Texte intégral
Q- Vous êtes le 8ème candidat à la présidentielle à vous asseoir dans ce studio depuis deux semaines, et à 8h15, je vous poserai la même question qu'à tous les autres : "Donnez-moi trois bonnes raisons de voter pour vous". C'est une manière pour nous finalement, de vous mettre tous sur la même ligne, à maintenant moins de trois semaines du premier tour. Mais un petit mot peut-être sur cette proposition : N. Sarkozy a indiqué qu'il n'était pas favorable à votre proposition de débat sur Internet. J.-M. Le Pen, S. Royal, eux, sont plutôt pour. Vous allez débattre à trois ?
R- Je crois que c'est impossible, c'est inimaginable qu'on ait un débat dont N. Sarkozy soit absent. Je trouve d'ailleurs que ce n'est pas, comment dire, ce n'est pas logique et ce n'est pas civique de sa part de dire "non". Aujourd'hui, on est devant les Français, avec naturellement trois ou quatre candidatures qui peuvent être élues et changer les choses. Les Français attendent qu'il y ait une confrontation entre ces visions, et on aurait dû leur offrir un débat. J'ai dit que, puisque le débat était, semble-t-il, impossible sur les chaînes de télévision et de radio, on pouvait très bien le faire sur Internet. En plus, cela aurait été une novation très intéressante, que tous les sites Internet français se mettent ensemble pour organiser le débat. Il y aurait eu là, quelque chose de différent, de moderne, et peut-être une forme de débat qu'on n'aurait pas rencontré jusque-là. N. Sarkozy ne veut pas, j'espère que la pression des électeurs et des citoyens va lui faire sentir qu'il se trompe, et va lui montrer que les citoyens aussi ont droit à l'information, au débat.
Q- Mais vous dites qu'il y a trois ou quatre candidats qui pourraient être au deuxième tour. Qu'est-ce qui vous dire cela ?
R- Vous savez bien ce qu'il en est. On a aujourd'hui 15 points de différence...
Q- Donc, vous aussi, vous regardez les sondages ?
R- Oui, enfin, je fais comme vous, je les regarde beaucoup moins que vous, mais je les regarde, bien entendu. Ils traduisent, disons de grandes masses.
[Pause]
Q- Question rituelle : donnez-moi trois bonnes raisons de voter pour vous ?
R- Trois différences alors. Première différence : je suis le seul à dire que, pour sortir la France de la situation où elle est, et Dieu sait si elle est inquiétante, dans tous les secteurs, pour sortir la France de cette situation-là, il faut rassembler les Français, c'est-à-dire dépasser le vieux clivage gauche-droite, et être capables de faire travailler ensemble des gens venant de bords différents. Deuxième différence : je suis le seul à faire des promesses qui soient raisonnables, possibles, réalisables, c'est-à-dire entièrement financées, sans, comme le font d'autres, multiplier les annonces qui coûteront des dizaines de milliards d'euros, que nous n'avons pas... le premier euro pour financer ! Et puis, troisième originalité, si l'on veut que cela change, si l'on veut découvrir de nouveaux comportements politiques, si l'on veut échapper aux injures réciproques entre les uns et les autres
jusqu'à l'élection, et après l'élection pendant cinq ans, si l'on veut découvrir des têtes nouvelles, alors, oui, on a une seule possibilité, je crois, c'est que nous choisissions tous ensemble le 22 avril d'imposer ce changement à la vie politique française.
Q- Mais vous, vous avez vraiment une tête nouvelle, F. Bayrou ? Vous êtes déjà un vieux briscard de la vie politique française, ancien ministre ?
R- Oui... On est tous dans la même génération, et heureusement que l'on a de l'expérience. Si je me présentais devant les Français sans aucune expérience, probablement, serait-il imprudent de voter pour moi. Je sais comment cela marche, et je sais pourquoi il faut changer. Mais, ce qu'il y a de nouveau, c'est ce que j'ai à l'intérieur de la tête, si vous me permettez de vous le dire. Vous demandez : est-ce que c'est "la tête" ? Non, c'est la pensée qu'il y a à l'intérieur. La vie politique française vit depuis des décennies dans une espèce de blocage qui est une caricature ; il suffit de suivre les échanges aujourd'hui pour le voir. Et cet affrontement, cette guerre perpétuelle entre l'un et l'autre, nous ont amenés où nous sommes, c'est-à-dire à une situation qui, d'une certaine manière, montre... est pour les Français une tristesse, et presque dans leur vie de tous les jours, un drame. Dans tous les secteurs, que ce soit le chômage, que ce soit l'éducation, que ce soit l'exclusion, on a devant nous une immense tâche à accomplir, on ne peut l'accomplir que si on change les comportements.
Q- Vous souhaitez, si vous êtes élu, être un "apaiseur" entre les Français. Pour vous, la France a plus besoin d'être apaisée que réformée ? Ca va ensemble ?
R- Tout le monde a souci de la sécurité. Et c'est dans ce cadre que je dis : il n'y a de paix civile, il n'y a de sécurité, il n'y a d'ordre que si on fait baisser les tensions entre les Français, et pas si on passe son temps à les attiser. Il y a un danger dans l'excitation des affrontements entre Français ; on a besoin d'un président qui soit capable de faire vivre les Français ensemble, car nous allons devoir vivre ensemble. Il n'y a aucune autre hypothèse que de faire augmenter la compréhension entre Français, plutôt que de faire augmenter la détestation entre Français.
Q- On parlait de sondages tout à l'heure. Brièvement, selon un sondage publié par Paris-Match, c'est l'indécision qui progresse en ce moment chez les Français. N'est-ce pas troublant que les Français soient toujours dans le doute, à moins de trois semaines du premier tour ?
R- Non, je pense qu'ils s'interrogent sur leur choix, et c'est très bien comme cela. Vous savez qu'on a voulu pendant des mois, leur expliquer que c'était joué. On a voulu pendant des mois leur annoncer que ce n'était pas la peine d'aller au premier tour, qu'on était directement au deuxième tour. Et puis les Français, comme toujours, ont décidé de reprendre le pouvoir sur cette élection, ils ont décidé, je le crois, d'imposer un changement, qui est un changement inattendu pour les observateurs. Et ils ont décidé, en effet, d'utiliser à plein la campagne électorale, les trois semaines qui restent, pour savoir où serait le changement utile pour eux. C'est la raison de la réflexion qu'ils mènent en ce moment, de plus en plus active, passionnée. Je vois tous les soirs des meetings qui sont de plus en plus nombreux, chaleureux, enthousiastes, par milliers et milliers de personnes. LesFrançais vont faire le choix citoyen des électeurs qui décident eux-mêmes d'écrire le scénario pour le deuxième tour.
Q- Un dernier petit mot. Vous avez été piégé par Auto-Hebdo, qui vous a surpris à 120 Km/h au lieu de 70 ! Ce n'est pas bien !
R- Je ne sais pas où, et je ne sais pas quand, parce que on essaie vraiment de respecter les limitations de vitesse. Ajoutez, si vous voulez être exact, que je suis celui de tous les candidats qui a fait la faute la plus, comment dirais-je, modérée. Mais si cela a été le cas, ce n'est pas bien.
Q- Ce n'est pas bien.
R- Non, mais si cela a été le cas, ce n'est pas bien.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 avril 2007