Extraits de l'entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec LCI le 27 février 2007, sur le meurtre de Français en Arabie saoudite, le terrorisme, l'Afghanistan et le dossier nucléaire iranien.

Prononcé le

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Philippe Douste-Blazy bonjour. Sait-on avec plus de précisions qui sont les terroristes qui ont assassiné les trois Français hier en Arabie Saoudite ? Le mode opératoire, un mitraillage en plein jour laisse penser que c'est Al Qaïda.
R - Au moment où je vous parle, personne n'a revendiqué cet attentat que je condamne fermement. Il y a trois morts, trois Français, un jeune professeur et deux personnes qui travaillaient dans une entreprise privée. Un adolescent, blessé, est actuellement à l'hôpital de Médine.
C'est évidemment très grave, il y avait longtemps que nous n'avions pas vécu un tel attentat visant des Français.
Q - Les victimes ont-elles été frappées parce qu'elles étaient françaises ? On dit que les terroristes auraient demandé leur nationalité avant d'ouvrir le feu ?
R - Je ne sais pas. Aujourd'hui, il y a une parfaite entente avec les autorités saoudiennes pour que l'on sache très vite ce qui s'est passé et pour que les coupables soient punis le plus vite possible. Mais pour l'instant, au moment où je vous parle, personne n'a revendiqué cet attentat.
Q - Dans votre livre "Des Affaires pas si étrangères", vous dites bien que notre position concernant l'Irak ne nous met pas à l'abri du terrorisme. A la manière de l'Espagne, il y a quelques années, avec cette période électorale qui s'ouvre, est-ce propice à des attentats contre les Français, voire des attentats en France afin de perturber le climat ?
R - Je ne le pense pas, mais en revanche, ce qui se joue aujourd'hui dans le monde touche au message de la France par rapport à ceux qui voudraient nous entraîner dans une guerre de religions et de civilisations. Ceux qui profitent aujourd'hui de la religion pour faire de la politique, il y en a de tous les côtés. Il y a des fondamentalistes des deux bords et il faut faire très attention à cela. La France, qui est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, prône un équilibre, et Jacques Chirac l'a toujours défendu durant 12 années passées à l'Elysée. Il est capital que nous puissions garder - c'est ce que j'écris dans mon livre - ce point d'équilibre.
Q - Un attentat vient d'être perpétré en Afghanistan contre une base américaine ; des soldats étrangers ont été tués ; nous retirons-nous progressivement de l'Afghanistan afin d'éviter d'être une nation cible et pour préserver cet équilibre ?
R - Pardon de vous le dire, vous aurez remarqué que cela s'est produit quelques heures après le passage de Dick Cheney. C'est ce que je disais à l'instant, il faut être très attentif à cet entraînement qui serait dramatique pour le monde, et l'Afghanistan en est un exemple.
Q - Et ne devrions-nous pas quitter l'Afghanistan ?
R - Comme vous le savez, nous avons eu la responsabilité de la zone de Kaboul, nous avions 1.000 soldats sur le terrain. Aujourd'hui, nous sommes totalement solidaires des autres alliés qui sont encore sur place. La seule question est de savoir comment et jusqu'à quand ? Et surtout, il y a ce problème concernant la drogue, avec une augmentation de 95 % de la consommation et de la production de drogue aujourd'hui en Afghanistan.
La question n'est pas tant de savoir si, militairement, nous pouvons parvenir à régler le problème. C'est une question qui concerne la société civile. En Afghanistan, un agriculteur a plus d'intérêt à cultiver du pavot plutôt qu'à faire ce qu'on lui demande, autrement dit, à faire de l'agriculture classique.
Q - Comme l'Iran l'affirmait dimanche, ce pays a-t-il lancé une fusée spatiale qui, demain, pourrait être un vecteur nucléaire ?
R - Vous savez que la résolution 1737 du 23 décembre 2006 est très claire. Nous avons tous voté contre ce que fait l'Iran en termes d'activités nucléaires mais aussi en termes d'activités balistiques.
Malheureusement, M. El Baradeï, le directeur de l'AIEA nous a indiqué, dans son nouveau rapport que l'Iran était très très loin de mettre en oeuvre les termes de cette résolution 1737. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faudrait une seconde résolution. Nos directeurs politiques se sont rencontrés hier à Londres et il y a beaucoup de chances pour que, rapidement, nous puissions trouver un accord, tous ensemble, y compris avec les Russes, les Chinois, les Américains et les Britanniques, pour établir une nouvelle résolution.
Q - Une résolution qui comporterait des sanctions économiques ?
R - Des sanctions économiques en effet. Et je constate d'ailleurs que ces sanctions commencent à produire leurs fruits car il existe un débat qui n'a pas eu lieu depuis longtemps en Iran.
L'ancien président Khatami, M. Rafsandjani et son frère, le Guide suprême et ses proches commencent à se demander si la ligne très radicale du président Ahmadinejad est la bonne.
Q - L'hypothèse américaine sur les sites nucléaires iraniens est-elle exclue ?
R - Ce n'est absolument pas d'actualité aujourd'hui, nous sommes dans la négociation d'une résolution portant sur des sanctions.
Q - L'Iran dit que, si les Etats-Unis font une demande officielle de négociation, ils seront prêts à l'étudier. Est-ce cette ligne un peu plus raisonnable que vous citez ?
R - C'est ce que nous avons toujours dit, en évoquant la double suspension : suspension des activités nucléaires du côté iranien, suspension des sanctions de notre côté.
C'est ce que le président Chirac a été le premier à proposer au mois de septembre dernier à New York.
Q - Roland Dumas est allé en Iran ce week-end selon Le Figaro. Est-il en service commandé ? Vous a-t-il fait part de requête iranienne ?
R - Non.
Q - Est-il vrai que vous auriez refusé, vous-même, d'aller en Iran, même si M. Chirac l'avait demandé, afin de lancer une sorte de négociation parallèle ?
R - Cela n'a jamais été envisagé. Il faut bien comprendre que la France n'a jamais eu l'intention de négocier seule sur le dossier nucléaire iranien.
Q - L'ONU, rien que l'ONU, tout l'ONU.
R - D'abord l'EU-3, c'est-à-dire l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France avec les Européens et ensuite, évidemment, le Conseil de sécurité des Nations unies. Nous ne pouvons pas, il ne faut pas jouer en solo dans une affaire comme celle-ci et tous nos partenaires font de même.
Q - Avons-nous joué solo ? Qu'avez-vous négocié ? Qu'est-ce que la France a négocié avec l'Iran en échange de la libération dimanche de Stéphane Lherbier ?
R - Rien.
Q - Alors, c'est une grâce présidentielle providentielle !
R - Permettez-moi tout de même de vous faire remarquer que Stéphane Lherbier a fait 15 mois de prison sur les 18 qui lui ont été infligés. C'est vrai qu'il y a eu une mesure de grâce. J'espère d'ailleurs que Donald Klein, le ressortissant allemand qui est en prison pour les mêmes raisons que M. Lherbier sera libéré le plus vite possible.
Q - Vous partez en Chine tout à l'heure, demandez-vous aux autorités chinoises de ne plus s'opposer à des mesures contre le Soudan afin de débloquer la situation au Darfour ?
R - C'est une discussion que nous avons et, comme vous le savez, nous avons voté une résolution au Conseil de sécurité pour que cessent les exactions au Darfour. Les Chinois n'ont pas voté cette résolution. Cette question sera évidemment à l'ordre du jour de mes discussions avec eux et lors de mon entretien avec le Premier ministre chinois en particulier.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2007