Texte intégral
Gérard Bonos, Radio Classique : Vous êtes le président de la CFE-CGC, la confédération des cadres plus communément appelée. Il paraît qu'aujourd'hui c'est le printemps, pas pour tout le monde si l'on en croit le peu d'empressement des candidats à dialoguer avec les représentations syndicales. Alors, vous nous direz tout à l'heure si vous, vous avez eu des contacts et avec qui. On va rappeler aux auditeurs que c'est dans des conditions peu évidentes après le décès de Jean-Luc CAZETTES que vous avez pris les rênes de la confédération des cadres, une CGC qui a à faire face à de nombreux défis, montrer quelle est sa particularité et son efficacité face aux autres centrales qui ont aussi leur section cadres, des cadres en pleine interrogation voire en plein malaise. Certains vont même jusqu'à l'extrême face à la pression ambiante. On y reviendra dans la deuxième partie de l'émission. Pour l'heure, je vous propose comme à tous nos grands témoins de suivre l'actu, et à la fin du journal notamment nous dire ce que vous avez retenu. On a retenu du journal les déclarations de Laurence PARISOT tout d'abord. Vous êtes d'accord avec elle qu'ils sont un peu timides les candidats et que 4 %, pourquoi pas ?
Bernard van Craeynest : Absolument, parce que nous voyons depuis plusieurs années notre planète qui vit sur un rythme de croissance extrêmement élevé et malheureusement, nous constatons que l'Europe en général mais la France en particulier n'en tire pas particulièrement profit. Avoir un taux de croissance structurel à 2 %, c'est notoirement insuffisant surtout quand les mêmes candidats nous expliquent qu'un redémarrage de la croissance nous permettrait de dégager des marges de manoeuvre pour faire face à un certain nombre de défis qui sont devant nous - je pense en particulier à ceux liés au vieillissement de la population - avec, selon le rapport Carrez, une nécessité de consacrer 3,2 points du PIB à horizon 2020, 3,2 points supplémentaires pour faire face à l'accroissement des dépenses de santé au problème des retraites et surtout de la dépendance.
GB : Vous êtes d'accord aussi avec elle quand elle dit qu'on inverse les propositions, que ce n'est plus de la demande qu'il faut, c'est l'offre qui doit prévaloir en France ? Et qu'il y a une crise de l'offre ?
BVC : Certainement.
GB : En matière de croissance économique, oui.
BVC : Mais je pense que quand on voit la manière dont tourne notre économie, c'est quand même bien la consommation et donc la demande qu'il attire.
GB : Mais est-ce que ce n'est pas dangereux, un peu ?
BVC : Bien sûr, ça peut s'essouffler et ça peut poser de graves problèmes, surtout lorsqu'on sait que deux tiers du budget de l'Etat viennent d'impôts indirects et en particulier de la TVA. Cela dit, je partage tout à fait cette analyse sur la nécessité de renforcer l'offre, en particulier quand on voit le déficit de notre commerce extérieur et qu'on le compare à l'Allemagne. Ça veut dire que nous avons malheureusement une politique industrielle qui est très faible, une base industrielle insuffisante. Nous avons quelques niches et d'ailleurs, dans ces niches l'industrie aéronautique et spatiale dont on voit que, lorsqu'elle s'enrhume, c'est toute la France qui tousse. Nous avons un vrai problème pour faire en sorte que nous soyons en capacité d'avoir une base industrielle nettement plus solide qui nous permette d'amortir les chocs conjoncturels.
GB : Un mot sur l'endettement des ménages justement. On voit que, justement, la consommation, 'Attention ! Danger', parce qu'ils s'endettent moins, ils consomment moins, sauf dans l'immobilier mais ça, c'est pérenne. Mais la consommation, elle risque de ne plus tirer longtemps la croissance. Il nous restera quoi ?
BVC : Il y a un taux d'épargne des ménages qui est quand même assez élevé dans notre pays. C'est une épargne de précaution.
GB : Tant que l'avenir n'est pas sûr, je ne dépense pas, je garde mes sous.
BVC : Exactement, exactement. C'est vrai que l'endettement est plutôt centré sur l'immobilier, tout simplement parce que face à l'envolée des prix locatifs en particulier, les ménages préfèrent acheter, surtout qu'il y a un certain nombre de mesures incitatives, en particulier le prêt à taux 0 et des taux très bas.
GB : Un mot. Est-ce que vous êtes inquiet quand même sur un ralentissement de la consommation puisqu'on voyait ce que disait Maud, c'est que les consommateurs s'endettent pour de l'immobilier mais pas pour consommer maintenant.
BVC : Ça fait plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années, qu'on s'inquiète sur le niveau de la consommation. À un moment ou à un autre, ça risque effectivement de s'essouffler, surtout lorsque les salaires ont tendance à stagner.
GB : Une question, on va y revenir aussi dans le détail tout à l'heure mais une question. Vous avez vu les candidats, vous, à la CGC, vos équipes et vous ou pas ?
BVC : Pour l'instant non, en dehors de les avoir croisés dans telle ou telle circonstance. C'est Ségolène ROYAL qui la première a souhaité rencontrer les leaders syndicaux. Elle m'avait fixé rendez vous le 27 février, mais malheureusement elle a annulé en dernière minute. Nous avons eu deux autres rendez vous qu'elle a de nouveau annulés. Alors j'ai maintenant rendez vous le 4 avril.
GB : On verra bien.
BVC : On verra bien, comme vous dites. J'ai rendez vous aussi avec François BAYROU le 10 avril.
GB : Et Nicolas SARKOZY, non ? Pour prendre les grands.
BVC : Pour l'instant, son entourage m'a dit qu'il souhaitait effectivement que nous ayons cette rencontre mais la date n'est pas fixée à l'heure où nous parlons.
GB : Ecoutez, on suivra tout ça. Vous avez le sourire: l'emploi des cadres plus 18 % en février déjà, par rapport à 0,6 ; 0,6 qui était une très bonne année.
BVC : Oui, effectivement c'est tout à fait réjouissant de voir cet emploi des cadres en hausse. Le problème que nous identifions aussi, c'est que ça ne touche pas toutes les catégories de cadres. Ça touche particulièrement les jeunes et certains secteurs comme l'informatique, les nouvelles technologies.
GB : C'est bien la preuve que quand on a de la valeur ajoutée, on trouve un job dans ce pays et que, donc, il faut mettre l'accent sur la valeur ajoutée des gens, non ?
BVC : Complètement, complètement. Ce que nous souhaiterions, c'est qu'on se sépare un peu moins vite des cadres au fur et à mesure qu'ils prennent de l'âge, considérant que leurs compétences sont obsolètes et qu'ils coûtent trop cher. C'est malheureusement ce que nous constatons aujourd'hui.
GB : (...) Alors, deuxième partie, Bernard VAN CRAEYNEST, pour aller au fond de quelques thèmes, parmi eux on retiendra en priorité l'avenir des cadres, qui ont depuis longtemps maintenant le sentiment d'être entre le marteau et l'enclume, victimes toutes désignées pour supporter économiquement le coût des promesses démagogiques faites de part et d'autre du prisme politique. Des cadres dont le malaise se concrétise dramatiquement parfois, sous la pression économique, comme ce fut le cas par exemple chez RENAULT ou ailleurs. Des cadres qui attendent avec impatience de connaître la donne économique que le nouveau pouvoir va mettre en place, afin de savoir comment ils peuvent échapper, pour certains, à une paupérisation de plus en plus menaçante, loin de se refermer la fracture sociale n'a fait qu'augmenter depuis une quinzaine d'années, en entraînant plus d'un dans son gouffre. On a, avec Philippe MABILLE, jusqu'à 9HOO, moins la réclame, pour vous interroger. Votre regard sur la campagne électorale, le patron de la CGC, le cadre que vous êtes, le citoyen, il en pense quoi ?
BVC : Je pense que les thèmes ce sont des contenus variés que ceux que nous avons connus en 2002, le problème c'est qu'il y a une succession de préoccupations des Français qui interviennent dans la campagne et les réponses qui y sont apportées, tout au moins c'est ce que nous percevons pour le moment, sont plutôt sporadiques, sont plutôt sous forme de slogans, c'est-à-dire qu'on ne va pas véritablement au fond des choses pour expliquer comment on va faire pour remettre notre pays sur la voie du succès.
GB : Vous n'y êtes pas allé, vous aussi, de votre patte, parce que vous ne trouvez pas qu'il y a une dérive consumériste, genre qu'est-ce que vous me donnez pour que je vote pour vous, un peu, non? Vu de l'extérieur on a un peu l'impression de ça.
BVC : Effectivement, une somme d'interrogations de la part de différentes composantes de la société, de différents groupes de pression ...
GB : Oui, mais on a l'impression qu'ils veulent monnayer un peu leur truc, il y a un côté pas très haut de gamme là-dedans, non? Vous ne trouvez pas ?
BVC : C'est tout à fait le cas. Ce que nous avons demandé, nous, dans notre interrogation aux candidats, c'est que précisément on sorte des visions courtermistes que l'on dénonce d'ailleurs dans le management et la gestion de nos entreprises, nous pensons que des candidats dont on nous dit que, parmi les trois principaux prétendants qui ont des chances d'accéder à l'Élysée, ils ont quand même entre 52 et 56 ans, je crois, ils pourraient mettre un peu plus en perspective l'avenir de la France, comme nous sommes amenés à le faire, nous, partenaires sociaux, puisqu'on nous demande de nous projeter à 2020, 2030 ou 2050, quand on parle de l'avenir des retraites ou des problèmes de démographie ou de vieillissement de la population.
Philippe Mabille, La Tribune : Justement, pour rentrer un peu dans le vif du sujet, puisque vous trouvez qu'ils ne sont pas assez précis, quelques questions précises sur la fiscalité notamment. On a vu qu'il y a eu toute une polémique sur la définition de qu'est-ce que c'était d'être riche, le Parti socialiste évoquant un chiffre de 4000 euros, provoquant une polémique, souhaitant reprendre une partie des baisses d'impôt de la majorité actuelle, s'il était élu, si la gauche était élue, par ailleurs ils ont remis un rapport d'un député socialiste sur la retenue à la source, de l'impôt sur le revenu, auquel la CGC est traditionnellement très opposée. Alors, est-ce que vous pouvez nous dire un petit peu, dans tout ce package fiscal qui se prépare, qu'est-ce que pense la Confédération ?
BVC : Nous, ce que nous souhaitons, c'est qu'on remette à plat la fiscalité française, parce que depuis de nombreuses années nous assistons, loi de finances après loi de finances, à l'instauration d'un certain nombre de niches fiscales, à des évolutions, on nous a beaucoup parlé de la baisse de l'impôt sur le revenu, en fait on s'aperçoit qu'elle n'est pas linéaire, et cela fait un ensemble incohérent, illisible, et inéquitable.
PM : Une usine à gaz quoi !
BVC : Une usine à gaz, absolument. Quand vous voyez que par ailleurs la fiscalité locale est en pleine croissance exponentielle, on voit qu'il y a un vrai problème et ce sont toujours les mêmes qui n'ont jamais droit à grand-chose d'ailleurs, en terme d'aides, et qui payent. ..
GB : Les vôtres.
BVC : En l'occurrence effectivement la population de l'encadrement.
GB : C'est quoi le salaire médian annuel d'un cadre aujourd'hui ?
BVC : C'est de l'ordre de 3000 euros.
GB : Par mois ?
BVC : Par mois, tout à fait.
GB : Donc à peu près 40 000 euros par an, 40 /45 000 euros par an.
BVC : Voilà, c'est de cet ordre-la.
PM : ... pas vraiment concernés par les éventuelles hausses d'impôts si la gauche l'emportait.
BVC : Si, vous savez, quand, encore une fois quand on voit les problèmes d'augmentation de la fiscalité locale, foncier bâti, taxe d'habitation, beaucoup de catégories sont quand même concernées par ces problèmes de fiscalité, et ce qu'il faut absolument c'est que celle-ci démontre son efficacité au service de la croissance de la France et de la préparation de l'avenir, pas pour continuer à payer des dépenses de fonctionnement courant.
GB : L'idée de la retenue à la source de l'impôt, c'est quelque chose auquel vous êtes plus ouvert maintenant ? Le débat mûrit ?
BVC : Ecoutez on verra ... d'après le rapport MIGAUD on nous annonce que ça pourrait basculer au 1er janvier 2010.
PM : Qu'est-ce que vous craignez ?
BVC : Ce que nous craignons c'est tout simplement que l'employeur ait accès à énormément de données concernant la vie des ménages, de données que l'on peut qualifier de confidentielles. Quand d'un côté, par la CNIL entre autre, et par un certain nombre de mesures on essaye de protéger la vie privée des Français, et on essaye de garantir l'indépendance des salariés vis-à-vis de leur patron, c'est quand même paradoxal de confier à l'employeur le fait de faire une intrusion dans la vie privée des salariés.
GB : C'est-à-dire, vie privée, notamment en terme de, par exemple de dettes ou d'engagement de prêts, de crédits, ce genre de choses ?
BVC : Oui ...
GB : Parce que sinon, le fait de savoir qu'on a trois enfants et qu'on est marié, ce n'est pas un secret d'Etat non plus, non ? Enfin ce n'est pas une atteinte à la vie privée.
BVC : ... qu'on paye une pension alimentaire, qu'on a tel ou tel engagement, si, ça commence à toucher véritablement à l'intime.
PM : Il Y a plusieurs sujets qui concernent les relations sociales, qui vont, quel que soit le candidat élu, suivre l'élection présidentielle, et tous mettent le dialogue social un petit peu en préalable des mesures qu'ils devraient prendre. L'un des sujets c'est celui de la représentativité syndicale, qui fait l'objet d'un vaste débat, quelle est, vous, votre position, est-ce que vous êtes prêt aujourd'hui à ce qu'on bouscule un peu la table et qu'on passe à un système électif, par exemple, comme on en prête l'intention à Ségolène ROYAL, peut-être à Nicolas SARKOZY ?
BVC : Nous ce que nous disons c'est, à partir de constats que nous faisons, qui est que malheureusement il y a trop peu de salariés qui s'intéressent à leur propre avenir, et en l'occurrence à la vie sociale de l'entreprise, et ces salariés, ces militants syndicaux, ils sont aussi frappés par le papy-boom, et ce que nous faisons remarquer c'est. ..
GB : Vous avez du mal à recruter chez les jeunes, vous par exemple, à la CGC ? Les jeunes cadres.
BVC : Je pense que toutes les organisations ont plus ou moins de mal. Heureusement nous voyons arriver des jeunes, mais sans doute en nombre insuffisant, et ce que nous disons c'est que le système électif, par définition, c'est confier un mandat à quelqu'un, donc encore faut-il qu'il y ait des candidats, et des candidats pour remplir des fonctions syndicales, en général on les trouve au sein de nos adhérents, qui ont commencé à comprendre les rouages, les mécanismes, que nous formons, et il est indispensable, à notre sens, de focaliser sur la nécessité d'intéresser les salariés à la vie syndicale et de les faire adhérer, avant de parler d'un système électif, je vous rappelle que la seule élection nationale existante jusqu'alors c'est le scrutin prud'hommal, et en ce qui concerne les entreprises, il n'y a que 30 000 entreprises de plus de 50 salariés, et pour celles qui ont entre 10 et 50 salariés, normalement soumises à des élections de délégués du personnel, les propres chiffres du ministère du Travail indiquent que pour ces entreprises il y a environ 60 % d'entre elles qui font un constat de carence, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de candidats. Alors, vous comprendrez que nous sommes relativement sceptiques et dubitatifs vis-à-vis de ces grandes idées électives.
PM : Et l'idée de Nicolas SARKOZY de supprimer le monopole des cinq grandes centrales au premier tour des élections dans les comités d'entreprises, qu'est-ce que vous en pensez ? On voit bien l'objectif, c'est d'affaiblir les syndicats.
BVC : Oui, mais ça relève, je pense ... alors si c'est le cas, il faut qu'il le dise clairement, il ne faut pas tourner autour du pot.
GB : Je vous à moi, je ne voudrais pas faire de mauvais esprit, monsieur VAN CRAEYNEST, mais avec 8 % de salariés français syndiqués, il n'a pas besoin de les affaiblir, c'est déjà pas génial.
BVC : Oui, mais ce que je trouve vraiment paradoxal dans les propos de Nicolas SARKOZY c'est que, alors que 21 % des élus du personnel sont sans étiquette à l'heure actuelle, cette mesure, effectivement, renforcerait le camp des sans étiquette, et dans le même temps monsieur SARKOZY nous dit que s'il est élu, dès le mois de juillet il veut lancer de grandes concertations, des négociations, c'est très gentil tout cela, mais au bout du compte avec qui va-t-il négocier, avec qui va-t-il se concerter ? Il est pour des coordinations, différents groupes de pression qui n'auront aucune cohérence ? Je pense que ça mérite quand même un approfondissement, une réflexion un peu plus forte, que là encore, des slogans lancés pour appâter le chaland.
GB : Bernard VAN CRAEYNEST vous êtes plutôt, vous, pour que les partenaires sociaux travaillent et que l'Etat n'intervienne que in fine sur les propositions des partenaires sociaux pour légiférer, ou est-ce que vous pensez qu'il vaut mieux être toujours trois autour de la table ?
BVC : Nous avons très clairement soutenu le projet de loi, devenu loi depuis le 1er février dernier, dite de modernisation du dialogue social, qui réserve un temps pour les partenaires sociaux pour s'emparer des sujets, y compris sur lesquels l'Etat a envie de légiférer, donc nous sommes effectivement pour que les partenaires sociaux remplissent leur rôle de négociations au plus près de la réalité du terrain et des éléments économiques de notre société, encore faut-il que nous puissions avancer concrètement sur un certain nombre de thèmes. Vous savez qu'il y a actuellement trois sujets en réflexion avec le patronat, autour du contrat de travail, autour de la sécurisation des parcours professionnels, et de la réforme de l'assurance chômage, nous aimerions que nous soyons en capacité de démontrer que nous pouvons conclure sur des sujets aussi importants que ceux-la.
GB : Qu'est-ce que vous pensez de la proposition de François BAYROU de proposer aux entreprises d'exonérer de charges pendant 2 ans, me semble-t-il, les deux salariés supplémentaires qu'elles embaucheraient en COI, avec un plafond pour éviter que ce soit des directeurs généraux, mais avec un plafond autour des 4000 euros ?
BVC : J'observe que là aussi il y a des propositions qui paraissent toujours alléchantes de prime abord, mais en matière d'exonérations de charges nous demandons qu'il y ait déjà un bilan qui soit fait sur les 300 et quelques systèmes existants qui conduisent à exonérer les entreprises de 65 milliards d'euros, donc toilettons déjà le système existant, et regardons véritablement l'efficacité de la mesure. C'est vrai qu'on a un problème de croissance des petites entreprises, on s'acharne à démontrer que ... on fait cocorico autour des plus de 200 000 créations d'entreprises annuelles, le problème c'est que ces entreprises, d'une part il y en a une partie qui meurt et d'autre part il y en a beaucoup qui n'arrivent pas à croître, en terme d'emplois, donc il faut sans doute regarder autour de cela, mais soyons prudent.
PM : Alors ces aides justement, tout les candidats évoquent l'idée de les moduler, comme vous venez de le dire, peut-être pour les cibler mieux, vous pensez qu'il y a des économies importantes qui sont possibles à faire sur ces 65 milliards dont vous parlez. Le MEDEF, on l'a vu, s'inquiète, commence à s'inquiéter de voir que l'Etat tourne, enfin tous les candidats tournent autour de ces aides aux entreprises et pourraient en réduire une partie, notamment celles qui vont aux plus grandes.
BVC : Je suis persuadé que pour plus de lisibilité et plus d'encouragements à la création de valeurs, il serait bon, encore une fois, comme je le disais tout à l'heure, de revoir l'ensemble du système fiscal, et je préférerais effectivement qu'on regarde du côté de l'impôt sur les sociétés, ou de la taxe professionnelle, pour essayer d'alléger tout cela, plutôt que de distribuer mois après mois, comme des promotions, les aides de-ci, de-là, sans qu'il y ait forcément une réelle efficacité.
(... ) PM : On continue sur le social, avec vous. J'ai vu récemment Ségolène ROYAL dire qu'elle trouvait les syndicats français prêts aux compromis, et qu'en revanche elle trouvait le MEDEF crispé, alors est-ce que vous partagez cette impression, et pour aller un tout petit peu plus loin dans la question, est-ce que vous pensez qu'il est possible aujourd'hui de renégocier une sorte de deal social en France pour remettre un petit peu un certain nombre de sujets, vous avez parlé, droit du travail, assurance chômage, etc, dans un sens peut-être un peu plus flexible, en contrepartie peut-être de nouvelles sécurités à négocier ?
BVC : Oui, je crois que les syndicats, effectivement, comprennent parfaitement l'évolution du monde dans lequel nous vivons, et sont prêts à progresser, à partir du moment où on leur donne confiance, c'est-à-dire qu'on ne les met pas dans une situation où ils sont le dos au mur, qu'il faut systématiquement reculer face à des exigences croissantes du patronat, je dirais d'ailleurs des représentants patronaux, parce que, concrètement, dans les entreprises, il n'y a pas forcément de tels chantages qui s'exercent quotidiennement. Mais je pense qu'à l'instar de l'évolution de notre pays il faut que nous réussissions à trouver les conditions d'un climat de confiance entre les Français, pour préparer l'avenir, et bien sûr dans la relation de travail. Nous savons tous que nous sommes confrontés à un vieillissement de la population, qu'il risque d'y avoir davantage de pénurie de main d'oeuvre qualifiée dans les années qui viennent, et il est de l'intérêt des patrons de comprendre que la main d'oeuvre, la compétence, la valeur humaine, ça se respecte, ça ...
GB : Vous trouvez que ce n'est pas le cas aujourd'hui ?
BVC : Pas suffisamment, pas suffisamment, parce que la pression du court terme, vous évoquiez tout à l'heure ce qui s'est passé chez RENAULT, comme dans d'autres entreprises, il y a une telle pression pour faire face aux échéances de plus en plus courtes, que malheureusement on oublie simplement de se dire parfois bonjour ou d'avoir des relations humaines normales dans le monde du travail.
GB : Mais au-delà de ça, Bernard VAN CRAEYNEST, est-ce que ... il y a un moment donné où on a vraiment le sentiment que c'est, on demande toujours à l'autre de faire le premier pas. En clair, les entreprises disent, soyez motivé et puis on va aller au combat, et puis en effet, ce que dit Laurence PARISOT, on peut réussir à faire, on peut avoir de l'ambition et monter à 4 % de croissance, et de l'autre côté les syndicats, ou certains partis politiques, disent, eh bien non, déjà montrez-nous que vous êtes prêt à nous considérer en effet, à nous donner un peu d'air, c'est le cas de le dire, et après nous on sera assez motivé pour vous donner un peu d'air à vous. On n'est pas dans une situation, quelque part, de blocage larvé là-dedans ?
BVC : Je pense que, et c'est toujours ce que j'ai dit depuis mon accession à la tête de la CFE-CGC, il faut que nous nous entendions sur la méthodologie et que nous définissions les pas que nous devons faire les uns vers les autres et comment on va mettre tout cela en oeuvre, parce que sinon on va rester effectivement dans le discours incantatoire et rien ne bougera.
GB : Voilà, les lignes de front vont rester figées, un peu comme en 1915.
BVC : Absolument.
GB : Mais vous pensez que Laurence PARISOT et que le MEDEF actuel, l'équipe actuelle du MEDEF, pour prendre celui-la, ou de la CGPME d'ailleurs, vous pouvez discuter avec eux, faire bouger les lignes justement, ou est-ce que vous avez le sentiment que ça sera figé ?
BVC : Je pense que, en particulier avec la CGPME, l'UPA, ou avec Laurence PARISOT, nous sommes capables d'avoir des discours et des entretiens très concrets, très constructifs, maintenant, j'évoquais tout à l'heure certains représentants patronaux qui freinent des quatre fers, il faut, à l'instar d'ailleurs de ce qui se passe dans nos organisations syndicales, que nous parvenions à convaincre tout le monde et que tout le monde tire bien la charrette dans le même sens.
PM : Vous voulez dire que Laurence PARISOT n'arrive pas, à elle seule, à tirer un consensus au sein du MEDEF pour faire avancer les choses ?
BVC : Elle rencontre des difficultés comme l'ensemble des dirigeants peuvent en rencontrer parfois avec des bases un peu frileuses, maintenant. ..
PM : Qui bloque au sein du patronat d'après vous ?
BVC : Il y a différentes composantes ou différentes personnalités, suivant les sujets, parce que chacun représente tel secteur d'activité, ou tel, ou tel spécialiste de telle question sociale pense qu'il vaut mieux faire comme ça plutôt qu'autrement, donc ... mais je crois quand même que les choses progressent. Ce que j'observe depuis 1 an, 15 mois, c'est que petit à petit les choses progressent et je ne désespère pas que nous parvenions assez rapidement à avancer sur tous ces sujets.
PM : Sur une question d'actualité en ce moment, le pouvoir des fonds d'investissement, il ne faut pas confondre avec les fonds de pension, parce qu'on fait souvent la confusion, les fonds d'investissement ce sont ces fonds qui investissent des sommes importantes directement dans le capital d'entreprises, qui font des allers! retours en 4, 5 ans, en général ils laissent le temps aux managements d'avancer, mais sous la pression effectivement de fonds de pension. Donc ces fonds, aujourd'hui, défrayent la chronique parce qu'en France ils commencent à racheter beaucoup d'entreprises, ou à intervenir dans le capital de beaucoup d'entreprises, j'ai vu que la CGC avait là-dessus pris position, de façon assez critique, qu'est-ce que vous craignez ? Vous craignez qu'il y ait une pression justement qui s'accentue, le capitalisme financier ?
BVC : Tout simplement, ce que nous observons depuis de nombreuses années, c'est qu'à l'heure où nous savons qu'il y a plus de 500 000 chefs d'entreprises qui vont passer la main pour goûter une retraite bien méritée, c'est plutôt des chefs de petites et moyennes entreprises, mais à l'heure également où nous constatons que quelques fleurons de notre industrie sont aujourd'hui contrôlés par des fonds issus d'autres pays, ça veut dire qu'on déplace les centres de décisions et que petit à petit on n'est plus maître de notre économie, de notre destin et de l'orientation des entreprises.
GB : Oui, mais on va dire qu'on l'a bien cherché puisqu'on n'a jamais été capable de faire des fonds de pension à la française et qu'à part la Caisse des Dépôts il n'y a pas eu, il n'y a eu aucun organisme puissant, financier, qui pouvait intervenir.
BVC : C'est tout à fait exact, et nous le déplorons, simplement pour compléter votre intervention, c'est vrai que la CFE-CGC a pris position, s'est exprimée contre les aides, en particulier fiscales, que l'on accorde à ces fonds, dans la mesure où nous pensons qu'ils ont déjà largement la capacité de conduire leur action sans qu'on en rajoute, nous préférerions que notre pays rassemble ses forces pour justement soutenir nos entreprises, et vous rappeliez que ces fonds font des allers ! retours sur 4, 5 ans, je vous rappelle qu'il y a un certain nombre d'industries, je pense en particulier au nucléaire, à l'aéronautique, au spatial, à l'industrie de défense, ces industries dites à cycles longs, ou stratégiques, qui sont dans des domaines de souveraineté, où il vaut mieux quand même que nous soyons en capacité de dépasser ces cycles courts de 4 ou 5 ans.
PM : C'est vrai, mais enfin il faut reconnaître qu'ils ne sont pas encore dans le nucléaire, heureusement !
BVC : Comme vous dites.
PM : Simplement, très rapidement sur ce point, vous seriez prêt à accepter des mesures de développement beaucoup plus fort des fonds de pension, parce que là pour le moment on a pris des demi-mesures pour des produits d'épargne qui sont. .. type le PERP etc, est-ce qu'aujourd'hui vous seriez prêt à ce qu'on mette vraiment le paquet sur des fonds de pension individuel, à la CFE-CGC ?
BVC : Nous tenons absolument, compte tenu des problèmes de retraite, nous pensons qu'il sera nécessaire de prévoir un système de retraite supplémentaire, avec une petite partie obligatoire, pour faire face à l'effet papy-boom. Ce que nous observons c'est que les ménages, que ce soit par leur patrimoine, notamment immobilier, par l'assurance vie, au travers de l'épargne salariale, au travers de mécanismes tels les PERP, PERCO, nous avons différents systèmes d'épargne extrêmement diversifiés et ce que nous souhaitons c'est que nous rendrions cela cohérent et que nous disposions ainsi de réserves qui nous permettent de l'orienter effectivement vers la croissance de notre économie.
GB : D'un mot, Bernard VAN CRAEYNEST, dimanche on fête les 50 ans du traité de Rome, on dit que la France est un peu unique avec un statut de cadre qui n'existe nulle part en Europe, alors je sais que c'est une vieille antienne, mais elle ressort régulièrement, vous répondez quoi aujourd'hui ?
BVC : Peu importe la terminologie, ce que l'on observe c'est que quel que soit le pays, quelles que soient les entreprises, il y a toujours un certain nombre de salariés qui ont des responsabilités, de l'autonomie, qui gèrent, qui innovent, qui dirigent, qui managent, et c'est donc valable dans tous les pays, effectivement les techniciens, les agents de maîtrise, les ingénieurs...
GB : Mais on dit que la France est seule à avoir un statut de cadre, non ?
BVC : Vous savez, la France est sans doute un pays qui a pris conscience de l'importance de ces populations pour être locomotives de nos entreprises et de notre économie, et elle a su mettre en place des systèmes collectifs pour garantir un certain nombre de choses à ces populations, dans les autres pays c'est nettement plus individualisé, mais quand on a besoin de quelqu'un, en général, on sait lui amener les contreparties pour qu'il soit fidèle et moteur dans l'économie.
GB : Merci Bernard VAN CRAEYNEST.
BVC : Merci à vous.
GB : Merci d'avoir été «Le grand témoin» Radio Classique/la Tribunesource http://www.cfecgc.org, le 30 mars 2007