Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, dans "Sport" du 20 avril 2007, sur les valeurs portées par le sport, l'enseignement sportif et la lutte contre le dopage et le hooliganisme.

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Média : jeunesse-sports.gouv.fr - Sport

Texte intégral

Q - Êtes-vous sportif monsieur Bayrou ?
François Bayrou : "J'ai pratiqué le rugby au collège et au lycée, au poste de demi d'ouverture. J'ai aussi joué au basket.
Q - À quel âge avez-vous débuté ?
R - Avant 7 ans... J'espère continuer après 77 [Rires].
Q - Ça veut dire que vous pratiquez toujours aujourd'hui ?
R - Oui. Je monte à cheval. Et, avec mes enfants, je joue au ping-pong et au foot. Il m'arrive aussi de skier un peu en hiver dans les Pyrénées, pas très loin de chez moi.
Q - Pourquoi avoir choisi ces sports ?
R - Vous savez, dans le Sud-Ouest, on joue au rugby avant de savoir faire du vélo !
Quant aux autres sports, ils sont naturels quand on a six enfants !
Q - Qu'est-ce qui vous motive le plus dans le sport ?
R - Avant tout, l'esprit d'équipe.
Q - Vous êtes donc plutôt "sport collectif"...
R - Oui. J'aime l'idée de partage, de solidarité, et d'oeuvre collective.
Q - En tant que spectateur, ou téléspectateur, quels sont vos meilleurs souvenirs sportifs ?
R - L'un de mes plus grands souvenirs est la finale du championnat de France de rugby entre Pau et Béziers, en 1964. La Section [paloise] fut championne cette année-là. Je me souviens aussi, enfant, des étapes pyrénéennes du Tour de France. Et en particulier de ces spectateurs qui, assis sur leurs pliants en mastiquant leurs sandwiches, regardaient passer les coureurs à bout de force en leur criant : "Pédale, fainéant !" Et puis, petit, j'imitais notre gloire nationale Raymond Mastrotto, un coureur pyrénéen surnommé le "taureau de Nay".
Q - Lorsque vous assistez à une compétition sportive, quel genre de spectateur êtes-vous : un "supporter inconditionnel", un passionné, ou portez-vous au contraire un regard distancié ?
R - Je vais, lorsque je peux, au stade, avec l'un de mes fils. Généralement pour supporter la Section paloise. Et là, je ne suis pas distancié du tout...
Q - Y a-t-il des champions que vous admirez particulièrement ?
R - J'ai eu beaucoup d'admiration pour Merckx et Hinault.
Q - Qu'est-ce qui vous plaisait chez eux ?
R - Leur orgueil. J'admire aussi les grands jockeys de course et les cavaliers de concours complet. Et puis j'adore Zidane, coup de tête compris.
Q - Aujourd'hui, comment entretenez-vous votre forme ?
R - Je marche beaucoup, chez moi et à Paris. Tous les matins. Et je mange énormément de fruits.
Q - Un homme politique de premier plan peut-il vraiment s'adonner à une activité physique ?
R - Pas suffisamment, hélas... L'existence d'un candidat à la présidentielle ne ressemble-t-elle pas, finalement, à celle d'un champion au moment d'une grande compétition ? Il existe probablement des similitudes : l'objectif à atteindre, le travail sans relâche, le stress à la veille du grand jour, les épreuves éliminatoires à franchir, pas à pas... jusqu'à la finale. Il y a toutefois une grande différence : dans le sport, on gagne un grand tournoi ou une grande course pour soi. En politique, on atteint son but pour les autres.
Q - Selon vous, quelles valeurs sont portées par le sport ?
R - Le dépassement de soi, le sens de l'effort, la solidarité.
Q - Que pensez-vous du sport amateur ?
R - Du bien ! Le sport ne doit pas se résumer à l'argent. Il porte d'autres valeurs, pour moi plus importantes.
Q - Lesquelles ? Celles que vous venez de définir ?
R - Exactement.
Q - Vous avez parlé, durant cette campagne, de la place du sport à l'école. Quelle est votre vision du sport scolaire ?
R - Le sport doit être au centre de l'éducation ! Il est en question à l'école primaire. Dans le secondaire, il est en régression. Et à l'université, il est pratiquement absent. Il y a un besoin très grand d'encadrement, mais je connais aussi les contraintes budgétaires qui sont les nôtres.
Q - Pardon pour cette transition brutale, mais quelle idée vous faites-vous du professionnalisme ?
R - Je considère qu'il y a trop d'argent dans le sport, ce qui attire des personnes pas toujours scrupuleuses dans l'entourage des athlètes. Il est très difficile pour un champion de 18 ou 20 ans d'être solide dans sa tête quand l'argent tombe par les fenêtres. Il faut alors être très bien entouré, et penser à l'après. Certains trouvent que l'ambiance et la liesse populaire qui entourent les grands événements sportifs tiennent du chauvinisme, ou du nationalisme.
Q - D'autres soutiennent au contraire que ces championnats sont source d'union nationale. Quelle est votre opinion ?
R - J'aime l'idée que le sport rassemble les peuples, transcende leurs intérêts égoïstes et, d'une certaine manière, fait rêver. C'était l'idée de Coubertin, et du superbe symbole des anneaux olympiques entrelacés. Mais je sais aussi qu'il y a des peuples pour qui l'idée même du sport n'existe pas. Ceux qui meurent de faim et que le monde entier oublie. On ne peut fermer les yeux sur ces tragédies.
Q - Bien sûr que non ! Mais il n'y a pas de rapport de cause à effet. Comment le sport pourrait-il aider ces peuples ?
R - J'ai avancé l'idée de boycotter les Jeux de Pékin si la Chine refuse de faire appliquer les résolutions votées au Conseil de sécurité de l'ONU, destinées à aider les populations du Darfour. C'est un exemple.
Q - Les symboles entourant les matches, comme les hymnes, les maillots ou les drapeaux, vous gênent-ils ou trouvez-vous rassurant que le public brandisse encore ces emblèmes ?
R - Ces symboles sont rassurants. Et heureux.
Q - Quel regard portez-vous sur le dopage ? Comment abordez-vous ce sujet dont on dit qu'il est, au choix, un "mal nécessaire" ou encore un reflet des comportements de la société ?
R - L'exigence d'éthique que porte la société française doit être affirmée. Cette exigence s'adresse en premier lieu aux sportifs de haut niveau. Mais il serait hypocrite de ne prendre la question du dopage que sous l'angle du contrôle et de la sanction. Il faut se poser la question des contraintes que nous infligeons aux athlètes, notamment en termes de calendrier et de difficultés des épreuves. Pour ce monde de l'élite, la médecine du sport doit être une médecine du travail, avec les contraintes de protection du sportif, notamment l'obligation d'allégement du calendrier.
Q - Sport et violence, sport et racisme sont parfois mêlés. Comment peut-on lutter contre ?
R - On le peut et on le doit. La violence, le hooliganisme et le racisme concernent essentiellement, pour ne pas dire presque uniquement, le football. C'est aux instances responsables de prendre des initiatives et de regarder ce qui se passe dans d'autres sports où les passions sont les mêmes, mais les tensions inexistantes.
Q - Les sportifs doivent-ils être impliqués dans ce combat ?
R - Oui, bien sûr. On voit déjà des footballeurs, ou des professionnels du sport, s'engager. Regardez ce qu'ont fait Didier Roustan avec Foot citoyen ou encore Thierry Henry avec sa campagne "Stand up, speak up".
Q - Ces campagnes sont-elles suffisantes ?
R - Évidemment, non. Lutter contre la violence c'est aussi une question d'éducation, qui relève des familles et des pouvoirs publics. C'est un grand combat à mener, pour une grande cause.
Q - Ne demande-t-on pas trop au sport ? On l'invoque pour solutionner une multitude de problèmes. A-t-il réponse à tout ?
R - Le sport peut beaucoup. Il revêt un rôle clé quand il s'agit de tisser, ou de retisser, un lien social aux endroits les plus fragiles de la société. C'est aussi un moyen d'action de prévention en matière de santé. Je ne crois pas qu'il puisse y avoir d'esprit sain sans corps sain. On demande donc beaucoup au monde sportif, sans d'ailleurs toujours lui donner les moyens suffisants. Mais il ne peut évidemment pas tout.
Q - Vous êtes l'une des rares personnalités à mettre un bémol dans ce consensus qui entoure le sport...
R - Ça me paraît normal. Il ne faut pas oublier que c'est aussi un monde cruel : tout le monde ne peut pas gagner Roland Garros ou jouer en Ligue 1 par exemple. Ensuite parce qu'il ne peut pas se substituer à d'autres activités tout aussi nécessaires à l'épanouissement de la personne humaine.
Q - Dernière question : pour vous, l'essentiel est-il de participer ou de gagner ?
R - De gagner."
Propos recueillis par Bruno Clémentsource http//www.bayrou.fr, le 23 avril 2007