Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, à Europe 1 le 13 mars 2007, sur la parution de son livre programme "L'architecte et l'horloger" et la campagne pour l'élection présidentielle 2007.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-L. Borloo bonjour.
Oui, bonjour.
Q- Le moment de votre choix est imminent : Sarkozy ou Bayrou ?
R- C'est quoi votre question ?
Q- Sarkozy ou Bayrou ?
R- Non, mais attendez, on n'est pas à la " Star Ac " en train de choisir les personnes. Moi, monsieur Elkabbach, j'ai fait l'effort d'écrire noir sur blanc ce que j'estimais absolument crucial pour le pays dans les cinq ans qui viennent.
Q- Un livre programme publié aux éditions du Moment - vous voyez ça tombe bien - qui s'appelle " L'architecte et l'horloger. " Et là, figurent vos quatre causes prioritaires, les quatre piliers de l'architecte Borloo. Mais F. Bayrou, vous pourriez ?
R- Mais c'est votre obsession F. Bayrou !
Q- Pas du tout.
R- Moi, je suis dans un Gouvernement, je suis dans une famille politique, je ne joue pas les enchères, je ne change pas de famille politique, les choses sont parfaitement claires.
Q- C'est-à-dire que vous n'hésitez pas...
R- Non, non, non, ça ne marche pas comme ça. En revanche, vous m'autorisez à avoir, 17 ans après m'être engagé, avoir quitté un cabinet d'avocats à Paris, m'être engagé à Valenciennes, puis ensuite m'être occupé de rénovation urbaine des quartiers, de logement et d'emploi, après avoir vu comment ce pays fonctionnait, comment on pouvait considérablement améliorer la performance - je rappelle qu'on construisait 270.000 logements il y a quatre ans, on en construit 450.000 cette année - après avoir vu tout ça, essayer de mettre noir sur blanc, les quatre piliers de la société française et de proposer un programme de gouvernement en disant : "on peut revenir au plein emploi..."
Q- ...C'est-à-dire 5 % de chômage.
R- On peut avoir un logement pour tous... Vous savez, monsieur Elkabbach, le logement, ça a été la plus grande attaque sur le pouvoir d'achat des Français.
Q- 28 % en moins...
R- 28 % absolument, c'est-à-dire que la rareté -le fait d'avoir construit deux fois moins, pendant 20 ans, que le besoin - a attaqué la feuille de paye des Français jusqu'à 3000 euros de plus de 28 %.
Q- Vous dites la crise du logement a créé chez les Français huit crises du mal de vivre : du parcours résidentiel, de la famille, de la dignité, des finances publiques, de l'emploi, de l'écologie, du découragement et une crise du pouvoir d'achat.
R- Exactement, en matière de formation, qui est le problème majeur, qu'est-ce que c'est que la croissance d'un pays sinon le nombre d'heures qualifiées, travaillées par les gens d'un pays. 75 % d'une classe d'âge aujourd'hui, alors qu'on a des filières formidables - on en a sept ou huit - sortent non qualifiés. C'est tout ça que j'explique dans ce livre et c'est des mesures extrêmement opérationnelles, un mode de fonctionnement qui est une gouvernance publique par programme d'intérêt national, avec tout le monde, car l'Etat n'est pas le seul acteur. Alors ce programme je l'adresse évidemment à N. Sarkozy, cet après-midi, pour revenir à votre question initiale. Il faut savoir simplement de quoi on parle, parce que j'y crois ...
Q- Vous l'envoyez à S. Royal, vous l'envoyez à F. Bayrou ?
R- Il sera sur le site Internet. Mais c'est à N. Sarkozy que je l'adresse. Les choses sont assez simples. Moi, je ne suis pas, je ne fais pas monter les enchères, je ne suis pas dans la tactique, je me suis engagé vraiment dans ce que je fais. Et je m'engagerai à fond derrière lui si j'ai l'absolue conviction qu'on va faire ça. C'est assez simple vous voyez ?
Q- Mais attendez, est-ce que je peux vous poser une question ?
R- Je vous en prie.
Q- Deux ou trois choses : c'est un accord, qui a un coût, un prix politique, vous dites. Vous ne faites pas monter les enchères, mais vous ne dites pas " oui " tout de suite. Premièrement...
R- Non, ça n'a pas un prix, mais attendez, mais moi, excusez-moi, je suis quelqu'un de sérieux. Voilà, je crois en ça, imaginez-vous monsieur Elkabbach que ce n'est pas impensable qu'il y ait des Français qui croient aussi un peu dans ma parole. Qu'ils se disent : si lui il nous dit qu'il va aller vers 5-6 % de chômage, alors qu'il nous ramène de 10,2 à 8,5 -meilleur chiffre des 25 dernières années - peut-être qu'il va, un, en tous les cas s'en donner les moyens, deux le faire à fond et peut-être en plus qu'il va réussir. Alors simplement pour le faire, moi, je connais trop la musique et la mécanique, je connais les conditions opérationnelles pour y arriver, notamment, notamment, vous n'arriverez pas à qualifier 100 % d'une classe d'âge si vous ne le faites pas avec les grandes écoles, avec l'université, avec l'apprentissage, avec la formation professionnelle. La formation professionnelle, qui est-ce qui la gère ? Les partenaires sociaux, il faut faire avec.
Q- J.-L. Borloo, vous avez dit vous-même : c'est un programme de gouvernement. En avril et en mai, on va élire un président de la République. Vous lui filez un programme de gouvernement clé en main avec l'architecte en plus ? C'est-à-dire le Premier ministre en plus, vous ?
R- Non, non, non, le Premier ministre c'est le Président qui le choisit, mais en revanche, l'architecture, oui, j'en suis convaincu, parce qu'effectivement, monsieur Elkabbach, en moins de six semaines, on va faire les deux : on va à la fois élire un Président, mais on va élire aussi une majorité parlementaire qui désignera, sous l'autorité du Président, un Gouvernement, avec une feuille de route gouvernementale. Et je trouve extrêmement dangereux de trop séparer l'élection présidentielle de l'élection législative.
Q- Et F. Bayrou ne peut pas se créer lui aussi une majorité pour gouverner ?
R- C'est très compliqué, c'est très compliqué, car mon sentiment c'est que s'il était au deuxième tour, il soutiendrait forcément un des deux camps, qui sera le camp de ceux qui l'auront élu ou qui auront voté pour lui, quel que soit le résultat. Donc lui pense pouvoir créer un grand parti démocrate...
Q- Avec les vaincus du premier tour ?
R- Oui, les vaincus du premier tour, un espèce de mélange, mais il va nous l'expliquer j'imagine.
Q- Est-ce que vous pourriez soutenir, vous pouvez soutenir quelqu'un d'autre que N. Sarkozy ?
R- Je peux ne soutenir personne. Ma voix, moi, je crois...
Q- C'est-à-dire que vous allez à la pêche vous aussi ? Non, ce n'est pas possible !
R- Attendez, est-ce qu'on pourrait faire les choses dans l'ordre, c'est-à-dire un, moi, j'écris ce que je pense, je fais mes offres pour le pays, voilà ce qu'il faut faire, deux je les adresse, ça me paraît la moindre des choses, à ma famille politique - j'ai rencontré beaucoup de parlementaires UMP, beaucoup de parlementaires UMP, ce travail est un travail en partie collectif - et trois, on essaie de se mettre d'accord et de rendre les choses compatibles.
Q- Mais c'est un projet à prendre ou à laisser ?
R- Mais ça n'existe pas à prendre ou à laisser. En revanche, ce qui existe, c'est des idées claires, des priorités claires, des objectifs assumés, des méthodes.
Q- Alors on va dire ce qu'est le projet de J.-L. Borloo. Votre projet EFEL, pas de i, un seul f, E.F.E.L. - EFEL, et chaque lettre, a un sens et un coût. E, comme Emploi ; vous dites qu'il faut donner un coup de reins exceptionnel, pour arriver peut-être à 5-6 %. Aujourd'hui le taux de chômage c'est combien ?
R- 8,5 %.
Q- Et on était à ?
R- 10,2 quand je suis arrivé au ministère de l'Emploi.
Q- Et vous maintenez le chiffre en dépit de la récente polémique avec l'INSEE ?
R- Mais évidemment et je vous ferai observer que l'INSEE, vendredi dernier, a rectifié son propre chiffre pour le mettre à 8,5. Meilleur chiffre des 25 dernières années. Moi, je vous dis qu'on sera...
Q- EFEL, "F" comme formation.
R- Formation. Si vous voulez, notre système il est complètement éclaté, entre l'apprentissage, l'alternance, l'université, les grandes écoles. Il faut que tout le monde soit autour de la même table, en se disant : qu'est-ce que j'apporte moi, à la qualification des 750.000 jeunes par an de mon pays.
Q- "E" comme Equité.
R- Equité républicaine, équité territoriale...
Q- C'est là-dedans que vous mettez les banlieues, l'immigration ?
R- Les banlieues, enfin d'abord les villes riches, les villes pauvres, moi, j'en ai assez, il faut que les villes riches transfèrent une partie des financements...
Q- Vous dites un milliard ?
R- 1 milliard 200 millions. Mais oui, Montfermeil a besoin de 10 millions de plus, Clichy-sous-Bois aussi. Il y a deux ans, on a déjà fait 600 millions d'euros, il faut tripler, tout simplement. Je voudrais une école supérieure nationale supérieure, comme l'ENA ou comme Normale Sup ou comme Polytechnique avec des recrutements pour les jeunes de ces quartiers, sur des tests de compétences, d'habileté, de leadership, de charisme, d'intelligence des situations, qu'ils soient des hauts fonctionnaires, s'ils le souhaitent, catégorie A, pris en charge, financés...
Q- Formidable ! Et dans EFEL, il y a "L" comme logement, on en a parlé tout à l'heure.
R- Attendez, attendez et surtout ce programme de rattrapage de trois ans, c'est simplement un rattrapage, 250 000 contrats de professionnalisation ou en entreprise ou dans le public, payé à 100 % par l'Etat, que ces jeunes soient formés pendant un travail, en plus d'un travail, comme dans toutes les branches professionnelles.
Q- Est-ce que vous aimeriez que soit nommé dans le gouvernement auquel vous appartiendriez, si votre candidat probable est élu etc. etc. etc. un ministre de l'Immigration à l'identité nationale ?
R- Je ne sais pas si c'est la bonne expression, mais en revanche considérer que l'immigration ce n'est pas des quotas, ce n'est pas des chiffres, ce n'est pas juste répondre à un problème d'emploi en France, mais des gens et des personnes qu'on accueille... Tous les grands pays ont des systèmes d'accueil et d'immigration. Tous. On a lancé il y a trois ans seulement...
Q- Donc ça ne vous choque pas ? Ou il faut changer le titre ?
R- Je ne sais pas si c'est le bon titre, mais qu'on accueille les gens, qu'on ait des plateformes d'accueil et d'intégration, ça, ça me paraît la moindre des choses.
Q- Alors si vous entendez dire : il est en train à de négocier Matignon ?
R- Mais c'est des gens qui ne connaissent pas la Vème République. Mais vous savez très bien que ça ne marche pas comme ça. Moi, je suis en train de débattre d'un programme de gouvernement des cinq ans qui viennent, pour une majorité parlementaire et j'ai, excusez-moi, l'immodestie de penser qu'après avoir fait 12 ans à Valenciennes et cinq ans dans des ministères difficiles, j'ai un peu de crédibilité pour en parler.
Q- J.-L. Borloo, est-ce que le centre n'est pas aujourd'hui occupé ? Est-ce qu'il peut y avoir deux hommes au centre ? Bayrou, Borloo ?
R- Mais il peut y en avoir dix, quinze, vingt. Moi, je suis centriste de toujours, je suis radical, j'ai été UDF, je veux dire je ne vois pas très bien où est le problème. Le problème c'est le Gouvernement qu'on veut faire. Est-ce qu'oui ou non, ce sont les quatre piliers de notre société, les quatre que je propose, est-ce que ce sont nos quatre priorités ? Et est-ce qu'on est d'accord sur la méthode qui consiste à être la méthode du partenariat ? Voilà !
Q- Et encore, N. Sarkozy a de la chance, le colonel Lawrence avait défini sept piliers de la sagesse...
R- Oui, il y en a quatre.
Q- Il y en a quatre. A quelle condition, de quelle façon - je ne vais pas employer le mot condition - vous direz : oui, j'y vais. Et en combien de temps ça va durer ?
R- Mais vous savez, c'est l'intime conviction, à un moment donné, vous faites équipe ou vous ne faites pas équipe. Et puis les Français comprennent ça, les Français savent bien qu'il n'y a pas un homme providentiel. Ça ne marche pas comme ça, vous savez...
Q- Est-ce que c'est une manière de dire que N. Sarkozy, il lui faut un contre pouvoir, il lui faut un contrepoids, pour qu'il vous rassure ?
R- Je ne sais pas si on peut dire ça. Mais...
Q- Dites-le autrement, mais répondez, s'il vous plait ?
R- Je vais tâcher de vous répondre. Oui la démocratie, ce n'est un homme seulement. Un grand pays, ce que dit pour les programmes d'intérêt national, qu'on fait à plusieurs, c'est aussi vrai de l'action d'un Gouvernement, c'est aussi vrai d'une majorité. Bien entendu qu'il faut des personnalités qui ne soient pas les mêmes, qui ne soient pas fabriquées pareil, qui n'ont pas la même histoire, qui n'ont pas forcément toujours le même regard sur la société. La démocratie, c'est la confrontation de gens de bonne foi. C'est vrai que N. Sarkozy et moi, on n'est pas fait pareil, c'est vrai qu'on n'a pas toujours le même regard, qu'on n'a pas la même histoire, mais ce n'est pas pour autant qu'on n'est peut-être pas capable de faire équipe.
Q- Oui, dans combien de temps ça se règle ?
R- Ça c'est une histoire d'hommes ça.
Q- Oui, d'homme à homme vous lui remettez votre livre, l'architecte...
R- Cet après-midi " L'architecte et l'horloger " dans toutes les bonnes librairies.
Q- F. Mitterrand avait publié " L'abeille et l'architecte ". Vous " L'architecte et l'horloger " ce maître du temps. Qui est l'horloger en plus ? L'horloger c'est qui ?
R- Vous savez, l'horloger, j'ai fait l'horloger, c'est-à-dire que j'ai regardé dans la montre pourquoi on prenait une minute de retard par jour ou par semaine depuis trente ans, voilà. Et je me suis rendu compte que c'est l'organisation des rouages entre... en fait, la France, c'est une mécanique de précision.
Q- D'accord, combien de temps monsieur l'horloger ?
R- Quelques jours.
Q- Quelques jours, il y aura accord ?
R- Il y aura en tous les cas, quelques jours pour bien regarder, franchement en mon âme et conscience, en son âme et conscience, sans malentendu, ça ne sera pas un truc.
Q- Mais ce matin, vous lui dites ici, vous ne rallierez pas S. Royal ? Vous ne rejoindrez pas F. Bayrou ? Comme vous n'irez chez personne d'autre. Donc il n'y en a qu'un ?
R- Eh ! Ce matin, je suis déjà allé chez Elkabbach, c'est pas mal.
Oui, merci de le dire, bonne journée, demain, D. Strauss-Kahn.

Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 mars 2007