr.
Q- Et comment l'avez-vous trouvé ?
R- J'ai regardé d'ailleurs chacune de ces émissions, dédiées aux candidat, parce que je trouve que ça les montre dans leur vérité. Comment je l'ai trouvé ? J'ai trouvé, à la fois, son discours séduisant mais terriblement ambigu parce qu'après tout, moi sur un certain nombre de ses idées, moi je m'y retrouve assez. Quand il dit qu'il veut assouplir les 35 heures, baisser les charges sociales, baisser la dette, bien sûr. Mais là où je ne m'y retrouve plus du tout, et d'ailleurs j'ai bien vu que les téléspectateurs non plus parce qu'un certain nombre d'entre eux se sont montrés par leurs questions, très troublés, c'est quand il dit qu'il veut faire tout ça avec un Premier ministre socialiste. C'est là
où il...
Q- Il ne dit pas forcément socialiste.
R- Enfin, il a quand même, à deux reprises, évoqué ça. Alors, c'est assez marrant parce qu'il...
Q- Il dit : "Pourquoi pas !"
R- Oui, enfin c'est déjà important parce qu'en même temps, on voit bien à travers ça, qu'il se trahit un peu parce qu'à un moment, il dit : "un Premier ministre socialiste qui ne serait pas de mon bord". Ce qui prouve bien quelque part, au fond de lui-même, il se sent homme de droite avec des idées qui sont plutôt proches de la droite. Reste que tout ça est très ambigu.
Q- Mais, vous par exemple, franchement, vous ne pourriez pas être dans un gouvernement au côté de D. Strauss-Kahn ?
R- Non. Objectivement non...
Q- Il y aurait plus que l'épaisseur d'une feuille de papier cigarette ?
R- Oui, bien sûr. Un certain nombre des idées qu'il évoque ne sont pas du tout les miennes. Quand il dit qu'il veut faire une taxe, par exemple, sur les Français qui s'expatrient, on est à des années-lumière du siècle dans lequel on vit. Mais même sans aller jusque là, on voit bien que tout ça, cet espèce de discours ni-gauche, ni-droite qu'on a entendu, hier soir, mène complètement à l'impasse. Enfin, ça vaut la peine, y compris pour les plus jeunes d'entre nous, de penser à ce qu'a pu être la IVe République. Moi je n'aurais pas pensé moi-même à le dire mais puisque Bayrou a évoqué le général de Gaulle, y compris en se comparant un peu à lui, attendez : en 1946, il fait ça, effectivement, le général de Gaulle, parce que c'est l'époque qui le veut. Donc, il met un peu ni-gauche, ni-droite, il met un peu tout le monde. Il reste six mois...
Q- Oui, mais il y est contraint. Ce n'est pas un projet.
R- Non seulement, il y est contraint mais il reste six mois. Il claque la porte. La IVe République, ce sont des majorités de posture, des Gouvernements qui durent quelques semaines parfois, et surtout l'immobilisme complet avec deux ou trois députés qui font et défont des majorités.
Q- Oui, mais comment faire obstacle, aujourd'hui, à l'idée que semble partager un bon nombre de Français que : si on mettait les bonnes volontés, parce que dans leur vie quotidienne, dans les associations, dans les clubs sportifs, dans les entreprises, dans les familles, on compose avec des gens qui ne s'entendent pas a priori ?
R- C'est tout le caractère ambigu de ce discours. Car, en réalité, derrière l'apparence, c'est-à-dire celle de dire : Eh bien, venez, hommes de bonne volonté et femmes de bonne volonté, vous rallier autour d'un grand feu de joie sur mes idées formidables, il y a une réalité qui est malheureusement beaucoup plus cruelle et que nous avons expérimentée en France : c'est celle de l'immobilisme et de l'instabilité parce que ce sont des majorités de circonstances qui tiennent parfois à deux députés, trois députés qui font d'ailleurs payer très cher leur soutien. Pourquoi est-ce que le général de Gaulle revient en 1958 ? C'est pas du tout pour faire ni-gauche, ni-droite. Il revient en 1958 pour dire : la France a besoin d'institutions qui soient solides, de majorités qui soient cohérentes, et M. Bayrou a eu sur ce point la mémoire qui flanche. Il y avait une opposition très dure à l'époque qui était une opposition de gauche : socialiste et surtout communiste, parce que c'était l'époque qui le voulait. Il faut avoir ça en tête pour bien avoir à l'esprit que derrière cette illusion, il y a une réalité : c'est que la France a des défis économiques et sociaux à relever, qui sont extrêmement importants aujourd'hui et qu'elle ne peut pas se payer une crise politique.
Q- N'empêche que, ce matin, vous êtes bien obligé d'être un peu bienveillant avec lui : de le trouver brave, sympathique, même si vous n'êtes pas d'accord avec lui, parce qu'il monte, et vous aurez peut-être besoin de lui ?
R- Je vais vous dire : moi, je l'ai trouvé habile sur un certain nombre d'idées. Je vous l'ai dit tout à l'heure qui sont des idées qu'il faut admettre et en même temps...
Q- C'est ça... vous le trouvez : brave ?
R- Habile... Ce n'est pas tout à fait pareil. Mais je ne l'ai pas trouvé courageux si je peux me permettre, voyez-vous. Parce que il y a des sujets clefs dans les moments que nous vivons aujourd'hui, sur lesquels on attend les candidats au rendez-vous du courage politique. Il y a eu deux ou trois exemples qui m'ont frappé : quand, par exemple, sur l'Education nationale, il dit : "Moi, je vais vous dire quelque chose qui ne va pas plaire : je suis pour les syndicats à l'Education nationale". Personne n'est contre, naturellement. Ce serait grotesque. La France a besoin de syndicats. Mais, enfin, ce que nous attendions, hier soir, c'est qu'il nous dise courageusement ce qu'il est prêt à faire sur l'Education nationale, même si, par exemple, certains syndicats y seraient hostiles. C'est ça la difficulté de gouverner. Moi, je le vois bien. Dans le club que j'ai créé, "Génération france.fr", on est en train de travailler sur cette question. Et on va faire une réunion là-dessus. Comment convaincre les Français ? Comment gouverner la France et relever des défis difficiles ? Ce qui fait la différence c'est d'être capable de dire sur la dette : pas seulement, il faut baisser la dette, ça on est tous d'accord. Je suis ministre du Budget. Je peux témoigner de ce que nous avons commencé à faire. Mais qu'est-ce que lui, concrètement, va faire pour faire baisser la dépense ? C'est là qu'il y a quelques différences et je crois que ça vaut peut-être la peine de revenir à l'essentiel, c'est que pour ce qui nous concerne, notre principal adversaire, il ne faut pas s'y tromper, c'est le PS.
Q- C'est S. Royal ?
R- Et encore une fois, c'est bien là que le décor est planté aujourd'hui et qu'on voit bien où sont les différences.
Q- Il y a un sujet qui semble faire consensus dans cette campagne, avec F. Bayrou et pourquoi pas, avec S. Royal, c'est le sujet de la police de proximité. Cela n'a pas toujours été le cas, puisque le Gouvernement auquel vous appartenez a supprimé la police de proximité à son arrivée au pouvoir. Là, il se dit que N. Sarkozy a commandé une enquête pour savoir si, finalement, ce qu'il appelle, lui, une police de quartier - que d'ailleurs S. Royal appelle aussi une police de quartier - ça ne serait pas bien, au final. Est-ce qu'aujourd'hui, mais ça serait tout à votre honneur, vous reconnaissez que vous avez fait une erreur là-dessus ?
R- Oui, mais là-dessus, attendez, je crois que ça vaut peut-être la peine... Il y a une petite ambiguïté. Enfin, moi, je le dis d'autant plus que je suis maire de Meaux qui est une ville où nous avons des quartiers difficiles. Ce que nous avons toujours condamné - moi je peux en témoigner en tant que maire - c'est la police de proximité telle qu'elle existait du temps de Jospin. C'est-à-dire une police qui était présente sur le terrain à des heures où on n'en avait pas tellement besoin, c'est-à-dire plutôt le matin. Je suis quand même obligé de vous dire qu'un certain nombre de délinquants, ils sont actifs non pas le matin, mais la nuit.
Q- Mais c'est le matin qu'on reconnaît le quartier... Et le soir qu'on reconnaît...
R- Non, non, non, ça je vous assure... Venez un peu à Meaux... Vous allez voir que c'est parfois, c'est bon d'être là notamment après les sorties de collège, après 16h30, 17h, 18h, 20h, 22h, 1 heure du matin... Et donc, en réalité, c'est là-dessus qu'il y a une réforme importante. Qu'il faille continuer d'y travailler, faire évoluer encore les techniques, ça va de soi. C'est indispensable. Et je crois, d'ailleurs dans ce domaine, que là pour le coup, on peut être pragmatique et que les bonnes idées doivent venir de partout.
Q- Donc, vous dites un peu : mea culpa !
R- Enfin, je dis ce que vous voulez, moi si ça vous arrange. Mais je ne crois que ce n'est pas le sujet.
Q- C'est très centriste comme position...
R- Oui, je vous trouve très "Bayrouiste", vous, tout d'un coup. Mais la vérité, c'est que le problème n'est pas là. Il ne s'agit pas d'avoir des trémolos dans la voix en disant : "Formidable, regardez comme je suis courageux. Je dis que j'ai tort". C'est vrai que le courage politique, ça peut être de reconnaître ses erreurs et que dans un certain nombre de cas, je trouve qu'on se grandit à le faire. Mais pardon de vous dire : je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur exemple.
Q- Ma dernière question est une question de Trivial Poursuit : combien y a-t-il de sous-marins nucléaires français d'attaque dans la Marine française ?
R- Alors, je vais vous dire une chose : ça vaut la peine bien de préciser ça. N. Sarkozy a eu raison de le dire... Sur le sous marin nucléaire, lanceur d'engins, c'est-à-dire lanceur d'engins nucléaires : c'est quatre. Et il sait bien ce qu'il a dit hier.
Q- Et il y en a six au total.
R- Non. Il y a, en plus, de ces sous marins nucléaires lanceurs d'engins qui lancent des ogives nucléaires, des missiles nucléaires, il y a six sous-marins nucléaires d'attaque qui ont des armements conventionnels.
Q- Parce que vous vous étiez moqué de S. Royal qui avait répondu "un" à cette question chez nos confrères de RMC.
R- Eh bien oui parce que... Encore une fois, chacun a le droit de se tromper. Mais dans un cas, il ne s'est pas trompé N. Sarkozy. Elle, elle s'est trompée. A la limite, ça n'est pas un drame qu'elle se soit trompée. Il y a juste une question que je me suis posée après avoir écouté S. Royal qui a dit : "Il y a un sous-marin nucléaire", c'est que visiblement elle n'a pas réfléchi complètement à ce que ça veut dire d'organiser notre défense avec des sous-marins nucléaires capables d'être opérationnels 24 heures sur 24. Un seul, c'est impossible.