Interview de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, à Europe 1 le 28 février 2007, sur le plan de restructuration d'Airbus, les licenciements et la politique industrielle.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Q- On connaîtra ce matin les détails du plan Gallois qui sera présenté aux syndicats et aux personnels d'Airbus. Les conditions vous semblent-elles réunies pour éviter un grand gâchis social ? Conditions réunies pour remettre parallèlement Airbus en forme ?
R- Je crois que ce plan est d'abord un plan de compétitivité indispensable pour que, à moyen terme, cet avionneur européen ait toutes ses chances au plan mondial, après la restructuration qu'a conduite Boeing, c'est donc un plan indispensable. Naturellement, nous serons très attentifs aux territoires, aux conditions du dialogue social. Il appartient que ce soit l'entreprise avec ses partenaires sociaux qui conduise ce dialogue, c'est pourquoi une fois le plan "Power 8" annoncé, eh bien nous suivrons tout cela avec attention. Mais je fais confiance à un homme comme L. Gallois, que j'ai vu à d'autres manettes, c'est un homme de l'écoute et du dialogue.
Q- L'emploi n'est pas le prix à payer pour que Airbus sorte de la crise ? Et les hommes dans tout ça ?
R- En tous les cas, les hommes, c'est bien l'attention que nous portons, et voilà pourquoi, il n'y aura pas de licenciements contraints. C'est ce que le président de la République et la chancelière allemande ont demandé à l'avionneur européen, c'est quelque chose d'essentiel. C'est une assurance que naturellement, et une demande, que je fais mienne à la suite du président de la République. C'est aussi, je crois, à un moment où on parle de ces emplois qui vont être supprimés, un moment aussi d'enregistrer que, pour notre pays, il y a eu 40.000 emplois créés au cours de l'année 2006, notamment dans le secteur industriel pour près de 70%, par des investisseurs, et majoritairement des investisseurs européens. C'est à dire que notre pays peut aujourd'hui aussi se battre sur le front de la création de l'emploi dans le secteur industriel.
Q- Mais qu'est-ce que vous pouvez dire ce matin à des salariés, à Méaulte, dans la Somme, ou à Saint-Nazaire, qui sont inquiets, qui entendent parler de la cession de leur entreprise, qui entendent parler de délocalisation, ou qui l'imaginent, qui s'en inquiètent, qu'est-ce qu'on peut leur dire ?
R- Je comprends leur anxiété. D'abord, parce que c'est leur entreprise, c'est une entreprise pour laquelle ils se sont imaginés un futur. Je crois que L. Gallois essaie de tracer le futur d'Airbus, et c'est le plan de compétitivité. Je dois lui dire et leur dire, que c'est naturellement le dialogue social qui permettra de conduire ce plan dans les meilleures conditions possibles, à la fois pour les hommes, pour les territoires, et l'entreprise.
Q- C'est un plan qui est effectivement celui de L. Gallois, approuvé à l'unanimité par le conseil d'administration de EADS, il est aussi donc à hauteur de 15% de l'actionnariat, celui de l'Etat. Vous le cautionnez donc, le Gouvernement est derrière ce plan ?
R- Le Gouvernement a une responsabilité vis-à-vis des entreprises et des salariés des entreprises qui s'applique au travers de l'ordre public social. Je crois qu'il ne faut pas confondre. La stratégie des entreprises appartient au mode de gouvernance des entreprises, elle est discutée avec les partenaires sociaux. L'entreprise n'a pas à tracer. Bien entendu, l'Etat doit aujourd'hui, sur un certain nombre de sujets, peser. Quand l'Etat met en place des pôles de compétitivité, quand il met en place l'Agence de l'Innovation Industrielle, quand il intervient pour savoir si il y a un futur dans le secteur des télécommunications, quand il intervient pour demander, notamment dans la filière automobile, que les sous-traitants soient réglés dans des délais de paiement qui soient acceptables avec le maintien de la filière, il est là, dans son rôle, mais il ne s'interpose pas dans la stratégie des entreprises.
Q- Que répondez-vous à la CGT quand elle dit que : on attend autre chose de l'Etat que d'accompagner un plan de restructuration, ou la candidate, S. Royal, qui accuse le Gouvernement de ne pas avoir pris la mesure de la situation et qui donc doit prendre, selon elle, toutes ses responsabilités ? Vous les prenez toutes ?
R- Je crois que, quand on a mis en place "les pôles de compétitivité", à partir de 2005, quand on met en place l'Agence de l'Innovation Industrielle, quand nous demandons à la direction d'Alcatel Lucent de définir quelle est sa stratégie en matière de recherche et de développement en France et en Europe dans le secteur des télécommunications, nous sommes pro-actifs, à notre place, et en même temps exigeants sur le plan social.
Q- "Soit les Etats se désengagent, soit on recrée des entreprises nationales", c'est ce qu'écrit l'économiste E. Cohen dans Le Parisien ce matin. Qu'en pensez-vous ?
R- Il n'est pas question de recréer des entreprises nationales, nous savons bien que dans cet univers mondialisé d'aujourd'hui, elles ne correspondent plus à un modèle compatible.
Q- Airbus, c'est un problème d'entreprises, ou c'est un problème d'Europe ?
R- C'est à la fois un problème d'entreprise, c'est un défi lancé à toute l'Europe, car au moment où nous allons commémorer le cinquantenaire du Traité de Rome, je crois qu'il est important qu'il y ait à la fois une Europe sociale et une Europe de l'industrie. Et pas simplement, une Europe qui régule la concurrence entre les entreprises. C'est ce besoin de plus d'Europe dans le domaine économique et social, dans le domaine de l'innovation industrielle, c'est ce qu'on appelle, d'une manière un peu techno, la stratégie de Lisbonne : on investit en recherche, en compétitivité, en formation. Voilà pourquoi il est tout à fait essentiel que l'Europe se dote d'une vraie volonté industrielle.
Q- Vous évoquiez Alcatel-Lucent tout à l'heure. On a parlé de groupes de travail, on a évoqué la suspension, le gel du plan de restructuration, gel refusé par la direction. Où en est-on aujourd'hui ? L'Etat, a-t-il les moyens d'éviter un conflit social ?
R- Je pense que lundi, en recevant M. Tchuruk, le Premier ministre a bien fixé le cap : quels sont les engagements de l'entreprise en matière de recherche et de développement. L'entreprise, doit se donner le temps du dialogue social, ce sera le comité central d'entreprise et pas de licenciements contraints. Voilà les engagements...
Q- Là non plus...
R- ...qui ont été pris. Et en même temps, avec F. Loos, nous mettons en place un comité qui va analyser de manière très rapide l'avenir du secteur des télécommunications en France et en Europe, avec aussi, parfois, des bonnes nouvelles dans le secteur des télécoms. Quand nous voyons que, Alcatel s'est vu attribuer un marché important en termes de mobiles en Allemagne hier.
Q- Quand le Gouvernement appelle la direction d'Alcatel-Lucent à faire preuve de responsabilité, quel geste prouverait cette responsabilité ?
R- Ce qui sera dit à l'occasion du comité central d'entreprise à la mi-mars, mais le geste aussi, parce que la vraie inquiétude des salariés que j'ai reçu, c'est : est-ce qu'on a un futur ? Et je crois que c'est la question aussi qu'il faut se poser pour les salariés d'Airbus C'est bien ce que L. Gallois tente de tracer et qu'il va réussir pour Airbus. Il faut aussi que les salariés qui sont très majoritairement chez Alcatel-Lucent, des cadres, des ingénieurs, sentent bien qu'il y a un futur pour le secteur des télécommunications en France et en Europe.
Q- Rapidement, que les socialistes demandent un débat parlementaire sur la politique industrielle de la France, c'est justifié, c'est nécessaire, c'est utile ?
R- Je pense que ce sont des débats que nous avons déjà eu, c'est naturellement le rôle et la place du Parlement d'en débattre. Aujourd'hui, le Parlement, pour des raisons de démocratie tout simplement a terminé sa session. Ce seront des sujets qui devront être abordés, me semble-t-il, à l'occasion du grand débat démocratique que représente l'élection présidentielle.
Q- Oui. "Ce n'est pas la responsabilité d'un homme politique que de donner une instruction pour suspendre un plan social", je cite ce qu'a dit M. Sarkozy. Vous pensez de la même façon ?
R- Non, je pense que la responsabilité d'un homme politique, ce n'est pas d'entrer dans la stratégie de l'entreprise, elle est tout simplement, cette responsabilité de l'homme politique, à ce que l'ordre public social soit respecté, mais qu'en même temps, au travers de la responsabilité politique qui est la nôtre, nous garantissions un avenir pour le secteur, nous le garantissions par exemple, dans le secteur automobile, en mettant en place dans la filière automobile qui connaît un certain nombre de difficultés, des voies et moyens, de l'innovation, c'est l'engagement du Premier ministre au mois de novembre ; les moyens, les délais de paiement, je les ai évoqués il y a un instant, et aussi, comment traite-on les hommes et les femmes qui vont connaître des mutations de leur emploi, dans la filière automobile, et en dehors de la filière automobile ? Nous mettrons d'ailleurs en place un groupe d'accompagnement de la gestion prévisionnelle des emplois, ce sera au mois de mars, et ça concerne 20.000 salariés pour préparer le futur des hommes et des femmes, notamment par la formation.
Q- Vous évoquiez à l'instant la campagne. N'avez vous pas vraiment l'impression qu' un front social risque d'apparaître dans cette campagne ? Et si tel est le cas, vous pensez que le Gouvernement peut gérer un tel type de situation dans une période aussi sensible ?
R- Je crois que la question sociale est au coeur de la campagne. D'ailleurs N. Sarkozy le 14 janvier l'a placée très clairement. Le travail a été au coeur...
Q- Il est dans l'immobilier et les affaires en ce moment.
R- Non, non, le travail, a été au coeur de ses propos. La sécurisation des parcours professionnels, la protection des hommes et des femmes plutôt que la protection des emplois. Et sur cette voie, je pense qu'il a tout à fait raison. J'ai un sujet pour cette campagne : c'est l'insertion professionnelle des jeunes, c'est une responsabilité que j'ai. Quand je vois que, en moyenne, dans les sept premières années, les jeunes en France vont connaître en moyenne plus de 13 mois de chômage, que c'est quasiment deux fois plus qu'en Allemagne, je crois que c'est un des sujets majeurs qu'il nous faut relever, c'est la question de l'école, c'est la question de la formation professionnelle qui doit prendre toute sa place. Or, on a des chiffres très encourageants. Par exemple, une croissance de 7% du nombre d'apprentis au cours de l'année 2006. Un objectif, 500.000 apprentis que nous a fixés J.-L. Borloo pour 2009 et que nous atteindrons. C'est un vrai sujet pour les cinq ans qui viennent.
Q- Et on n'a pas parlé des chiffres de l'emploi, parce qu'ils sont stables.
R- Ils sont stables.
Q- On a l'impression de s'habituer à cela, ce n'est pas non plus vraiment dans la campagne d'ailleurs l'emploi ?
R- C'est essentiel dans la campagne, et soir après soir, ça fait partie des interrogations, en tous les cas, des interrogations que je reçois quand je vais soutenir N. Sarkozy.
Q- Oui, j'allai vous demander, vous êtes où dans cette campagne, vous allez faire quoi, vous investir auprès de qui ?
R- Je m'investis jour après jour sur les questions qui sont les miennes, qui sont les questions du travail et de l'emploi, avec cette priorité à la fois des seniors, après 50 ans on n'est pas finis. Et la question de l'insertion des jeunes qui pour moi est presque, ce n'est pas une mauvaise rime, une espèce d'obsession. Car je pense que c'est le défi numéro 1 de notre société. Nous venons de découvrir que nous avions une bonne démographie, accueillir les jeunes, les insérer dans l'entreprise et dans l'emploi c'est essentiel.
Q- Vous travaillez avec J.-L. Borloo, vous pouvez nous faire une confidence, il va sortir un livre-programme dans quelques jours, il va l'offrir à qui ?
R- En tous les cas, ce qu'il va écrire J.-L. Borloo, c'est le fruit de son expérience à Valenciennes, c'est aussi une expérience que nous avons en partage depuis trois ans, c'est pour moi en tous les cas une expérience humaine extrêmement riche aux côtés de J. -L. Borloo, et vous savez que, ensemble...
Q- Vous le verriez Premier ministre ?
R- En tous les cas je vois J.-L. Borloo comme être une des valeurs dont notre pays a besoin.
Q- Une dernière petite question : la Caisse des dépôts, sans patron depuis le décès de son directeur général, "ça commence à suffire", c'est ce qu'on entend dire du côté des syndicats. La Caisse des Dépôts aura bientôt un patron ou pas ?
R- C'est une décision qui appartient à l'exécutif, elle sera prise le moment venu, c'est une décision importante, mais je dois dire que l'intérim à la Caisse des Dépôts me paraît être accompli de manière tout à fait remarquable. L'élu local que je suis vois, parce qu'il a un certain nombre de discussions avec cette Caisse, que cette Caisse fonctionne parfaitement.
Q- Vous êtes un ministre heureux, même en campagne, ce n'est pas difficile d'avoir la fonction que vous avez ?
R- Je suis un ministre au travail, c'est logique pour un ministre du Travail, je suis un ministre à plein emploi, c'est logique pour un ministre de l'emploi, parce que jour après jour des hommes et des femmes viennent à notre rencontre, les entreprises nous rencontrent. Au pôle de cohésion sociale, en ce qui me concerne, je suis à la fois, le ministre des salariés, des entreprises, et c'est une conjugaison qui est possible, parce que sans création de richesse, il n'y a pas de créations d'emplois.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 février 2007