Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à RMC le 9 mars 2007, sur la campagne de l'élection présidentielle, la situation sociale, les services publics et l'ARTT.

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Texte intégral

Q- Vous êtes secrétaire général de Force Ouvrière. J. Chirac va s'exprimer dimanche soir à la télévision. Il ne va peut-être pas apporter tout de suite son soutien à N. Sarkozy, peut-être ne le fera-t-il jamais, en tout cas, il devra annoncer qu'il ne sera pas candidat, donner sa vision pour la France pour les prochaines années. Le bilan Chirac, selon vous, quel est-il ?
R- Je ne sais pas ce qu'il annoncera dimanche soir. A priori, tout le monde dit qu'il ne se représentera pas. Bilan ? Je dirais que sur le plan international et notamment par rapport à la guerre en Irak, il a eu une bonne vision à ce moment-là et d'ailleurs tout le monde était d'accord avec lui. Maintenant, sur le plan économique et social, on ne peut pas dire que ce soit très brillant en ce sens où il y a un chômage qui est important, des inégalités sociales qui se sont accrues également, mais en même temps ce n'est pas spécifique à la France, cela concerne tous les pays européens. Cela me permet de dire d'ailleurs que y compris dans la campagne actuelle, moi il me semble qu'il y a deux débats qui n'ont pas vraiment lieu : c'est à la fois sur les questions économiques - il n'y a pas qu'une politique économique possible donc il devrait y avoir un débat là-dessus - et aussi sur les modalités de la construction européenne et on voit que ça percute pas mal de dossiers aujourd'hui.
Q- Est-ce qu'aujourd'hui vous avez l'impression qu'il n'y a qu'une seule politique économique qui est débattue dans la campagne entre les trois leaders ?
R- Oui, tout à fait. Ecoutez, regardez par exemple sur le dossier de la dette,
on entend à peu près la même chose avec des nuances.
Q- La même chose qui est : il faut supprimer des emplois de fonctionnaires...
R- Il faut réduire la dette donc il faut l faut réduire le budget de l'Etat, etc., etc.
Q- Et ce n'est pas logique ?
R- Non, ce n'est pas logique. A la limite, moi je ne dis pas qu'il faut augmenter la dette de manière exponentielle, ce n'est pas ça mais la dette ça s'examine, ça dépend ce qu'on en fait, si c'est de l'investissement public, si c'est pour préserver des services publics. Puis, j'entends des comparaisons qui me surprennent moi. On dit que la France a un endettement plus fort que d'autres ! Mais non ce n'est pas vrai, on a tendance à nous raconter n'importe quoi. On dit que le Canada a fait des efforts extraordinaires en passant de 80 % de dette à40 %. Oui mais ils en ont transféré 40 % sur les régions. Donc quand on fait le total, ça n'a pas changé fondamentalement les choses. Le Japon a une dette publique de 160 % donc, je ne dis pas que c'est mais tout ça se discute, il n'y a pas qu'un choix possible et qu'un seul chemin possible.
Q- La meilleure stratégie c'est quand même de réduire la dette ?
R- Oui mais comment on la réduit ? On peut aussi réduire la dette avec une stratégie de croissance qui est forte et avec une politique fiscale différente, cela peut être ça.
Q- Une politique de croissance là c'est celle de N. Sarkozy lui il veut la croissance.
R- Attendez, tous veulent la croissance, moi je ne connais pas un politique qui n'ait pas envie d'avoir de la croissance tout simplement parce que ça facilite les choses. Il faut prendre des décisions pour avoir la croissance.
Q- Il faut que l'Etat investisse c'est ça ? Et y compris dans des emplois publics pour relancer l'économie ?
R- Investisse dans la recherche, investisse dans l'innovation.
Q- Cela, ils le disent tous.
R- Oui mais ça, c'est demain, moi je regarde ce qui a été fait depuis 15 ans.
Q- On essaye de se projeter quand même, on essaie de se projeter sur les programmes.
R- Oui mais comment peut-on dire : nous allons investir dans la recherche et l'innovation tout en disant qu'on va maintenir la même politique économique en gros. Donc on va maintenir la même logique, la même modalité de construction au niveau européen. Regardez ! La Banque Centrale Européenne a encore relevé ses taux d'intérêts, elle court après l'inflation même quand elle n'existe pas. Donc ce sont ces questions là qui doivent être débattues, personne n'est dupe, moi je ne suis pas surpris que les questions sociales soient au centre de la campagne, les problèmes de pouvoir d'achat, cela fait quand même quelques années qu'on l'explique, les problèmes d'emplois et de chômage, mais une cohérence nécessite qu'on discute y compris les questions de politique économique, y compris de modalités de la construction européenne.
Q- Alors B. Thibault, votre homologue de la CGT prédit un climat social revendicatif pour le prochain président. Est-ce que vous avez le même pronostic ?
R- Je n'ai pas de boule cristal, ce n'est pas comme ça que ça marche.
Q- Est-ce que quel que soit le président, il y aura un climat revendicatif ?
R- Le climat revendicatif et les inquiétudes sociales sont permanents d'une certaine manière. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il y a des grèves et des manifestations même s'il peut y en avoir. Regardez en ce moment sur Airbus par exemple, c'est tout à fait justifié bien entendu, cela peut arriver à tout moment, cela ne se prédit pas, ça dépend aussi de la manière dont il est répondu aux revendications. Si dès qu'un ou une Présidente est élu(e), il ou elle prend des décisions que nous contestons par exemple, ça peut arriver à tout moment. Je ne sais pas pour le moment...
Q- Ce ne sera pas systématique ?
R- Cela dépend de ce qui est dit. CE n'est pas de l'instrumentalisation.
Q- Non parce que c'est u peu tôt pour dire aujourd'hui, climat revendicatif sitôt que le président est élu ?
R- Le climat revendicatif il y est, maintenant cela ne se traduira pas obligatoirement par des actions, ça dépend du contexte.
Q- F. Bayrou c'est le phénomène politique du moment. Comment vous interprétez son programme ? Est-ce que c'est un programme qui socialement peut être intéressant ?
R- Je ne veux pas rentrer là dedans, non pas parce que c'est F. Bayrou... Nous sommes une organisation indépendante, nous ; nous ne donnerons pas de consigne de vote.
Q- Sans aller jusqu'aux consignes de vote, est-ce qu'il a des idées intéressantes ?
R- Ni dans un sens, ni dans l'autre. Seul point : si on veut respecter l'indépendance, vous savez, c'est exigeant de respecter l'indépendance syndicale. On peut réagir sur des questions sociales particulières, quand par exemple à un moment on nous parlait de syndicalisme obligatoire ou quand d'autres veulent le slogan "travailler plus pour gagner plus" qui n'a aucun sens pour nous sauf s'il s'agit de permettre à ceux qui sont en temps partiel imposé de passer à temps plein. Des questions comme ça oui, mais globalement je ne eux pas réagir sur les programmes.
Q- Je vais vous poser plus précisément ma question sur F. Bayrou. Par exemple, il voudrait autoriser les entreprises à recruter deux personnes en contrat à durée indéterminée sans charges, sauf 10 %de charges pour les retraites.
R- Ce n'est pas aussi évident que ça. Nous ce que nous demandons depuis
un moment, c'est de mettre à plat toutes les aides publiques et sociales
accordées. Je vous rappelle que ça fait à peu près 65 milliards d'euros
par an, ça n'est pas rien, c'est plus que le budget de l'Education
nationale, c'est plus que ce qui ressort de l'impôt sur le revenu. Parce
qu'il y a toujours dans ce type de décision, ce qu'on appelle des effets
d'aubaine. Est-ce que par exemple cela ne pourrait pas conduire
certaines entreprises à dire : "Je vais licencier comme ça je vais en
prendre deux." Il faut faire attention sur tout ce qui touche aux
exonérations, plutôt que de multiplier les annonces, il faudrait une mise
à plat.
Q- On empile les aides ?
R- C'est incroyable aujourd'hui, c'est un vrai maquis, il faudrait à la fois simplifier et poser la question de savoir si c'est efficace. 65 milliards d'euros d'aides publiques et sociales pour quel résultat ? C'est ça qui est important.
Q- Autre idée dans cette campagne - on ne parle pas des candidats on parle des idées, vous allez deviner de qui il s'agit : le SMIC à 1.500 euros d'ici cinq ans ?
R- Cela fait à peu près 3 % par an, en gros.
Q- Donc c'est ce qui se passe déjà aujourd'hui ?
R- Cela peut se faire. Ce que nous expliquons, c'est que le SMIC c'est important bien entendu, le SMIC concerne trop de gens aujourd'hui, quand je dis qu'il concerne trop de gens...un bon SMIC c'est quoi normalement ? C'est un SMIC qui sert de référence de minimum, de plancher et tout le monde devrait être au dessus, c'est dans l'idéal le SMIC. Or, ce qui est important, c'est non seulement le SMIC mais ce sont également les autres salaires. Aujourd'hui vous avez des gens qui ont dix ans d'ancienneté par exemple et puis qui sont juste au niveau du SMIC, ça n'est pas normal. Donc il faut rediscuter de toutes les grilles de salaire. Là, nous avons obtenu du Gouvernement et de monsieur Larcher qu'il y ait une commission de suivi permanente : dès que le SMIC augmente on se réunit tout de suite au niveau des branches pour que la hiérarchie des salaires soit respectée. Ce n'est pas simplement un salaire, c'est l'ensemble, le SMIC est un des éléments bien entendu.
Q- Une troisième idée, N. Sarkozy lui veut réduire les charges sur les heures supplémentaires pour notamment son fameux principe de "travailler plus pour gagner plus". Est-ce que cela peut permettre de travailler plus pour gagner plus ?
R- Non, je l'ai déjà expliqué à plusieurs reprises. Pour moi, travailler plus pour gagner plus, ça ne peut être positif que s'il s'agit des gens - et il y en a beaucoup et notamment des femmes, qui sont à temps partiel contraint et qui voudraient travailler à temps plein et qui n'en ont pas la possibilité...
Q- Est-ce que justement l'effet pervers de ces heures sup sans charges, ça ne serait pas de créer encore plus de temps partiel ? Un patron du coup au lieu d'embaucher à 35 heures par semaine, embauchera avec un contrat de 25 heures, des heures sup et quand il n'y a plus de commande...
R- Cela s'appelle différemment, ça s'appelle des "heures complémentaires" sur le temps partiel, c'est d'ailleurs différent. C'est un des effets pervers possibles. Il y a un deuxième effet pervers : si ça coûte moins cher de faire des heures supplémentaires que de travailler avec les contrats de travail de 35 heures par exemple, ça signifie que plutôt que d'embaucher on fera ciel blanc, comme on dit. Mais en plus, moi je ne crois pas, c'est se leurrer de penser que ce sont les salariés qui vont décider de leur durée du travail. Quand je dis qu'ils vont décider, ils vont décider que telle semaine ils feront trois heures, et la semaine prochaine, ils en feront quatre en fonction de leurs besoins. Si on en est là, ça veut dire qu'ils décident de l'activité, ça veut dire que ce sont eux qui dirigent les entreprises. Je ne pense pas que ce soit l'objectif. Donc il y a un côté illusoire là dedans. Et un dernier élément qui peut être pervers, ce sont les pertes de recettes pour tous les régimes sociaux. On ne peut pas nous dire qu'il y a des problèmes de retraite et d'assurance maladie et supprimer des rentrées fiscales ou sociales.

Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 mars 2007