Texte intégral
Q- Bonjour à tous, bonjour B. Thibault.
R- Bonjour.
Q- D'habitude, pendant les périodes électorales, il y a une période relative de calme social, il y a moins de conflits, et là, cette année, ce n'est pas du tout le cas. Il y a le conflit chez Citroën à Aulnay, il y a eu le Port de Marseille, il y a Airbus. Comment vous expliquez qu'il y ait autant de conflits pendant une période électorale ?
R- Il y a un très grand nombre de conflits et c'est effectivement une différence importante avec les contextes préélectoraux que nous avons connus depuis une longue période, où il y avait une espèce de réflexe d'attentisme, de s'en remettre aux résultats d'une échéance politique. Et en même temps, nous avons, nous, dit, très clairement aux salariés : « il n'y a aucune raison d'attendre, vue l'urgence sociale sur un certain nombre de sujets ». Alors, il y a aussi, il faut le reconnaître...
Q- Alors, vous leur avez conseillé de faire pression sur les candidats, autrement dit.
R- Non, ce n'est pas une question de faire pression sur les candidats, c'est une nécessité de changer la situation et les réponses sur le terrain social. Alors, il y a, d'une part, les conflits qui nous sont imposés, pour des raisons que nous n'avons pas choisies : Airbus, ce n'est pas nous qui avons choisi le calendrier pour qu'un plan de restructuration, qui porte préjudice à l'emploi et à l'avenir de cette entreprise, soit posé en ce moment. Alcatel, c'était identique, ça n'est pas nous qui avons choisi le calendrier, s'agissant d'une restructuration. Par contre, sur des mouvements portant particulièrement sur l'exigence de hausses de salaires, du pouvoir d'achat, il est vrai que ça, ça dépend des salariés, et nous, nous remarquons avec satisfaction qu'ils n'hésitent pas, aujourd'hui, qu'ils sont de plus en plus nombreux à agir, et nous relevons d'ailleurs une soixantaine de cas, maintenant, d'entreprises, où les salariés ont obtenu, par la pression, par la mobilisation, des augmentations de salaires, parfois significatives.
Q- Est-ce que la période électorale c'est justement une bonne période pour demander des augmentations ?
R- Ce n'est pas une question d'opportunité. Nous avions dit que si les salariés étaient plus nombreux à poser leurs revendications, c'était de nature aussi à faire en sorte que les candidats évoquent les sujets, se prononcent sur ces préoccupations sociales. Et d'ailleurs, je remarque que dans ce climat revendicatif, les uns et les autres sont amenés, sont contraints quelque part, à répondre quant à leurs intentions sur le sujet. Ce qui ne veut pas dire que tous les candidats apportent des réponses satisfaisantes, en tout cas selon nous, par rapport aux demandes qui sont exprimées.
Q- Mais cette question du pouvoir d'achat vous paraît suffisamment au coeur de la campagne, suffisamment dans le programme des candidats ?
R- Ils en parlent. Alors, chacun a sa formule. Il y a ceux qui disent qu'il faudrait travailler plus pour gagner plus...
Q- C'est N. Sarkozy...
R- Par exemple.
Q- Ça vous paraît une bonne idée ?
R- Qui vient d'une majorité qui au contraire a pris des dispositions qui ont toutes visé, et des décisions précises, qui ont toutes visé à faire travailler plus pour gagner moins. Il va falloir encore, par exemple, agir contre la journée de travail gratuite qui nous a été instaurée à la Pentecôte. Il va falloir agir pour reconnaître la rémunération des heures supplémentaires. Le Gouvernement les a diminuées.
Q- Il y a eu, quand même, par exemple, la monétarisation des comptes épargne travail, des comptes épargne temps, qui a permis de gagner plus.
R- Oui, mais en même temps, pour avoir du compte épargne temps, il faut travailler. Ce qui mine la société française au plan social, c'est ça, c'est la précarité. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a tant de difficultés sur le chiffre du chômage. On ne compte aujourd'hui comme chômeurs que ceux des salariés qui recherchent un emploi à temps plein, qui ne travaillent absolument pas. Autrement dit...
Q- Vous contestez le mode de calcul du chômage.
R- Je ne suis pas le seul et chacun voit bien que les statistiques sur le chômage ne permettent plus, dans leur forme actuelle, d'évaluer la réalité de la situation au travail. Lorsqu'on ne compte plus comme chômeur quelqu'un qui a un contrat de travail de dix heures, de cinq heures dans la semaine ou de vingt heures par mois, ça ne correspond absolument pas à une réalité sociale.
Q- Mais, est-ce qu'il y a baisse, ou pas, du chômage ?
R- Nous, nous le contestons. Il y a augmentation flagrante de la précarité au travail. C'est une autre forme d'instabilité sociale que d'avoir un nombre de chômeurs, c'est-à-dire privés totalement de travail, mais ça n'est pas pour autant que la situation est enviable, pour ceux qui n'ont que quelques heures de travail, c'est impossible de vivre décemment lorsqu'on a des contrats de cinq ou dix heures de travail, qui sont rémunérés à un niveau très, très bas, en plus.
Q- On parlait de conflits sociaux, il y en a un très symbolique, dans une entreprise qui s'appelle Clear... je ne sais plus quoi, d'ailleurs.
R- Clear Channel, vous vous voulez évoquer...
Q- Clear Channel, exactement. Alors, c'est l'entreprise qui est chargée de l'affichage sur les panneaux électoraux. Il y a grève. Est-ce que l'on risque de ne pas voir d'affiches électorales ?
R- Ah, ça, écoutez, il y a urgence sur la question du pouvoir d'achat et il ne doit y avoir aucun salarié, aucune entreprise, qui doit se considérer exonérée à poser cette question-là, au motif qu'il y a une campagne électorale, qu'il s'agisse de ceux-là ou dans d'autres entreprises, qu'elles soient publiques ou qu'elles soient privées. Moi, je remarque que les mobilisations syndicales sont très souvent unitaires, la plupart des syndicats sont partie prenante des mobilisations, lorsque les salariés le décident, donc encore une fois, aucune raison qu'il y ait de pause revendicative, au motif qu'il y a des élections.
Q- Vous, vous proposez le SMIC à 1.500 euros...
R- Brut.
Q- Brut.
R- De suite.
Q- Tout de suite. Est-ce que ça ne risque pas de compromettre la compétitivité des entreprises, ça ne risque pas de contribuer aux délocalisations ?
R- Ecoutez, ça fait 20 ans, 25 ans, que l'on entend dire que sur toute revendication sociale, qu'il s'agisse des salaires, qu'il s'agisse des droits des salariés, systématiquement nous est opposée la menace sur l'emploi et ce chantage est assez permanent. Or, nous sommes en droit aujourd'hui de faire un bilan de ce point de vue là. Pendant les années où les salariés ont dû être convaincus, où on a cherché à les convaincre qu'il fallait qu'ils acceptent de mettre la pédale douce sur les salaires au motif de l'emploi, on voit aujourd'hui la réalité : jamais l'emploi n'a été aussi précaire, jamais l'instabilité sociale n'a été aussi flagrante. Mais c'est vrai aussi à propos du temps de travail. J'entends dire qu'il faudrait, à l'avenir, que les 35 heures ne soient qu'une durée minimum du travail. On fait comme si tous les salariés de notre pays étaient à 35 heures. C'est totalement faux. Il y a plusieurs millions de salariés qui continuent de travailler très longtemps dans notre pays. Donc, n'opposons pas, ne continuons pas, c'est la théorie classique de la part du patronat et du MEDEF, singulièrement, à opposer à toute demande sociale, toute revendication sociale, un chantage aux délocalisations, d'autant plus qu'aujourd'hui on s'aperçoit que l'on est susceptible de délocaliser des activités et des emplois, très performants, y compris au prix d'un sacrifice d'outils technologiques, de pointe. J'étais à Grenoble récemment : ST-Microelectronics, mais on peut parler aussi d'Alcatel, voire d'Airbus, on voit bien que ce chantage patronal est de plus en plus inacceptable pour les salariés.
Q- Aujourd'hui, la Cour des comptes doit rendre un rapport sur le Comité d'entreprise EDF. La gestion de la CGT pourrait être mise en cause. Est-ce que vous êtes préoccupé ?
R- C'est la gestion par des élus du Comité central d'entreprise des activités sociales d'EDF. Moi, je n'ai pas eu...
Q- Qui sont de la CGT, majoritairement.
R- Oui, majoritairement, parce que ce sont les salariés qui élisent leurs représentants. Alors, que la Cour des comptes, dans le cadre de ses missions, se prononce, examine, expertise la manière dont est gérée cette caisse, comme d'autres lieux, soit. Par contre, si cette Cour devait se prononcer sur le bien-fondé de maintenir telle ou telle activité, je considère, là, que c'est plutôt l'avis des personnels qui compte, pour définir si les activités sociales répondent à leurs attentes, correspondent à leurs besoins. Et de ce que je remarque, c'est que les personnels continuent de souhaiter et d'approuver une place centrale de la CGT pour faire face à ses responsabilités dans ce secteur.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 avril 2007