Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, président de l'UMP et candidat à l'élection présidentielle 2007, dans "Le Figaro" du 18 avril 2007, sur ses valeurs, son idéologie et son programme.

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Texte intégral

QUESTION - Cette campagne se distingue des autres par le nombre très élevé des indécis. Est-ce pour vous une inquiétude ?
Nicolas SARKOZY - Pourquoi donc ? Dans toutes les campagnes, les indécis ont toujours voté comme ceux qui ont fait leur choix. Regardez les nouveaux inscrits, chez eux aussi je suis en tête ! Loin de moi l'idée de dire que la bataille est gagnée. Je crois au contraire que rien n'est joué. Mais je constate simplement que ma campagne rencontre un écho profond dans le pays.
QUESTION - Quels en ont été pour vous les moments les plus forts ?
Nicolas SARKOZY - Le rassemblement du 14 janvier, porte de Versailles. Puis le moment où j'ai lancé le débat sur l'identité. Enfin, les incidents de la gare du Nord, lors desquels la gauche a cherché des excuses aux voyous.
QUESTION - Et les moments que vous regrettez ?
Nicolas SARKOZY - Le fait que certains membres de mon équipe, pendant que j'étais à la Réunion, aient semblé contester le chiffrage de mon projet. Puis, cette parenthèse de trois semaines où j'ai donné le sentiment que je ne disais plus rien. On me conseillait de rassurer ; du coup, toutes les aspérités étaient gommées ; je devenais un candidat classique. Ce n'est pas ce qu'attendent les Français.
QUESTION - Tout le monde se dispute la palme de l'« antisystème »...
Nicolas SARKOZY - Quand je pense à ce que j'ai entendu quand j'ai parlé de rupture !
Aujourd'hui, on se l'arrache, mais mon antériorité devrait jouer en ma faveur. Depuis 2002, je me suis construit en marge d'un système qui ne voulait pas de moi comme président de l'UMP, qui récusait mes idées comme ministre de l'Intérieur et qui contestait mes propositions.
QUESTION - À quatre jours du premier tour, on a le sentiment qu'aucun thème n'a structuré la campagne...
Nicolas SARKOZY - Je ne suis pas d'accord. Le vrai sujet de cette présidentielle, ce sont les valeurs. Par le passé, il est arrivé, c'est vrai, qu'un thème unique s'impose à tous les autres. En 1997, les 35 heures et les emplois-jeunes. En 2002, la sécurité. Cette année, derrière les apparences d'un certain zapping, tout - le travail, l'éducation, l'immigration, la sécurité - s'ordonne autour de la crise d'identité que traverse la France. D'où ma campagne sur le sens et sur les valeurs, qui désoriente certains commentateurs mais dont les Français ont bien compris la nouveauté : je ne mène pas un combat politique mais un combat idéologique.
C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à faire une synthèse de mes convictions dans mon dernier livre, Ensemble. Au fond, j'ai fait mienne l'analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées. C'est la première fois qu'un homme de droite assume cette bataille-là.
QUESTION - Quand avez-vous fait ce choix ?
Nicolas SARKOZY - En 2002, quinze jours après mon arrivée au ministère de l'Intérieur, une certaine presse a commencé à m'attaquer sur le thème : « Sarkozy fait la guerre aux pauvres. » Je me suis dit : soit je cède et je ne pourrai plus rien faire, soit j'engage la bataille idéologique, en démontrant que la sécurité est avant tout au service des plus pauvres. Depuis 2002, j'ai donc engagé un combat pour la maîtrise du débat d'idées. Tous les soirs, je parle de l'école, en dénonçant l'héritage de 1968. Je dénonce le relativisme intellectuel, culturel, moral... Et la violence de la gauche à mon endroit vient du fait qu'elle a compris de quoi il s'agissait.
QUESTION - La France glisse-t-elle à droite ?
Nicolas SARKOZY - Je conteste cette idée de la droitisation de l'électorat, qui est une idée du microcosme, produite par la pensée unique. Beaucoup d'ouvriers, de gens de gauche, veulent qu'on leur parle de la nation. Je parle d'identité nationale parce que je pense que les gens ont besoin de repères. Si c'est être de droite, suis-je de gauche quand je défends le pouvoir d'achat et les salaires ? La nation, le pouvoir d'achat, le travail sont des valeurs qui vont bien au-delà du clivage droite-gauche.
QUESTION - La France qui a voté « non » au référendum européen est toujours là.
Nicolas SARKOZY - Tout ce que j'ai voulu faire, c'est lui dire que j'avais entendu sa souffrance, son exaspération, que je comprenais la crise d'identité qu'elle traverse.
QUESTION - Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de courir après Jean-Marie Le Pen ?
Nicolas SARKOZY - J'ai le sentiment que c'est plutôt Le Pen qui court après moi, si j'en juge par ses dernières déclarations. Moi, je ne parle pas à Le Pen, qui me conteste le droit d'être candidat parce que je suis fils d'immigré.
Le Pen n'est pas propriétaire de ses voix, pas plus que moi d'ailleurs.
Je parle à ses électeurs, comme à tous les électeurs.
QUESTION - Vous situez le débat sur le terrain des valeurs. Comment vous distinguez-vous de Ségolène Royal ?
Nicolas SARKOZY - C'est très simple. Je suis pour la promotion, elle est pour le nivellement. Les 35 heures doivent constituer pour moi un plancher, elle les voit comme un plafond. Je suis contre les régularisations globales en matière d'immigration, elle annonce la régularisation des parents et des grands-parents de tous les en-fants d'immigrés scolarisés en France.
Ça fait quand même beaucoup ! Je suis pour ouvrir des choix partout, elle veut tout figer avec des statuts. Ce sont de vraies différences.
QUESTION - Et de François Bayrou ?
Nicolas SARKOZY - Il se dit plus à gauche que Ségolène Royal. C'est une évolution fulgurante ! Heureusement que ça ne l'a pas pris quand il était adolescent. Ça se serait terminé où ? Voilà un homme qui prétend rompre avec le système et qui prépare avec Michel Rocard des combinaisons d'appareils dans le dos des Français ! Imaginons ce qu'il en serait s'il arrivait au pouvoir. L'immobilisme d'abord, l'instabilité ensuite. On l'a vu en Italie. On commence à le voir en Allemagne.
QUESTION - Pourquoi, dans votre bouche, cette récente référence à Jean-Paul II ?
Nicolas SARKOZY - Parce que c'est l'homme qui par la force de ses convictions a fait tomber le mur de Berlin. C'est l'homme qui a dit qu'il ne fallait pas avoir peur. C'est l'homme qui a su incarner l'ouverture et la fermeté. Quel plus bel exemple ?
QUESTION - Sur les « racines chrétiennes » de l'Europe, quelle est votre position ?
Nicolas SARKOZY - Comment peut-on contester que l'Europe ait des racines chrétiennes ?
Derrière la morale laïque et républicaine française, il y a deux mille ans de chrétienté. Ce n'est pas militer pour une Église que de dire cela, c'est regarder l'histoire de France telle qu'elle est, et ce « long manteau d'églises » qui recouvre notre pays. La question de savoir si Dieu doit être dans la Constitution européenne ne se pose plus puisqu'il n'y a pas de Constitution. Donc, on ne va pas se battre là-dessus. Mais on ne peut pas ignorer les racines chrétiennes de l'Europe, ni celles de la France.
QUESTION - En matière économique, n'y a-t-il pas un décalage entre vos positions libérales d'il y a quatre ans, et celles que vous défendez aujourd'hui ?
Nicolas SARKOZY - Non, je ne le pense pas. En 2004, j'ai sauvé Alstom, et tout le monde m'a traité de dirigiste. En 2007, je veux une politique industrielle de la France. En 2004, je me suis battu contre les marges arrières des grandes surfaces. En 2007, je fais campagne pour le pouvoir d'achat. Tout cela me semble cohérent.
QUESTION - Vous critiquez les « golden parachutes ». La présidente du Medef s'insurge...
Nicolas SARKOZY - Le « golden parachute », c'est une assurance en cas d'échec. Le capitalisme, ce n'est pas cela : il récompense la prise de risque quand elle débouche sur une réussite. Je suis partisan de récompenser les patrons quand ils réussissent, pas quand ils échouent ! Il faut donc une loi pour en finir avec cette perversion du capitalisme.
QUESTION - Rapidement ?
Nicolas SARKOZY - Avant la fin de 2007, oui, comme le service minimum, dont on parle depuis vingt ans, la détaxation des heures supplémentaires, la suppression des droits de succession ou la déduction des intérêts d'emprunts lors de l'achat de la résidence principale. Ce sont des mesures qui dynamiseront tout de suite l'économie.
QUESTION - Quelles sont vos premières initiatives si vous êtes élu ?
Nicolas SARKOZY - Je voudrais consacrer une journée à une rencontre avec les ONG, pour préparer le Grenelle de l'environnement du mois de septembre. Je voudrais également passer très vite une journée avec les partenaires sociaux, pour fixer les modalités des quatre sommets de septembre : l'un autour du pouvoir d'achat et des salaires, l'autre autour du contrat de travail et de la flexibilité, le troisième autour de l'égalité des salaires entre les hommes et les femmes, le quatrième pour mettre en route la réforme de la dé-mocratie sociale.
QUESTION - Vous souhaitez toujours expérimenter la TVA sociale ?
Nicolas SARKOZY - Oui, parce que nous sommes dans un monde où tout est fait pour taxer le travail, et donc le décourager. Et parce qu'il faut absolument que les importations contribuent au financement de notre modernisation.
QUESTION - Comment vous y prendrez-vous ?
Nicolas SARKOZY - Soit on la teste sur un secteur d'activité, le bâtiment ou l'automobile par exemple, soit nous l'expérimentons dans tous les secteurs de l'économie : nous pourrions mettre la TVA sociale à l'essai sur deux années, avec une clause de rendez-vous tous les ans, pour observer l'évolution des prix.
QUESTION - N'est-il pas dangereux de revenir à l'indexation des salaires sur les prix ?
Nicolas SARKOZY - Pourquoi s'interdire d'en parler ? Nous ne sommes plus à l'époque de Raymond Barre, où il fallait que le capital soit mieux rémunéré que le travail. Aujourd'hui, tout est indexé, sauf les salaires : il ne viendrait à l'idée de personne de dire que l'indice de la construction doit rester à zéro. Résultat : le salarié se trouve pris entre le chômage d'un côté et l'illégalité de l'indexation des salaires sur les prix. Et, à cause des 35 heures, il n'a aucune marge pour négocier une hausse des salaires. Cela me semble injuste. Il n'est pas question d'une indexation générale, mais on peut réfléchir à la suppression de l'interdiction qui existe aujourd'hui pour laisser place à la négociation.
QUESTION - Craignez-vous un troisième tour social ?
Nicolas SARKOZY - Ce n'est pas la peine d'être élu au suffrage universel pour redouter ensuite que les gens descendent dans la rue ! En démocratie, on ne perd pas parce que ses contradicteurs sont forts, mais parce que ses soutiens ne sont plus là. Si je suis élu, j'ai bien l'intention de mettre en oeuvre une politique qui créera les conditions de la dynamique.
QUESTION - Vous avez renoncé à demander une réforme de la BCE, pourquoi ?
Nicolas SARKOZY - Parce qu'il est vain de demander une réforme des statuts que nous n'obtiendrons pas, parce que nous n'aurons jamais l'unanimité des pays européens sur ce point...
QUESTION - Ne courez-vous pas le risque de mécontenter la France du non en refusant un deuxième référendum sur les institutions européennes ?
Nicolas SARKOZY - Le peuple a dit non à la Constitution. Ce qui est dit est dit. Je ne demande pas une nouvelle Constitution, mais un traité simplifié.
QUESTION - Pourquoi ne pas l'adopter par référendum ?
Nicolas SARKOZY - Le proposer, c'est de la pure démagogie ! Le premier référendum a mis l'Europe en panne. Le deuxième la détruirait. Je rappelle en outre le calendrier électoral : élection présidentielle en mai, législatives en juin. En 2008, nous aurons les sénatoriales, les régionales, les élections municipales, et l'on voudrait un référendum en plus ? Il faudrait peut-être que la France pense à travailler de temps en temps !
QUESTION - Quel est votre objectif pour le soir du premier tour ?
Nicolas SARKOZY - Etre qualifié pour le second, en arrivant en tête avec le plus d'avance possible.
QUESTION - Vous avez voulu rassembler la droite. Où trouverez-vous les voix supplémentaires au second tour ?
Nicolas SARKOZY - Ainsi donc, si j'arrive en tête au premier tour, en approchant les 30 %, j'aurai plus de mal à rassembler que si j'avais fait autour de 20 % ? C'est un raisonnement que j'ai du mal à comprendre...
QUESTION - Ne craignez-vous pas que le scrutin se transforme en référendum anti-Sarkozy ?
Nicolas SARKOZY - Il n'y a jamais eu une élection où celui qui était favori ne s'est pas fait attaquer sur sa personnalité. Souvenez-vous de Mitterrand en mai 1981 : c'était un aventurier, les chars soviétiques seraient bientôt à la Concorde. Giscard ne connaissait pas le peuple. Quant à Jacques Chirac, que ses adversaires appelaient « l'agité », que n'a-t-on pas inventé contre lui ? Tout cela est tristement banal.
QUESTION - Si vous vous retrouvez face à Royal au second tour, comment comptez-vous reconquérir les électeurs de Bayrou ?
Nicolas SARKOZY - Je n'ai jamais attaqué François Bayrou avec la violence qu'il déploie contre moi, et je n'ai jamais dit du mal des électeurs de l'UDF. C'est le choix de Bayrou d'être aujourd'hui un candidat de gauche, mais c'est pour cela que ses électeurs le quittent. Je leur dis simplement : ne vous laissez pas voler vos idées, ne vous laissez pas voler votre bulletin de vote ! Vous êtes des électeurs du centre, refusez d'être entraînés dans une alliance qui irait de Besancenot à Royal !
QUESTION - Une réconciliation avec l'UDF est-elle possible ?
Nicolas SARKOZY - Comme je ne suis pas fâché, ce n'est pas à moi de me réconcilier.
QUESTION - La proportionnelle aux législatives peut-elle faire partie de la négociation ?
Nicolas SARKOZY - Il ne me semble pas que ce soit un sujet de préoccupation majeur pour les Français.
QUESTION - Les députés UDF trouveront-ils face à eux un candidat UMP ?
Nicolas SARKOZY - Je répondrai à cette question après le premier tour quand je connaîtrai l'attitude de François Bayrou. S'il confirme qu'il est à gauche, on en tirera les conséquences. S'il revient à droite, aussi.
QUESTION - Finalement, Bayrou vous semble-t-il un adversaire de second tour plus redoutable que Royal ?
Nicolas SARKOZY - Non. Le second tour sera difficile quoi qu'il arrive et se jouera dans un mouchoir de poche. Il n'y a pas d'adversaire facile, il n'y a pas d'adversaire invincible. Source http://www.u-m-p.org, le 19 avril 2007