Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans "Le Point" le 5 mars 1999, sur la proposition du PS d'asseoir la légitimité démocratique de l'Europe grâce à l'élaboration d'une constitution européenne, le congrès des Socialistes européens à Milan, la nécessité d'un compromis dans la négociation de l'Agenda 2000, cadre financier de l'Union européenne.

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Média : Le Point

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC L'HEBDOMADAIRE "LE POINT" le 5 mars 1999
Q - Le PS prône une Constitution européenne. Une idée que vous chipez à Philippe Seguin ?
R - Philippe Seguin, tout à sa foi nouvelle, fait des emprunts partout ! En 1994 - javais alors été élu sur la liste européenne de Michel Rocard -, nous parlions déjà dune Constitution européenne, ce qui ne nous a pas spécialement porté chance... Cest une idée à laquelle je ne suis pas hostile : cela permettrait dasseoir la légitimité démocratique de lEurope. La question est de savoir ce quon y met. Personnellement, je suis pour une approche fonctionnaliste, avec, dabord, une réforme des institutions privilégiant le renforcement de leur efficacité et notamment des décisions prises, au Conseil des ministres, à la majorité qualifiée - ce qui suppose aussi une nouvelle pondération des voix attribuées à chaque Etat ; le remplacement de lactuelle présidence tournante de lUnion (les Quinze assurent la présidence à tour de rôle, six mois chacun) par lélection pour deux ou trois ans, dun président de lUnion - lun des membres du Conseil européen élu par ses pairs.
Q - Quel calendrier prévoyez-vous pour cette réforme institutionnelle ?
R - Nous devons avoir lambition de la terminer sous présidence française, au second semestre de lan 2000. Ce pourrait être lun des éléments de notre marque sur lEurope - une Europe dont il faut asseoir la légitimité avant de lui donner une Constitution. Une Charte des droits civiques et sociaux qui regrouperait les droits existant en Europe et en définirait de nouveaux - droit à la santé au logement, à léducation, à un revenu minimum - serait aussi un des fondements de cette Europe plus politique.
Q - Et le rôle du Parlement européen dans tout cela ?
R - Les pouvoirs du prochain Parlement européen seront de plus en plus importants, mais il doit encore gagner en légitimité, notamment par la réforme et lharmonisation de son mode délection avant 2004.
Q - Lennui, cest que les Français pèsent peu au Parlement européen !
R - Pour deux raisons : le cumul des mandats, à cause duquel ils sont trop peu présents - je lai moi-même vécu -, et la dispersion des forces. Les Français se sont montrés incapables, surtout à droite, de se coaguler au niveau européen. Dailleurs où, dans quel groupe, vont sinscrire les députés RPR qui seront élus en juin ?
Q - Justement, le Parti populaire européen affirme sa volonté de devenir la force dominante à Strasbourg. Cela ne vous inquiète pas ?
R - Le Parlement européen, cest en quelque sorte le Parlement des trois tiers : un tiers social-démocrate, un tiers conservateur et un troisième tiers formé de tous les autres groupes qui vont de lextrême gauche à lextrême droite en passant par les Verts, les Libéraux, etc. Donc, aucun groupe na la majorité dans ce Parlement aujourdhui. Et aucun ne laura demain. Mais réunir le groupe le plus nombreux peut constituer un enjeu, car nous sommes en Europe dans un système politique de plus en plus parlementaire.
Q - Le Parti des socialistes européens vient de tenir son congrès à Milan. Na-t-il pas montré quentre Français, Allemands, Anglais ce « tiers social-démocrate » est loin dêtre uni ?
R - Non. Vraiment, à Milan, les socialistes européens ont montré, au-delà du style de chacun, leur unité de vue sur les objectifs essentiels. Ils ont dessiné les contours de lEurope politique et sociale que nous souhaitons et que nous proposons aux citoyens. Le programme commun des socialistes pour les élections européennes a été adopté, ainsi que des propositions très précises pour coordonner les politiques économiques en Europe, pour soutenir la croissance, pour donner de la chair au Pacte européen pour lemploi.
Q - Le PS reprend à son compte la définition que Jacques Delors donne de lUnion : une « fédération dEtats nations ». Quest-ce que cela veut dire ?
R - Jaime bien cette expression, parce quelle dit la nature de lEurope que nous voulons bâtir : il nest pas possible de prétendre que lEurope actuelle ne comporte pas déléments fédéraux, leuro en tête. Et je ne souhaite pas que le PS y renonce. Mais lEurope que nous faisons et que nous voulons ne sera pas une fédération, elle ne sera pas intégralement fédérale. Les nations et les Etats doivent continuer de jouer un rôle important.
Q - Une façon de voir partagée par le MDC ?
R - Leuro existe, il nest pas un enjeu dans cette campagne. Nous entrons dans une nouvelle phase, celle de laprès-Amsterdam, de la construction dune Europe politique et sociale. Nous avons là-dessus des convergences fortes avec le MDC. Reste la question du fédéralisme. Là, jen appelle au bon sens : on ne peut pas aller contre la réalité. Dans le concept de « fédération dEtats nations », chaque mot a son sens.
Q - Et Charles Pasqua ?
R - Le PS, le PC, les Verts, les radicaux, le RPR, lUDF sont pour lEurope, chacun avec des conceptions différentes. Charles Pasqua incarne, lui, une autre démarche, qui est le « souverainisme ». Je la crois minoritaire et déclinante : les Français se sentent de plus en plus européens et français.
Q - Quelles options vous différencient de la droite « européenne « ?
R - Nous sommes à un moment historique, que la droite et la gauche abordent avec des options différentes : leuro nest pas seulement un élément technique, financier, et lélargissement va rassembler des pays qui ont été séparés après la dernière guerre mondiale. Nous voulons ajouter un Pacte européen pour lemploi au Pacte de stabilité, nous voulons une harmonisation fiscale et sociale, nous voulons une Charte des droits des citoyens européens et nous souhaitons bâtir des institutions plus fortes et plus démocratiques. Cela fait beaucoup de pain sur la planche : si nous échouons, lEurope reculera.
Q - A propos de lAgenda 2000 : le gouvernement français se bat pour que le budget européen naugmente plus alors que lUnion sélargit. Est-ce cohérent ?
R - En réalité, lAgenda 2000 qui va couvrir la période 2000-2006 est un « paquet » budgétaire transitoire qui doit nous conduire jusquà lélargissement. Nous discutons donc des politiques actuelles, et il est logique que ce paquet budgétaire soit économe. En revanche. Le paquet financier suivant, celui des années 2006-2012, sera le premier de lEurope élargie, et ce sera donc très différent.
Q - Les Quinze veulent boucler lAgenda 2000 à la fin de mars. Au moment où la campagne électorale va vraiment démarrer. Ca ne va pas brouiller le jeu ?
R - Cela accroît, évidemment, la difficulté de la négociation ! Mais les Allemands ont décidé de conclure fin mars, et nous voulons, dans le respect des intérêts de notre agriculture. de nos régions, en restant fidèles à lesprit communautaire, les aider à trouver lindispensable compromis sur lAgenda 2000.
Q - Le président de la République, dans son message au Parlement, na-t-il pas fixé le cadre de la campagne européenne et montré quil conduit, seul, la politique européenne de la France ?
R - Le président de la République a rappelé à tous les courants dopinion représentés au Parlement les convictions européennes qui sont les siennes aujourdhui. Il est dans son rôle et dans ses prérogatives constitutionnelles. Il sest aussi inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs. Son message ne pose, bien sûr, aucune difficulté au gouvernement : chacun sait que la politique européenne de la France est définie en étroite collaboration entre le président et le gouvernement, et que Jacques Chirac et Lionel Jospin représentent, ensemble, la France au Conseil européen.
Q - Y a-t-il encore un espace pour la liste de François Bayrou ?
R - Disons, pour être pudique, que la logique européenne de la droite est peu claire. Le RPR, DL et lUDF ont formé ensemble une Alliance, mais ils narrivent même pas à se rencontrer ! Tous soutiennent la politique européenne de Jacques Chirac, et pourtant ils présenteront au moins trois listes. François Bayrou devra expliquer pourquoi il combat le RPR tout en suivant celui qui linspire ; Philippe Seguin devra se démarquer dun centre qui se reconnaît dans le président de la République. Tout cela nest pas simple !./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 mars 1999)