Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, sur ses propositions pour faire cesser la "République clanique", créer des emplois, éduquer les jeunes et lutter contre la pauvreté, Annecy le 8 mars 2007.

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Circonstance : Meeting à Annecy (Haute-Savoie), le 8 mars 2007, dans le cadre de la campagne pour l'élection présidentielle

Texte intégral

Mes chers amis,
je veux vous dire ma joie et mon émotion de vous retrouver si nombreux dans cette salle, dans celle d'à côté et aux centaines d'autres. Je considère que votre présence est, à elle seule, un immense encouragement dans ces jours où, vous le sentez bien, cette campagne bascule.
Merci à chacune et j'insiste sur le chacune, car, comme cela a été rappelé, c'est en effet la journée de la femme. Pour tout vous dire, je ne suis pas fanatique des journées, mais les parlementaires féminines au premier rang protestent !
Je suis très sensible à votre présence féminine si nombreuse. À chacune et à chacun d'entre vous, merci d'être là.
Je veux saluer les parlementaires qui m'ont fait l'amitié de m'accompagner à Annecy : Gérard Vignoble, député du Nord ; Gilles Artigues, député de la Loire ; Jean Lassalle, député des Pyrénées-Atlantiques ; Muguette Dini, sénateur du Rhône ; Michel Mercier, sénateur et président du Conseil général du Rhône et le président de notre groupe au Sénat ; Marielle de Sarnez, directrice de la campagne ; Valérie Létard, sénateur du Nord ; Claire Gibault, députée européenne. J'associe Jean-Luc Rigaut, le nouveau maire d'Annecy, que je suis heureux de saluer pour la première fois dans ses fonctions, ainsi que Jean-Paul Amoudry, sénateur de Haute-Savoie ; Thierry Cornillet, député européen ; Anne-Marie Comparini, députée du Rhône et ancienne présidente de la région ; François Rochebloine, député de la Loire. J'ai ainsi parcouru le rang des parlementaires qui forment cette équipe formidable.
Je veux également faire un signe amical au groupe des sourds et malentendants pour qui la réunion est transmise en langage des signes et je veux remercier Bernard Bosson, député de Haute-Savoie. Je veux le faire avec un accent d'amitié et une émotion particulière, car Bernard Bosson et moi avons été, il y a longtemps, les deux jeunes visages de cette famille politique.
Pour tous vous dire, c'est un secret, vous ne le répéterez pas, il nous est même arrivé d'être en compétition l'un contre l'autre et d'avoir vécu cette compétition avec toute la passion nécessaire. J'ai, pour lui, beaucoup d'admiration et d'affection. Je veux simplement dire que je compte sur lui pour la période qui va s'ouvrir, le 6 mai 2007, dont je crois qu'elle nous permettra de bâtir, au service de la France, une équipe qui aura la lourde mission de changer les choses pour notre pays.
Merci, Bernard.
Je crois qu'il n'y a jamais eu d'assemblée politique aussi nombreuse, soir après soir, plus de six semaines avant le premier tour d'une élection présidentielle. Je n'ai jamais vu un pays en train de manifester ainsi son attention et son souci de l'avenir.
Je n'ai jamais vu, je dois le dire également, une mobilisation aussi forte, aussi chaleureuse, aussi impressionnante d'un peuple qui montre à tous les observateurs, - dont aucun ne croyait que ce que nous sommes en train de faire était même envisageable ou possible et tous regardait cela avec un oeil sceptique, pour ne pas dire narquois - une telle chaleur humaine, un tel mouvement d'opinion.
Je veux simplement vous dire que, pour moi, ceci a beaucoup de sens. Ce n'est pas seulement -j'ai bien aimé que Bernard le dise- de l'élection d'un candidat à l'élection présidentielle qu'il s'agit. Il s'agit de bien plus.
Il s'agit, pour un pays tout entier, de choisir un nouveau cadre et il s'agit de rétablir le lien de confiance brisé entre les citoyens et les responsables politiques qui ont la charge provisoire de leur destin. Car le lien de confiance a été brisé. Il l'a été, sans que je veuille en chercher la responsabilité des uns ou des autres. Car la politique a cessé, quelque part, il y a un peu plus d'un quart de siècle, d'être à la recherche des chemins à suivre. Elle a cessé la réflexion et l'analyse sur la situation d'un pays et les réponses qu'il fallait y apporter et elle est devenue un champ clos où était constamment mise en scène l'opposition de deux partis, de deux appareils, décidés avant de répondre aux problèmes du pays, de contredire et d'abattre, s'il le fallait, l'autre parti, celui dont on considérait qu'il était illégitime dans sa recherche du pouvoir.
En effet, cette lutte incessante, cette espèce de petite guerre civile, sans faire beaucoup de victimes, au contraire, avait beaucoup d'avantages, puisque le fait qu'il n'y ait que deux partis a garanti, pendant vingt-cinq ans à ces deux appareils la certitude qu'ils exerceraient le pouvoir absolu au moins une fois sur deux. C'est ce qui s'est passé, nous n'avons eu aucune élection depuis 1981 sans qu'il y ait une alternance, c'est-à-dire la décision de sortir ceux qui sont en place pour les remplacer par ceux qui étaient en place la fois précédente.
C'est comme cela que se déroule la vie politique de notre pays depuis vingt-cinq ans et, vous le savez bien : chaque fois que l'un est au pouvoir, l'autre n'a de cesse que de démolir les idées qu'il avance et, chaque fois que les seconds remplacent les premiers, leur premier acte est de détruire tous ce qu'avaient fait leurs prédécesseurs.
Aucun pays ne peut avancer comme cela et aucun pays ne peut avancer si le pouvoir est garanti, comme il l'est en France, à l'occupation absolue d'un clan.
Je n'ai pas voulu beaucoup commenter ce qui s'est passé ces derniers mois, mais nous avons assisté, une fois de plus, à la nomination à toutes les fonctions - fussent-elles les plus sensibles de la République, fussent-elles les fonctions d'arbitre de la nation, les fonctions qui devraient garantir l'impartialité absolue - de tous les proches, de tous les fidèles, de tous les collaborateurs, de tous les amis, de tous ceux que le clan au pouvoir comptait de personnalités à "caser", puisqu'il faut employer les choses par leur nom, au lieu de rechercher la compétence et l'impartialité qui, seules, fondent les États eux-mêmes.
Je trouve terrible que la République en soit arrivée là. Je voudrais vous dire pourquoi, car, lorsque la République en arrive là, les vieux routiers cherchent naturellement à recevoir un avantage de plus, mais ce n'est pas aux vieux routiers que je pense.
Je pense aux plus jeunes. Je pense à ceux qui, à vingt ans, à dix-huit ans, commencent à se former une idée de leur avenir, comme femmes, comme hommes, de leur volonté de se mettre au service du pays, de servir l'intérêt général, peut-être de faire, au service du pays, une carrière. À ces garçons et ces filles, on leur met finalement dans la tête que l'on ne fait pas carrière par la compétence, par l'honnêteté, par l'impartialité, par le courage, par le caractère. On leur met dans la tête que, en France, on ne fait, en réalité, carrière que parce que l'on est dans la bonne équipe et que l'on a décidé de servir celui qui vous donnera les prébendes et les avantages par lesquels seuls, dans notre pays, on peut avancer.
Ceci n'est pas bien pour la France.
Ce dont nous avons besoin pour la France, c'est de jeunes fonctionnaires, de jeunes magistrats qui aient la certitude que, dans notre pays, c'est au contraire par le service que l'on avance et pas parce que l'on devient dépendant d'un clan ou d'un autre clan.
On a perverti l'esprit public dans notre pays. On a abandonné l'idée que c'était l'honnêteté qui faisait la grandeur du service. On a laissé se bâtir des moeurs qui font que, chaque fois qu'un Gouvernement arrive, il nomme les siens à toutes les places, alors qu'il devrait simplement chercher à garantir qu'elles soient occupées par les plus compétents au service du pays.
Je trouve qu'il y a quelque chose que nous devons redresser dans cette République qui est devenu clanique. Je n'aime pas l'affirmation que l'on entend dans la bouche de certains gouvernants qui disent : "Au fond, il n'y a qu'une maxime qui compte, c'est " Qui n'est pas avec moi est contre moi"."... Moi, je vous le dis, je ne veux pas que la France demeure dans ce système et, si je suis élu président de la République, je vous dis à l'avance que je traiterai également honnêtement et impartialement ceux qui sont avec moi et ceux qui n'y sont pas, car je considère -et je n'ai pas autre chose que ma parole, mon engagement et ce que j'ai, après tout, de vie et d'expérience à donner en gage de cette volonté d'impartialité - je considère donc que, pour servir un pays, encore plus lorsqu'il faut reconstruire ce pays, le sortir de l'enlisement dans lequel, hélas, il se trouve aujourd'hui, lui offrir un destin, c'est-à-dire une volonté, je vous le dis du fond du coeur, on a besoin de tout le monde, des uns et des autres.
On a besoin de la droite et de la gauche. On a besoin du centre, on a besoin que tout le monde se rassemble pour servir ce que notre pays a de meilleur.
Voyez-vous, on utilise parfois une expression que je n'aime pas qui n'est d'ailleurs, heureusement, plus ou très peu employée et qui tendrait à faire croire que je ne veux ni la gauche, ni la droite. Mes chers amis, c'est exactement le contraire, car il se trouve que je connais assez bien la gauche républicaine française et assez bien la droite républicaine française.
Il se trouve que je suis un homme du centre assez fier des valeurs du centre. Je pense que ces trois familles sont, dans l'histoire de notre pays, chacune des trois, légitimes. Elles n'ont pas les mêmes priorités, mais chacune d'entre elles a des valeurs et elles ont montré ces valeurs à des moments très importants de l'histoire de notre pays.
Je n'ai pas oublié ce qui s'est passé au moment de la Résistance. Je n'ai pas oublié que, dans la Résistance française, on a trouvé ces trois familles, on a trouvé des gens de gauche, de droite et des gens, nombreux, du centre.
Je n'ai pas oublié que Louis Aragon, quand il dédie son très célèbre poème de « La rose et du réséda » : « celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas, tous les deux adoraient la belle prisonnière des soldats ». La belle, c'était la France et elle était prisonnière.
Il décrit en effet ce double mouvement de ceux qui croyaient au ciel et de ceux qui n'y croyaient pas et, d'un côté, il nomme un militant communiste et il nomme un militant de la droite et un jeune homme de notre famille du centre qui s'appelait Gilbert Dru, qui a été assassiné à Lyon par des balles allemandes, alors que, jeune étudiant de philosophie, il avait vingt-quatre ans.
Eh bien, je suis heureux que l'on puisse réunir, dans la paix, ces familles comme on les a réunies dans la guerre et que le moment est venu de considérer que personne ne doit se renier.
Il y a, dans cette salle, des femmes et des hommes de ces trois différentes inspirations. Ils ont chacun leur histoire, chacun leur identité et chacun leurs valeurs.
Les uns sont attachés à la liberté d'entreprendre, on en a besoin pour la France, ils sont attachés à l'ordre, on en a besoin pour la France. Les autres sont attachés à la justice et à la tolérance, on en a besoin pour la France. Les autres sont attachés à la solidarité et au souci du plus pauvre, on en a besoin pour la France.
Il faut que ces valeurs trouvent à s'exprimer ensemble au lieu de se combattre comme si elles étaient ennemies les unes des autres.
Les étiquettes divisent et les valeurs rassemblent, spécialement dans la situation où notre pays se trouve. Chacun d'entre nous a en tête et dans le coeur le souci de la France comme elle est aujourd'hui.
Sont en train de sortir des chiffres qui montrent ce que chacun d'entre nous soupçonnait depuis longtemps : la baisse du chômage, c'est la baisse des statistiques du chômage.
Cette baisse du chômage est dans les chiffres, pas dans la réalité. Tout le monde sait que notre pays ne compte pas deux millions de chômeurs comme on nous le dit, mais plus de quatre millions et que, tant que nous ne regarderons pas en face la réalité de la situation de notre pays, alors nous n'aurons aucune chance de répondre à la question qui se pose.
Savez-vous par exemple que, sur les 1,3 million de RMIstes que nous avons en France, plus des deux tiers ne sont pas comptabilisés dans les statistiques du chômage. Qu'est-ce que c'est, un pays qui ne comptabilise pas ses RMIstes dans les statistiques du chômage ?!...
Eh bien, je vous le dis, si je suis élu Président de la République je ferai en sorte que les statistiques, dans notre pays, soient honnêtes pour que tout le monde y voit clair et que nous puissions, ainsi, prendre les décisions qui s'imposent et corriger ce qui doit l'être pour le service des Français.
Tout le monde sait ce que ce chômage amène en particulier comme exclusion. Je n'aime pas les discours politiques comme il en existe ces temps-ci et qui tendent à laisser croire, en opposant ceux qui se lèvent tôt à ceux qui ne se lèvent pas le matin, je n'aime pas ces discours politiques qui, au fond, essaient d'insinuer que ces femmes et ces hommes au chômage ou au RMI ont une responsabilité personnelle dans la situation qui est la leur.
Oh, je ne dis pas qu'il ne peut pas y avoir des exceptions, mais peut-être aurez-vous observé comme moi que ce sont des accidents de la vie qui font très souvent l'exclusion : on perd son emploi par un accident, son couple explose -comme cela arrive souvent-, on se retrouve tout seul, on est surendetté, on n'arrive pas à s'en sortir, on est au RMI et on n'ose même plus franchir sa porte, car on n'ose pas affronter le regard de ceux qui se demandent ce que vous faites dans la vie et, parfois, non plus, aisément le regard de ses enfants.
Je trouve que, en effet, nous n'avons pas à instruire le procès de ceux qui sont ainsi des victimes. Ce qu'il faut, ce n'est pas faire leur procès, mais regarder en face les causes de la situation qui est ainsi faite. En effet, par exemple, il n'est pas normal qu'un très grand nombre de personnes soient maintenues au RMI simplement parce que si elles acceptent un travail, elles n'y gagnent pas, elles y perdent.
Il n'est pas normal que, lorsque que vous êtes au RMI, vous avez un grand nombre -et c'est normal- d'allocations, d'aides, de dispenses de payer des impôts ou des contributions diverses, une aide pour la cantine des enfants et pour le transport, alors que, lorsque vous travaillez, au bout de six mois, tous ces avantages tombent et vous vous retrouvez plus pauvre en travaillant que vous ne l'étiez en restant au RMI !
Je crois qu'il faut adopter une vision simple, une vision de reconstruction pour notre pays qui est celle-ci : si vous travaillez, vous devez y gagner et vous devez y gagner nettement ! Et tout d'un coup, vous le voyez, au lieu de faire le procès des uns pour les dresser contre les autres, au lieu de séparer les Français et de les antagoniser, vous inventez un nouveau système qui fait que l'on pourra, pendant un certain temps, cumuler le travail avec ces aides de manière que chacun et chacune soit incité à choisir le travail plutôt qu'à le refuser, car nous savons bien que, le travail, c'est la seule véritable insertion.
Si nous voulons que le travail soit choisi, il faut que, du travail, il y en ait. Il faut que nous libérions, et elles sont nombreuses, les sources de véritables créations d'emplois dans notre pays. C'est pourquoi, j'ai décidé que, si je suis élu Président de la République, je donnerai à chacune des entreprises françaises, la possibilité de créer deux emplois sans avoir à payer de charges pendant cinq ans, excepté 10 % pour les retraites.
Je vous demande, à propos de cette idée, de réfléchir d'abord à ceux qui vont en tirer avantage et de faire une vérification : ceux qui en tireront avantage, ce sont les plus jeunes, car ils sont diplômés et que, très souvent, on leur refuse leur première chance dans l'entreprise, car le salaire chargé, pour quelqu'un qui n'a pas d'expérience, c'est trop lourd et l'entreprise ne peut pas le supporter, quelle que soit la nature de l'entreprise.
On va donc offrir une chance aux jeunes et on va offrir une chance à une catégorie qui est aujourd'hui injustement ciblée dans notre pays, celle des plus de cinquante ans qui se retrouvent dans la plupart du temps sur le bord de la route, exclus de l'emploi.
Je voudrais que l'on réfléchisse à la situation de ces plus de cinquante ans et je reçois beaucoup de mails ces temps-ci de personnes qui me disent : "L'exclusion de l'entreprise commence plus tôt, même parfois aujourd'hui à quarante-cinq ans".
Je dis donc qu'il y a, là, une immense injustice et, plus que cela, un drame pour l'équilibre de la société française, tout d'abord car utiliser le mot de "vieux" pour des personnes qui ont plus de cinquante ans, permettez-moi, moi-même, de considérer qu'il y a, là, tout de même, quelque chose qui dépasse un tout-petit peut les bornes. Bernard Bosson pense la même chose que moi, ainsi qu'un certain nombre d'autres dans cette salle, mais, au-delà du sourire, cinquante ans, c'est la pleine force de l'âge et c'est la jeunesse dans un temps où l'espérance de vie augmente d'un trimestre tous les ans.
On va atteindre des espérances de vie qui vont très largement dépasser les quatre-vingt ans et vous voulez considérer que, à cinquante ans, ils sont vieux ?!..., mais c'est un terrible pays que celui qui se livre à une telle barbarie !
Je vais vous donner un chiffre qui est impressionnant et, à mes yeux, scandaleux : plus d'une personne sur deux qui prend sa retraite a perdu son emploi depuis déjà longtemps.
À quoi cela sert-il de dire qu'il va falloir corriger l'âge du départ à la retraite et d'envisager une réforme des retraites, si cet allongement de la durée du travail est, en réalité, impossible ? À quoi cela sert-il de dire qu'il va falloir allonger la durée du travail si, en réalité, même à l'âge de soixante ans, plus d'un Français sur deux a déjà perdu son travail depuis longtemps ?
Il y a là quelque chose qui ne va pas, qui n'est pas logique et qui n'est pas cohérent, ne serait-ce que pour l'équilibre et l'avenir de notre pays.
Si nous ne corrigeons pas cela, qui va "trinquer" ? Deux catégories de Français vont trinquer, ce sont les retraités, dont le pouvoir d'achat s'effondrera, et ce sont les jeunes, car on va leur mettre sur le dos des charges, notamment en matière de cotisations sociales, qu'ils ne pourront pas assumer. Ainsi, les emplois fuiront notre pays et, d'ailleurs, les jeunes aussi s'en iront, car ils ne pourront pas assumer les charges que notre génération irresponsable leur aura laissées sur les épaules.
En multipliant l'emploi, en permettant que se créent des emplois dont le coût total sera plus léger - 50 % plus léger - que celui qu'il est aujourd'hui, nous allons offrir une chance aux plus jeunes et notamment aux jeunes diplômés. Nous allons offrir une chance supplémentaire aux plus de cinquante ans et nous allons équilibrer, mieux qu'ils ne le sont aujourd'hui, nos régimes de retraite. Nous allons faire d'une pierre trois coups simplement, car nous allons libérer la capacité de création des entreprises.
Ne me croyez pas sur parole -il ne faut jamais croire qui que ce soit sur parole, enfin, si, moi un peu plus que les autres !-, je vous demande de vérifier en vous adressant à toutes les entreprises que vous connaissez autour de chez vous, aux artisans, aux commerçants, aux personnes qui ont une société et qui travaillent seuls. Savez-vous combien il y a d'entreprises qui n'ont aucun salarié en France ? 1,5 million.
Savez-vous combien il y a d'entreprises qui ont moins de dix salariés ? 1 million d'entreprises.
Ainsi, le nombre total des entreprises qui ont moins de dix salariés en France est de 2,5 millions, soit 95 % des entreprises françaises. Imaginez que seulement la moitié d'entre elles créent seulement un emploi. Vous avez, tout d'un coup, un changement pas seulement économique, car cela créera beaucoup de richesses.
Cela représente, disent les économistes, une croissance de plus de 1 % du PIB d'un seul coup, mais cela change surtout le moral du pays et, au lieu de voir toutes les portes se fermer car vous êtes jeunes, car vous avez une couleur de peau qui ne ressemble pas à celle des autres, car vous avez un nom dont la consonance est de l'autre côté, car vous avez une religion dont vous pensez qu'elle peut entraîner le soupçon, car vous avez une adresse dans un quartier qui n'est pas réputé, car vous êtes issu de milieux qui n'ont pas de relations, qui ne connaissent personne pour vous donner le coup de main nécessaire, car vous avez des parents qui ne savent pas très bien comment s'y prendre dans l'orientation de la vie.
Au lieu de cela, vous allez voir surgir des chances supplémentaires.
Nous aurons multiplié les chances et cela va rapporter à notre pays, cela va changer son moral, cela va, tout d'un coup, éclaircir une part du ciel au-dessus de notre tête et c'est avec une idée créative et simple que nous allons aussi y arriver.
Tout cela exige que nous regardions la réalité en face. Je me suis juré que, lors de tous les meetings, de toutes les émissions de télévision et de radio, je ferai un chapitre sur la dette honteuse que nous avons laissé s'accumuler dans notre pays et que nous laissons sur les épaules des plus jeunes.
Au début de cette campagne électorale, il y avait tellement de personnes qui disaient : "Mais, enfin !, François, écoute, il ne faut pas parler de la dette tous les soirs, c'est un sujet qui embête tout le monde, c'est un sujet qui soucie tout le monde, on n'a jamais été élu dans une élection en parlant des sujets qui sont, certes, graves, mais qui embêtent et font du souci aux citoyens".
Eh bien, je crois le contraire et c'est parce que nous avons fait le contraire que, désormais, ce sujet est devenu, pour tout le monde, un sujet incontournable de la campagne électorale. C'est nous qui l'avons imposé et, ce faisant, nous avons rendu service à la France, car je ne veux pas que eux, qui ont autour de vingt ans, parfois un peu moins et parfois un peu plus, aient le sentiment que ceux qui les ont précédés et qui leur ont transmis le pays ont été des irresponsables et des égoïstes. Je trouve anormal qu'une génération fasse payer par la génération suivante le train de vie élémentaire qui est celui de son pays et encore plus les ordonnances de Sécurité sociale que nous n'arrivons pas à assumer et dont nous allons leur laisser la charge par une dette qui n'aurait jamais dû exister.
Je veux que l'on mette de l'ordre dans notre pays. Je veux que l'on retrouve l'équilibre qui est celui de toute nation qui est une nation adulte, qui se tient debout. Nous avons imposé le sujet de la dette.
Je veux que nous soyons un pays debout, capable de faire face à ses obligations, capable de laisser à ses enfants une situation saine, ce qui veut dire qu'il va falloir faire des économies, ce qui veut dire qu'il va falloir regarder, dans toutes les dépenses de l'État et des collectivités locales, Mesdames et Messieurs les élus locaux, ce qui est indispensable et ce qui est secondaire.
Je considère que le train de vie de l'État est excessif et j'ai dit que, pour donner l'exemple, symboliquement, si je suis élu Président de la République, je baisserai les dépenses de l'Élysée de 20 % la première année et nous allons faire cela aussi avec les collectivités locales dont le nombre de niveaux est beaucoup trop élevé en France.
J'ai donc décidé de proposer que les départements et les régions, les Conseils généraux et les Conseils régionaux se rapprochent en une seule entité politique et administrative avec les mêmes élus et avec la même administration pour faire des économies pour notre pays.
Toutefois, il y a un secteur que je tiendrai à l'abri de cet impératif de faire des économies et ce secteur que je veux citer, car il est la clef de l'avenir d'une nation comme la nôtre, c'est l'Éducation, l'Éducation nationale - l'enseignement primaire, l'enseignement secondaire, l'enseignement supérieur et la recherche dont nous avons besoin pour faire de notre pays le mieux formé de tous les pays développés de la planète.
Ayant conclu cet accord et ce contrat avec l'Éducation nationale, dont le premier article sera que nous garantirons les moyens nécessaires pour que ce ne soit pas, comme chaque année, la chasse aux postes, comme la chasse aux canards... D'ailleurs, vous vous apercevrez que cette chasse aux postes est constamment infructueuse, car tout le monde sait que l'on a besoin d'avoir, dans un pays comme le nôtre, un système éducatif qui relève un certain nombre de défis que personne d'autre ne relève dans la société française.
On passe son temps à demander à l'école de réparer tous les malheurs et toutes les difficultés de la société, mais, ayant garanti les moyens, dans le même mouvement, je discuterai avec l'ensemble de l'Éducation nationale et je demanderai au Gouvernement de fixer, avec l'ensemble de l'Éducation nationale, des objectifs d'amélioration forte des résultats et des performances de l'éducation.
Ce qui veut dire, en particulier, que je considère qu'un pays comme le nôtre doit se fixer comme règle d'or qu'aucun jeune garçon, qu'aucune petite fille, qu'aucun élève n'entre en 6e sans maîtriser la lecture et l'écriture, sans lesquels il est impossible de réussir un enseignement secondaire convenable.
Ne croyez pas que ce soit un mince objectif, ne croyez pas que ce soit facile ! J'entends, ici ou là, dire : "Il suffirait de faire comme ceci ou comme cela". En vérité, si vous voulez bien y réfléchir, et j'en parle comme quelqu'un qui a exercé les fonctions de ministre de l'Éducation nationale avec bonheur. Je dis qu'il est très difficile de restaurer la maîtrise de la lecture et de l'écriture dans un pays où aujourd'hui, c'est l'image qui est reine alors qu'autrefois, c'était l'écrit qui était roi et qui offrait à chacun l'évasion, c'était avec le livre que l'on s'évadait de la réalité. La télévision, les jeux vidéo et les consoles de toutes natures font que les enfants ont l'habitude de donner, désormais, la priorité à l'image plutôt qu'à l'écrit, singulièrement, évidemment, les enfants qui naissent dans des familles moins favorisées que d'autres du point de vue de la culture.
Il est très important, cependant, de bâtir une stratégie dans laquelle tous les enfants de toutes les familles se verront offrir la chance que donne la maîtrise des outils élémentaires de l'acquisition du savoir. Ceci est un objectif pour la République, ceci est un objectif de liberté, d'égalité, de fraternité et ceci est un objectif pour une nation moderne, décidée à tenir son rang dans le grand combat de la mondialisation.
Si nous pensons école et devise de la République, "Liberté, égalité, fraternité", je m'arrête une seconde à l'égalité. Il y a eu une grande polémique, un grand débat ces derniers temps autour de la manière dont l'Éducation nationale allait pouvoir faire face à ses responsabilités, y compris dans les quartiers les plus défavorisés. Un certain nombre de candidats, par des analyses que je trouve courtes, ont dit : "Ce n'est pas dur, il n'y a qu'à considérer que, la carte scolaire, c'est fini et que les élèves vont donc pouvoir aller s'inscrire, comme ils le voudront, dans tous les établissements les plus huppés du centre-ville".
Je demande que l'on s'arrête une seconde pour réfléchir à cette idée qui est, au premier abord, populaire et sympathique, car, quand on y réfléchit, elle est profondément troublante. Tout d'abord, cette idée est une idée un peu rapide et je pose une question simple : "Que fait-on s'il y a cinq fois plus d'inscriptions dans le lycée huppé du centre-ville qu'il n'y a de places disponibles ? On organise un concours ? On tire au sort ?"
Si vous organisez le concours, vous allez avoir une concentration des plus favorisés dans le même établissement, mais l'enfant du couple de concierges qui habite la rue voisine de ce lycée réputé, lui, se retrouvera exclu en banlieue. Ceci s'appelle la constitution de ghettos et je n'aime pas davantage les ghettos de pauvres que les ghettos de riches.
Je veux bien envisager des assouplissements, mais je dis que l'Éducation nationale doit s'imposer, à elle-même, la règle d'offrir une qualité d'enseignement équivalente et vérifiée, quel que soit le quartier, le village ou le chef-lieu où ces écoles, collèges et lycées sont installés. Ceci, c'est la République.
Égalité de qualité d'enseignement, égalité des chances, cela signifie deux choses très prosaïques, car il ne faut pas rester dans les grands mots, il faut dire les choses comme elles sont. La première égalité, c'est l'égalité pour qu'il y ait du calme, du respect et de la discipline élémentaire dans tous les établissements, où qu'ils soient implantés.
En effet, j'ai été infiniment ému par le tour de France que j'ai fait depuis cinq ans, semaines après semaines, à la rencontre de tous ceux qui connaissaient des difficultés en France, à la rencontre, également, de tous ceux qui réussissaient à relever des défis exceptionnels. J'ai fait le tour de beaucoup de banlieues et de beaucoup de quartiers, comme l'on dit, « défavorisés », de quartiers, comme l'on dit, « sensibles ».
J'ai fait le tour de ces quartiers et j'ai très souvent rencontré les femmes, car je vis depuis longtemps avec cette idée -et ce n'est pas parce que c'est le 8 mars que je la défends devant vous- qu'une grande partie de l'avenir de notre société se jouera dans l'exercice, par les femmes, de la responsabilité et notamment de la responsabilité qu'elles ont sur les enfants, notamment dans les quartiers et les milieux sociaux les plus difficiles.
Cette conviction est entrée en moi définitivement lorsque j'ai reçu la nouvelle de ce drame ayant eu lieu à Marseille, au cour duquel on a vu des jeunes garçons mettre, une fois de plus, le feu à un autobus, mais, cette fois-ci, dans l'autobus, il y avait une jeune fille d'origine sénégalaise qui a été très gravement et très profondément brûlée.
Je me suis dit : "Ce n'est pas possible que l'on continue à laisser dériver les garçons comme cela". Cela veut donc dire que c'est dans les familles et au sein de ceux qui soutiennent la famille dans les quartiers et spécialement au sein de ceux qui devraient avoir la vocation de soutenir ces femmes - qui, très souvent, élèvent seules leurs enfants dans ces quartiers où il y a, comme vous le savez, un taux très élevé de familles monoparentales - qu'il va falloir chercher un recours et leur apporter un soutien pour que les enfants et les garçons, en particulier, arrêtent de dériver comme ils le font.
Je crois à une société qui investira sur les femmes pour bâtir son avenir.
J'ai fait le tour de ces quartiers et j'ai spécialement rencontré ces femmes, mères de famille. La plupart d'entre elles étaient musulmanes et, souvent, musulmanes pratiquantes. J'ai été profondément troublé lorsqu'elles m'ont expliqué, par dizaines et par dizaines, que, c'était décidé, qu'à la rentrée suivante, elles mettraient leurs enfants à l'école privée catholique la plus proche, car, là, au moins, me disaient-elles, ils seront en sécurité.
Je suis très heureux lorsqu'il y a rencontre des cultures et des religions. Je suis quelqu'un qui est heureux lorsque la compréhension progresse entre les différentes familles d'esprit de notre pays, mais je ne suis pas heureux lorsque l'Éducation nationale est obligée d'avouer son échec, au point que les jeunes femmes, qui auraient le plus besoin de son appui, sont obligées de sortir les enfants de l'école publique pour les inscrire dans l'école privée.
C'est un tel aveu d'échec que nous ne devons pas l'accepter. Je dis qu'un peuple qui n'est pas capable de faire régner le calme élémentaire dans la cour de récréation des collèges avec des enfants de douze et quatorze ans, ce peuple-là, s'il ne peut pas le faire, ne peut pas relever les défis du siècle de la mondialisation.
Je ne demande rien de policier, je ne demande pas d'ordre qui soit imposé par la force publique, je ne demande même pas la menace du policier voisin ou du juge voisin. Je dis que c'est par les moyens de l'école, avec des surveillants, avec des adultes présents dans les établissements qu'il faut remettre et maintenir l'ordre dans les cités scolaires.
Il faut donc assumer une orientation simple : nous ne devons pas, concernant les dix, douze, quinze garçons et filles - car des filles rejoignent maintenant ces rangs - prendre simplement la décision de les renvoyer d'un lycée ou d'un collège à un autre, du collège A vers le collège B, puis du collège B vers le collège C et de nouveau du collège C vers le collège A. Parce qu'ils sont cassés intérieurement. Car la clé est là, souvent parce qu'ils n'ont pas appris à lire et à écrire et que cela ajoute à leur désarroi, ils déstabilisent leur établissement, car il faut bien faire quelque chose pour exister et être reconnu et que l'on est plus reconnu lorsque l'on est un petit caïd dans la cour de récréation que lorsque l'on n'a rien à présenter comme élément d'identité, cela aussi est une vérité. Il faut les sortir du collège le temps nécessaire pour leur offrir une scolarité adaptée avec des éducateurs et des psychologues le temps qu'ils retrouvent des repères pour que l'on puisse, ensuite, les remettre dans un collège stabilisé.
Il faut l'égalité des chances et, la République, c'est au minimum respecter le calme dans tous les établissements. C'est une deuxième chose, c'est la chance d'un parcours d'excellence par tous, c'est-à-dire qu'un enfant, un garçon, une fille, un élève qui a du potentiel, qui est courageux ou qui a envie de réussir dans ses études, puisse trouver, dans le collège de son quartier, exactement les mêmes chances d'option, de réussite scolaire, de parcours d'exception qu'il aurait trouvé dans le plus huppé des établissements de centre-ville.
Je veux que l'excellence revienne dans tous les établissements et que l'on ne soit pas obligé de changer les élèves d'école pour qu'ils aient la chance d'une réussite qu'ils méritent et qu'ils doivent trouver chez eux, auprès des leurs.
Tout ce que je décris là, ce n'est pas autre chose que l'Éducation nationale de la République telle qu'elle a fonctionné pendant trois-quarts de siècle. Nous avons bien le droit d'avoir l'ambition, pour notre peuple, dans la mondialisation, de retrouver cette excellence pour faire de la France le pays -et nous avons les moyens de le faire- où les jeunes seront les mieux formés de la planète, en tout cas aussi bien formés qu'ils le seraient dans un autre pays développé.
Les moyens et la volonté, par un contrat passé entre le gouvernement et l'Éducation nationale évalué tous les ans et où chacun regardera les progrès qui ont été faits.
Ce n'est pas le seul souci. On a un grave problème avec notre université. On a de graves difficultés avec 40 ou 50 % des élèves qui entrent à l'université et se retrouvent un ou deux ans après sans avoir rien obtenu que l'échec.
Cela signifie qu'il faudra, là aussi, des moyens, car l'université française est la plus maltraitée de toutes les universités de tous les pays à niveau équivalent. Il va falloir, en même temps, penser que l'on n'a pas le droit de lâcher des élèves à l'entrée de l'université sans les avoir formés à la manière dont on étudie comme un étudiant à l'université, c'est-à-dire avec une autonome de point de vue et de la manière dont on acquiert le savoir.
Il faut apprendre à apprendre, apprendre à apprendre au collège, au lycée et apprendre à apprendre au lycée pour savoir comment on apprend à l'université. Ceci entraînera une réflexion sur la classe terminale, c'est-à-dire la classe qui fait la jonction entre les lycées et l'université. Il y a là quelque chose que nous avons à construire et qui est digne d'un grand pays comme la France qui doit trouver une université au niveau de ses ambitions.
Je serai le président de la République qui soutiendra ce grand effort d'Éducation nationale de très haut niveau pour la nation.
Nous avons de grands défis devant nous à relever pour notre pays et nous avons de grands défis à relever pour la planète. Je veux vous en dire deux mots avant de conclure cette soirée.
Nous avons un grand défi climatique. J'ai été le premier à signer le pacte écologique que Nicolas Hulot a porté dans les prémisses de cette campagne électorale. Je l'ai fait en connaissance de cause, je l'ai fait, car, l'humanité sait maintenant qu'elle est devant un grand défi qui la menace en tant qu'espèce, car le réchauffement de la planète et le problème de la biodiversité sont maintenant devant nous comme un défi.
Nous savons que ce réchauffement de l'atmosphère vient des activités humaines, il vient de ce que nous avons brûlé, en quelques années, ce que la terre avait mis des millions d'années à accumuler comme gaz, pétrole et charbon dans son sous-sol.
Nous avons rejeté brutalement le gaz carbonique de cette combustion, ce qui a provoqué un effet de serre que vous trouverez dans toutes les serres de jardinier, à savoir que l'atmosphère laisse passer les rayons du soleil pour aller vers le sol et, lorsqu'ils sont réfléchis par le sol pour repartir dans l'atmosphère, ils sont arrêtés, comme par une vitre invisible formée de ces gaz que nous avons rejetés si fortement par millions et millions de tonnes dans l'atmosphère de notre terre.
Désormais, nous avons une responsabilité et c'est une responsabilité difficile à exercer, car nous allons nous adresser à tous les peuples de la terre pour leur demander de réfléchir à cette question. Cependant, les pollueurs, c'est nous. Nous allons parler aux pauvres de la planète, alors que, eux, les pauvres, n'ont ni l'industrie, ni les moyens de transports qui leur auraient permis de rejeter, ainsi, des gaz, gaz que nous avons, nous-mêmes, rejetés à profusion.
C'est une grande question d'équilibre de l'humanité. Nous allons devoir, à la fois, baisser la quantité de gaz que nous rejetons dans l'atmosphère et permettre aux pays pauvres d'en rejeter davantage qu'ils ne le font aujourd'hui.
Lourde responsabilité sur nos épaules !
Évidemment, nous ne pouvons pas éluder cette responsabilité, car, nous allons autrement vers des catastrophes à terme de quelques décennies, catastrophe qu'eux et leurs enfants vivront comme une menace terrible au-dessus de leurs têtes.
Nous devons donc faire face. Il est de la responsabilité de la France et de la responsabilité du président de la République de s'adresser, notamment dans le cadre des Nations Unies, à toutes les nations de la planète en disant : "Nous avons besoin d'un plan international pour sauvegarder le climat et la biodiversité sur la terre. Nous avons besoin d'un plan international où chacun fait des économies, où chacun va vers le remplacement des carburants fossiles par d'autres modes énergétiques qu'il s'agisse des biocarburants, de l'énergie solaire, des économies d'énergie, de l'éolien, de l'hydroélectricité, là où elle n'est pas créée, ou du nucléaire".
Il est juste de dire qu'il est impossible, pour un pays comme le nôtre, de respecter les engagements que nous avons pris contre les émissions des gaz à effets de serre si nous sommes légers au point de dire que le nucléaire peut être, demain, abandonné. Il n'y a que l'énergie nucléaire qui puisse nous permettre de fabriquer de l'électricité sans émettre de gaz à effets de serre.
Si nous voulons être courageux, il faut le dire naturellement, il ne faut pas dire que c'est la panacée. Il ne faut naturellement pas dire que l'on a réponse à tout avec le nucléaire, car il y a des déchets et il faut qu'il y ait la sécurité maximale autour des centrales nucléaires.
Je ferai en sorte que la transparence soit renforcée encore si elle doit l'être. Je ferai en sorte qu'il y ait des débats nationaux autour de ce sujet, mais nous ne pouvons pas accéder à des seuils auxquels nous nous sommes engagés d'abaissement d'émission de gaz à effets de serre dans la fabrication de notre énergie, si nous abandonnons le parc nucléaire qui fait que la France émet 50 % de moins de gaz à effets de serre que la plupart de ses voisins et, en tout cas, que les pays du même niveau.
Naturellement, il serait plus facile pour moi d'aller dans le sens de ce qui plaît en disant, comme d'autres ont dit : "Écoutez, nous allons sortir du nucléaire et le remplacer par de l'éolien ou du solaire, mais, évidemment, vous le comprenez bien, ce n'est pas à la même échelle, c'est une échelle de 1 000, 10 000, 100 000 ou 1 000 000"... Nous sommes un pays qui fabrique 80 % de son électricité avec le parc nucléaire que le Général de Gaulle avait mis en place.
Nous avons besoin que la France soit pionnière en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons besoin que la France soit internationalement ou dans le monde international pionnière sur ce sujet et donc exemplaire sur son sol. Cela voudra naturellement dire que les engagements qui ont été pris par tous les candidats sur ce sujet devront être respectés.
Il y a un deuxième sujet que je voudrais aborder avec vous, c'est celui qui touche à l'immigration, grand problème qui, naturellement, suscite beaucoup de passions dans notre peuple. Je voudrais vous dire quelque chose de simple : j'ai la conviction, depuis longtemps, que ce n'est pas avec des murailles, ce n'est pas avec des miradors, ce n'est pas avec des barbelés, ce n'est pas avec des chiens policiers, ce n'est même pas avec des charters que l'on réussira à réguler l'immigration dans les pays développés. Car, depuis que le monde est monde, depuis que l'humanité est humanité, lorsque des très pauvres sont en train de mourir sur leur terre, à très peu de distance de peuples très riches, ils s'en vont chez les riches. Ils y vont lorsqu'ils ont la certitude qu'ils ne pourront pas survivre et ils iront de toutes les manières disponibles : à pied, à cheval, en voiture, en bateau à voile, en radeau, à la nage, en allant serrer leurs mains sur les barbelés de Ceuta et de Melilla.
Quelle que soit la manière d'y aller, ils la choisiront, car, pour eux, c'est une question de vie et de mort et, plus encore, pour leurs enfants. En effet, personne ne continue à vivre si ses enfants sont en situation de vie et de mort.
Voilà pourquoi je considère qu'il n'y a qu'une politique de lutte contre l'immigration responsable, c'est le développement des plus pauvres et notamment le développement de l'Afrique misérable et abandonnée. Cela passe donc par la remise en cause d'un certain nombre d'habitudes de notre temps, par exemple, l'habitude qui consiste, pour les pays riches, à aller chercher les matières premières chez les pauvres, à les ramener chez soi, à fabriquer des produits à valeur ajoutée et à les revendre aux plus pauvres de manière à les ponctionner.
Je suis donc pour une politique de co-développement, c'est-à-dire pour une politique dont l'objectif sera de garantir à l'Afrique, et particulièrement aux pays les plus pauvres d'Afrique, que l'on va tout faire, comme on a tout fait pour nous après la guerre de 1940, pour qu'ils puissent, eux-mêmes, nourrir et équiper leurs pays authentiquement, vivre et authentiquement travailler dans leur pays, ce qui est le seul moyen d'éviter qu'ils en soient réduits au désespoir du départ.
Ceci est une politique de courage. Ce n'est pas une politique de générosité. Si j'osais vous dire le fond de ce que je pense : c'est la même politique - s'il y a des égoïstes parmi nous, des personnes qui considèrent que, après tout, on se fiche un peu de ce qui arrive aux autres, on doit d'abord se préoccuper de ce qui nous arrive à nous-mêmes - qui devrait réunir les plus généreux et les plus égoïstes, car c'est le seul moyen d'éviter un certain nombre de déséquilibres dont nos pays auront, autrement, énormément et immensément à souffrir. En effet, ne vous trompez pas, tout cela va dans le même sens : la pauvreté, les épidémies, les intégrismes, tout ce qui déstabilise la planète est accumulé par toute cette misère que nous laissons grandir au lieu de la faire reculer.
C'est la misère qui porte tout cela et, si nous savons conduire cette politique de co-développement, nous y trouverons des avantages, car, lorsqu'ils auront amélioré leur niveau de vie, nous aurons enfin de nouveaux marchés, des partenaires commerciaux, tout ce qui nous permettra de nous développer, nous aussi, car, dans le monde du développement, charité bien ordonnée commence par les autres.
Ce modèle que j'ai essayé de développer devant vous en allant de sujets en sujets -nous avons vraiment une très lourde responsabilité et de très graves problèmes devant nous, car je n'ai évidemment évoqué que trois ou quatre des chapitres qui sont ceux qui se proposent à nous comme des défis de notre temps- concerne la France, notre société, notre modèle républicain français, dont je prétends qu'il est, en réalité, le meilleur atout, dans la compétition de la mondialisation, dont nous pouvons disposer, car, et tout le monde le sait, en sport, si les individualités comptent, l'esprit d'équipe est encore plus important.
Nous sommes un peuple solidaire et, chez nous, nous n'allons pas laisser tomber ceux qui auront manqué leur chance. Ils auront une première chance, une deuxième chance et même une troisième chance, car il n'y a pas de raison. En effet, si l'on veut le risque, il faut accepter l'échec et, si l'on veut que l'échec soit corrigé, alors il faut que chacun, à tout âge, puisse saisir une nouvelle chance qui lui sera offerte. Ce projet de société est en même temps un projet de société pour le monde.
Si nous voulons défendre ce projet de société dans le monde, alors il faut que notre voix trouve un écho que, seuls, nous ne pourrions pas lui offrir. Voilà pourquoi il est temps, dans cette campagne électorale, de reparler d'Europe et de le faire sérieusement.
Nous avons un très beau projet national, un très beau projet républicain, mais, si nous sommes seuls à le défendre, le monde ne l'entendra pas, car le monde est devenu un univers de géants. Nous avons, en face de nous, la Chine, avec 1,3 milliard d'habitants, l'Inde, avec plus de un milliard d'habitants, des ensembles économiques et financiers d'une puissance incroyable, des multinationales, des géants, y compris dans le monde du crime, etc. Tout cela exige que nous soyons, nous aussi, capables d'édifier ou de construire cette entité européenne qui, unissant nos États, pourra faire entendre notre voix.
Je suis frappé par l'absence d'Europe dans cette campagne électorale. Et je m'adresse aussi bien à ceux qui ont voté « oui », et qui sont désespérés car ils ne voient pas d'issue, qu'à ceux qui ont voté « non », qui croyaient à un plan B, à une deuxième chance, qu'ils ne trouvent absolument pas aujourd'hui. Les uns comme les autres sont, au fond, dans l'attente d'une voix qui leur donnerait quelque chose en quoi croire, quelque chose à quoi penser, quelque chose à espérer sur ce grand sujet européen.
J'étais tout à l'heure à Bruxelles où je me suis adressé à un très grand nombre de journalistes spécialisés dans les sujets européens et je leur ai dit ceci : "Il faut que vous preniez au sérieux ce qui s'est passé en France le 29 mai 2005. Les Français n'ont pas voté « non » par hasard. Les Français, c'est le peuple qui a voulu l'aventure européenne, l'entreprise européenne, le peuple qui a eu cette idée géniale, par des dirigeants formidables, humbles, modestes et inspirés, après s'être fait trois guerres en un peu plus d'un demi-siècle, après avoir tué des millions de jeunes garçons, avoir ainsi saigné tous les garçons de vingt ans de générations...
Je pense tout le temps à cela. Vous savez que je suis né et que je vis encore dans un petit village au pied des Pyrénées. Dans ce petit village, il y avait, en août 1914, 350 habitants et il y a trente-six noms sur le monument aux morts, soit plus de plus de 10 % de la population. Deux sur trois des garçons qui avaient entre vingt et quarante ans sont restés dans les tranchées et, de cette saignée, notre peuple ne s'est, en réalité, jamais remis, dans tout le courant du XX e siècle.
Après cela, entre 1940 et 1945, on a fait pire et, au lieu de se contenter de tuer les hommes, on a tué l'idée de l'Homme, notamment avec l'extermination des juifs et la Shoah.
Or, au lendemain de cela, il y a eu des personnes suffisamment courageuses pour dire : "Nous allons tourner la page et pas seulement faire la paix, mais rendre la guerre à jamais impossible". Pour cela, ils ont mis ensemble ce qu'ils avaient de plus précieux, ce pourquoi ils s'étaient battus, c'est-à-dire le charbon et l'acier qui permettaient de fondre les canons, qui permettaient de faire les guerres.
Ce modèle est naturellement une chance formidable pour nous, dans le monde de géants où nous allons vivre, mais c'est aussi un modèle pour l'humanité.
Je conduirai une politique étrangère, si je suis élu président de la République, qui pensera à cela. Un jour, il y aura, dans le monde, d'autres unions, notamment une union en Amérique du Sud, et on en a besoin, car cette Amérique latine a, elle aussi, le droit d'avoir une voix qui se fasse entendre face ou à côté de la puissante voix de l'Amérique du Nord.
C'est d'ailleurs plus facile pour l'Amérique du sud que pour nous, car ils n'ont que deux langues. Vous rendez-vous rendez compte de la chance formidable de pouvoir échanger d'un bout à l'autre du continent dans la même langue ?!...
Nous avons également besoin d'avoir une union africaine et d'autres grands ensembles, peut-être un en Extrême-Orient, pour équilibrer l'immense puissance chinoise et la forte puissance indienne qui a d'autres éléments d'identité.
Bref, il nous faudra un monde organisé, un monde dans lequel notre voix à nous, celle de la France, puisse se faire entendre au-delà des forces qui sont celles d'un pays de soixante-trois millions d'habitants.
Nous avons besoin d'une Europe qui accepte, non pas seulement de faire du commerce ensemble, mais de parler d'une seule voix pour peser ensemble sur le destin de la planète.
Je construirai, avec le peuple français, cet idéal européen dans lequel tout le monde se retrouvera et qui n'aura pas les inconvénients qu'ont redouté ceux qui ont voté non au référendum, car je sais très bien pourquoi ils ont voté non. Ils ont voté non, car le texte était illisible et qu'ils ont donc pensé qu'il y avait un piège qui était que l'on voulait leur imposer un modèle de société qui ne serait pas le leur.
C'est un peuple qui veut décider lui-même de son propre destin, pas que l'on en décide à sa place. C'est un peuple qui veut, chaque fois qu'une décision doit être prise, y être associé et il veut, en même temps, sauver son identité.
Pour moi, l'Europe est faite pour cela, pour que nous puissions vraiment décider nous-mêmes de notre propre destin et vraiment sauver notre identité.
Nous allons réconcilier la France avec l'idéal européen et ce sera l'une des plus exaltantes tâches que nous aurons à conduire.
Voyez-vous, et ce sera mon dernier mot, j'ai cela comme idée : nous avons un grand projet national, qui est, en même temps, un grand projet pour le monde, et nous pouvons le faire entendre par l'intermédiaire de l'Europe que nous aurons reconstruite. C'est une chance formidable qui s'offre à nous. Nous avons été, pendant des années et des années, dans la génération des héritiers, reconnaissants à l'égard de ceux qui avaient bâti le projet européen.
Nous allons pouvoir entrer dans une autre ambition. Nous allons être, à notre tour, dans la génération des fondateurs. Nous allons être, à notre tour, dans la génération des reconstructeurs, de ceux qui ont décidé que, après eux, le monde ne serait pas comme avant eux. C'est une magnifique ambition pour notre pays, car vous voyez bien que, si la France ne propose pas ce projet de société et ce modèle au monde, personne ne le fera.
Nous sommes arrivés au point où d'autres modèles surpuissants sont en train de s'imposer. Nous, Français, nous avons, depuis longtemps, l'idée que nous devons bâtir et défendre notre modèle, "Liberté, égalité, fraternité", notre modèle de résistance, notre modèle où l'on considère que l'argent n'a pas raison sur tout, qu'il y a des choses qui sont aussi importantes et plus importantes.
Bien entendu, il faut de l'argent pour vivre, nous le savons bien et ceux qui n'en ont pas, sont suffisamment angoissés pour que nous ne les oubliions pas. Il faut de l'argent pour vivre, mais tout ne se résume pas à l'argent. Certains projets, objectifs ou valeurs sont supérieurs aux valeurs de l'argent, notamment les valeurs de l'éducation, celles de la culture, celles de l'esprit et celles qui font que les hommes sont des hommes et que, au fond, ils appartiennent davantage au verbe être qu'au verbe avoir. C'est notre manière de voir les choses.
Voilà ce que nous avons à dire à notre peuple et voilà ce que nous avons à dire au monde. Voilà le message qui va se jouer, qui va se relever, qui va se proposer et qui, je crois, va s'imposer dans cette élection présidentielle.
Je vous remercie d'être venus à Annecy pour le défendre avec nous.Source http://www.bayrou.fr, le 20 mars 2007