Texte intégral
Q- Il y a à peu près un mois, vous aviez condamné l'absence de cohérence des programmes des candidats qui se résument, disiez vous, à des catalogues. Est-ce que vous diriez encore la même chose aujourd'hui ? Les choses ne se sont pas précisées, vous êtes toujours sur cette ligne ?
R- J'ai toujours ce sentiment effectivement. Moi je ne suis pas surpris et syndicalement on n'est pas surpris que les questions sociales fassent partie des préoccupations, tel que ça ressort des sondages. C'est ce qu'on explique quand même depuis maintenant pas mal de temps. Par contre pour qu'il y ait une cohérence dans des réponses en terme de pouvoir d'achat, en terme d'emploi, de protection sociale collective, de solidarité, il faudrait qu'il y ait débat sur deux points au moins : c'est à la fois sur les questions économiques - sans en rester à ce que la plupart disent, c'est : il y a un problème de dette et puis il faut la réduire - mais il faudrait débattre de la politique économique, montrer qu'il n'y a pas qu'une politique économique possible, au moins en débattre, et puis la question européenne. 2005, ce n'est pas si vieux que ça, quel type de construction européenne, quelle modalité ? Or ces deux thèmes, je ne les vois pas beaucoup dans la campagne.
Q- C'était l'objet d'un appel que Force ouvrière a lancé il y a quelques jours : que les questions économiques soient débattues, les questions européennes et les questions internationales. De quoi s'agit-il exactement quand vous parlez de questions internationales ?
R- Les questions internationales c'est notamment qu'il y ait une obligation de respecter les normes internationales du travail. Les normes essentielles, celles qui touchent à la liberté d'association, la liberté de négociation, l'interdiction du travail forcé, du travail des enfants et les non discriminations. Ces normes-là, selon nous, devraient être non seulement respectées, mais contrôlées voire sanctionnées en cas de non respect et notamment dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, du FMI ou de la Banque Mondiale. Or ça pour le moment, à chaque fois qu'il y a une réunion de l'OMC par exemple, on en parle, on en met au mieux deux lignes dans un préambule mais ça n'a jamais force de loi. Donc à partir de là, il faut que ces débats là aient lieu également. Ces questions là sont essentielles pour nous.
Q- Sur l'Europe, il y a aujourd'hui deux grandes idées qui s'affrontent, soit on retourne au référendum, soit on fait voter par le Parlement un traité simplifié comme le propose N. Sarkozy. Vous avez une préférence ?
R- Non, ce n'est pas tellement sur la méthode, c'est quelle Europe, quelle modalité de la construction européenne ? Par exemple, quand on nous dit qu'il faut préserver les services publics, tout le monde est d'accord, la majorité est d'accord pour dire qu'il faut préserver les services publics. Mais si on veut réellement préserver les services publics, il faut aussi reposer le problème de certains traités qui prévoient comme dogme, le principe de libre concurrence, qui fait que ça a conduit à la libéralisation dans le domaine de l'énergie, dans le domaine de la communication. Si on veut préserver les services publics, il faut poser le problème de la concurrence. Tant qu'on ne posera pas ces débats là, les problèmes continueront, c'est ça que l'on veut dire. Si on veut effectivement aller au fond des problèmes, il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles de cette manière, il savent bien que pour traiter les questions d'emploi, de pouvoir d'achat, etc. il faut bien qu'il y ait une cohérence, que cette cohérence sauve les questions économiques d'une manière générale, qui plus est dans un cadre européen et international. Or, là dessus c'est très timide en ce moment.
Q- Sur ce point vous mettez en tête les trois principaux candidats, ceux qui sont en tête actuellement - en tout cas dans les sondages : S. Royal, N. Sarkozy, F. Bayrou -, sur le même plan ?
R- Je ne vois pas de débat de fond sur les orientations économiques. Ils n'en débattent pas, il n'y a pas de ce débat. Il y a des annonces de faites, des mesures, ce que j'appelle un peu les catalogues, sur la dette avec des nuances selon les uns et les autres. Mais est-ce qu'on pouvait faire autrement sur le plan de la politique économique ? Cette question-là, par exemple, on a l'impression que c'est tabou aujourd'hui. On nous dit qu'on ne peut pas faire autrement puisque c'est 3 %, circulez il n'y a rien à voir ! Donc là, il y a des nuances, ils ne font pas tous la même chose, mais les débats de fond n'ont pas lieu, selon nous.
Q- Vous êtes un peu en colère ce matin parce que vous deviez rencontrer S. Royal cet après midi et qu'elle s'est décommandée et apparemment cela n'est pas la première fois ?.
R- Oui, écoutez, cela fait deux fois. Elle veut nous rencontrer, elle a demandé à nous rencontrer, on a dit ok, comme on rencontrera d'autres candidats. Une première fois elle annule, elle reporte, aujourd'hui : elle annule hier soir, alors ou elle a des problèmes de calendrier ou elle a des problèmes de dialogue social, mais je ne trouve pas ça très sérieux, oui.
Q- Elle a rencontré vos confrères de la CFDT, F. Chérèque et de la CGT, B. Thibault, la semaine dernière, elle leur a dit qu'elle ferait de la réforme de la démocratie sociale une des priorités de sa présidence si elle était élue. Elle a évoqué des convergences de vues sur a nécessité de réformer le dialogue social. A priori, vous auriez vous aussi des points de convergence sur ces questions-là, dans l'hypothèse où vous allez la rencontrer ?
R- Oui, enfin ça, chacun son calendrier maintenant. Je dirais que ce n'est pas sûr que l'on ait les mêmes visions sur ce genre de choses. Vous savez, on fonctionne trop souvent par clichés, sur ces questions-là dites de "démocratie sociale" ou de "démocratie politique". Je vais prendre un seul exemple : on nous dit que modifier les règles de représentativité syndicale, c'est ce qui amènera la syndicalisation. Qu'on modifie les règles de représentativité syndicale, il faut en discuter sérieusement, mais ce n'est pas ça qui améliorera la syndicalisation. Par exemple, ce que je dirai et ce que j'ai déjà dit à ceux que j'ai vus, et ce que je dirai aux autres : si on veut améliorer la syndicalisation, il y a une urgence dans notre pays, c'est autoriser les salariés à se syndiquer librement dans les PME, ce qui n'est pas le cas. On a un conflit d'actualité en ce moment chez Leclerc par exemple, où le fait d'être syndiqué, on se retrouve viré par le patron. Donc si on veut une vraie liberté syndicale dans notre pays, dans les PME je dis bien, pas toutes mais il y en a beaucoup où il y a des problèmes, il faudrait avoir la possibilité de librement se syndiquer sans être sanctionné parce qu'on est syndiqué.
Q- On parle beaucoup du travail, de la valeur travail dans cette campagne électorale. Qu'est-ce que vous pensez de la formule de N. Sarkozy : "Travailler plus pour gagner plus" ?
R- C'est un mauvais slogan. C'est un mauvais slogan en ce sens où : un, cela n'est pas réaliste, ce ne sont pas les salariés qui choisissent leur durée du travail. Ce slogan ne peut avoir de sens que sur un élément, c'est si tous les gens qui sont en temps partiel imposé, peuvent passer à temps plein. Alors là, ils pourront travailler plus et gagner plus. Hormis cet exemple, pour le reste, les gens ne choisissent pas leur durée du travail. La durée du travail y compris les heures supplémentaires, c'est fonction de l'activité de l'entreprise. Moi je n'ai jamais imaginé un salarié disant, "Tiens je dois changer ma cuisine ou ma voiture, j'ai besoin d'argent, je vais aller voir mon patron, je vais lui dire que j'ai besoin de changer ma bagnole, donc je voudrais travailler plus", eh bien il répondra que c'est en fonction de l'activité de l'entreprise. Donc c'est un leurre de laisser croire aux salariés qu'ils vont pouvoir choisir leur durée du travail.
Q- A propos de l'emploi toujours, vous avez dénoncé hier l'utilisation de la politique de l'immigration en période électorale pour condamner tout lien entre l'emploi et ces questions-là qui feraient jouer aux immigrés, disiez-vous, le rôle de boucs émissaires. Est-ce que vous visez clairement N. Sarkozy qui a proposé un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale ?
R- On en vise personne particulièrement mais il nous apparaît essentiel de rappeler, quand on combat comme nous les valeurs racistes, xénophobes, antisémites : attention aux amalgames. Il y a une convention internationale du travail, dans le cadre du BIT, qui date de 1949, qui donne la possibilité à un Gouvernement, s'il considère qu'il y a des analyses qui peuvent déraper sur ces questions-là, de pouvoir agir. Donc on a voulu rappeler : attention, ne prenons pas les immigrés ou ne laissons pas croire que les immigrés pourraient être des boucs émissaires.
Q- Un dernier mot : N. Sarkozy a réaffirmé hier qu'il ferait avec Airbus ce qu'il avait fait avec Alstom en cas de besoin, c'est-à-dire réinjecter de l'argent de l'Etat s'il était élu. Est-ce que c'est la bonne solution ou, une recapitalisation d'Airbus ?
R- C'est plutôt positif, c'est plutôt positif dans la limite où il y aura besoin d'une recapitalisation d'Airbus. L'entreprise dit qu'elle n'est pas pressée, mais si. Moi je considère qu'il y a une urgence, à la fois chez les actionnaires privés mais aussi chez l'actionnaire public. Et il est important que l'Etat prenne ses responsabilités sur ce dossier pour qu'on puisse à la fois limiter les dégâts du plan Power 8 - il y a des points qui ne sont pas acceptables dans le plan Power 8 - et redonner du souffle à cette entreprise qui n'est pas menacée mais qui traverse une zone de turbulence.
Les adieux de J. Chirac, adieux, en tout cas l'aurevoir. Vous l'avez regardé, ça vous a fait quoi ?
R- Oui j'ai regardé. Il a été ému, cela se voyait.
Q- Est-ce qu'il vous a ému ?
R- Non pas particulièrement, écoutez, c'est la responsabilité des hommes politique. Il faut savoir s'arrêter à un moment donné. Ce que je regrette, c'est qu'il n'ait pas compris ce qui s'est passé en 2005 sur l'Europe. Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 mars 2007