Texte intégral
Q- Un mot tout d'abord de L. Aubrac, décédée cette nuit à l'âge de 94 ans, L. Aubrac qui était à l'origine professeur d'histoire géographie et qui, après son engagement dans la Résistance, a beaucoup fait pour transmettre cette histoire, l'histoire de la Résistance auprès des plus jeunes, dans les écoles, les lycées, les collèges et les facs.
R- C'est un grand témoignage, une grande figure de la Résistance bien entendu, c'est un grand témoignage et j'avais eu l'honneur et vraiment la joie de rencontrer L. Aubrac, notamment l'année dernière au Prix national de la Résistance et de déportation. Elle tenait à venir, chaque année, montrer combien elle était évidemment attachée à la mémoire et à montrer surtout aux jeunes qu'il ne fallait pas oublier cette période-là et qu'il fallait être fidèle à la devise de la République.
Q- Et au-delà de la Résistance à l'occupant allemand, c'était une figure de la résistance des femmes également ?
R- Des femmes et puis toujours avec beaucoup de dévouement et de générosité, son don pour la pédagogie, elle le mettait au service effectivement de la mémoire de la France et puis de la défense de la situation des femmes. Je trouve que c'est vraiment une très grande figure à qui on doit beaucoup de reconnaissance.
Q- Malgré l'effervescence de cette campagne électorale, dont nous parlerons un peu plus tard, vous poursuivez votre travail de ministre de l'Education, avec notamment cette décision de développer l'enseignement du vocabulaire à l'école primaire. Un rapport vous a été remis hier [par le professeur Bentolila] qui préconise une liste de mots qui devront être acquis par les enfants dès le plus jeune âge.
R- Vous savez, il faut maîtriser la langue française, c'est le premier pilier du socle commun de connaissances et de compétences que l'école doit enseigner à tous les élèves de France. Et maîtriser son langage, maîtriser sa langue, pouvoir s'exprimer, c'est non seulement, évidemment utiliser la plus belle langue du monde, mais en même temps, c'est quelques fois aussi combattre la violence. Quand on peut s'exprimer par des mots, par des termes avec toutes les nuances qu'il faut et que le vocabulaire le permet, c'est pouvoir échanger tout simplement. Encore faut-il avoir du vocabulaire et tout l'intérêt du rapport de Bentolila et, si vous me permettez aussi, des tests que je prends maintenant qui vont s'imposer à tout l'école et notamment à l'école primaire et dès la maternelle, c'est que l'apprentissage des mots, l'apprentissage du vocabulaire doit se faire de façon systématique et de façon progressive. Et ainsi les jeunes acquerront ce vocabulaire qui leur permettra ensuite, grâce bien sûr à la grammaire, grâce à la lecture, ça leur permettra à la fois de s'exprimer en langue orale mais aussi en langue écrite avec toutes les subtilités que permet justement le langage.
Q- Vous le disiez hier dans votre discours : quand on a des difficultés à s'exprimer, c'est souvent une cause de frustration, on est un peu démuni.
R- C'est pire que ça, quand on n'arrive pas à s'exprimer, on se tend et quelquefois, cette tension qu'il peut y avoir pour s'exprimer peut aller jusqu'à la colère, peut aller jusqu'à l'invective et peut aller jusqu'à la violence. Alors que par contre, toute la panoplie, la richesse du vocabulaire français attaché à la grammaire, au sens des mots et à toute cette subtilité permet d'avoir dans les échanges, je dirais presque de la poésie quand on est soi-même poète. Mais surtout permet de s'exprimer et de se faire comprendre et quand on se fait comprendre de l'autre, l'autre vous comprend, et à ce moment là les échanges sont beaucoup plus faciles, les liens sont plus faciles. La société vit mieux parce qu'elle sait tout simplement se concerter avec les mots qu'il faut et avec les nuances qui conviennent.
Q- A partir de quand cette mesure sera-t-elle effective ?
R- A la rentrée prochaine. La "circulaire Grammaire", je la prends, elle doit être signée dans les huit jours qui viennent et ensuite j'ajuste les programmes en fonction de cela. Les programmes s'imposent à tous les enseignants à la rentrée prochaine, cela ne veut pas dire que beaucoup d'enseignants n'apprenaient pas déjà du vocabulaire aux enfants mais la grande différence, c'est que jusqu'à présent, on disait aux enseignants : "Avec la lecture, lorsque les enfants découvrent des textes, ils vont apprendre automatiquement des mots de vocabulaire"... Oui mais ça ce n'est pas sûr et le professeur Bentolila démontre bien que ça n'est pas sûr et que ça n'est pas forcément le juste mot, le juste sens du mot...
Q- On peut lire sans comprendre ?
R- On peut lire sans comprendre comme des automates, c'est ce que l'on ne veut pas. Mais par contre, si on apprend des mots de vocabulaire avec le sens, et quelquefois, un mot a un double sens - je vais prendre un exemple : le mot "hôte" cela peut être celui qui reçoit et celui qui est reçu, il faut encore que le jeune le sache, sinon il va faire un contresens quand il va s'exprimer. Et alors il n'arrivera à s'expliquer et il accusera l'autre de ne pas vouloir le comprendre, il accusera l'autre de vouloir peut-être même l'enfoncer et donc il est nécessaire que l'on apprenne le sens des mots.
Q- Certains responsables syndicaux vous accusent d'être "rétrograde", c'est le terme qu'ils ont employé, en raison de vos décisions sur l'apprentissage de la lecture, les leçons de grammaire, l'introduction des quatre opérations dès la maternelle et les 15 minutes de calcul mental par jour, dès le Cours préparatoire. Est-ce qu'au fond, vous avez fait une espèce de retour aux vieilles recettes qui fonctionnaient bien ?
R- Simplement, si être rétrograde, c'est permettre aux enfants d'apprendre dans les meilleures conditions et de poursuivre l'apprentissage au-delà de la Sixième, alors moi j'accepte le mot de "rétrograde" mais je ne crois pas que ce soit celui justement... Je propose à certains accusateurs, ceux qui m'accusent d'être rétrograde, de réviser un peu leur vocabulaire.
Q- Vous vous envolez dans quelques heures pour la Guyane, vous allez fêter le dixième anniversaire je crois, de l'académie sur place. Et puis pour le Venezuela ensuite où vous allez signer une convention pour l'accueil de 1.000 étudiants...
R- Boursiers...
Q- Comment cela va-t-il se passer, c'est quoi ce partenariat ?
R- Au Venezuela ? Eh bien c'est une convention qui permet à 1.000 étudiants vénézuéliens de venir en France, ils sont boursiers, ils vont venir dans des Instituts Universitaires de Technologie. Ils vont être sélectionnés, bien sûr, dans les domaines prioritaires pour le développement du Venezuela, je rappelle, et des spécialités ont été bien identifiés : l'informatique, le génie mécanique, électrique, chimique, les télécommunications, la logistique. Vous voyez qu'avec le Venezuela comme avec l'Amérique du Sud et comme avec beaucoup de pays... je reviens de Chine il y a un mois et demi, ou deux mois, eh bien il y a beaucoup de relations bilatérales qui, actuellement, connaissent une très grade accélération notamment avec le Venezuela.
Q- Vous comprendrez bien qu'il serait un peu saugrenu que nous ne disions pas un seul mot de la campagne électorale. Vous n'avez toujours pas dit qui vous allez soutenir. Vous êtes toujours UDF pour l'instant ?
R- Pourquoi vous dites pour l'instant ? Je le suis depuis 1978 et si vous êtes bon en calcul mental, ça fait 29 ans. Alors c'est considérable ! Eh bien, j'ai bien l'intention de l'être encore quelques années voire quelques décennies.
Q- Donc il y a un candidat UDF qui monte, qui est aujourd'hui en position de troisième homme, voire qui fait par moment jeu égal, dans certains sondages, avec S. Royal. Est-ce qu'il ne serait pas naturel que vous vous engagiez derrière lui ?
R- D'abord je me réjouis qu'il monte : avoir le candidat, président de sa famille politique, qui monte, je m'en réjouis. Mais je me suis imposé une discipline. La première discipline c'est d'attendre la décision du président de la République : se représente-t-il ou ne se représente-t-il pas ? On sait maintenant qu'il ne se représente pas. Deuxième discipline : montrer et démontrer, présenter mon bilan des deux années au ministère de l'Education nationale, je le fais, je crois jeudi prochain.
Q- Le 21 mars.
R- Le 21 mars. Et puis troisièmement, et vous savez que les ministres sont dans une situation on va dire de réserve ministérielle à partir du 23, je crois que c'est le bon moment pour faire à ce moment là de la politique et dire mon choix.
Q- Mais est-ce qu'en votre for intérieur, votre choix est déjà fait ?
R- En mon for intérieur, mon choix se fait, se construit et se construit chaque jour à l'écoute et à la lecture des propositions des candidats. II reste des interrogations, il reste parfois même des craintes, je le dis en toute honnêteté. Comme beaucoup de Français, je regarde aussi les enquêtes d'opinion, il n'y a pas que les candidats qui montent ou qui descendent, il y a aussi un Français sur deux qui se posent les mêmes questions que celles que je me pose. Je me sens un citoyen tout à fait ordinaire dans cette interrogation, dans cette quête du meilleur candidat possible pour la France.
Q- Vous êtes encore dans les 50 % d'indécis ?
R- Et je suis encore dans les 50 % d'indécis qui, certains jours, pensent que et d'autres jours se disent : "Tiens cette déclaration m'intéresse". Et donc tout cela véritablement se construit, mais le moment du choix approche.
Q- Vous êtes réconcilié avec F. Bayrou ?
R- Je ne me suis jamais considéré comme fâché.
Q- Ce n'était pas la franche cordialité ces derniers mois ?
R- Mais est-ce qu'on peut faire la distinction entre les désaccords de fond ou de forme et puis les relations personnelles ? Si quelqu'un considère que parce qu'on n'est pas d'accord, on est fâché et l'amitié, le passé, les choses qu'on a pu faire ensemble plus ou moins bien, tout cela est à balayer d'un revers de main, je ne vois pas du tout les relations humaines comme ça. Les relations humaines sont basées sur la diversité et le respect de l'autre.
Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 mars 2007